Le droit de l’occupation continue d’occuper les juristes

11-06-2012 Interview

À l’issue de consultations approfondies avec des experts, le CICR a récemment publié un rapport sur l’occupation et d’autres formes d’administration de territoires étrangers. Tristan Ferraro, conseiller juridique au CICR, nous présente les principales conclusions de ce rapport.

Quelle branche du droit international humanitaire couvre l’occupation ?

L’occupation militaire est pour l’essentiel couverte par la IVe Convention de Genève. Cela a des conséquences importantes pour les personnes vivant en territoire occupé, notamment parce que la puissance occupante doit remplir certaines obligations énoncées dans la Convention. Elle doit en particulier garantir la sécurité et l’ordre public, fournir à la population des vivres et des fournitures médicales, assurer les services médicaux et s’occuper de nombreuses autres questions qui sont d’une importance cruciale dans la vie quotidienne des populations concernées.

Pour les personnes qui vivent sous l’occupation, la différence qu’il y a entre le fait d’appliquer pleinement et comme il se doit le droit de l’occupation ou de ne pas l’appliquer n’est ni abstraite ni théorique : les conséquences sont concrètes et immédiates.

Pourriez-vous expliquer les raisons qui ont conduit le CICR à travailler sur le droit de l’occupation et à engager des consultations d’experts sur le sujet ?

Les interventions militaires extraterritoriales, qui se sont multipliées ces dernières années, ont donné lieu à de nouvelles formes de présence militaire étrangère sur le territoire des États, auxquelles ils consentent parfois mais qui leur sont le plus souvent imposées. Ces nouvelles formes de présence militaire extraterritoriale – telles que l’opération multinationale en Irak ou l’administration par l’ONU de territoires au Timor-Leste et au Kosovo –, parallèlement aux formes d’occupation plus classiques qui perdurent, posent des défis humanitaires et juridiques majeurs qui ont ravivé l’intérêt pour le droit de l’occupation.

On reproche de plus en plus au droit de l’occupation d’être mal adapté aux situations d’occupation actuelles. En outre, les États qui exercent de fait un contrôle sur un territoire étranger refusent souvent d’être considérés comme des puissances occupantes. C’est pour ces raisons notamment que le droit de l’occupation a été fortement remis en cause ces dix dernières années. Le CICR a donc jugé nécessaire de déterminer si cette branche du droit était adéquate en l’état ou si elle devait être réaffirmée, éclaircie ou renforcée.

Il incombe au CICR, en sa qualité de garant du droit international humanitaire, de traiter ce genre de questions.

Pourriez-vous nous donner des exemples de problèmes liés au droit de l’occupation  qui ont été débattus ?

Presque toutes les situations d’occupation récentes ont soulevé des questions importantes concernant l’applicabilité et l’application du droit de l’occupation.

Les thèmes abordés ont été particulièrement divers. Il s’agissait notamment de savoir comment déterminer le début et la fin d’une période d’occupation, comment interpréter le droit de l’occupation afin de l’appliquer dans des situations où l’occupation dure pendant de longues années, quelle portée donner aux droits et aux devoirs des puissances occupantes (en particulier au moment de réformer les institutions du territoire occupé), et quel cadre juridique régit l’emploi de la force en territoire occupé, pour ne citer que quelques exemples.

Les spécialistes qui ont participé aux consultations ont examiné de telles questions, qui pourraient avoir des effets concrets sur la protection conférée par le droit international humanitaire aux personnes vivant sous l’occupation.

Pourquoi le CICR s’est-il penché sur ce sujet ?

L’objectif principal est de déterminer si le droit de l’occupation est toujours à même de répondre aux besoins pour lesquels il a été élaboré. L’idée est qu’une évaluation claire de l’état actuel du droit pourrait à terme permettre d’améliorer la protection accordée aux populations sous occupation militaire, en vertu du droit international humanitaire.

Comment le CICR a-t-il procédé pour évaluer l’état actuel du droit ?

Premièrement, le CICR a mené une étude interne pour recenser les principales difficultés pratiques qu’il rencontrait dans le domaine du droit de l’occupation.

Trois réunions ont ensuite été tenues selon la règle de Chatham House (qui interdit notamment aux participants de révéler plus tard qui a dit quoi). Trente experts – dont des représentants d’organisations internationales ou d’ONG, des experts gouvernementaux et des universitaires – y ont participé à titre personnel.

Le rapport résume les débats conduits aux réunions et présente les principales opinions exprimées par les participants. Dès lors, il ne reflète pas forcément le point de vue juridique du CICR sur les questions abordées.

Quels sont les sujets traités dans le rapport ?

Les spécialistes se sont penchés sur quatre sujets : le début et la fin de l’occupation, les droits et les devoirs d’une puissance occupante, l’applicabilité du droit de l’occupation en cas d’administration par l’ONU de territoires étrangers, et l’emploi de la force en territoire occupé.

Quelles sont les principales conclusions présentées dans le rapport ? Le droit international humanitaire permet-il de faire face aux conséquences de l’occupation sur le plan humanitaire ?

Globalement, le rapport réaffirme la pertinence du droit de l’occupation sous sa forme actuelle, ainsi que sa capacité d’apporter une réponse aux problèmes qui se posent aujourd’hui. Le CICR est convaincu que le droit de l’occupation permet de régler la plupart des difficultés humanitaires et juridiques découlant des occupations contemporaines.

Les réunions qui se sont tenues ont permis d’éclaircir des points importants, comme le début et la fin d’une période d’occupation classique, et ont donné des orientations sur des questions telles que les normes au titre desquelles la force peut être employée en territoire occupé.

Pensez-vous que le droit de l’occupation doive être actualisé ou renforcé ?

Le CICR estime que le droit de l’occupation n’a pas besoin d’être renforcé. Toutefois, il pourrait être bon d’éclaircir certaines règles existantes.

Le rapport que nous venons de publier contribue grandement à éclaircir des points. Il étaye certaines positions juridiques adoptées par le CICR dans des situations d’occupation récentes – par exemple lorsque l’occupation est le fait d’une coalition d’États ou de forces multinationales –, et aidera l’institution à se prononcer sur d’autres questions.

Quels pays font actuellement l’objet d’une occupation militaire ? Le rapport tire-t-il des conclusions quant au statut juridique de territoires ou de pays donnés ?

Le rapport ne porte pas sur un contexte particulier, ni même ne contient d’observations sur un contexte spécifique. Il aborde le droit de l’occupation sous l’angle de problématiques et non de pays ou de territoires.

Lorsque le CICR doit déterminer le statut d’une situation spécifique au regard du droit international humanitaire, il conduit ses propres recherches en se fondant sur les informations disponibles et fait part de ses vues en premier lieu aux autorités et aux autres parties concernées.

Nous n’exprimons pas toujours publiquement notre point de vue sur ce type de questions. Nous nous abstenons d’ailleurs de le faire dans les situations où cela aurait des conséquences négatives pour les personnes que nous cherchons à protéger et à aider.

Quelles sont les prochaines étapes ? Que compte faire le CICR à l’avenir pour éclaircir les dispositions du droit de l’occupation ?

Le rapport lui-même constitue un progrès notable. Nous espérons qu’il contribuera utilement à éclaircir certaines des questions et des dispositions les plus importantes du droit de l’occupation. Il nous permettra aussi de revoir ou de développer notre point de vue sur certains aspects de cette branche du droit.

De plus, nous discuterons du contenu du rapport avec différentes parties intéressées et nous les inviterons à présenter leurs commentaires. En sa qualité de garant du droit international humanitaire, le CICR s’emploiera toujours à promouvoir le droit de l’occupation, qui est une branche du droit international humanitaire.

 

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Tristan Ferraro, conseiller juridique au CICR 

Tristan Ferraro, conseiller juridique au CICR