Conférence sur le DIH et l’islam en Iran

28-11-2006 Interview

À l’occasion de la conférence sur l’islam et le droit international humanitaire, qui se déroule les 29 et 30 novembre 2006 à Qom, en Iran, le directeur adjoint des opérations du CICR, Andreas Wigger, parle des objectifs de ce forum.

     

    ©ICRC      
   
Andreas Wigger      
          Pourquoi une conférence sur l’islam et le droit international humanitaire à Qom (Iran), un haut lieu pour les musulmans chiites?  

Depuis 2005, des manifestations semblables ont été organisées ailleurs dans le monde musulman, dernièrement à Kaboul (Afghanistan), mais également, entre autres, à Islamabad, Aden, Fès et Dar es-Salaam. Elles étaient toutes censées co nstituer des instruments d’information mutuelle, d’une part sur le droit international humanitaire (DIH) moderne et d’autre part sur les traditions séculaires de certains aspects du droit international musulman et le grand héritage humanitaire de l’islam. Ces dernières années, le CICR a établi d’étroites collaborations avec des institutions et des personnalités musulmanes importantes dans la plupart des pays musulmans.

     
     
   
Le CICR n’est pas un nouveau venu dans le monde musulman. Peu après sa fondation, en 1863, il a mené ses premières activités humanitaires dans le monde musulman en aidant les victimes de ce qu’on appelle la guerre d’Orient (1875-1878), à laquelle l’Empire ottoman était partie. Depuis, le CICR a été actif dans presque tous les conflits ayant impliqué des pays musulmans. Par exemple, les guerres israélo-arabes depuis 1948, les guerres indo-pakistanaises en 1948, 1965 et 1971, les diverses guerres en Afghanistan de 1979 à nos jours, la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980, la première guerre du Golfe en 1990-91, les conflits plus récents en Albanie, en Bosnie et au Kosovo et ceux en cours en Indonésie, en Irak, au Cachemire, dans les territoires autonomes et les territoires occupés palestiniens, en Somalie et au Soudan. 
           
Ces deux dernières années, nous avons rencontré nombre d’éminents spécialistes de la jurisprudence islamique et les chefs de grandes institutions universitaires et religieuses iraniennes. Je dirais que la particularité de cette conférence est qu’elle sera consacrée aux résultats des recherches et à la tradition de Qom, qui est un haut lieu pour les chiites.

Cette conférence mettra en lumière l’héritage chiite ainsi que la pensée et les décisions judiciaires modernes sur des sujets liés à la guerre et aux prin cipes et règles humanitaires. L’islam a une tradition très riche lorsqu’il s’agit de garantir la dignité et le respect des victimes de conflits, ce qui constitue un défi important en cette période de relations internationales tendues.

La conférence de Qom est avant tout destinée aux intellectuels et spécialistes iraniens de la jurisprudence islamique. En fait, plus d’une centaine d’Ayatollahs et de Hodjatoleslams, ainsi que des chercheurs et des professeurs renommés y participeront. Un certain nombre d’érudits de pays voisins sont également invités.

L’organisation de cette manifestation est le résultat d’efforts conjoints de grandes institutions comme l’Association mondiale Ahl Al Beit, la Hauza de Qom, le ministère des Affaires étrangères, des universités et d’autres institutions, ainsi que la Société du Croissant-Rouge iranien et le CICR.

  Quel sera le point central des débats ?  

     

Le but est de créer une plateforme d’apprentissage pour les spécialistes du droit international humanitaire et ceux du droit musulman.

Cette plateforme leur donnera la possibilité de débattre de règles visant à soulager les souffrances des victimes de la guerre, en particulier celles des combattants blessés et des prisonniers de guerre. Nous discuterons également des limites fondamentales à imposer à la conduite de la guerre. Ces règles, ou limites, sont le fruit de grands efforts, tant intellectuels que moraux, qui ont été accomplis pour introduire un peu d’humanité dans la violente réalité de la guerre.

Un thème important des débats portera sur la façon d’obtenir un plus grand respect du droit international humanitaire e t des règles correspondantes du droit musulman. C’est un sujet récurrent dans les discussions menées avec les habitants de la région. Ils vivent des violations presque quotidiennes de la lettre et de l’esprit des Conventions de Genève. Et tout cela résonne dans l’ensemble du monde musulman.

     

  Qu’attendez-vous de ce genre de débat ? Existe-t-il un terrain d’entente entre la jurisprudence islamique et le droit international humanitaire ?  

     

L’idée d’avoir recours à l’héritage humanitaire de l’islam pour renforcer les fondations du travail humanitaire contemporain n’est pas totalement nouvelle. Ce qui est très stimulant, dans ce type de débat, c’est que les règles de base du droit humanitaire, comme l’obligation de protéger les blessés, les détenus et les civils, sont débattues avec des érudits religieux à la lumière des valeurs musulmanes et des dispositions de la jurisprudence islamique (Fiqh).

Ces débats montrent combien il est important que les juristes internationaux connaissent et comprennent la substance de la tradition islamique et la méthodologie qui détermine les obligations envers les victimes de guerre. D’un autre côté, les spécialistes du droit musulman reconnaîtront le caractère universel du DIH.

En fait, toutes les discussions engagées jusqu’ici par le CICR dans le monde musulman ont montré que rien, dans l’essence du droit humanitaire, ne contredit les règles de la charia concernées.

  À votre avis, comment une telle « plateforme » peut-elle contribuer à une meilleure compréhension entre les civilisations ?  

       

À mon avis, des événements comme cette conférence tirent leur légitimité du fait qu’ils permettent un dialogue non seulement « entre civilisations », mais surtout au sein d’une civilisation, la civilisation humaine, une civilisation d’humanité. Et nous pensons que des discussions comme celles que nous aurons ces deux prochains jours sont indispensables si nous voulons comprendre l’Iran, le Moyen-Orient, le monde musulman de leur point de vue, les voir avec leurs yeux, les vivre, comme ils le font dans leur cœur et leur âme. Nous pensons que cette conférence n’est pas un objectif en soi, mais plutôt une étape sur un chemin que nous parcourons ensemble.

En 2006, les plus grandes opérations du CICR ont été menées au Soudan, au Pakistan, au Liban, dans les territoires occupés et les territoires autonomes palestiniens, en Somalie, en Afghanistan et en Irak. Dans toutes ces situations, le CICR doit faire face au défi de sécuriser l’accès soit aux victimes de la violence armée, soit aux victimes de catastrophes naturelles qui se produisent dans des zones en conflit. Une autre caractéristique commune de ces situations est qu’elles se trouvent toutes dans le monde musulman. En fait, plus de la moitié du budget opérationnel du CICR a été dépensé dans des pays membres de l’Organisation de la conférence islamique, ce qui montre l’étendue des souffrances que connaissent de nombreux pays du Moyen-Orient, de la Corne de l’Afrique et du sous-continent indien.

Ces dernières années, cependant, des allusions au « choc des civilisations » et la prétendue « guerre contre le terrorisme » ont conduit nombre de communautés musulmanes à critiquer « l’Occident » et la communauté internationale. Le CICR a travaillé dans un environnement plus complexe et moins sûr. De ce fait, nous avons intensifié notre dialogue avec des chefs de communautés et des érudits dans différentes parties du monde musulman, dans le but de jeter les fondements d’une meilleure compréhe nsion mutuelle, de dissiper les idées fausses existantes et de trouver un terrain d’entente pour protéger la dignité humaine dans les situations de conflit armé.

Les discussions en cours sur les origines du droit humanitaire ont mis en évidence le fait que le droit est un ensemble de règles universellement accepté, reflétant les valeurs de différentes civilisations, cultures et croyances religieuses, en particulier celles de l’islam, en tant que religion mais également en tant que civilisation fière de disposer d’un système juridique complexe et d’une grande portée.