Les États doivent engager une action urgente et effective contre les armes à sous-munitions

10-11-2011 Interview

La semaine prochaine (14-25 novembre 2011), les États parties à la Convention sur certaines armes classiques se réuniront à Genève pour envisager d’adopter un nouveau traité sur les armes à sous-munitions. Peter Herby, chef de l'Unité armes du CICR, expose les préoccupations du CICR quant aux conséquences humanitaires du traité proposé.

En quoi le CICR pourrait-il ne pas être favorable à des règles qui prohibent certaines armes à sous-munitions ?

Il importe de souligner que, depuis cinq ans, le CICR appelle à une interdiction de toutes les armes à sous-munitions imprécises et non fiables parce qu’elles causent des souffrances inacceptables aux populations civiles. Dès 2008, la Convention sur les armes à sous munitions a interdit  l'emploi, la production, l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert de toutes ces armes à sous-munitions. À ce jour, 111 États ont signé la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions et 66 sont devenus États parties par ratification ou adhésion.

Par contre, le projet de protocole proposé pour adoption dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) permettrait l’emploi de toutes les armes à sous-munitions produites après 1980, pendant au moins 12 années suivant l'entrée en vigueur du protocole. Après cette date, l'emploi de toute arme à sous-munitions dotée d’un dispositif de sécurité serait autorisé de manière permanente – même si ces dispositifs ne garantissent pas nécessairement que l'arme puisse être fiable – et ces armes constitueraient toujours une menace pour les civils.

Comment le CICR peut-il ne pas accueillir un traité qui conduirait à l’élimination de millions d’armes à sous-munitions par les principaux détenteurs, notamment les États-Unis, la Russie, la Chine ?

Le CICR se félicite que plusieurs principaux détenteurs d’armes à sous-munitions aient reconnu l'impact humanitaire grave de ces armes et qu’ils soient prêts à prendre des mesures dans ce domaine. Le CICR a constamment soutenu les travaux de la Convention sur certaines armes classiques, persuadé que des règles pourraient être arrêtées pour les États qui ne sont pas prêts à adhérer à la Convention sur les armes à sous-munitions et qu’elles constitueraient une réponse urgente complétant plutôt que contredisant la Convention sur les armes à sous-munitions.

Le CICR reconnaît pleinement que le projet de protocole interdirait l'emploi de certaines armes à sous-munitions, notamment celles produites avant 1980, ce qui entraînerait ultérieurement la dépollution de ces types de munitions. Après avoir lancé des années durant un appel en faveur de l'élimination des armes à sous-munitions imprécises et non fiables, nous ne pouvons que saluer ces mesures. Nous nous félicitons aussi des engagements importants pris concernant la dépollution de ces armes à sous-munitions et l’assistance aux victimes. Il convient toutefois de mettre ces mesures en balance par rapport au coût humain que représentent des quantités beaucoup plus importantes de munitions dont l'emploi serait autorisé soit pendant 12 ans soit indéfiniment.

Ne pensez-vous pas que le projet de protocole à la Convention sur certaines armes classiques est une réponse urgente aux problèmes humanitaires posés par ces armes ?

Si vous lisez le projet de protocole qui doit être examiné aux fins de son adoption, vous noterez que l’interdiction immédiate portera uniquement sur les armes à sous-munitions produites avant 1980. Et, pendant un maximum de 12 ans après l'entrée en vigueur du protocole, l’emploi des armes à sous-munitions fabriquées après 1980 dépourvues de dispositifs de sécurité serait permis. De notre point de vue, il ne saurait s’agir d’une réponse urgente au problème humanitaire sur lequel le CICR attire l'attention depuis déjà une décennie.

Le protocole permettrait aussi l’emploi, la production, le stockage et le transfert illimités des armes à sous-munitions équipées d’un seul dispositif de sécurité, bien que des experts de la dépollution et d’autres experts techniques aient averti qu’il est fréquent que de tel dispositifs ne fonctionnent pas, et que les armes à sous-munitions de ce type aient déjà, comme on le sait, posé de graves problèmes humanitaires.

Les règles du protocole ne s’appliqueraient pas non plus aux armes à sous-munitions ayant enregistré un taux d'échec égal ou inférieur à un pour cent, même si, dans la réalité, ces armes ont connu un taux d’échec de presque dix pour cent dans les conflits du passé.

Que signifierait l'adoption du protocole en termes de droit international humanitaire ?

Elle signifierait, malheureusement, que le droit international humanitaire est en recul. Pour la première fois, les États auraient adopté un traité de droit humanitaire conférant aux civils une protection moindre que celle conférée par un traité déjà en vigueur. Une telle situation devrait être une source de grave préoccupation pour tous ceux qui soutiennent la cohérence, l'efficacité et l'intégrité de cette branche du droit.

Le CICR a-t-il communiqué sa position aux États au sujet du protocole ?

Tout au long de cette année, nous avons informé les États parties à la Convention sur les armes classiques que, de notre point de vue, l'adoption du projet de protocole sur les armes à sous-munitions, dans sa forme actuelle, ne ferait que perpétuer le problème humanitaire des armes à sous-munitions, en contradiction avec la Convention sur les armes à sous munitions et créerait un précédent malheureux de régression du droit international humanitaire.

Très récemment, notre président a également adressé une lettre aux gouvernements des États les encourageant à se pencher sérieusement sur nos préoccupations lorsqu’ils prépareront leur position en vue de la Conférence d'examen de la Convention sur certaines armes classiques qui débutera à Genève le 14 novembre. Nous nous engageons à répondre de manière globale et effective au problème des armes à sous-munitions. Si les États ne sont pas en mesure d’adopter l’approche globale proposée par la Convention sur les armes à sous munitions, ils devraient s’orienter progressivement dans ce sens plutôt que d’inclure en tant que « solution » dans un traité de droit international humanitaire une gamme d’armes à sous-munitions qui continueront d’infliger des souffrances inacceptables aux civils.

Les armes à sous-munitions contaminent de vastes régions depuis des décennies. Les munitions utilisées dans les années 1970 continuent de causer chaque jour des souffrances inacceptables aux civils. La reconnaissance de ces faits implique le devoir d’y mettre un terme.

Photos

 

Peter Herby, chef de l'Unité armes du CICR
© ICRC