Soudan : prendre un nouveau départ

10 février 2016
Soudan : prendre un nouveau départ
Khartoum, Soudan. Al-Taher al-Jak, 38 ans, est originaire de Shendi, dans le nord du Soudan. Après son accident de la route, il a pris un nouveau départ grâce à sa jambe artificielle. CC BY-NC-ND/CICR/Mohamed Nureldin

« Il y avait un problème avec les freins. Il était 5 heures du matin, et je voulais m'arrêter pour la prière, mais mon collègue a insisté pour continuer. Dix minutes plus tard, ma vie a basculé », raconte Al-Taher al-Jak, 38 ans, victime d'un accident de la route. 

« Alors que je descendais le dangereux col d'Akaba, j'ai vu un bus qui fonçait dans ma direction, les phares allumés.

» Pour l'éviter, j'ai quitté la route et mon véhicule a heurté un énorme rocher ainsi qu'une voiture en stationnement. Alors que j'étais étendu sur le sol, le pneu arrière du bus a roulé sur ma jambe droite, qui dépassait sur la chaussée.

» Les os de ma jambe ont été broyés, Il ne restait plus qu'un amas de chair. Le chauffeur du bus, qui était dans tous ses états, s'est présenté spontanément au poste de sécurité le plus proche, tandis que les passagers ont accouru vers moi et m'ont remercié de les avoir épargnés en évitant la collision.

» Assis au milieu de la route, j'essayais de sauver les quelques orteils qui me restaient. C'était terriblement douloureux, mais le fait d'être encore en vie m'aidait à supporter la souffrance. »

Accepter son sort avec courage

« À l'hôpital universitaire de Port-Soudan, le médecin m'a dit qu'il fallait immédiatement amputer. J'ai signé les papiers, contre l'avis de ma famille et de mes collègues. Depuis mon enfance, j'ai pris l'habitude d'accepter la vie comme elle vient.

» On m'a amputé au-dessous du genou. Il m'a fallu six mois pour m'en remettre. J'étais secoué mais pas désespéré. Je restais convaincu que la vie me réservait autre chose que la maladie. Ce que Dieu vous enlève d'une main, il le compense de l'autre.

» Peu de temps après, je me suis marié et ma femme et moi avons eu une petite fille. Avant notre mariage, les gens harcelaient ma fiancée car ils ne comprenaient pas qu'elle puisse envisager d'épouser un unijambiste. C'était une belle femme, très courtisée, mais elle m'a défendu : « Il n'a rien perdu de sa valeur, a-t-elle dit. C'est Dieu qui lui a envoyé cette épreuve. Pourquoi devrait-il être puni ? C'est lui que j'épouserai, et personne d'autre. »

» L'accident m'avait meurtri, mais j'ai enfoui cette souffrance en moi. La seule chose qui me chagrinait vraiment, c'était de ne pas pouvoir prier debout à la mosquée et d'être obligé de m'asseoir avec les anciens.

» J'avais prévu d'aller en Égypte pour me faire appareiller, mais un policier à la retraite qui avait le même handicap que moi m'a conseillé d'aller au centre de l'Autorité nationale d'orthopédie (National Authority for Prosthetics and Orthotics, NAPO) de Khartoum, soutenu par le CICR, en me disant que j'y serais mieux soigné. J'y suis donc allé. »

Réapprendre à marcher

« Plusieurs professionnels ont examiné ma jambe et m'ont expliqué en quoi allait consister la réadaptation physique. J'ai commencé par des séances de physiothérapie pour faire travailler les muscles de ma jambe et retrouver des sensations, avant de passer à la prothèse.

» J'ai fait de la physiothérapie pendant un mois, dans une atmosphère très chaleureuse. L'équipe m'encourageait constamment. "Tu te débrouilles bien, me disaient-ils, regarde untel ou untel. Si tu vas au bout de tes séances, tu pourras marcher comme eux.ˮ C'était le coup de pouce dont j'avais besoin.

» On est ensuite passé à l'étape de la prothèse. Les techniciens ont pris mes mesures pour me fabriquer une jambe artificielle, puis ils me l'ont fait essayer pour l'ajuster au mieux. Il m'a fallu 20 jours pour apprendre à marcher avec ; je me suis entraîné sur des surfaces planes, dans les escaliers et même sur des rochers.

» Enfant, déjà, j'aimais conduire. Grâce à ma prothèse, j'ai pu reprendre le volant et faire tout ce que je faisais avant l'accident, comme me tenir debout parmi les autres fidèles au moment de la prière. J'ai décidé de changer de métier pour devenir vendeur de voitures à plein temps, et je me déplace de marché en marché. Cette nouvelle vie, je la dois en grande partie au CICR et à la NAPO. »

Khartoum, Soudan. Al-Taher al-Jak inspecte l'une de ses voitures à vendre. CC BY-NC-ND/CICR/Mohamed Nureldin
 

 

Khartoum, Soudan. Al-Taher al-Jak au volant d'une de ses voitures à vendre. CC BY-NC-ND/CICR/Mohamed Nureldin

Le CICR fournit des services de réadaptation physique au Soudan depuis 1990. À travers le soutien technique et matériel qu'il apporte aux centres de l'Autorité nationale d'orthopédie (NAPO) à travers le pays, ainsi qu'au Cheshire Home à Khartoum – un centre de réadaptation physique pour enfants –, le CICR fait en sorte que les personnes handicapées aient accès à des services de qualité. Si, au départ, le programme de réadaptation physique était destiné aux victimes de conflits armés, aujourd'hui, la majorité des bénéficiaires sont des personnes atteintes de diabète, d'une maduromycose ou ayant été victimes d'un accident de la route.

Le CICR, en partenariat avec la NAPO et le Cheshire Home de Khartoum, s'emploie à venir en aide aux personnes handicapées et à faciliter leur insertion dans la société.

  • En 2015, plus de 2 900 personnes handicapées ont été prises en charge dans les centres de réadaptation physique soutenus par le CICR.
  • Le CICR soutient l'Association soudanaise des physiothérapeutes de manière à faciliter la coopération et les échanges pluridisciplinaires.
  • Le CICR soutient l'action du Comité paralympique soudanais en faveur du développement des sports en fauteuil roulant.
  • Une cinquantaine de personnes handicapées ayant bénéficié de soins de réadaptation physique au Darfour ont reçu un prêt pour monter leur propre activité.
  • Le CICR soutient les orthoprothésistes soudanais en finançant leur participation à des séminaires de formation organisés localement ou à l'étranger.