RD Congo : soigner les blessures visibles et invisibles

15-04-2014 Éclairage

Une nuit, à Pinga, des tirs traversèrent les murs d’une maison, tuant une petite fille et blessant grièvement sa sœur de 7 ans, Chimène. Celle-ci fut évacuée à Goma, où son bras gauche dût être amputé pour lui sauver la vie. Récit d’Elodie Schindler, déléguée communication du CICR à Goma.

Nord-Kivu, Goma, hôpital CBCA Ndosho où travaille l'équipe chirurgicale du CICR. Chimène (7 ans) a été blessée lors de combats dans sa ville de Pinga, puis prise en charge par le CICR à Ndosho, où elle a été amputée du bras gauche. Elle joue au ballon avec Fadili, une autre patiente de l'hôpital. CC BY-NC-ND / ICRC / Elodie Schindler

« Comment vais-je porter mon petit frère maintenant ? Comment vais-je le laver et le changer ? Comment irai-je chercher l’eau pour aider ma maman ? » Chimène pleure. L’inquiétude liée à son nouveau corps s’ajoute à la douleur physique. Comme la plupart des habitants de Pinga, dans la province du Nord-Kivu, Chimène et sa famille subissent la violence qui secoue la région depuis une vingtaine d’années. En janvier 2014, des affrontements entre les forces gouvernementales et des groupes armés ont bouleversé leur vie à jamais. Des tirs traversèrent les murs de leur maison de terre et touchèrent les deux sœurs qui partageaient le même lit. Chimène a survécu, mais sa sœur est décédée rapidement de ses blessures. « À son arrivée à l’hôpital, Chimène réagissait à peine tant elle avait perdu de sang. Elle fut  immédiatement transportée au bloc opératoire, où le chirurgien a tout essayé pour sauver son bras, totalement déchiqueté. Malheureusement, quelques jours plus tard, il a fallu l’amputer pour éviter une infection généralisée qui risquait d’être fatale », explique Andrea Marelli, chef infirmier à l’hôpital Ndosho de Goma pour le CICR. Chimène fut amputée après que l’hôpital eut recueilli le consentement de ses parents par le biais de sa tante maternelle, seul membre de sa famille présent à l’hôpital.

Souffrance physique

Hôpital CBCA Ndosho à Goma. Chimène joue au ballon en présence de Claudia Ibarra Lopez, déléguée psychosociale et Andrea Marelli, infirmier en chef du programme chirurgical CICR. 

Hôpital CBCA Ndosho à Goma. Chimène joue au ballon en présence de Claudia Ibarra Lopez, déléguée psychosociale et Andrea Marelli, infirmier en chef du programme chirurgical CICR.
/ CC BY-NC-ND / ICRC / Christian Katsuva

Dans les jours qui suivirent l’amputation, Chimène fut inconsolable. Elle avait mal, elle avait peur pour son avenir. Sa maman qui a dû rester au village pour les cérémonies de deuil de sa grande sœur lui manquait. Mais surtout, Chimène en voulait aux « muzungu » (blanc en Swahili) qui lui avaient volé son bras. Elle a maintenant besoin de suivre de soins de physiothérapie pour retrouver sa mobilité, mais elle ne laisse personne toucher la zone de son bras amputé. Lorsque la mère de Chimène arrive à Goma, le personnel soignant fait appel à Olivier Kima de l’équipe psychosociale du CICR, dénommé « Papa ». Cette équipe intervient à l’hôpital lorsqu’un blessé a du mal à accepter son état, à surmonter le trauma qu’il a vécu ou présente des difficultés dans le suivi de son traitement. La première rencontre a lieu trois jours après l’opération. « Je voulais que Chimène me raconte son histoire et me parle de ses inquiétudes pour que je puisse mieux comprendre le niveau de ses souffrances physiques et mentales », explique Olivier. « Mon rôle n’est pas de soigner les patients, mais de donner des clés à l’équipe médicale pour le faire : Chimène avait peur d’avoir mal et de ce fait refusait tout contact. »

Reprendre confiance

Hôpital CBCA Ndosho. Chimène découvre les photos que Christian Katsuva, délégué communication du CICR, a pris d'elle. 

Hôpital CBCA Ndosho. Chimène découvre les photos que Christian Katsuva, délégué communication du CICR, a pris d'elle.
/ CC BY-NC-ND / ICRC / Elodie Schindler

Lors de la deuxième séance, Olivier apporte une poupée à Chimène qui s’en empare sur le champ. « Je vais m’en occuper immédiatement ! » s’exclame-t-elle, avec détermination. Le travail psychosocial avec un enfant demande en effet de la créativité et des outils adaptés. « Un jour, je lui ai donné un dessin représentant une fillette avec un bras amputé, que j’avais nommée Pepita », se souvient Claudia Rocío Ibarra López, déléguée santé mentale pour le CICR à Goma. « Nous avons commencé à discuter de ce que Pepita pouvait faire dans sa situation. Pouvait-elle aller à l’école ? Jouer avec ses amis ? Se laver toute seule ? Au fil des réponses, Chimène découvrait ce qu’elle aussi était capable de faire. » Avec l’aide de l’équipe psychosociale, la petite se rend progressivement compte qu’elle peut encore faire beaucoup de choses et même de nouvelles. « Pour renforcer sa confiance en elle et lui redonner le goût de jouer avec son bras valide, nous nous sommes mis à dribbler avec un ballon sur la pelouse de l’hôpital. Un mois après l’accident, elle n’a rien à envier aux autres enfants avec qui elle s’amuse, bien au contraire ! » se réjouit Jean Fiasse, le physiothérapeute de l’équipe.

Rôle des proches

La mère de Chimène a participé aux séances de suivi psychosocial de sa fille. Elle est elle-même assistante psychosociale et a suivi une formation donnée par le CICR pour son travail à la maison d’écoute de Pinga. Les « maisons d’écoute » sont des centres d’accueil où les victimes de violences sexuelles et d’autres traumatismes liés au conflit sont prises en charge par des assistants psychosociaux et référées à une structure de santé afin qu’elles reçoivent, si besoin est, des soins médicaux. Les maisons d’écoute sont soutenues par le CICR principalement à travers des formations, des dons en matériel et un financement. « C’est une situation très difficile. Ma propre fille est maintenant du côté des victimes », explique la maman de Chimène. « Je suis en colère contre ceux qui lui ont fait ça, et je me sens coupable de ne pas avoir pu la protéger. Aujourd’hui j’ai peur de revenir dans notre village, car la sécurité n’est toujours pas suffisante. » Chimène a elle aussi un peu peur de rentrer mais elle se réjouit de remanger enfin les bananes du village. « J’aimerais beaucoup reprendre l’école mais mes cahiers ont brûlé ce jour-là », dit-elle. En attendant son retour au village, Chimène joue au ballon avec Fazili, sa petite voisine de Pinga. Lors de l’attaque, Fazili a eu plus de chance, les balles lui ont à peine effleuré le dos.

Chimène montre qu'elle peut s'occuper de sa poupée, malgré son handicap. CC BY-NC-ND / ICRC / Andrea Marelli