Pour qui parlent les humanitaires ? Quelques réflexions sur la diffusion

31-08-1997 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 826, de Jean-Luc Chopard et Vincent Lusser

  Vincent Lusser   et   Jean-Luc Chopard   sont chefs de secteurs à la Division de la promotion du droit international humanitaire, au CICR. Tous deux ont fait plusieurs missions comme délégués sur le terrain.  

Les pays en paix comprennent mal les guerres. C’est pourquoi les humanitaires sont si souvent sollicités pour les commenter et les expliquer. Alors que l’action humanitaire se déroule au cœur des conflits et de plus en plus près des combats, une médiatisation impressionnante se développe, elle, à l’extérieur des conflits sur les petits écrans du monde entier, notamment à l’adresse de l’Occident. Afin de se profiler dans la compétition humanitaire, d’offrir une visibilité aux donateurs, de récolter des fonds, ou encore de dénoncer des atrocités, les humanitaires cèdent de plus en plus profondément à cette course à l’image, dont le succès est parfois la condition de leur survie. Mais, à force de parler pour et à l’Occident, à force de paraître à la télévision, c’est cette image médiatisée qui, en fin de compte, explique leur action aux yeux des acteurs des conflits et qui souligne leur allégeance à ce monde occidental. Il est fort probable que le rejet dont les humanitaires font de plus en plus l’objet soit renforcé — et parfois même causé — par ce positionnement médiatique. Celui-ci renforce leur perception comme membres d’un camp idéologique dont les intérêts politiques, économiques et culturels sont un des enjeux des principaux conflits actuels.

Les effets pervers de cette médiatisation sont accrus par la faiblesse de la communication sur le lieu de l’action, soit le peu d’efforts investis pour dialoguer avec les communautés locales sur l’action humanitaire en cours. Car, autant il est aisé de parler à l’Occident, ne serait-ce que parce que l’information est sollicitée, autant il est ardu de parler aux victimes et aux acteurs des conflits. Les humanitaires butent alors sur des problèmes liés à la langue et à la culture. Dans les conflits identitaires qui se multiplient, ce phénomène est exacerbé. Il y a d’abord le repli des protagonistes sur eux-mêmes pour se protéger du groupe stigmatisé comme ennemi. Mais il y a également la méfiance à l’égard de l’intervenant externe, dont la différence même dans une situation scindée entre le bien et le mal est cause de rejet. Pour les humanitaires, à la difficulté de se faire entendre s’ajoutent parfois la réticence à s’adresser à ceux que l’on tient peut-être pour responsables des catastrophes, et la tendance à privilégier des moyens de dialogue qui catégorisent la victime uniquement comme une entité passive et réceptrice.

     

  L’action parle plus fort que les mots  

Face à la faiblesse de l’information sur place, les plus consciencieux argumentent que l’action est la meilleure communication.   S’il est vrai que l’action parle plus fort que les mots, il est faux de penser qu’une intervention juste selon les critères humanitaires ne génère pas de malentendus qui peuvent la mettre en péril.   Le problème ne se limite pas à ceux qui seront relativement facilement rectifiés par une information adéquate. Ce sont les critères mêmes de l’intervention humanitaire, sa neutralité et son impartialité qui amènent ces acteurs à aider les victimes « ennemies » qui sont en cause et qui font que même une action parfaitement transparente suscitera l’opposition. Dans ce cas une action parlant fort n’en sera donc que plus controversée et c’est à partir de la justification du geste humanitaire qu’il faudra aborder la communication.

Indépendamment de la nécessité de dissiper par des explications les malentendus nés de la médiatisation internationale et les réticences que peuvent susciter l’action et son éventuelle inégalité, les humanitaires sont souvent porteurs d’un message pour les belligérants.

     

  Un message à promouvoir  

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fait partie des organisations dont le but n’est pas uniquement d’assister les victimes de conflits armés, mais aussi de les protéger au travers du droit international humanitaire, et de promouvoir ce droit : les délégués du CICR ne se présentent donc pas uniquement au check-point pour faire passer un convoi de secours, mais surtout pour assurer l’accès aux victimes et demander de la part de tous les combattants le respect du droit humanitaire. Pour le CICR, la nécessité de communiquer (ou de diffuser pour reprendre une terminologie propre à l’institution [1 ] ) à l’intérieur même des guerres est donc liée au double enjeu de faire admettre, d’une part, l’aide humanitaire et ses modalités d’actio n et, d’autre part, le droit humanitaire dont découle la protection des victimes.

Si ceci est un but vers lequel tendent tous les efforts et toutes les activités du CICR dans les situations de conflit, c’est aussi la tâche spécifique des « délégués diffusion » qui ont développé des activités spéciales dans ce domaine. Ils doivent en effet s’adresser, tant aux officiers supérieurs des armées régulières pour des cours magistraux en droit de la guerre, qu’à des individus armés hors de tout contrôle : ces compétences couvrent actuellement un champ incluant l’instruction, l’éducation, l’information, et comprennent aussi l’attitude des délégués face à un interlocuteur imperméable à tout argument logique.

Pour toutes les raisons évoquées, il est ainsi impensable pour le CICR d’envisager une action humanitaire sans traiter avec attention les questions liées à la diffusion. À ce titre, le CICR emploie 49 expatriés et dispose d’un budget de 36 millions de francs suisses en 1997. Ces programmes de diffusion ne dépendent pas nécessairement des opérations humanitaires et se déroulent en temps de paix et en temps de guerre. En revanche, dans les situations conflictuelles, la diffusion se construit à partir des priorités humanitaires et opérationnelles des pays où le CICR intervient : elle accompagne les opérations. Sa perspective est de contribuer à l’objectif global du CICR, qui est d’obtenir de tous un comportement conforme aux règles du droit international humanitaire.

     

  Une intrusion dans une situation perturbée  

Si, pour les humanitaires, l’action en faveur des victimes ne peut en aucun cas être considérée comme une ingérence [2 ] dans les affaires du pays, il reste que tout programme humanitaire ét ranger est une intrusion dans une situation perturbée. Cette rencontre entre l’humanitaire occidental et les assistés crée des malentendus et des tensions qui peuvent mener à ne pas reconnaître les vrais besoins des victimes et à mettre en danger la vie des intervenants. S’il n’y a rien de nouveau dans ce constat, certaines caractéristiques des conflits récents l’ont exacerbé au point que l’action humanitaire devient parfois impossible. Les tendances les plus inquiétantes sont l’effondrement des structures étatiques et des lignes de commandements des porteurs d’armes, la criminalisation des conflits et l’influence de drogues sur le comportement des combattants, la fragmentation et le repli identitaires, la multiplication des organisations humanitaires et la concurrence qui en résulte, enfin, l’utilisation de certains humanitaires à des fins politiques. De plus, les conflits à caractère génocidaire restent le défi majeur pour toute action humanitaire.

Ces facteurs posent des questions de fond au CICR, tant en ce qui concerne son mode d’action que ses activités de diffusion. Car, à qui doit-on s’adresser quand les structures d’autorité militaire et politique sont invisibles ou fragmentées ? Et surtout, que dire à ces interlocuteurs et de quelle façon ? Si de gros efforts sont faits pour adapter la forme du message aux différents pays et contextes et pour trouver des solutions nouvelles, ce discours manque parfois encore de « validité locale », et celui qui le diffuse est trop souvent un étranger. Le rejet vrai ou prétexté de l’Occident, ou son utilisation comme bouc émissaire de la misère des pays en guerre, alourdit encore ce travail et complique la recherche du langage adéquat.

La consultation et l’inclusion du public-cible dans la mise en forme et la diffusion du message sont une réponse connue à ce problème en situation de paix. En temps de guerre, ceci devient cependant très délicat, et dans les conflits à composante ethnique ou religieuse, la radical isation identitaire empêche un échange basé sur une disponibilité au compromis et au dialogue. Il en ressort que si les étrangers ne détiennent pas la solution, les interlocuteurs des pays en guerre ne sont pas non plus en mesure d’agir seuls ni de donner des recettes qui puissent être reprises telles quelles par le CICR. La seule réponse peut donc venir d’un élément extérieur au conflit mais disposant d’une vue d’ensemble et d’un élément local prêt à offrir un contact : c’est comme si chacun possédait une partie des pièces du puzzle !

Dans ce cadre, le recours à un intervenant neutre et impartial par rapport aux cultures et aux identités qui s’affrontent est donc indispensable. Ce rôle est déjà malaisé à expliquer et à faire admettre dans le domaine de l’action de secours, où l’avantage matériel de l’aide pour les bénéficiaires d’un groupe contribue à atténuer l’opposition à l’aide destinée à l’ennemi ; dans le domaine de la diffusion, il est encore plus difficile, puisqu’il s’agit de requêtes et non pas de dons. Dans les conflits identitaires ou génocidaires le CICR est ainsi amené à solliciter le respect des principes de protection des victimes, dont l’élimination est le but déclaré (et non pas la conséquence involontaire) des combattants. Les destinataires du message humanitaire sont cependant tellement enfermés dans une logique binaire qu’il est extrêmement ardu d’y introduire ce troisième élément humanitaire, car le message de limitation de la violence et de protection des victimes ne trouve en période de crise aucun accueil.

Enfin, la logique d’urgence, qui définit pratiquement toujours l’action humanitaire en temps de guerre, constitue un obstacle supplémentaire à un travail qui, par définition, demande du temps et beaucoup de patience.

     

  À l’écoute des guerres, à l’écoute des victimes  

Le CICR cherche à contourner ces difficultés en fondant les activités de diffusion sur l’écoute. Ainsi est-il primordial d’accumuler des connaissances sur les personnes auxquelles le CICR s’adresse dans les pays en guerre avant d’élaborer le discours, première étape que l’on ne saurait sauter, même si les réponses ne seront qu’un point de départ. Tout ce travail de contacts que réalisent, en dehors de l’urgence, les 21 délégations régionales du CICR couvrant des zones sans conflit, constitue en ce sens un réseau indispensable.

Dans tous les pays où les délégués diffusion du CICR pratiquent cette écoute avec succès, un contact précieux avec les acteurs et les victimes des conflits en résulte. Le CICR est informé sur la perception de l’action et de sa présence. Il connaît ainsi les rumeurs, les reproches, les attentes, les malentendus et les suggestions qui serviront à évaluer et à adapter l’action ; si ces éléments sont négligés, ils peuvent, en revanche, aboutir à un rejet parfois violent.

Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’un programme que ni les belligérants ni les victimes ne perçoivent comme impartial. S’il s’agit d’un malentendu sur les critères d’action, la diffusion pourra nourrir un débat interne à l’organisation et, par une campagne d’information, contribuer à réduire les incompréhensions. Si l’action n’est véritablement pas impartiale, elle ne sera sans doute jamais perçue comme telle, mais l’écoute développée au travers des programmes de diffusion permettra de tirer la sonnette d’alarme face à cette dérive qui pourrait entraîner, à terme, des problèmes de sécurité pour l’action. Aussi modeste que puisse paraître la contribution de la diffusion sous cet angle, il ne faut pas la sous-estimer. Car un bon réseau de contacts établi pour la diffusion est différent, et surtout complémentaire, de celui dont disposent les responsables des opérations.

     

  De l’écoute au dialogue  

Si l’écoute est une base de travail, si elle permet d’entrer en relation et d’ajuster l’action, elle ne résout toutefois pas tous les problèmes de diffusion. Car elle réduit le fossé entre humanitaires et interlocuteurs des pays en guerre mais ne le comble pas. Les solutions pour une cohabitation entre les « intrus humanitaires », les bénéficiaires de l’aide et les protagonistes des combats se trouvent dans l’instauration d’une deuxième étape : le dialogue. Dans le domaine de l’assistance c’est exactement le processus mis en place par le CICR et d’autres organisations humanitaires. Partout où cela était possible, les secours basés sur des produits finis importés sont remplacés par une assistance qui inclut les bénéficiaires dans l’identification et la production de l’aide qui leur est destinée.

Ce dialogue vise à assembler ces pièces éparses du puzzle, afin d’identifier les domaines prioritaires nécessitant un action de diffusion, de déterminer le choix de la forme la plus adéquate pour celle-ci et d’identifier des concepts pouvant servir de pont entre le CICR, son message dans le domaine du droit et les principes culturels correspondants dans les pays en guerre. Dans cet échange sans à priori, tout doit pouvoir être remis en question sur la base de la validité des principes du droit humanitaire. Car l’espace humanitaire accordé par les pays en guerre n’est pas nécessairement en rapport avec celui revendiqué par le CICR. Par exemple, la protection des civils ennemis n’est pas toujours acceptée par les belligérants. Plus les deux conceptions de cet espace divergent, plus les risques de conflit et de rejet entre humanitaires et contexte conflictuel sont grands : pour la diffusion, cela permet d’identifier les points qui suscitent les plus grands problèmes et donc, ses priorités. Son rôle dan s ce cas est de tenter d’étendre cet espace humanitaire, c’est-à-dire, de sensibiliser et de convaincre les belligérants de la nécessité de protéger les civils.

     

  La légitimité du droit international humanitaire  

Même si la validité du droit international humanitaire n’est pas négociable avec les interlocuteurs, si l’on veut promouvoir ce droit, il faut poser la question de sa légitimité. Rappeler que pratiquement tous les États du monde sont signataires des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels n’est plus une source de légitimité universelle. Car, derrière le consensus formel des États se cachent les véritables réticences propres aux identités culturelles et aux strates qui n’ont jamais été associées à ce consensus, sinon par la main des plénipotentiaires qui étaient censés les représenter et dont l’autorité est aujourd’hui remise en cause par la plupart des guerriers dans les conflits actuels. Ou par des guerriers devenus les interlocuteurs des organisations humanitaires sur le terrain. La crise de légitimité qui affecte l’autorité de certains États du monde, et en particulier ceux perturbés par un conflit interne, affaiblit la légitimité des engagements pris par ces autorités.

Dans certains contextes, il peut donc s’avérer indispensable d’engager l’action de diffusion par la recherche d’une allégeance à la base minimale commune de respect des règles de caractère humanitaire auxquelles tous se sentent liés, qu’ils fassent partie des forces régulières ou non. Une des voies pour amorcer ce processus est la recherche de principes humanitaires dans le droit coutumier ou les pratiques locales. Car, jusqu’à preuve du contraire, aucune culture n’a érigé de code de conduite contraire à l’humanitaire, et les recherches effectuées jusqu’à présent par le CICR dans le patrimoine culturel de diverses communautés semblent confirmer que les principes de base du droit international humanitaire sont universels. Plusieurs exemples de cette approche existent, et l’article de Édith Baeriswyl en présente un cas très pertinent. [3 ]

Ce qui est particulièrement intéressant dans ce modèle, est que l’intervenant humanitaire et les interlocuteurs des pays en guerre contribuent tous deux à parts égales à un projet commun. Ceci n’est pas un apport négligeable, car il offre une dignité nouvelle à ceux qui se trouvent dans la situation, parfois perçue comme humiliante, de recevoir l’aide paternaliste des organisations humanitaires sans pouvoir y répondre. Ce renversement des rôles est d’autant plus important à développer dans le domaine de la diffusion qu’il est plus difficile dans le domaine matériel.

     

  Le discours, ou quand, finalement, il s’agit de parler !  

Si les effets pervers d’un certain type de communication ont été soulignés, et si l’écoute et le dialogue sont proposés comme remèdes, ce n’est pas pour nier la nécessité du discours, mais pour établir un cheminement, une évolution essentiels à la réussite d’une diffusion opérationnelle.

Mais, alors que l’écoute et le dialogue ne devaient servir que de moyens d’identification des vecteurs du droit humanitaire, ce dialogue même a permis de faire passer le message : la préparation du vecteur est devenue vecteur. Ceux qui y ont été associés ont suivi un processus qui les a fait participer, qui les a intégrés à la démarche: ils sont devenus des alliés et non plus un public-cible !

Les délégués du CICR ne doivent-ils donc plus parler directement ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur le concept de l’intervenant neutre dans le doma ine de la diffusion. Le CICR a une position privilégiée en tant qu’organisation humanitaire ayant accès aux victimes ; ses moyens techniques et financiers doivent être utilisés en leur faveur, pour leur donner un visage et une voix, et non pour promouvoir l’organisation elle-même. Pour le soldat blessé, le civil chassé de sa maison et de sa terre, le détenu oublié dans sa cellule, c’est là leur seule chance de faire connaître et comprendre leurs souffrances avec des mots plus efficaces que ceux, même bien choisis, de toute personne extérieure. Cette possibilité de parler, le CICR veut de plus en plus la mettre à disposition des victimes.

Mais y a-t-il alors encore la place pour la diffusion la plus classique, soit l’exposé à un groupe de militaires ou de responsables politiques ? Alors que les hostilités se déroulent, ces exposés restent une option, mais leur utilité première est l’opportunité d’une rencontre, l’occasion d’écouter les questions, de déceler les malentendus ou les problèmes sous-jacents, le moyen de mettre en contact, dans un cadre détendu, les militaires et les humanitaires qui se côtoient sur le terrain. Quant à transmettre un enseignement et à provoquer un changement de comportement, ce moyen se révèle aléatoire pendant les hostilités. En situation calme, l’exposé peut avoir des vertus pour établir une relation de travail avec un public-cible en vue d’un projet à long terme (enseignement systématique du droit international humanitaire dans une université, par exemple). Mais quand il s’agit de sensibiliser le plus grand nombre de gens aux règles de base de ce droit, ou de susciter une préoccupation pour les thèmes humanitaires, on privilégie la recherche d’un partenariat avec les moyens de communication de masse. Enfin, de façon générale, le CICR s’efforce de promouvoir le rôle du délégué diffusion comme facilitateur et formateur de relais qui transmettront le message de l’institution, plutôt que d’encourager la multiplication des exposés par ses propres délégués.

Ainsi, quelle que soit la forme qu’elle prend, la diffusion est pour le CICR une activité humanitaire à part entière, une activité de communication qui se déroule au sein même de la guerre et de l’action de l’institution. Elle se veut un acte de relation avec les populations, au profit des victimes et d’une intervention humanitaire qu’il s’agit de rapprocher de ses bénéficiaires.

     

  Quand la paix revient...  

Si, en situation de conflit, l’intervenant neutre est nécessaire, sa présence n’est plus aussi indispensable lors de la fin des hostilités et du retour à la paix. Le rôle du CICR est alors celui d’un simple catalyseur, avec l’objectif de susciter dans le plus grand nombre possible de cercles du pays une sensibilisation, une réflexion et un débat sur le sort des victimes et sur les moyens de limiter les souffrances dans la guerre.

Le CICR se sent encore très fortement interpellé par ce rôle de catalyseur, car il faut bien reconnaître que dans les pays en paix, le droit international humanitaire n’a pas trouvé à ce jour un terrain suffisamment fertile pour pouvoir favoriser son respect en temps de guerre. Même si ce n’est pas l’unique raison des violations, le dilemme de la diffusion réside dans une double contrainte : le droit humanitaire ne peut pas susciter un vaste intérêt en temps de paix alors que dans la guerre, quand il est d’actualité, ceux qui devraient l’entendre et le respecter sont rendus sourds par les passions de la guerre. C’est pourquoi, pour rapprocher le droit humanitaire des préoccupations immédiates d’une société civile, on a tendance à le travestir en droits de l’homme ou en concepts moraux tels que la tolérance, la civilité et la paix. Ceci est néfaste au droit humanitaire, puisqu’il est tiré vers un débat moral qui n’est pa s universellement accepté sur le champ de bataille. S’il est impératif de diffuser ce droit en temps de paix, en vue de son respect en temps de guerre, il ne faut pas le biaiser pour le rendre intéressant, mais trouver l’analogie de son application dans la vie civile. [4 ]

  Conclusion  

Malgré toute la bonne volonté qui motive l’action humanitaire, celle-ci constitue une intrusion dans une réalité perturbée ; elle suscite immanquablement des questions auxquelles les humanitaires doivent répondre. Pour le CICR, cette nécessité de communiquer est doublée du message qu’il entend transmettre aux porteurs d’armes, sur la base du mandat de promotion du droit international humanitaire qu’il a reçu des États signataires des Conventions de Genève.

Or, un double obstacle inhibe le dialogue avec les populations locales. Premièrement, l’information aux médias internationaux (presse écrite, radio et télévision) répond à un besoin institutionnel de visibilité. Celui-ci, loin de répondre aux préoccupations des populations des pays en guerre, souligne l’appartenance des humanitaires à un système occidental dont les pays sinistrés tentent souvent de se protéger. Deuxièmement, la diffusion locale, soit la communication effectuée à partir des délégations du CICR sur le terrain, se heurte à deux obstacles majeurs : le fossé qui sépare les cultures, dont le repli identitaire est la forme la plus exacerbée, et le rejet de la neutralité dans une situation partagée entre les bons et les méchants, ou le bien et le mal.

Les délégations du CICR ont rétabli la diffusion dans l’échelle de leurs priorités comme domaine privilégié pour établir un véritable dialogue avec les populations locales. Malgré d’énormes progrès réalisés en marge de la réflexion sur l’humanitaire et sur les nouveaux conflits, la diffusion n’a pas achevé sa mue pour occuper le rôl e de « caisse de résonance » de toute action humanitaire et faire partie intégrante des opérations. Elle peut encore progresser pour mieux servir les objectifs d’assistance aux victimes et de changement de comportement de ceux qui ont choisi les armes pour faire prévaloir leurs idées. Les améliorations sont à trouver dans les étapes d’écoute et de dialogue évoquées dans le présent article.

Parallèlement, des efforts sont encore nécessaires dans le domaine du recrutement du personnel capable d’accomplir un tel travail, ainsi que dans la formation du personnel d’encadrement, y compris les chefs de délégation. Car le succès d’une action de diffusion dépend d’une vision partagée, et non du travail en solitaire de spécialistes, aussi brillants soient-ils.

  Notes:  

1. Pour le CICR, les activités de communication sont connues sous le terme générique de diffusion du droit international humanitaire, terme qui provient des Conventions de Genève du 12 août 1949 dans lesquelles les États s’engagent à respecter, à faire respecter, mais aussi à diffuser ce droit le plus largement possible. Le CICR a notamment reçu le mandat de soutenir les États à promouvoir le droit international humanitaire.

2. Il s’agit bien sûr d’une action humanitaire conduite selon les principes stricts qui sont notamment énoncés dans le « Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales (ONG) lors des opérations de secours en cas de catastrophe », publié dans RICR , N° 817, janvier-février 1996, p. 124 et suiv.

3. Voir pp. 383-398 dans ce numéro.

4. Voir l’article d’Édith Baeriswyl, pp. 383-398.