Nigéria : Un vétéran de la guerre et du droit international humanitaire

24-06-2014 Interview

Le professeur Boniface Obinna Okere enseigne le droit international humanitaire et d’autres matières à l’Université du Nigéria à Enugu. Pendant la guerre civile nigériane, il était un jeune officier de l’armée du Biafra. Il nous parle aujourd’hui de son expérience du droit international humanitaire et du CICR.

Le professeur Okere est membre de la Commission du droit international de l’Union africaine, qui élabore des traités sur les questions revêtant un intérêt commun pour les pays africains. Il formule également des avis sur des problèmes juridiques touchant l’Afrique et sur les principes généraux du droit international concernant l’ensemble des pays africains.

Professeur Okere, vous enseignez actuellement à l’Université du Nigéria, mais est-ce vrai que, par le passé, vous avez également enseigné le droit international humanitaire à des soldats ?

Dans les années 1970, j’ai eu le privilège d’être invité à donner des conférences sur le droit international humanitaire à l’École d’état-major (Command and Staff College), l’un des établissements du Nigéria formant les officiers supérieurs de l’armée. Comme tout autre État signataire des Conventions de Genève, le Nigéria a l’obligation de diffuser les règles et les principes du droit international humanitaire.

Vous avez vécu la guerre civile nigériane, également appelée guerre du Biafra, en tant qu’officier de l’armée du Biafra. Le droit international humanitaire était-il connu et respecté à l’époque ?

Avant la guerre civile, si je me souviens bien, l’armée nigériane comptait 11 000 hommes environ. Les deux parties ont bien évidemment recruté au fil de l’escalade des hostilités. Au Biafra, en tenant compte des différentes milices et de l’armée régulière, je pense que nous étions près d’un demi-million d’hommes. Du côté nigérian, ils étaient trois fois plus nombreux, mais les hommes avaient été recrutés à la va-vite et les officiers n’avaient reçu qu’une formation limitée.

Quand l’État du Biafra a déclaré son indépendance, le chef de l’État a annoncé que le pays respecterait les obligations internationales incombant à un État, et a demandé l’admission du Biafra au sein de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation de l’Unité africaine, remplacée depuis par l’Union africaine. Lorsque la guerre a éclaté, il a déclaré que le Biafra se conformerait au droit international, notamment aux Conventions de Genève régissant la conduite des hostilités.

Je me suis engagé dans l’armée la semaine où j’ai obtenu mon diplôme. Nous suivions environ six semaines de formation à l’école militaire. L’accent était mis sur l’emploi des armes, mais on nous a également parlé des circonstances qui avaient conduit à la guerre et à la sécession du Biafra.

Il était important pour nous de nous battre de façon civilisée et avec humanité. Ce message a été transmis aux officiers de l’école militaire, sans entrer dans le détail des Conventions de Genève. Toutefois, les soldats ont reçu des explications quant à la teneur des Conventions, c’est-à-dire l’idée qu’il faut mener la guerre dans des conditions humaines et respecter le principe fondamental consistant à épargner les civils, les blessés et les prisonniers de guerre.

Les soldats ont-ils obéi à ces règles ?

Oui, dans une large mesure. La guerre n’était pas menée uniquement sur le champ de bataille ; c’était aussi une guerre idéologique, une guerre pour gagner les esprits et une guerre pour remporter la sympathie de la communauté internationale. Si vous voulez, c’était une guerre de propagande. La cause du Biafra s’en serait retrouvée affaiblie si ses troupes avaient commis des atrocités. C’est pourquoi, au moment où les Biafrais ont progressé dans le centre-ouest du Nigéria, nous nous y sommes présentés non pas comme l’armée du Biafra, mais comme l’armée de libération du centre-ouest. Pour nous, il s’agissait non pas simplement de conquérir un territoire, mais de gagner les esprits. Nous ne pouvions pas le faire en nous aliénant la population par des actes hostiles. Nous ne voulions pas être perçus comme une armée d’occupation.

Quand nous avons capturé des soldats des troupes fédérales, nous étions conscients de deux choses. D’une part, nous devions montrer que nous menions une guerre civilisée. D’autre part, si nous traitions mal nos prisonniers, il y avait de fortes chances pour que nos propres soldats tombés aux mains de l’ennemi soient mal traités. Nous avons respecté les lois de la guerre. Nous disposions d’un système judiciaire organisé et adéquat. Il existait des cours martiales, et j’ai même une fois servi comme procureur pour des violations du droit de la guerre.

Avez-vous rencontré la Croix-Rouge pendant la guerre ?

J’avais entendu parler de la Croix-Rouge. Nous savions qu’elle essayait d’atténuer les souffrances de la population.

La Croix-Rouge et une organisation catholique, Caritas, étaient les deux organisations qui fournissaient le plus de secours à la population au Biafra. Sans leur intervention, le kwashiorkor, une forme de malnutrition qui faisait des ravages, en particulier chez les jeunes enfants, aurait eu un taux de mortalité dramatique.

Par la suite, nous avons appris à la radio que la Croix-Rouge s’employait à mettre en place un couloir aérien pour l’acheminement de vivres et de médicaments au Biafra, mais le gouvernement nigérian s’y est opposé. Le Biafra a insisté pour avoir un couloir aérien, tandis que les troupes nigérianes voulaient un couloir terrestre. La situation était dans l’impasse, mais quelques organisations humanitaires et certains Européens ont pris des risques pour s’assurer que des secours parvenaient à la population. Ceux-ci étaient insuffisants, mais ils ont été d’une grande aide.

Pensez-vous que l’action de la Croix-Rouge a fait une différence ?

Absolument, une grande différence. En fait, sans la Croix-Rouge, les conséquences de la guerre auraient été bien plus dévastatrices. J’évoque la Croix-Rouge en particulier, parce que ses opérations étaient de très grande ampleur. La population lui était très reconnaissante de son aide.

Photos

Professeur Boniface Obinna Okere 

Professeur Boniface Obinna Okere
/ CC BY-NC-ND / CICR

Un délégué du CICR visite des prisonniers de guerre aux mains du Biafra. 

Guerre du Biafra, juin 1968.
Un délégué du CICR visite des prisonniers de guerre aux mains du Biafra.
/ CC BY-NC-ND / CICR / A. Porchet / v-p-ng-n-00007-30

Un secouriste de la Croix-Rouge biafraise. 

Guerre du Biafra.
Un secouriste de la Croix-Rouge biafraise.
/ CC BY-NC-ND / CICR / M. Vaterlaus / v-p-ng-n-00051-33a

Délégués devant la porte du bâtiment central, prêts pour le départ au Biafra. Le jeune homme à droite est le Dr Hercog, qui sera tué dans des affrontements près d’Okigwi le 30 septembre 1968. 

Siège du CICR, Genève, septembre 1968.
Délégués devant la porte du bâtiment central, prêts pour le départ au Biafra. Le jeune homme à droite est le Dr Hercog, qui sera tué dans des affrontements près d’Okigwi le 30 septembre 1968.
/ CC BY-NC-ND / CICR / v-p-ng-e-00367

Un médecin de la Croix-Rouge suédoise donne des vitamines aux enfants. 

Guerre du Biafra. Camp de réfugiés de Nto-Primo.
Un médecin de la Croix-Rouge suédoise donne des vitamines aux enfants. La guerre civile et le blocus, qui ont entraîné une pénurie de vivres et de médicaments essentiels, ont causé des problèmes de malnutrition et des épidémies. En juillet 1968, le CICR a lancé sa plus vaste opération de secours depuis la deuxième guerre mondiale, en coopération avec de nombreuses Sociétés nationales de la Croix-Rouge, des gouvernements et des organisations internationales, notamment l’UNICEF, le Conseil œcuménique des Églises et OXFAM. Les secours alimentaires ont sauvé la vie de nombreux enfants réfugiés.
/ CC BY-NC-ND / CICR / M. Vaterlaus / v-p-ng-n-00061-27

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