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République du Congo : "N'invoquons pas les fantômes du passé"

06-11-2006 Interview

Pour Christophe Martin, qui a dirigé la délégation du CICR en République du Congo jusqu'en octobre 2006, le processus de stabilisation politique donne des résultats encourageants. Pour autant, les autorités doivent assumer de manière plus évidente leurs responsabilités traditionnelles maintenant que la phase de post-urgence semble arriver à son terme.

 
  Pourquoi le CICR est-il toujours présent en République du Congo ?  

Nous sommes présent au Congo depuis le début des années 1990, et ce sans interruption. Il est vrai que les accords de cessez-le-feu et de cessation des hostilités de 2003 ont apporté un calme certain, mais nous nous trouvons toujours dans un contexte où les enjeux politiques restent bloqués. Tant que des questions cruciales n'auront pas eu de réponse, comme celles du désarmement des milices, on se trouvera dans un état d'incertitude, notamment dans la région du Pool. Cette situation empêche les agences de développement, onusiennes ou autres, ainsi que les bailleurs de fonds de s'impliquer dans des projets à long terme.

Pour des organisations tels que le CICR ou Médecins sans frontières, il s'agit d'assurer la transition entre le post-urgence et le pré-développemental. Le CICR soutient des centres de santé, met en œuvre des programmes d'eau et assainissement, renforce les capacités structurelles et opérationnelles de la Croix-Rouge congolaise. Nous diffusons de manière large les principes fondamentaux du droit international humanitaire auprès des forces de gendarmerie et de police. Nous continuons également à visiter des personnes privées de liberté.

  Quels sont les besoins les plus criants de la population, dans la région du Pool comme ailleurs ?  

Globalement, la population n'a pas accès à des soins de santé de qualité, même les plus élémentaires. L'accès à l'eau po se également problème, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Nous constatons aussi des difficultés dans le domaine de la relance économique, et tous ces problèmes sont exacerbés dans le Pool pour les raisons que je vous citais précédemment. Autre constat, mais qui dépasse la sphère d'intervention du CICR, c'est la faiblesse du système éducatif.

  Des incidents de sécurité assez sérieux ont entravé l'action du CICR dans le Pool…  

Effectivement, de septembre 2005 à janvier 2006, nos équipes sur le terrain ont dû gérer une série d'incidents de sécurité. À trois reprises, des actes de banditisme ont été commis à l'encontre d'équipes du CICR, avec des vols de matériel privé et professionnel, heureusement sans violence physique. Ce sont malgré tout des actes de banditisme et, ce qui est plus dérangeant, le fait de personnes qui connaissent parfaitement bien le CICR, qui savent qui nous sommes et ce que nous faisons. Les auteurs de ces incidents opèrent un jour contre la population civile, un autre en arrêtant des véhicules qui passent pour se saisir des biens qui ont une valeur marchande… C'est ce qui nous a motivé à dire que nous étions en deçà du seuil d'acceptabilité.

Ces incidents nous ont poussés à suspendre nos activités pendant une période de six semaines, le temps d'exiger tant auprès des autorités centrales à Brazzaville que du représentant principal du Conseil national de la résistance, le pasteur N'Tumi, les garanties nécessaires à la reprise de nos activités. Depuis, tout se déroule dans des conditions acceptables.

  De quelle manière le contexte régional influe-t-il sur la République du Congo ?  

Aujourd'hui, bien évidemment, tous les regards sont braqués sur Kinshasa. Le déroulement du premier tour des élections présidentielles en République démocratique du Congo a pu laisser penser que la situation pouvait se dégrader rapidement. Kinshasa et Brazzaville sont les deux capitales les plus proches du monde, séparées simplement par un fleuve de un kilomètre et demi de large. Comme on a coutume de dire, quand une de ses villes éternue, l'autre se met à toussoter. La principale difficulté consiste à planifier une réponse aux besoins humanitaires qui pourraient découler d'un afflux de réfugiés, ou d'une interruption des échanges commerciaux. Il faut savoir qu'une grande partie des biens de première nécessité, comme l'huile ou la farine, sont importés de Kinshasa.

  Dans quel état d'esprit se trouvent les donateurs et la communauté internationale, souvent découragés par la succession de conflits destructeurs ?  

La communauté internationale estime, et le CICR pose le même constat, que nous nous trouvons dans une nouvelle ère, malgré l'incertitude dont je parlais auparavant. Il y a eu des avancées politiques avec une certaine consolidation : on peut mentionner les élections de 2002, et des institutions et des infrastructures diverses ont fait la preuve de leur efficacité. Donc, à ce stade, il n'est pas nécessaire d'invoquer les fantômes du passé. 

À l'époque de la dernière explosion de violence ayant affecté le Pool, en 2002-2003, rien sur le plan politique n'était débloqué. Aujourd'hui, les autorités en place font preuve de plus de maturité, et je crois que le mot d'ordre de tous les acteurs est de dire maintenant que, même si le processus de stabilisation n'est pas encore abouti, il faut absolument éviter de connaître à nouveau les événements terribles du passé.

  Sur un plan plus personnel, qu'avez-vous retiré de votre mission en République du Congo ?  

C'est la mission la plus longue que j'ai effectué et ce pays et ses habitants m'ont particulièrement touché. Au-delà de ces considérations, je dois cependant évoquer une certaine frustration, celle de voir que les autorités ont de la peine à assumer leurs responsabilités lorsqu'il s'agit de reprendre le relais des projets que nous avons initié dans les domaines de la santé, de l'eau ou de la relance économique. Par de nombreux côtés, nous sommes sortis de la phase de post-urgence mais tout le travail de responsabilisation des autorités que nous avons entrepris débouche sur peu de résultats concrets.