Libéria/Côte d’Ivoire : Lucien et sa famille, dispersés par le conflit armé, réunis par la Croix-Rouge
03-07-2013 Éclairage
Trop souvent, suite à un conflit armé, les familles sont dispersées et les enfants se retrouvent seuls loin de chez eux. Le cas de Lucien n’est pas exceptionnel. Pendant ou après un conflit armé, le CICR tente de réunir les familles pour redonner espoir aux personnes qui ont subi des traumatismes.
Propos recueillis auprès d’un jeune qui rentrait retrouver sa famille. Les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
Je m’appelle Lucien, j’ai 17 ans, je suis Ivoirien et je retourne chez moi après deux ans passés au Libéria loin de ma maman.
Le conflit et la fuite
« Tu dois partir Lucien. C’est trop dangereux de rester. Je n’ai pas assez d’argent pour qu’on puisse tous partir, mais toi, tu peux essayer de passer la frontière pour aller au Libéria. » J’entends encore la voix de ma maman comme si c’était hier. C’était en juin 2011.
Le bruit des armes et le chaos ont débuté en décembre 2010 dans notre région de Côte d’Ivoire. J’ai dû quitter ma famille et ma maison. Après une longue marche, la faim et la soif, j’ai dû rebrousser chemin. Maman a alors vendu quelques affaires pour me permettre de repartir mais cette fois-ci en voiture. J’avais 15 ans et elle pensait que je courais un danger en restant là.
J’ai alors quitté ma maman, mes deux frères et mes deux sœurs, tous plus jeunes que moi, et, avec un pasteur de notre voisinage et sa femme, j’ai traversé la frontière et rejoint la ville de Zwedru, au Libéria.
Là, nous avons été accueillis par un autre pasteur et sa famille. J’allais à l’école et j’apprenais l’anglais. Je faisais aussi partie d’une chorale et j’animais la messe en jouant du tambour. Je commençais à me sentir chez moi. Malheureusement, j’ai dû quitter la ville en compagnie de mon protecteur ivoirien et de sa famille, pour m’installer dans un camp hébergeant les réfugiés ivoiriens. J’étais triste de quitter ma nouvelle famille libérienne.
Le camp de réfugiés
Dans le camp de réfugiés il n’y avait pas d’école pour nous, les grands. J’aidais ma famille d’accueil dans ses tâches ménagères et le reste du temps je discutais avec mes nouveaux amis, des jeunes du camp. Beaucoup de gens vivaient dans des maisons faites de bâches de plastique. Tout le monde était nostalgique. Le déracinement rend les gens tristes.
Quelques-uns cultivaient un minuscule jardin. Un agriculteur sans terre s’attache même à un pied de tomate. Moi j’étais comme une graine qui cherche une terre pour y prendre racine. Je passais mon temps à penser à ma famille et à essayer de trouver un moyen de rentrer chez moi.
C’est dans le camp que j’ai découvert l’existence des services de regroupement familial de la Croix-Rouge. Le 21 novembre 2012, un mercredi, je suis allé au bureau de la Croix-Rouge et j’ai tout raconté, j’ai donné le signalement de ma maman et son adresse. Je lui ai même écrit une lettre. Quelques semaines plus tard, j’ai eu l’heureuse surprise de recevoir une réponse apportée par les membres de la Croix-Rouge. J’allais enfin pouvoir rentrer chez moi.
Le chemin du retour
C’est en janvier 2013 que j’ai enfin quitté ma terre d’accueil pour rejoindre ma famille. J’ai vite empaqueté mes rares vêtements et, le jour du départ, j’ai couru jusqu’à la voiture de la Croix-Rouge qui était venue me chercher. J’attendais ce départ depuis trop longtemps. Mes amis, ma famille d’accueil et les voisins sont tous venus me dire adieu. Je sentais une certaine tristesse dans leur sourire, dans leur regard, à travers leurs accolades. Eux aussi auraient aimé retourner au pays. Moi, c’était la troisième fois que je quittais un lieu où je laisserais des souvenirs.
Ensuite, tout a été très vite : le bureau du CICR à Zwedru, une nuit dans une maison d’accueil avec les autres enfants qui faisaient le voyage, les dames blanches de l’organisation, d’autres gens de la Croix-Rouge, une piste poussiéreuse et, enfin, un pont qui me séparait de la Côte d’Ivoire. De l’autre côté, j’ai trouvé de nouveaux visages souriants et, quelques minutes plus tard, j’étais à nouveau dans une voiture Croix-Rouge. Cette fois-ci, j’étais confiant. Tout le monde parlait français, j’étais en Côte d’Ivoire et j’allais enfin rentrer chez moi.
Services de regroupement familial
Ce jour-là, Lucien et ses camarades de voyage ont tous rejoint leur famille en Côte d’Ivoire. Le retour en famille, c’est un début qui permettra peut-être à ces enfants de surmonter les traumatismes vécus.
Lorsque les circonstances le permettent, les équipes des Sociétés Nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que le CICR, mettent tout en œuvre pour réunir les familles dispersées à cause d’un conflit armé. Cet effort est d’autant plus soutenu lorsqu’il s’agit d’enfants mineurs non accompagnés.
Ces opérations de regroupement familial sont complexes. Elles incluent la recherche des familles, des échanges de messages, des activités logistiques, la collaboration avec d’autres organisations humanitaires et des démarches administratives des deux côtés de la frontière. Pour ce faire, le CICR et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge du Libéria et de Côte d’Ivoire déploient des dizaines de personnes afin de permettre à ces enfants, mais également à des personnes vulnérables, de retrouver leur famille après des mois, voire des années, de séparation, d’attente et d’anxiété.
Les opérations transfrontalières de regroupement familial entre le Libéria et la Côte d’Ivoire ont été mises en place dès 2011 suite à la crise postélectorale en Côte d’Ivoire et à l’arrivée massive de réfugiés sur le sol libérien. Elles ont depuis permis de réunir avec succès 190 personnes, en majorité des mineurs non accompagnés.