Déclaration du CICR aux Nations Unies sur les armes, 2016

12 octobre 2016

Débat général sur tous les points de l'ordre du jour relatifs au désarmement et à la sécurité internationale, Assemblée générale des Nations Unies, 71e session,  Première Commission. Déclaration de Mme Christine Beerli, vice-présidente du CICR.

Je suis honorée de m’adresser aujourd’hui à la Première Commission pour mettre à sa disposition l’expérience acquise sur le terrain par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi que ses compétences en droit international humanitaire, dans l’espoir de contribuer à faire avancer certaines des questions cruciales examinées ici.

Le CICR estime que tous les débats sur les armes doivent prendre en compte non seulement leur coût humain prévisible, mais aussi les limites strictes imposées à leur emploi par le droit international humanitaire.

Cette 71e session de l’Assemblée générale des Nations Unies offre aux États l’occasion unique de faire un pas décisif vers l’interdiction et l’élimination totale des armes les plus destructrices jamais inventées : les armes nucléaires.

La communauté internationale a aujourd’hui la preuve incontestable des effets ravageurs, durables et irréversibles que ces armes ont sur la santé, l’environnement, le climat et la production alimentaire – tout ce dont la vie humaine dépend.

Il y a 20 ans déjà, se fondant sur les éléments à sa disposition, la Cour internationale de Justice relevait (dans son Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires) que les effets des armes nucléaires ne pouvaient être restreints ni dans l’espace ni dans le temps, et concluait que l’emploi de telles armes « serait généralement contraire » aux principes et règles du droit international humanitaire.

Depuis, de nouveaux éléments confirmant les souffrances indicibles et les effets indiscriminés causés par les armes nucléaires ont été mis au jour et présentés lors de trois conférences internationales consacrées à l’impact humanitaire des armes nucléaires. En particulier, des travaux de recherche menés respectivement par le CICR et par des organismes des Nations Unies ont démontré qu’en cas de nouvelle attaque nucléaire, les pays n’auraient pas les capacités suffisantes pour fournir aux victimes l’assistance humanitaire dont elles auraient besoin.

Les « conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires » ont été expressément reconnues il y a six ans par tous les États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ainsi que dans plusieurs résolutions adoptées depuis lors par la grande majorité des États membres de la Première Commission, notamment les résolutions intitulées « Suivi de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur le désarmement nucléaire de 2013 » et « Conséquences humanitaires des armes nucléaires ».

Ayant reconnu ces conséquences, les États ont maintenant la responsabilité de prendre des mesures concrètes pour empêcher qu’elles ne se réalisent. Et ils ont une occasion sans précédent de le faire en donnant suite à la recommandation adoptée en août à une large majorité par le Groupe de travail à composition non limitée chargé de faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire, laquelle préconise que l’Assemblée générale convoque, en 2017, une conférence ouverte à tous en vue de négocier un traité visant à « interdire les armes nucléaires et conduisant à leur élimination totale ».

En 2011, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dont le CICR est une composante, a appelé tous les États à « poursuivre de bonne foi et mener à terme sans tarder et avec détermination des négociations en vue de conclure un accord international juridiquement contraignant pour interdire l’emploi des armes nucléaires et parvenir à leur élimination totale, sur la base des obligations internationales et des engagements existants ». Le Mouvement note avec satisfaction que, cinq ans plus tard, ces négociations pourraient devenir réalité dans le cadre d’un processus inclusif supervisé par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Si l’interdiction des armes nucléaires n’est pas la seule mesure à prendre pour mettre un terme à leur utilisation et garantir leur élimination, il s’agit toutefois d’un élément indispensable à la réalisation de l’objectif universel d’un monde enfin débarrassé de ces armes. Comme pour les armes chimiques et biologiques, il faut une interdiction catégorique à la fois pour lancer le processus de désarmement et pour mettre un coup d’arrêt à la prolifération. Cela constituerait de la part des États un pas décisif, attendu de longue date, vers le respect de leur obligation de prendre des mesures efficaces relatives au désarmement nucléaire, conformément à l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et vers la mise en œuvre des nombreux engagements pris dans le cadre des plans d’action connexes au Traité.

Si certains États ne sont pour l’instant pas en mesure de participer aux négociations sur l’interdiction des armes nucléaires, nous continuons néanmoins de leur demander de prendre d’urgence des mesures provisoires pour réduire le risque de déclenchement intentionnel ou accidentel d’une arme nucléaire, par exemple en limitant le rôle des armes nucléaires dans leur doctrine et leurs plans militaires ou en diminuant le nombre d’ogives en état d’alerte avancée. Ces mesures, comme d’autres mesures de réduction des risques, découlent d’engagements politiques pris de longue date, tels que le plan d’action de la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 2010, et devraient être appliquées dans les plus brefs délais. En effet, au vu des conséquences humanitaires catastrophiques qu’engendrerait tout nouvel usage d’armes nucléaires, il est inacceptable que subsiste le moindre risque de déclenchement.

Compte tenu des menaces multiples qui pèsent actuellement sur la sécurité internationale, on ne peut que souligner combien il est urgent d’interdire les armes nucléaires et de veiller à ce que les États détenteurs de telles armes fassent le nécessaire pour honorer leurs obligations et leurs engagements politiques existants. Ce n’est qu’à cette condition que l’on parviendra à éliminer les armes nucléaires une fois pour toutes.

Il ressort des débats de la Première Commission que la militarisation de l’espace extra-atmosphérique et son utilisation à des fins hostiles suscitent des préoccupations croissantes, alors que tous les États ou presque cherchent à éviter que l’espace devienne le théâtre d’une nouvelle course aux armements. De l’avis du CICR, les initiatives diplomatiques devraient dûment tenir compte des graves conséquences humanitaires que pourraient avoir, sur Terre, des attaques directes contre des satellites « à usage mixte » (c’est-à-dire utilisés à des fins à la fois civiles et militaires) ou des dommages causés incidemment à des satellites civils. En outre, il convient de garder à l’esprit les limites déjà imposées par le droit international humanitaire à toutes les formes de guerre, y compris dans l’espace. L’usage de la force dans l’espace – par des moyens cybernétiques ou autres, en recourant à des armes spatiales ou terrestres – pourrait avoir des répercussions considérables sur les infrastructures civiles, les services de santé et les opérations humanitaires qui dépendent de systèmes de communication, de navigation et de synchronisation par satellite, ainsi que de réseaux d’imagerie. La vulnérabilité des systèmes spatiaux utilisés pour mener des activités civiles essentielles sur Terre repose avec acuité la question du respect des règles de distinction, de proportionnalité et de précaution dans l’attaque énoncées dans le droit international humanitaire – une question dont les États devraient soigneusement mesurer les enjeux dans leurs délibérations sur l’espace extra-atmosphérique.

Le CICR est profondément préoccupé par le fait que des armes chimiques classiques et improvisées aient été employées en Syrie ces trois dernières années, comme l’ont confirmé des missions d’établissement des faits conduites par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Bien que cet emploi ait été fermement condamné par la communauté internationale, de nouveaux cas d’utilisation d’armes chimiques en Syrie et ailleurs continuent d’être signalés. À la présente session de la Première Commission, les États devraient réaffirmer l’interdiction absolue de l’emploi d’armes chimiques et biologiques par quelque acteur que ce soit – étatique ou non étatique –, dans tout type de conflit armé. Le CICR invite instamment la poignée d’États qui ne l’ont pas encore fait à adhérer sans délai aux conventions relatives aux armes chimiques et biologiques. Ces conventions et le droit international humanitaire coutumier font obligation à tous les États d’ériger l’emploi d’armes chimiques ou biologiques en infraction pénale, et de poursuivre en justice toute personne relevant de leur juridiction ou de leur contrôle qui y a eu recours en vue de la sanctionner.

Les conflits armés en cours ou récents – par exemple en Syrie, en Ukraine, en Afghanistan, au Yémen, en Irak et à Gaza – continuent d’apporter la preuve que les armes explosives lourdes employées dans des zones habitées ont des effets dévastateurs sur les civils. En raison de leur large rayon d’impact, les bombes et les missiles de gros calibre, les systèmes d’armes à tir indirect comme les mortiers, les lance-roquettes multitubes et autres équipements d’artillerie, ainsi que certains types d’engins explosifs improvisés, sont susceptibles d’entraîner des effets indiscriminés lorsqu’ils sont utilisés dans des agglomérations. Outre le risque élevé que des civils soient accidentellement tués, blessés ou estropiés par leur faute, les armes explosives lourdes causent souvent des dommages importants aux infrastructures civiles essentielles, déclenchant une réaction en chaîne qui fragilise les services de base interconnectés tels que les soins de santé et les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité. Ces perturbations provoquent à leur tour de nouvelles pertes en vies civiles et des déplacements de population. Il convient d’ajouter que ces effets sont exacerbés en cas de prolongement du conflit armé.

Si le droit international humanitaire autorise incontestablement les parties à un conflit armé à attaquer des cibles militaires situées dans des zones habitées, il limite aussi les moyens et méthodes auxquels elles peuvent recourir pour atteindre leur objectif, dans le but d’épargner aux civils des souffrances inacceptables. Le CICR se félicite qu’un nombre croissant d’États s’intéressent à cette question humanitaire cruciale, et les encourage à faire connaître les dispositions qu’ils prennent pour respecter le droit international humanitaire dans le choix des armes qu’ils utilisent en milieu urbain. Nous continuons de demander aux États et aux parties aux conflits armés de s’abstenir d’employer des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées, compte tenu de la forte probabilité que ces armes entraînent des effets indiscriminés.

Il apparaît clairement que les terribles souffrances humaines causées par les conflits armés d’une grande violence, comme ceux qui touchent certaines régions du Moyen-Orient et d’Afrique, sont aussi une conséquence de la fourniture d’armes conventionnelles à des belligérants qui ne tiennent aucunement compte du droit international humanitaire. Comme le CICR le constate chaque jour dans ses opérations sur le terrain, les transferts d’armes irresponsables ouvrent la voie à de graves violations de ce corps de droit, notamment des actes de terrorisme et des violences sexuelles et sexistes. Il est urgent que tous les États s’acquittent de leurs obligations en veillant à ce que leurs décisions relatives aux transferts d’armes soient conformes au droit international humanitaire. Parmi ces obligations figurent les interdictions de transfert et les évaluations des demandes d’exportation prévues par le Traité sur le commerce des armes ; le CICR exhorte tous les États à adhérer à ce traité et à en respecter scrupuleusement les dispositions. En empêchant que des armes soient fournies à des parties aux conflits armés qui violent le droit international humanitaire, nous réduirons les souffrances humaines et contribuerons à créer les conditions requises pour garantir la sécurité au niveau régional et mondial.

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