Pérou : l’inlassable recherche d’un proche disparu

26-08-2010 Éclairage

Les vingt années de violence qu’a connues le Pérou entre 1980 et 2000 ont vu la mort de milliers de personnes et, au dire des équipes nationales de médecins légistes, la disparition de plus de 15 000 autres, dûment enregistrées. Bien que beaucoup d'années se soient écoulées depuis, des milliers des familles péruviennes vivent toujours dans la souffrance et l'angoisse de ne pas savoir ce qu'il est advenu des êtres chers dont elles sont sans nouvelles.

  Regarder aussi la video (en anglais et espagnol) : Á Ayacucho, l'écharpe de l'espoir

   
    ©ICRC / M. García-Burgos      

   

Tricoter l'écharpe permet à ces femmes d'exprimer leur douleur et leur affection pour les proches disparus.      
       

       
    ©ICRC / M. García-Burgos      
   

 

Ces deux femmes ont terminé de tricoter les morceaux de l'écharpe qui évoquent leurs proches disparus.      
           

Vêtue de noir, marque d’un deuil rigoureux, Lidia Flores nous reçoit dans son humble demeure située dans les faubourgs de la ville d’Ayacucho. Cela fait des années qu’elle souffre, rongée en permanence par la douleur de ne pas avoir pu offrir une sépulture digne à son mari, disparu en 1984.

Il y a peu, Lidia a subi une opération. Elle est faible et a de la peine à se mouvoir. Lorsque nous arrivons chez elle, elle est en train de tricoter un ouvrage sur lequel elle brodera le nom de son mari, et qui servira à confectionner l'« Écharpe de l’espoir ». Il s'agit là d'un projet lancé par la société civile, et auquel prennent part de nombreuses mères, épouses, filles et proches de disparus en général. Dans plusieurs villes (Huamanga, Cayara, Hualla, Lima), ces femmes tricotent les bouts d’une écharpe géante qui, une fois assemblée, devrait mesurer un kilomètre.

L’ « Écharpe de l’espoir » a pour but de sensibiliser la population à une problématique qui touche beaucoup de familles, en particulier dans le département d’Ayacucho, où l’on enregistre le plus grand nombre de victimes de la violence des années 80 et 90.

Pour Lidia, tricoter c’est se souvenir de son mari : elle dévide un écheveau de laine pour confectionner un carré de la future écharpe et, tandis qu'elle s'emploie à lui donner forme, elle met de l'ordre dans ses pensées.

« Mon mari était commerçant. Ce jour de juillet 1984, il était sorti faire un tour en ville après être rentré de voyage et avoir laissé ses papiers d’identité à la maison. C'est alors qu'il a été emmené par une patrouille. Depuis, je le cherche partout, mais personne n'a jamais été capable de me dire où il est. »

Lidia a écumé les commissariats de la région. Elle est même allée jusqu'à Lima avec ses cinq enfants en bas âge, pensant qu'elle le trouverait peut-être détenu dans une prison de la capitale. Ne connaissant pas bien la ville, elle a vécu cette expérience comme une véritable agression, pour finalement avoir l’énorme déception de ne pas retrouver son mari. C’est rongée par le chagrin et la désillusion qu’elle est rentrée à Ayacucho.

Dans sa quête inlassable, Lidia a fait la connaissance d'autres personnes qui se trouvaient dans la même situation qu'elle. Certaines lui ont dit qu'ici ou là, en particulier dans les talus au pied des falaises, on trouvait des corps humains en quantité.

Cette information macabre l’a beaucoup troublée. Elle dit qu’une nuit, elle a rêvé que son mari lui indiquait l’endroit où elle le retrouverait. Le lendemain, elle s’est rendue dans une zone située à quelques kilomètres de la ville et a découvert un spectacle effroyable : des chiens étaient occupés à dévorer les dépouilles de plusieurs personnes. Elle a alors reconnu les habits de son mari, entre autres un pantalon dont elle avait elle-même cousu l’ourlet. Elle a récupéré tout ce qui restait du corps, à savoir le crâne, et l’a emporté pour l’enterrer.

Bien qu’au tréfonds de son âme elle soit persuadée que ce crâne est celui de son mari, il n'existe aucune preuve légale qui atteste son identité.

« Puis j’ai déterré le crâne et l’ai emmené au ministère public. On m’avait dit que parfois les habits des victimes étaient échangés et qu’il ne s’agissait peut-être pas de mon mari. Cela m’a énormément attristée. C’est maintenant eux qui ont le crâne pour faire des analyses d’ADN. Cinq ans ont passé et il n’y a toujours pas le moindre résultat. »

La question des personnes disparues est un véritable labyrinthe sans issue. Les familles ont des besoins de toutes sortes : savoir ce qui est arrivé à leurs êtres chers et où ils se trouvent ; pouvoir achever un processus de deuil qui n’en finit pas ; obtenir une réparation économique symbolique et que justice leur soit rendue. Pour ces gens, cependant, le plus important est de pouvoir récupérer les restes de leurs proches disparus et de leur donner une sépulture digne.

Au Pérou, la recherche de personnes disparues progresse lentement. Selon l’institut de médecine légale 1 247 corps ont été retrouvés entre 2002 et 2009, dont 652 ont été identifiés.

Le défi est de taille, mais les familles ne perdent pas espoir. Certaines personnes expriment cet espoir en tricotant ; d’autres le font en silence et par leurs pleurs. Certaines s’insurgent et réclament une accélération du processus ; d’autres essaient de trouver la force d'aller de l'avant.

Les yeux de Lidia s'emplissent de larmes lorsque nous lui demandons ce qu’elle espère encore et pourquoi elle n'essaie pas plutôt de tourner la page et d'oublier sa tristesse. Elle nous répond alors, catégorique : « Il est impossible d’oublier. Depuis que mon mari a disparu, 26 ans se sont écoulés. Je me suis retrouvée toute seule avec mes enfants. Un vrai calvaire. Tous les projets que nous avions faits ensemble se sont évanouis. Pendant toutes ces années, j’ai été mère et père à la fois. J’ai toujours voulu croire qu'il reviendrait. Je l'imaginais âgé et j‘étais heureuse de l’accueillir, même s’il n'était pas très en santé. J'aurais toujours voulu qu'il soit aux côtés de mes enfants. S'il était revenu, je lui aurais parlé comme une épouse parle à son mari et nous aurions élevé les enfants ensemble... Je me sens si seule. »

  Le CICR et la question des personnes disparues au Pérou  

Dans le cadre de son action humanitaire, le CICR met tout en œuvre pour que les familles obtiennent des réponses aux questions qu’elles se posent, et pour qu’elles sachent un jour ce qu’il est advenu de leurs proches disparus pendant les années de violence qu’a connues le pays (1980-2000).

  • Le CICR apporte un soutien technique aux institutions médico-légales de l’État et de la société civile, principalement en formant leurs personnels et en mettant à leur disposition une base de données devant permettre le recoupement des informations médico-légales disponibles.

  • Il offre un appui aux services de santé de l’État en contribuant à renforcer leur capacité de prise en charge, afin notamment que les proches de personnes disparues puissent bénéficier d’un soutien psychosocial.

  • Il soutient les associations de familles de disparus ainsi que les familles qui n'en font pas partie. Il leur offre notamment une assistance matérielle et veille à ce que personne ne soit écarté du processus de recherches, et que tout se fasse dans la dignité et le respect.