Syrie : la situation humanitaire est catastrophique

19-02-2013 Conférence de presse

« La situation en Syrie est tout simplement catastrophique », a déclaré Pierre Krähenbühl, directeur des opérations du CICR, après une visite de quatre jours dans le pays. Des civils sont tués et blessés, des millions de personnes ont dû quitter leur foyer et des milliers d’autres sont portées disparues ou ont été arrêtées.

M. Krähenbühl s’exprimait dans le cadre d’une conférence de presse durant laquelle il a fait rapport, avec Walter Cotte (Sous-Secrétaire général chargé des Services liés aux programmes à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) sur leur récente visite dans le pays.

Voici un résumé des informations que MM. Krähenbühl et Cotte ont fournies à cette occasion.

Situation générale

Après deux ans, et alors que les confrontations militaires ne montrent aucun signe d’apaisement, la population est dans une situation catastrophique. Des civils sont tués et blessés, des millions de personnes ont dû quitter leur foyer et des milliers d’autres sont portées disparues ou ont été arrêtées.

À Damas-Campagne, les propriétés et les infrastructures ont été détruites, accentuant la détresse des Syriens. Les équipes du CICR qui mènent des activités sur le terrain évoquent le désespoir des civils qui doivent fuir, encore et encore, à mesure que les lignes de front se déplacent.

Des femmes et des enfants ont trouvé refuge dans des mosquées, des écoles, des salles de sport et d’autres bâtiments publics. Beaucoup d’autres vivent dans des conditions difficiles, dans des parcs ou des abris de fortune. Ils survivent pendant des semaines avec une aide très restreinte, souvent sans électricité ni eau courante.

Les infrastructures et le personnel de santé continuent de subir des violences. Il est fréquemment fait état d’arrestations de patients dans les hôpitaux, de représailles contre les médecins et le personnel infirmier, d’attaques contre les ambulances et d’utilisation abusive de ces véhicules. Bien qu’il soit difficile de vérifier la véracité de chacun de ces récits, c’est une tendance très répandue qui suscite de profondes préoccupations.

Les opérations humanitaires en Syrie sont très complexes. Les contraintes sont nombreuses, les plus décourageantes étant l’insécurité extrême, le déplacement constant des lignes de front et la multiplicité des acteurs armés, qui comprennent notamment les forces de sécurité du gouvernement et les diverses factions de l’opposition armée.

Activités du CICR et du Croissant-Rouge arabe syrien

Le CICR a pu mener un grand nombre d’activités sur le terrain avec son partenaire, le Croissant-Rouge arabe syrien, y compris dans les zones sous le contrôle de l’opposition.

En 2012, le CICR et le Croissant-Rouge arabe syrien ont effectué plus de 100 déplacements vers différentes régions du pays. Ils ont distribué des colis de vivres et d’articles d’hygiène à 1,5 million de personnes, dont beaucoup de déplacés qui n’avaient pas pu bénéficier de services essentiels ou de produits de première nécessité depuis qu’ils avaient quitté leur foyer.  
Nos projets liés à l’eau ont aidé des millions de personnes, dans toutes les provinces. Ils ont notamment consisté à réparer des conduites d’eau, à Alep, en collaboration avec des partenaires locaux, à installer, à Homs, un générateur qui permet d’assurer l’approvisionnement en eau de 800 000 personnes, et à livrer de l’eau par camion aux centres pour personnes déplacées. En outre, dans tout le pays, le CICR a traité l’eau à l’aide de chlore afin de garantir qu’elle reste potable.

De plus, nous avons amélioré les conditions d’existence et l’approvisionnement en eau dans 290 centres hébergeant 88 000 déplacés internes, notamment dans les villes d’Alep, Homs, Sweida et Deir Ezzor.

Nous avons aussi distribué du matériel médical dans de nombreux endroits du pays.

Pour le Croissant-Rouge arabe syrien, le changement de rythme a été brutal. À Damas, par exemple, le centre de coordination gérait environ 25 sorties d’ambulances par jour. Ce nombre a doublé, ce qui requiert davantage de ressources. En plus de travailler avec le CICR, la Société nationale fournit un soutien psychosocial, en particulier aux enfants. Elle compte 11 000 volontaires extrêmement sérieux qui travaillent sur le terrain, aux côtés des communautés. Huit d’entre eux ont payé ce dévouement de leur vie.

Défis

Franchir les frontières ou les lignes de front

On a beaucoup parlé, ces derniers mois, de l’impartialité de l’aide humanitaire et des autres moyens d’atteindre la population des zones sous le contrôle de l’opposition et on a évoqué la possibilité de mener des opérations transfrontières. Le CICR estime qu’il est légitime d’étudier différents moyens d’apporter de l’aide là où le besoin s’en fait sentir, mais il a opté pour la solution consistant à traverser les lignes de front. Cela ne signifie pas que le CICR exclut la possibilité de mener des opérations depuis d’autres pays, mais nous ne conduirions ce type d’opération qu’avec l’accord de toutes les parties intéressées – le gouvernement syrien, l’opposition et les gouvernements des pays voisins concernés. Notre récente visite à Houla a prouvé que nous étions capables de franchir les lignes de front pour acheminer des secours.

Il est difficile de mettre en place des opérations qui supposent de franchir les lignes de front, ne serait-ce que parce que – comme dans tout conflit – aucune des parties n’a envie de nous voir passer dans la zone sous le contrôle de l’ennemi. Mais c’est ainsi que nous procédons pour fournir une aide humanitaire, nous faire accepter et essayer d’atteindre les régions les plus touchées. Lors de mes réunions avec le vice-ministre syrien des Affaires étrangères (Hossam Eddine Alaa), j’ai souligné à quel point il était important pour le CICR et le Croissant-Rouge arabe syrien d’avoir un meilleur accès à toutes les régions ayant des besoins urgents, y compris celles qui se trouvent sous le contrôle de l’opposition.

Nécessité d’étendre les opérations

Entre juillet et octobre 2012, nous avons connu une période difficile, durant laquelle les déplacements sur le terrain étaient très limités. Mais heureusement, le nombre d’équipes du CICR/Croissant-Rouge arabe syrien se rendant dans des régions sensibles a de nouveau augmenté ces quatre derniers mois. Fin janvier, nous avons pu acheminer des secours à Houla, une localité sous le contrôle de l’opposition ; c’est un signe d’amélioration. Je suis revenu de Syrie convaincu que nous pouvons et devons étendre nos opérations ces prochaines semaines et ces prochains mois et que nous pouvons et devons profiter de notre présence croissante dans les régions les plus sensibles, notamment celles qui sont sous le contrôle de l’opposition.

Activités en faveur des détenus

Ces six derniers mois, les visites dans les lieux de détention n’ont pas progressé comme nous l’aurions souhaité.

Depuis 2011, le CICR a effectué deux visites, dans les prisons centrales d’Alep et de Damas. C’est bien, mais ce n’est pas assez. Bien sûr, certains lieux de détention se trouvent dans des zones trop dangereuses pour nous. Mais du fait de cet accès restreint, la situation des détenus ne fait l’objet d’aucune surveillance. Cet état de fait, qui serait très préoccupant dans n’importe quel conflit armé, constitue vraiment une préoccupation majeure en Syrie.

Lors de sa réunion au ministère des Affaires étrangères, M. Krähenbühl a demandé que les autorités prennent des mesures concrètes pour élaborer un plan de visites dans plusieurs prisons ces prochaines semaines, conformément à l’engagement qu’elles avaient pris et qu’elles ont reconfirmé lors de cette réunion. Il est vital que le CICR puisse rapidement reprendre ses visites dans les lieux de détention afin de garantir un suivi adéquat des conditions de détention et du traitement réservé aux détenus, conformément aux procédures usuelles qu’il applique dans le monde entier. Le CICR continuera de faire pression sur les autorités syriennes à ce sujet ces prochains jours.

Enfin, il y a l’impact dévastateur des attaques contre les infrastructures médicales, le personnel de santé, etc. Nous avons récemment entendu parler d’un incident dans le nord de la Syrie : des blessés ont été arrêtés dans un hôpital et le personnel médical a ensuite été tué car il était soupçonné d’avoir fourni les informations qui avaient mené aux arrestations. En raison d’incidents de ce type, le système de santé, auparavant efficace, est progressivement laissé à l’abandon dans certaines parties du pays. Des groupes armés se sont emparés de certains hôpitaux et de nombreux médecins et membres du personnel infirmier ont fui des zones les plus dangereuses.

L’avenir

Depuis le début du conflit en Syrie, beaucoup ont demandé si travailler en Syrie ne s’apparentait pas à une « mission impossible », où les contraintes et les risques d’instrumentalisation sont légion. Il faut fortement intensifier la réponse humanitaire collective, et le CICR et le Croissant-Rouge arabe syrien y travaillent. Selon certains, le CICR est naïf de penser qu’il peut mettre sur pied, de l’intérieur de la Syrie, une opération réellement impartiale, qui bénéficie aux civils de toutes les parties. Nous convenons que cette question nous force à rester vigilants et que les dilemmes sont nombreux. Mais nous avons toujours préféré les dilemmes associés à notre présence sur le terrain et à nos tentatives d’atteindre autant de personnes que possible. Et c’est exactement ce que fait le CICR.

Photos

Une famille marche dans les décombres. 

Al-Mayssar, Alep, Syrie
Une famille marche dans les décombres.
© Reuters / M. Salman