Kenya : les actions de secours sont maintenues, mais la situation demeure instable

13-02-2008 Interview

Tandis que des initiatives politiques sont prises pour mettre fin à la violence qui règne au Kenya depuis six semaines, le CICR prévient que la situation humanitaire demeure instable. Pascal Cuttat, chef de la délégation du CICR au Kenya, fait le point sur l’action de la Croix-Rouge et les défis à relever.

     

    ©ICRC      
   
    Pascal Cuttat      
          Qu’est-ce que la Croix-Rouge a entrepris jusqu’ici ?  

La Croix-Rouge du Kenya est le coordonnateur principal officiel des opérations de secours dans le pays et le CICR s’emploie à soutenir son action. La Croix-Rouge distribue des vivres (fournies par le Programme alimentaire mondial, des donateurs privés et le Gouvernement), des vêtement s donnés par des Kényens et des articles ménagers de première nécessité.

Dans les camps, le CICR travaille en collaboration avec divers organismes des Nations Unies et d’autres organisations non gouvernementales, afin d’assurer une bonne gestion des camps et des services appropriés. Il a également aménagé des systèmes d'approvisionnement en eau et d'assainissement, et mis en place des dispensaires et un soutien psychosocial.

L’Agence centrale de recherches du CICR s’attache à réunir les membres de familles qui ont été séparés par la crise, en accordant une attention particulière aux enfants non accompagnés et aux personnes âgées. En outre, elle rencontre régulièrement le Gouvernement et d'autres autorités pour les sensibiliser aux problèmes humanitaires et leur demander instamment de prendre des mesures appropriées.

  Quelle contribution spécifique le CICR a-t-il apportée ?  

     

Depuis le début de la crise, le CICR travaille en étroite collaboration avec ses homologues de la Croix-Rouge du Kenya, à la fois sur le terrain et au siège, en leur offrant son assistance technique et ses compétences. Il a notamment mis à disposition :

  • 16 tonnes de compléments alimentaires (connus sous le nom de « BP-5 ») ;

  • 16 500 assortiments d’articles ménagers, ainsi que 15 000 bâches pour construire des tentes ; 

  • du matériel pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement ;

  • des trousses médicales pour traiter 350 blessés, ainsi que 300 kg de fournitures et de matériel médicaux ;

  • des équipes chirurgicales et méd icolégales chargées d’aider les hôpitaux dans les régions touchées à mettre en place les procédures nécessaires pour faire face à la crise.

Il a également détaché du personnel (des expatriés et des Kényens) chargé de travailler à plein temps avec la Croix-Rouge du Kenya à Kisumu, à Eldoret, à Nakuru et à Bungoma. Il a, par ailleurs, déployé 13 camions et remorques, 17 véhicules légers, ainsi que deux avions du CICR et un hélicoptère, qui sont l’épine dorsale des opérations de la Croix-Rouge au Kenya.

  Quel est le rôle de vos médecins légistes ? (Détermineront-ils combien de personnes ont été tuées par les forces de l’ordre ou d'autres acteurs ?)  

     

Les médecins légistes ont travaillé avec les autorités dans les morgues d’Eldoret, de Nakuru, de Naivasha et de Molo à la demande du ministère de la Santé, afin de les aider à établir des systèmes appropriés pour faire face à l’afflux massif de corps. Ces prochaines semaines, un médecin légiste prêtera son concours aux autorités responsables des morgues dans d’autres communautés touchées. Les médecins légistes veillent en particulier à ce que les corps soient identifiés en bonne et due forme, lorsque les dépouilles sont grièvement défigurées (brûlées) ou lorsqu’elles risquent d’être ensevelies avant d'avoir été identifiées par un proche. Le CICR prend part à ce type d’activités dans le monde entier pour s’assurer que les familles sont informées du sort de leurs proches, qu’elles peuvent accomplir leur travail de deuil et que les procédures d’identification sont les moins traumatisantes possibles pour les proches des victimes. 

     

  Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de déployer des équipes chirurgicales ?  

     

Les équipes chirurgicales ont été déployées à la demande des autorités hospitalières locales et du ministère de la Santé. Un chirurgien a été détaché auprès du Moi Teaching and Referral Hospital d’Eldoret, le 1er janvier, pour faire face à l’afflux soudain de patients victimes des violences qui ont suivi l’annonce des résultats des élections (l’incendie d’une église). Il a non seulement pratiqué des opérations, mais aussi aidé les autorités hospitalières locales à mettre en place certaines procédures, notamment un système de triage, pour gérer l’arrivée massive et subite de blessés. Une deuxième équipe a ensuite été envoyée au Moi Hospital d’Eldoret, afin de faciliter la prise en charge des cas difficiles tels que les brûlés et les blessés présentant des complications. L’équipe est restée près de trois semaines à l’hôpital et a laissé sur place des greffons de peau et d’autres équipements plus perfectionnés. La troisième équipe s’est rendue à Naivasha et à Nakuru pour apporter toute assistance requise au personnel médical local. Le CICR a en outre approvisionné ces hôpitaux en médicaments, pansements et autres équipements nécessaires pour traiter les victimes de la violence. Il a également constitué une équipe chirurgicale mobile pouvant intervenir rapidement pour fournir une assistance temporaire en cas d’afflux soudain de blessés. 

  Combien de personnes ont été déplacées ?  

     

Les chiffres les plus récents fournis par la Croix-Rouge du Kenya indiquent que près 300 000 personnes vivent actuellement dans des camps dans la vallée du Rift, dans la Province occidentale, à Nyanza, dans la Province centrale et dans la région de Nairobi. Toutefois, la situation est très changeante : des nouveaux actes de violence provoquent d’autres déplacements, tandis que les périodes d’accalmie incitent les personnes déplacées à se rendre dans des régions plus sûres, dans des camps plus grands ou hors des régions touchées. 

  Les personnes déplacées bénéficient-elles d’une aide appropriée ?  

     

À la mi-janvier, les distributions initiales de vivres et d’articles ménagers de première nécessité à tous les principaux groupements de personnes déplacées étaient terminées. L’escalade de la violence a alors provoqué une nouvelle vague de déplacements, impliquant bien souvent l'établissement de nouveaux camps dans différentes régions. Les distributions se poursuivent, tout comme les efforts déployés pour garantir des systèmes appropriés d’approvisionnement en eau et d’assainissement dans ces camps. 

  La Croix-Rouge a-t-elle pu se déplacer librement dans les régions touchées ? Avez-vous accès aux personnes ayant besoin d’assistance ?  

     

Du fait de l’action menée de longue date par la Croix-Rouge du Kenya, l’emblème de la Croix-Rouge est bien connu et respecté dans l’ensemble du pays. Hormis quelques situations tendues, il a été possible de déplacer le personnel et les secours de la Croix-Rouge depuis le début des violences et d’atteindre les personnes ayant besoin de notre aide.

  Quels sont les principaux problèmes que vous rencontrez ?  

     

La situation demeure très fluide : des nouveaux incidents sont survenus dans différentes zones de la vallée du Rift, de la Province occidentale et de la région de Nyanza et l'on peut craindre une escalade de la violence à une plus grande échelle. Il est possible que d’autres groupes se déplacent et que les mouvements des populations déplacées se poursuivent.

Par conséquent, nous devons constamment faire preuve de flexibilité. Il est difficile de planifier l’aide lorsqu'on ne sait pas combien de temps les personnes déplacées resteront dans un lieu donné.

  Fin janvier, le CICR a déclaré que la violence interethnique risquait d’échapper à tout contrôle – qu’est-ce qui vous a incités à le faire ?  

     

Le CICR a décidé d’exprimer publiquement sa profonde préoccupation face à la situation, à la suite d’une série d’attaques, de représailles et de contre-représailles qui ont commencé à la mi-janvier. Il était et reste préoccupé à l'idée que ces attaques interethniques ne provoquent davantage de violences, suscitant d'autres représailles et attisant la haine parmi les communautés.

De plus, ces incidents se sont avérés particulièrement sinistres et semblaient s’étendre géographiquement. C’est la raison pour laquelle le CICR a jugé nécessaire d’appeler publiquement tous les dirigeants, aux niveaux national et local, à mettre tout en œuvre pour garantir le respect de la vie et de la dignité humaines.