Géorgie/Ossétie du Sud : la vie de part et d’autre de la ligne de démarcation

05-08-2009 Éclairage

De part et d'autre de la frontière administrative qui sépare de facto la Géorgie et l'Ossétie du Sud, les combats qui se sont déroulés en été 2008 ont laissé des traces profondes. Un couple de personnes âgées, coupés de leurs enfants et petits-enfants qui vivent « de l’autre côté » et une jeune veuve déterminée à assurer l’avenir de son fils, témoignent.

Ossétie du Sud : Natela et Volodya ont vu leur village partiellement détruit au cours des hostilités de 2008. Le CICR leur apporte de la nourriture et une assistance médicale.

Lorsqu’on se trouve dans la cour de la maison de ce couple âgé, on oublie toute la réalité extérieure. Le paysage idyllique qui s’étend au-delà de la cour, remplie d’animaux domestiques, ne reflète guère les soucis qui accablent les habitants de ce village d’Ossétie du Sud, qui a subi la destruction et les ravages causés par la guerre.

Natela et Volodya vivent ici depuis leur mariage. « Je vivais à Tbilissi et je venais rendre visite à mes proches au village pendant les vacances d’été et pour les fêtes de famille, raconte Natela. Volodya était très beau. Nous nous sommes mariés à seulement 17 ans. » Natela et son époux sont ensemble depuis 1952. Ils ont traversé des périodes difficiles et sont parvenus à construire une petite maison, à élever quatre enfants et à s’occuper de leurs petits-enfants.

Le téléphone du CICR est aujourd’hui leur seul moyen de communication avec leurs enfants, qui vivent « de l’autre côté », non loin de Gori et de Tbilissi. Natela questionne sa fille sur ses petits-enfants et lui parle de la vie au village et de leur alimentation quotidienne – principalement des fèves et des nouilles. Natela se remémore les années de la Grande guerre patriotique, il y a plus d’un demi-siècle, lorsqu’elle était enfant. Sa mère gardait une tranche de pain complet dans sa poche pour le cas où l’un des enfants s’évanouirait de faim. Ils rêvaient de temps meilleurs où ils mangeraient des nouilles jusqu’à n’en plus pouvoir.

Après les combats de l’été 200 8, Natela s’est rendue à Tbilissi avec l’aide du CICR pour y suivre un traitement médical. Volodya a beaucoup souffert de son absence. Victor, son voisin âgé, l’aidait, de temps à autre, à couper du bois et à faire la cuisine. Natela est rentrée après six mois.

Aujourd’hui, Olga, une infirmière du CICR, leur rend visite. Pendant qu’elle aide Volodya à s’habiller, le vieil homme raconte des histoires sur sa vie dans la région de Stavropol, son service militaire, l’époque où il construisait sa maison. « La vie, c’est comme un vase : si elle est brisée, on n’a plus qu’à ramasser les morceaux », conclut-il.

Géorgie : la famille Narsavidze a dû quitter son village en août 2008. Elle espère à présent rentrer chez elle.

Shorena Narsavidze a 23 ans. Grande et mince, cette femme au sourire chaleureux mais aux yeux tristes, est la plus jeune de cinq enfants (un garçon et quatre filles). La famille Narsavidze vient du village d’Azhara, à Kodori Gorge.

     
    ©ICRC      
   
Shorena Narsavidze      
        Shorena avait sept ans lorsque sa famille a subi la terrible épreuve de la guerre et a perdu celui qui assurait sa subsistance : Giorgi Narsavidze a été tué en Abkhazie en 1993, peu avant la fin du conflit. La famille a été obligée de chercher refuge dans un autre village. La mère de Shorena a cependant décidé, au bout de quelques mois, de retourner à Azhara et de rénover la ferme.

Les Narsavidze possédaient une grande ferme. Ils avaient notamment une dizaine de vaches, des cochons, des dizaines de ruches, des terres fertiles, des noyers. Le village a offert son soutien à la famille et l’a aidée à cultiver la terre. Roman, le frère de Shorena, qui auparavant aidait son père, s’est occupé du bétail, tandis que les filles se chargeaient du potager et des poulets.

Le temps a passé. Le frère et les sœurs de Shorena se sont mariés et ont eu des enfants. Shorena aussi est tombée amoureuse assez jeune. Elle était encore à l’école quand elle a rencontré Niko. Au printemps 2008, ils ont décidé de se marier. Niko a trouvé un emploi comme conducteur de camion.

Shorena était enceinte de quatre mois quand les avions militaires ont fait leur apparition au-dessus du village, le 8 août 2008. Kodori Gorge a été bombardé. Les Narsavidze ont quitté leur village avec d’autres habitants pour se rendre à Chuberi. Malheureusement, le camion de Niko est tombé en panne et ils ont dû marcher le reste du trajet. Ils n’ont emporté q ue des vêtements avec eux.

La famille est arrivée à Chuberi le lendemain. Le mari de l’une des sœurs de Shorena les a emmenés dans sa maison, dans le village voisin de Nakra. Puis l’hiver est arrivé. « La nourriture et les autres articles que nous a donnés le CICR nous ont aidés à continuer », dit Shorena. Niko a souffert d’une dépression. Il ne pouvait pas accepter la situation et le découragement provoqué par le chômage lui était insupportable. Le stress était trop fort, il est mort au mois de décembre.

Shorena, devenue veuve, a donné naissance en janvier 2009 à un fils, à qui elle a donné le nom de son père. Niko, qui a six mois, est aujourd’hui sa seule préoccupation. « Il est mon espoir et mon avenir, déclare-t-elle. Quand les bombes pleuvent et qu’on voit la destruction et la mort tout autour, rien n’est plus important que la vie et la sécurité des enfants, mais dès que la situation se calme, on commence à penser à la manière dont on va les nourrir… »

Le but principal de la famille est à présent de rentrer à la maison. Shorena est debout devant l’entrée, son bébé dans les bras. Le petit Niko, avec un sourire ravi, tient dans les mains une brochure du CICR dont il écorne une page.