Kirghizistan : tant d’efforts en vain ?

22-09-2010 Éclairage

Les violences qui se sont produites en juin 2010 dans le sud du Kirghizistan ont provoqué la destruction de biens, notamment de nombreuses maisons, dont les propriétaires vivent aujourd’hui dans des conditions précaires. Le CICR aide à reconstruire certaines maisons. Maya Kardava, déléguée du CICR, s’entretient avec Ranno, qui est l’une des 3 000 personnes à bénéficier de cette aide.

     

    ©ICRC/M. Kardava      
   
Ces décombres sont tout ce qui reste de la maison de Ranno.        
         

J'ai rencontré Ranno dans le quartier de Cheriomushki de la ville d’Och, dans le sud du Kirghizistan. Cheriomushki est l’une des zones qui ont été le plus durement frappées par les événements de juin 2010 à Och.

Nous traversons le quartier et voyons les m aisons, l’une après l'autre, ou plutôt ce qui en reste, défiler à toute allure devant nos yeux. Il est difficile de croire qu’il y a deux mois cet endroit était paisible et que la vie s’y déroulait normalement.

Notre voiture s'arrête dans les environs. Des femmes commencent à accourir pour voir ce qui se passe. Parmi elles, Ranno. Nous sommes tous silencieux. Que dire lorsque tout alentour, les événements récents parlent d’eux-mêmes. Ranno nous invite aimablement à visiter sa ‘maison’.

Nous traversons un haut portail métallique, si typique de cette région, et nous retrouvons dans une cour entourée par les ruines de la maison de Ranno. Il ne reste que des murs blancs couverts de suie. Tout a brûlé. Le petit lopin de terre qui servait de jardin à Ranno n'est plus ce qu'il était. Mais il est encore vert, avec des tomates mûres ici et là, il ressemble à un tapis oriental. Il est vivant dans ce paysage de totale désolation. L’endroit est sinistrement silencieux.

Ranno regarde sa cour puis se tourne vers moi et dit : « Vous savez, j’ai dû ’me débarrasser’ de ma fille de 18 ans, Camilla, à cause de tout cela ». Elle lit l’embarras sur mon visage à l’expression « me débarrasser de ma fille ». Et Ranno m’explique : « j’ai donné ma fille en mariage car je n’avais plus assez de place pour nous trois. Cette tente (et elle pointe du doigt la tente blanche, juste à l'entrée, qu'elle a reçue dans le cadre de l’aide humanitaire), est ma seule ‘chambre,'et je la partage avec mon fils de 22 ans.

  Durant 16 ans, Ranno a construit petit à petit sa maison  

Ranno avait 19 ans lorsqu’elle s'est mariée. Huit ans plus tard, son mari est décédé, la laissant seule avec deux enfants âgés de six et de deux ans. Ranno s avait qu'elle devait faire face, et elle a fait face. Elle a travaillé et élevé seule ses enfants. « Et quand ils eurent l’âge d'aller à l'école, j'ai dû payer pour leur éducation », dit-elle. « J'ai construit cette maison pendant 16 ans, lentement, petit à petit, achetant les matériaux de construction quand je le pouvais », ajoute-t-elle.

     
    ©ICRC/M. Kardava      
   
Ranno contemple son avenir en regardant les ruines de la maison qu’elle a mis 16 ans à construire.        
         

Ranno montre du doigt une annexe attenante à la maison. L'annexe venait de toute évidence juste d’être construite lorsqu’elle a brûlé. « J'ai commencé à la construire lorsque mon fils a eu 20 ans. Dans notre tradition, un garçon qui atteint l’âge du mariage doit avoir sa propre maison. J'ai voulu que mon fils puisse avoir tout ce que tout autre garçon de son âge a », explique-t-elle. Ranno me montre une pile calcinée de matériaux de construction, des carreaux de céramique, comme pour donner des preuves matérielles à l’appui de ce qu’elle dit.

Puis, un nouveau moment de silence. « Vous savez, je suis simplement triste en pensant à tous les efforts que j’ai dû faire ces 16 dernières années. Tant d’efforts en vain », dit-elle en larmes.

J'essaie de la consoler, mais c’est difficile, impossible.

Ranno accepte que je la prenne en photo. Elle sourit et me demande si elle est assez bien pour la photo. « Si je le pouvais, j'aimerais bien changer de foulard mais je n’en ai pas d'autre. Et ce sera la seule photo de moi car tous mes albums de famille ont brûlé avec tous nos documents officiels. Je n'ai pas réussi à les sauver », explique-t-elle.

Elle préfère être photographiée sur le « tapis vert », en disant que « c'est le seul lieu qui n’a pas été détruit ».

Alors que je m'apprête à partir, Ranno m’offre aimablement du thé, elle s'excuse de ne pas pouvoir m’offrir le plov traditionnel, un plat épicé composé de riz, de viande et de légumes. Je la remercie de son hospitalité. « Vous reviendrez quand la maison sera terminée ? » me demande-t-elle alors que je passe à travers le haut portail métallique. « Dans notre tradition, lorsque la construction du toit est achevée, nous préparons un gros plat de plov et nous invitons tout le monde », conclut-elle.

Je lui promets de revenir.