Pour les footballeurs vedettes victimes de munitions non explosées au Liban, "le handicap est dans la tête, pas dans le corps"

02-12-2011 Éclairage

Parmi les nombreuses manifestations culturelles et de sensibilisation organisées en marge de la deuxième Assemblée des États parties à la Convention sur les armes à sous-munitions — qui s'est déroulée à Beyrouth du 12 au 16 septembre 2011 — figurait une rencontre de football amicale opposant une équipe libanaise de victimes de sous-munitions à une équipe formée pour l'occasion, composée de participants à la réunion.

L'équipe locale jouait sous le maillot de l'Association libanaise pour la protection des handicapés (Lebanese Welfare Association for the Handicapped, LWAH); elle était formée de joueurs dont le courage et l'amour de la vie n'ont jamais été atteints par les infirmités.
Nazih Saab et Hussein Ghandour, âgés de 43 et de 31 ans respectivement, sont deux footballeurs de la LWAH. Tous deux mutilés par des détonations d'engins non explosés, ils mènent le même combat contre l'impuissance et le désespoir et partagent les mêmes principes de vie : l'espoir, la foi et l'amour.
Hussein a perdu une jambe voici 23 ans, alors qu'il jouait, enfant, dans la cour de son domicile à Tyr, dans le sud du Liban. «Je me souviens avoir ramassé quelque chose qui ressemblait à un morceau d'une vieille balle de tennis, et soudain cette énorme déflagration s'est produite. J'étais couvert de sang, j'avais mal... je n'ai pas compris tout de suite ce qui s'était passé.» Ce n'est que quelques jours plus tard qu'il apprit qu'il avait perdu un bras et une jambe.
«Ça n'a pas été facile. Au début, j'étais en colère, je ne comprenais pas... pourquoi moi ? Mes camarades d'école me posaient toutes sortes de questions bizarres, et j'étais seul pour faire face à tout ça. À l'époque, les gens n'étaient pas, ou peu, conscients de ces problèmes. Même les parents ne comprenaient pas le danger des bombes à sous-munitions et autres engins non explosés.»

Retrouver la confiance

Aujourd'hui, Hussein est marié, il a une fille âgée d'un an et il célèbre sa 11e année de collaboration avec la LWAH. Il fait tout pour aider d'autres victimes de munitions non explosées à se sentir aussi épanoui et confiant que lui-même.
«Je me sens plus fort que jamais : j'ai les mêmes activités que n'importe quelle personne normale, avec deux membres en moins, explique-t-il. Ça fait de moi quelqu'un de plus fort, non ? L'infirmité peut nous ôter des membres, des parties de notre corps physique, mais nous ne devons pas la laisser entamer notre nature profonde, notre esprit.»
Pour Hussein, le football, et le sport en général, est bien plus qu'une manière de rester en forme : c'est une façon supplémentaire de prouver à soi-même et au reste du monde qu'il est toujours en vie. «C'est la preuve que le fait d'être privé d'une jambe ou d'un bras ne doit en aucun cas nous empêcher d'être des personnes à part entière.»

Un immense champ de mines

Son coéquipier Nazih Saab a perdu sa jambe droite en 1991, alors qu'il était soldat, en sauvant deux enfants qui allaient marcher sur une mine. À l'époque, le centre de Beyrouth n'était qu'un immense champ de mines, dans un pays meurtri par la guerre civile. Aujourd'hui, c'est la famille de Nazih qui représente son principal point d'appui.
«Cet accident a bouleversé ma vie à bien des égards, assure-t-il. J'ai appris à mieux apprécier l'existence, à profiter des bons moments et à ne jamais regretter les moments difficiles, parce que c'est grâce à eux que l'on progresse et que l'on devient plus fort.»
Footballeur acharné depuis son plus jeune âge, Nazih a refusé de laisser le handicap le priver de sa passion. «Il faut s'accrocher à la vie, explique-t-il. C'est l'espoir qui rend la vie digne d'être vécue. Ne laissez jamais personne vous faire sentir comme un handicapé, parce que le handicap est dans la tête, pas dans le corps.» C'est par ces mots que Nazih réconforte ses amis dont le corps a été mutilé par l'explosion de débris de guerre.

Combattre la discrimination

Nazih en veut à ceux qui rejettent les victimes de ces munitions. «Nous avons le droit d'être considérés exactement comme les autres lorsque nous postulons pour un emploi. Je marche comme vous, je parle comme vous, je pense comme vous, je travaille comme vous, mais lorsque je réponds à une offre d'emploi, même pour un petit boulot, je suis immédiatement écarté. Parfois sans la moindre explication, mais je sais bien pourquoi...»
Aujourd'hui démobilisé, Nazih s'occupe de l'entretien du cimetière de son village. Il a beaucoup de mal à nourrir sa famille. Sa situation financière désespérée l'a contraint à retirer de l'école ses deux aînés; les deux enfants plus jeunes sont encore scolarisés, grâce à quelques dons charitables.
Nazih est un homme respecté, sur les terrains de football comme ailleurs. «Quand je joue, je m'engage à fond, et ça donne des résultats, assure-t-il. Mais dans la vraie vie, c'est autre chose. C'est plus facile de gagner un match de football que de gagner le match de la vie, surtout quand la seule chose qui vous reste, c'est votre dignité.»

 

Photos

1.L'équipe de football de l'Association libanaise pour la protection des handicapés, qui a affronté une équipe internationale de circonstance à Beyrouth en septembre 2011. 

L'équipe de football de l'Association libanaise pour la protection des handicapés, qui a affronté une équipe internationale de circonstance à Beyrouth en septembre 2011.
© CICR / J. Chahine

Hussein en pleine action. La perte d'un bras et d'une jambe dans son enfance ne l'empêche pas de vivre à 100%. 

Hussein en pleine action. La perte d'un bras et d'une jambe dans son enfance ne l'empêche pas de vivre à 100%.
© CICR / J. Chahine

Hussein se fixe des buts ambitieux. Il travaille pour la LWAH depuis 11 ans et veut encourager d'autres personnes handicapées à se sentir fortes et confiantes. 

Hussein se fixe des buts ambitieux. Il travaille pour la LWAH depuis 11 ans et veut encourager d'autres personnes handicapées à se sentir fortes et confiantes.
© CICR / J. Chahine

Nazih avec sa famille. Ses graves difficultés financières l'ont forcé à retirer de l'école ses deux aînés. 

Nazih avec sa famille. Ses graves difficultés financières l'ont forcé à retirer de l'école ses deux aînés.
© CICR / J. Chahine

Le soigneur n'est pas un médecin, mais un technicien orthopédique : Nazih fait vérifier sa prothèse à l'occasion d'une pause durant la rencontre. 

Le soigneur n'est pas un médecin, mais un technicien orthopédique : Nazih fait vérifier sa prothèse à l'occasion d'une pause durant la rencontre.
© CICR / J. Chahine

Nazih a beau être amputé, il se jette sans réserve dans le feu de l'action. Il met la même détermination à combattre la discrimination dont sont victimes les personnes rendues infirmes par la guerre. 

Nazih a beau être amputé, il se jette sans réserve dans le feu de l'action. Il met la même détermination à combattre la discrimination dont sont victimes les personnes rendues infirmes par la guerre.
© CICR / J. Chahine