Kenya : le personnel hospitalier dissèque les enseignements tirés des violences post-électorales

27-05-2008 Éclairage

Au Kenya, le personnel hospitalier a dû faire face à un afflux massif et inattendu de blessés lors des violences qui ont suivi les élections générales de décembre 2007. Aujourd’hui, il fait le point sur les enseignements tirés de ces événements dans le cadre d’une série d’ateliers organisés par le CICR et axés sur les situations d’urgence en temps de paix. Récit de Iolanda Jaquemet, collaboratrice du CICR.

     

    ©CICR/I. Jaquemet      
   
    Dr Dan Raburu, Pamela Olilo et Jane Owuor lors de l’atelier organisé par le CICR à Kisumu.      
        « Même un patient éventré n’est pas forcément le cas le plus urgent à traiter, dans la mesure où son état est stable ». Les 20 participants à l’atelier écoutent attentivement les explications du Dr Mauro Dalla Torre, un chirurgien du CICR, au sujet des principes de triage des blessés .

Ensuite, ils examinent avec calme et intérêt la photographie d’un petit garçon souffrant de terribles blessures aux jambes, que le Dr Dalla Torre utilise pour montrer le transfert d’énergie important causé par un projectile.

L’aplomb des participants n’est pas surprenant, puisqu’il s’agit de chirurgiens, d’infirmiers et de personnel soignant de cinq hôpitaux de la province de Nyanza, dans l’ouest du Kenya. Dans le cadre de cet atelier de deux jours organisé par le CICR en avril, ils peuvent échanger leurs expériences sur la préparation aux situations d’urgence et le traitement des blessures causées lors de situations de violence.

Le ministre kenyan de la Santé et le CICR ont convenu de mettre à profit les enseignements tirés des violences post-électorales qui ont éclaté début 2008, afin d’aider les hôpitaux à faire face à un afflux de blessés en cas de catastrophe en temps de paix (par exemple un autobus se renversant ou un avion s’écrasant au décollage).

  29 décembre : arrivée massive de blessés  

L’« afflux massif de blessés » n’est pas un phénomène nouveau pour les auditeurs du Dr Dalla Torre. « Le 29 décembre, nous avons accueilli 88 blessés en l'espace de quelques heures, se souvient le Dr Dan Raburu, chirurgien en chef à l’Hôpital général de la province de Nyanza, à Kisumu. En temps normal, nous recevons en moyenne 30 patients en 24 heures ».

Ce jour-là, l’Hôpital de Nyanza a été totalement pris de court, à l’instar de toutes les autres structures médicales du pays. « Tout le monde s'attendait à ce que les élections se déroulent dans le calme », ajoute le Dr Raburu, qui était lui-même en congé, comme plusieurs autres membres du personnel. D’autres collaborateurs ont fui la ville les jours suivants ou n'ont pas osé se rendre au travail en raison des violentes émeutes. « Au début de la crise, à peine un quart de l ’effectif normal était à pied d’œuvre », se souvient-il.

Accéder à l’Hôpital était un cauchemar pour les patients comme pour le personnel. « Nous nous sommes vite rendu compte que l’ambulance était le moyen le plus sûr d’y arriver, mais j’ai tout de même dû supplier qu’on me laisse passer », raconte le Dr Raburu. Au moins une ambulance a d’ailleurs été incendiée.

Pamela Olilo, une employée chargée d’accueillir les patients à l’Hôpital, se remémore les longues journées de travail : « Pour des raisons de sécurité, nous devions arriver à l’Hôpital à l’aube et nous ne pouvions pas partir avant 22 heures. »

  Du thé pour survivre  

« Au début, nous restions à l'Hôpital trois jours d'affilée, sans changer de vêtements, explique le Dr Raburu. L’approvisionnement en nourriture était problématique tant pour les patients que pour le personnel soignant, qui devait parfois se contenter de thé fort. Heureusement, des voisins attentionnés nous ont offert des jus de fruit et du pain ».

Peu à peu, le Dr Raburu et ses collègues se sont mieux organisés, ont formé des équipes et ont appris à agir rapidement pour prendre en charge les nouveaux blessés. Du personnel et du matériel – tel que des solutions intraveineuses et des assortiments de pansements qui faisaient cruellement défaut – ont été envoyés de Nairobi. Des organisations internationales ont également fait don de matériel essentiel.

Le personnel hospitalier était également confronté à une autre difficulté : parvenir à rester neutre face à ce que le Dr Raburu qualifie de « sympathies tribales », c’est-à-dire traiter chaque blessé de façon impartiale, quelle que soit son appartenance communautaire et indépendamment de toute pression extérieure. « Il n'est pas facile d'aller travailler lorsqu'on laisse son épouse et ses enfants à la maison et qu’on ignore ce qui pourrait leur arriver durant la journée », reconnaît le chirurgien. Son propre cabinet privé en ville a été réduit en cendres.

  Des collaborateurs toujours absents  

Aujourd’hui, la situation s'est normalisée, mais pas le niveau des effectifs. « Alors que 40 collaborateurs ne sont jamais revenus travailler, seuls quelques-uns ont été remplacés à ce jour, explique l’infirmière en chef Jane Owuor, et nous manquions déjà de personnel avant la crise ». Jane Owuor, le Dr Raburu et Pamela Olilo représentent l’Hôpital général de la province de Nyanza à cet atelier.

L’équipe estime que l'atelier est très utile – le CICR peut mettre à profit la vaste expérience qu’il a acquise en prenant en charge plus de 100 000 blessés de guerre dans le monde entier ces 30 dernières années. Le Dr Raburu prépare déjà un rapport à l’intention de la direction de l’Hôpital, dans lequel il formulera des suggestions pour améliorer la gestion de l’établissement.

Cet atelier à Kisumu, ainsi que les quatre autres organisés à Nakuru, à Machakos, à Nyeri et à Meru devraient rassembler au total une centaine de participants.

Le succès de ces rencontres est garanti à en juger par l'enthousiasme manifesté à l’atelier de Kisumu – les participants étaient si captivés qu’ils ont continué de travailler pour préparer un scenario de plan d’urgence, ignorant le gong qui annonçait le déjeuner.