La protection civile de 1977 à 1997 - du droit à la pratique

02-07-1997 Rapport

Réunion d'experts de la protection civile organisée par l'Organisation internationale de protection civile et le Comité international de la Croix-Rouge, 30 juin - 2 juillet 1997, Gollion, Suisse. Compte-rendu synthétique de la conférence.

  Compte-rendu complet en anglais, avec certaines annexes en français  

  1. 1977 - 1997 : un monde en mutation  

Les participants ont exprimé l'avis que notre monde, et la manière dont il est perçu, avait considérablement changé depuis la signature du Protocole additionnel I (ci-après « le Protocole »), en 1977. Les éléments suivants sont notamment apparus :

  • une présence largement renforcée des Nations Unies sur le terrain, à savoir par le biais d'opérations humanitaires et de maintien de la paix ;

  • une prolifération d'organisations non gouvernementales (ONG) engagées dans l'action humanitaire ;

  • une diminution manifeste de la menace d'un conflit nucléaire et, par conséquent, une attention moindre accordée par les organismes de protection civile à ce problème ;

  • un changement dans le type de conflits menés actuellement, avec pour effet des problèmes différents de ceux rencontrés à l'époque de la signature du Protocole ;

  • une nouvelle manière de percevoir la protection civile elle-même, en particulier en Europe orientale, où elle n'est désormais moins liée aux structures militaires qu'auparavant.

Par le passé, les organismes de protection civile ont eu parfois un rôle important à jouer dans les situations de conflit armé. Or, ce rôle – tel qu'il est prévu dans le droit international humanitaire en particulier – est relativement méconnu, même au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Trop peu a été fait pour mieux faire connaître le rôle des organismes de protection civile dans le cadre du droit humanitaire.

  2. Tâches assignées à la protection civile  

Il convient de faire une distinction entre les tâches de protection civile énoncées dans le Protocole, et menées par des organisations différentes, et les organismes de protection civile eux-mêmes. La liste des tâches établie par le Protocole est relativement complète, bien qu'il soit possible d'en discuter. Certaines activités comme la protection de l'environnement et des biens culturels ne sont pas prévues par l'article 61 du Protocole I, sans être exclues pour autant ; la liste des tâches énumérées dans cette disposition reste donc valable. Il faut en outre préciser que les tâches et les priorités varient d'une région à l'autre et selon le niveau de développement économique, et qu'elles peuvent par conséquent être interprétées et conduites différemment. Si – en temps de paix – les organismes de protection civile peuvent exercer toute s sortes d'activités, il convient – en période de conflit – de définir clairement leurs tâches, c'est-à-dire celles qui bénéficient d'une protection. Toute action pouvant être considérée comme ayant des implications militaires ne peut s'attendre à bénéficier d'une protection en temps de guerre. Dans les conflits de longue durée, la réparation d'habitations endommagées, contrairement à la construction d'abris provisoires (la méthode habituelle), est une pratique qui doit être examinée de manière plus approfondie, mais qui ne semble pas à priori incompatible avec la fonction de la protection civile.

  3. L'action des organisations extérieures  

Dans de nombreuses situations, les activités nationales de protection civile bénéficient d'un soutien international, mais les choses fonctionnent rarement comme le prévoit le Protocole, à savoir que des organismes étrangers interviennent sous la direction de l'organisme national de protection civile. Dans la réalité, le soutien international prend, en général, la forme d'une action de secours ou de maintien de la paix. Les organisations et programmes des Nations Unies traitant des questions humanitaires (le HCR en particulier), le CICR et diverses ONG apportent souvent leur appui aux organismes locaux de protection civile, mais ces organisations extérieures conservent en principe leur identité propre. Cela semble préférable car, si elles acceptaient d'être assimilées à un organisme de protection civile dans l'exercice de certaines tâches, il pourrait en résulter une certaine confusion. Une identité partagée présenterait alors plus d'inconvénients que d'avantages.

Il convient de développer et d'encourager cette coopération en temps de guerre. En temps de paix, les organismes de protection civile coopèrent souvent avec les Sociétés nationales de la Croi x-Rouge ou du Croissant-Rouge dans certains domaines comme la formation aux premiers secours. Il est important que ces divers organismes se reconnaissent mutuellement et agissent de manière complémentaire et non comme des rivaux.

  4. Rôle de l'armée  

La possibilité d'utiliser des militaires pour des tâches de protection civile, de placer les organismes de protection civile sous la direction de l'armée, ou même de les fusionner avec elle (ce que tolère le Protocole), avait elle aussi été envisagée, mais elle semble présenter un certain nombre d'inconvénients. En effet, il deviendrait alors plus difficile de reconnaître le rôle distinct joué par la protection civile et la tentation d'utiliser les organismes de protection civile à des fins militaires serait plus forte. Il serait en outre plus difficile pour ces organismes d'obtenir une protection compte tenu de l'impression qu'ils donneraient au monde extérieur. La tendance générale est donc de recommander que l'accent soit mis sur le caractère civil des organismes de protection civile. En Russie et dans d'autres pays d'Europe orientale, la protection civile, qui était soumise au contrôle militaire, tend à passer sous contrôle civil ; les participants à la réunion en ont pris note avec approbation.

Toutefois, le fait de placer la protection civile sous commandement militaire, comme cela se produit de plus en plus en Afrique notamment, présente aussi parfois certains avantages, vu les installations et les moyens dont disposent les forces armées. De l'avis des participants, cette question doit être approfondie, d'autant plus qu'on ne voit pas bien dans ce cas qui remplacerait l'armée pour les tâches conventionnelles de protection civile dans les situations de conflit armé.

  5. Questions relatives à la sécurité  

La question de savoir s'il convenait d'armer les organismes de protection civile avait suscité maintes discussions. Les membres de ces organismes étant autorisés, en vertu du Protocole, à porter des armes légères, les participants ont estimé que cela pourrait leur donner un faux sentiment de sécurité, d'autant plus qu'ils pourraient facilement perdre la protection que leur confère le droit humanitaire s'ils utilisaient leurs armes de façon inappropriée ou à mauvais escient. De surcroît, en portant ces armes, ils pourraient être perçus comme une menace et devenir la cible d'attaques. Il a donc été recommandé de ne pas envisager, dans la mesure du possible, d'armer le personnel de la protection civile.

La sécurité du personnel, tant des organismes de protection civile que des organisations humanitaires, reste un problème délicat, surtout lorsque les structures étatiques se sont effondrées. Il n'existe pas, en l'occurrence, de solution idéale ou simple ; enfin, chaque conflit actuel a son caractère spécifique et doit être examiné séparément afin qu'une solution y soit trouvée.

  6. Conflits armés non internationaux  

De nos jours, les conflits armés non internationaux constituent le type de conflit le plus courant, mais les règles internationales qui s'y appliquent ne prévoient pas spécifiquement de protéger les activités de protection civile, sans pour autant les interdire. Évidemment, certaines dispositions applicables aux conflits internationaux (comme celles concernant les territoires occupés) ne le sont pas, à strictement parler, aux conflits internes, mais on a généralement tendance à les appliquer mutatis mutandis et à conférer une protection similaire en cas de conflit interne. Il convient bien sûr d'encourager également cette tendance en ce qui concerne les dispositions relatives à la protection civile, conformément à l'article 18 du Protocole additionnel II, qui traite des sociétés de secours et des actions de secours.

Dans la plupart des cas, les organismes de protection civile sont des entités de l'État et il leur est par conséquent difficile de continuer de s'acquitter de leurs tâches dans un territoire placé sous le contrôle d'une partie dissidente engagée dans un conflit interne. Ils doivent néanmoins faire tout leur possible pour accomplir leur mission. Si cela n'était pas possible, une autre solution serait que la partie dissidente mette en place des services de protection civile.

Un autre problème, plus aigu encore, est celui des conflits où les règles humanitaires élémentaires sont elles-mêmes remises en question et où les activités de protection civile (de même que l'action humanitaire en général) vont à l'encontre d'objectifs militaires. C'est précisément ce qui se produit en cas de déplacement forcé de populations et de génocide. Il s'agit là évidemment d'un très vaste problème qui sort du cadre de la protection civile et qui demande une étude plus approfondie, notamment en ce qui concerne ses causes premières. En droit international humanitaire, la seule manière de traiter ce problème consiste à agir préventivement et promouvoir le respect des règles et des principes essentiels du droit humanitaire. De tels programmes devraient aussi avoir pour objectif de faire prendre conscience aux membres des organismes de protection civile du sens de leur mission dans ces conflits. Bien qu'ils soient souvent employés par l'État, ils ont un rôle humanitaire, c'est-à-dire empreint de valeur morale, fait sur lequel il convient d'insister et qui a toute son importance.

  7. Encourager le respect du droit  

Il est important que les règles relatives à la protection civile soient connues et respectées et que son signe distinctif international soit reconnu. Il faut donc sensibiliser le public aux règles régissant les activités de protection civile.

Il est important que la législation nationale énonce clairement la protection qui doit être accordée aux organismes de protection civile en temps de guerre et que les mesures visant à réprimer les violations du droit international humanitaire protègent entre autres les activités de la protection civile.

Par ailleurs, la coopération entre les organismes de protection civile est souhaitable et les différents pays devraient échanger leurs idées à propos d'activités de promotion. L'Organisation internationale de protection civile (OIPC) pourrait servir d'intermédiaire en la matière.

En ce qui concerne le respect par les forces armées des règles du droit international humanitaire en matière de protection civile, les participants ont mis l'accent sur la nécessité de mieux faire connaître ces règles et la signification du signe distinctif de la protection civile dans le cadre d'activités générales de diffusion menées par les États. De la même manière, il est important que les membres des forces des Nations Unies connaissent bien les règles et le signe distinctif. Le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies (DPKO) a un rôle à jouer à cet égard en rappelant aux États qui mettent à disposition des forces de maintien de la paix leurs responsabilités en la matière.

Il conviendrait d'inviter les États à déclarer clairement et publiquement (éventuellement par le biais d'une notification que le dépositaire ferait circuler parmi les États parties au Protocole I) que leurs organismes de protection civile accompliront les tâches énoncées à l'article 61 de ce traité et qu'ils observeront les règles du droit international humanitaire, et cela afin de rassurer leurs ennemis potentiels. Même les États qui ne sont pas encore parties au Protocole pourraient le faire.

Quant au rôle des organisations qui ont convoqué la réunion d'experts, le CICR pourrait – dans le cadre de ses activités de diffusion du droit – insister davantage sur la protection civile et son signe distinctif ; il pourrait aussi faire bénéficier d'autres organisations de ses connaissances spécialisées dans ce domaine. En tant qu'organe chapeautant les divers organismes de protection civile dans le monde, l'OIPC a un rôle important à jouer en encourageant ses membres à partager leurs expériences et en faisant mieux connaître le signe distinctif international.

  8. Signe distinctif de la protection civile  

Le signe distinctif ne doit faire l'objet d'aucune adjonction. Les gouvernements qui en auraient fait seraient priés d'y remédier et de modifier leur législation en conséquence.

Si des États non parties au Protocole souhaitent utiliser le signe distinctif, il convient de les y autoriser et de les encourager à le faire, à condition qu'ils acceptent, dans son intégralité, le chapitre du Protocole consacré à la protection civile. Les participants ont fortement insisté sur l'importance d'adopter une législation nationale appropriée afin de réglementer l'usage du signe distinctif et d'imposer des sanctions en cas de mauvais usage ou d'abus. De l'avis général, il conviendrait de rappeler cette obligation aux États Parties au Protocole. La législation nationale pourrait prendre pour modèle la loi-type sur l'emblème de la croix rouge et du croissant rouge.

Les participants ont longtemps discuté d e l'utilisation d'autres signes par le personnel de la protection civile en plus du signe distinctif international de la protection civile. Il est clair que les services médicaux dirigés par des organismes de protection civile doivent signaler qu'ils sont protégés en arborant soit l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge soit le signe distinctif international de la protection civile. D'autres signes ne confèrent pas de protection conformément au droit international humanitaire.

Quant à la question de savoir si le signe distinctif international doit être le seul utilisé en temps de paix, il a été dit que les symboles et les signes d'identification existants suscitaient un fort sentiment d'identité parmi les membres de certains organismes. Il ne faut donc pas interdire aux organismes privés qui travaillent officiellement dans le domaine de la protection civile d'utiliser leurs propres signes ou symboles ; bien souvent, ceux-ci sont un moyen d'identification employé depuis longtemps et reconnu sur le plan national, en plus du signe distinctif international. Il a été noté au passage que le logo de l'OIPC était différent du signe distinctif international.

Il faut toutefois préciser que seul le signe distinctif international de la protection civile confère une protection. Les autorités chargées de la protection civile doivent donc faire en sorte que ce signe soit uniquement utilisé lorsque les activités entreprises le justifient.

En temps de paix, l'éventail des activités de protection civile est plus large que celui des activités qui bénéficient d'une protection. Il a été pris note qu'en temps de guerre, il faut veiller à ce que le signe distinctif ne soit arboré que dans le cadre d'activités protégées en vertu du Protocole.

Quant à la nécessité d'améliorer la visibilité et la reconnaissance de l'emblème protecteur, il a été con venu, d'une part, d'inviter les États à adopter des mesures pertinentes et à conclure des accords comme le stipule le Protocole et, d'autre part, de demander au CICR, qui a accompli un travail considérable dans ce domaine concernant l'emblème de la croix rouge, d'échanger avec l'OIPC des informations sur le sujet.

  9. Conclusions générales  

Lors de l'examen d'un point de l'ordre du jour, la question s'est posée de savoir si les règles relatives à la protection civile étaient suffisamment réalistes et si elles restaient valables dans les guerres modernes. Les experts sont arrivés à la conclusion qu'elles étaient toujours valables et qu'il fallait s'efforcer de les appliquer. Il est donc important de confirmer ces règles afin de dissiper les doutes, quels qu'ils soient, et de faire en sorte qu'elles continuent de servir de base aux actions ultérieures.

Les experts étaient d'avis que les règles énoncées aux articles 61 à 67 du Protocole I, contrairement à celles relatives à la Croix-Rouge et au Croissant-Rouge, ne sont pas suffisamment connues, mêmes dans les milieux de la protection civile. L'accent a donc été mis sur la nécessité d'entreprendre une action à plus grande échelle et plus résolue pour les faire connaître. Les activités de diffusion du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont certes bien connues, mais il conviendrait d'inciter d'autres institutions spécialisées dans ce domaine (comme l'Institut international de droit humanitaire de San Remo, qui organise des cours à l'attention du personnel militaire notamment, et l'OIPC) à accorder davantage d'attention aux règles relatives aux activités de protection civile destinées à protéger les victimes de conflits.

Enfin, certains États non parties au Protocole ont marqué leur accord, pour des raisons humanitaires, afin que les règles énoncées dans le Protocole soient mises en œuvre et incluses dans leur législation nationale. Cette initiative devrait être encouragée.