Kenya : centre logistique clef pour la Corne de l’Afrique

20-05-2008 Interview

Bien avant la violence consécutive aux élections qui a placé l’an dernier le CICR et la Croix-Rouge du Kenya face à une situation d’urgence, la délégation de Nairobi a été un centre clef en termes de logistique et de soutien pour le CICR. Après avoir passé cinq années sur le terrain, Pascal Cuttat, ex-chef de délégation, explique l’évolution du rôle du CICR tout au long des années et le secret de sa coopération efficace avec la Croix-Rouge du Kenya au cours de la récente crise.

  Vous avez été chargé pour la délégation régionale à Nairobi de couvrir le Kenya, la Tanzanie et Djibouti au cours des cinq dernières années. Lorsque l’on songe au Kenya et à la Tanzanie, on s’imagine la faune et la flore abondantes, la nature remarquable et les stations de villégiature, exception faite de la violence tragique qui a suivi les élections. Comment expliquer la présence du CICR dans cette région qui, jusqu’à la fin de l’an dernier, était relativement stable ?  

En effet, le Kenya était, à de nombreux égards, un pays stable doté d’une infrastructure relativement bonne (port de Mombasa, chemin de fer et route jusqu’aux lacs). C’est pourquoi, le CICR y a établi, il y a des années, un centre de logistique et de soutien pour nos délégations dans les pays qui entourent le Kenya. Tous les pays avoisinants, à l’exception de la Tanzanie, sont en guerre ou l’ont été ces dernières années. Par exemple, nous gérons le plus grand hôpital mobile à Lokichokio près de la frontière soudanaise. Lorsque l’hôpital a été transféré aux autorités kényanes en 2006, quelque 40 000 patients y avaient été traités, principalement des victimes du conflit du Sud-Soudan.

La Tanzanie accueille une des populations les plus importantes de réfugiés du monde et en particulier d’Afrique. En Tanzanie, nous nous préoccupons surtout du sort des mineurs non accompagnés dans les camps de réfugiés. Le CICR réunit les familles, entre les camps ou à travers les frontières, lorsque cela est possible. Nous avons aidé des milliers de familles séparées à reprendre contact au cours des dernières années.

Le problème qui se pose à Djibouti s’explique da vantage par les catastrophes naturelles que par le conflit puisqu’il n’y a plus de guerre civile et que l’accord de paix tient toujours. Les autorités de Djibouti doivent aujourd’hui mettre en place des capacités capables d’agir face aux sécheresses et aux inondations qui se produisent régulièrement. Le CICR soutient le Croissant-Rouge de Djibouti à mieux relever les défis humanitaires dans le pays.

  Quel a été le plus grand défi humanitaire pour le CICR au cours des cinq années que vous avez passées ici?  

Concernant le Kenya, il est clair que les affrontements ethniques ont toujours fait des victimes. Des dizaines de personnes ont été tuées et blessées bien avant que la violence ne secoue le pays après les élections. Cette situation a été rejetée trop facilement comme étant un phénomène prévisible dans un environnement pastoraliste. Bon nombre n’ont pas fait les efforts voulus pour comprendre les raisons profondes de ces affrontements et tenter d’y apporter une solution. Le défi a consisté à ce que la délégation de Nairobi s’intéresse à cette situation et soit capable d’y faire face. Les différends sur les terres et les ressources en eau se multiplient dans la Corne d’Afrique. Je suis fermement convaincu que la rareté des ressources naturelles, combinée aux tensions entre groupes ethniques, deviendra un sujet de préoccupation dans les années à venir.

C’est dans le mont Elgon que la situation est aujourd’hui la plus préoccupante car des dizaines de milliers de personnes y sont touchées par le conflit. Un grand nombre de ces personnes souffrent terriblement. Notre action consiste donc à alléger leurs souffrances par tous les moyens à notre disposition et en coopération avec la Croix-Rouge du Kenya.

  Comment décririez-vous l’évolution de l’engagement du CICR dans la région depuis vos débuts au bureau en 2003 jusqu’à ce jour ?  

La délégation de Nairobi a diversifié ses activités au Kenya avec le temps. Nous avons examiné les questions relatives aux affrontements interethniques et nous nous sommes donné les moyens d’y faire face. La délégation a proposé des projets et a bénéficié de soutien à la fois au sein du CICR et de la part des donateurs.

Il est difficile de mettre en exergue un exemple bien particulier dans les nombreux programmes. Toutefois, je souhaiterais mentionner West Turkana et Pokot dans le nord-ouest du Kenya. Le CICR y a construit des écoles pour les deux communautés afin de permettre aux enfants de recevoir l’enseignement de base dans un environnement adapté.

Les affrontements armés entre les deux tribus ont contraint de nombreuses familles à quitter la région et forcé les enfants à abandonner l’école. Nous avons passé beaucoup de temps à tenter d’instaurer un dialogue fondé sur l’identité culturelle dans une situation de conflit, et surtout, un certain respect pour les non-combattants de part et d’autre. Nous avons fait en sorte que les communautés se parlent et discutent de questions, par exemple : quel terrain d’entente existe entre un Pokot et un Turkana et le système de valeurs du CICR en tant qu’organisation humanitaire ?Comment se mettre d’accord sur certains fondements tels que la protection des femmes, des enfants, des personnes âgées et des non-combattants ?

  Comme nous l’avons mentionné, les élections générales tenues en décembre 2007au Kenya ont été suivies par une explosion de violence sans précédent qui a eu des incidences importantes sur la population des zones touchées. La Croix-Rouge du Kenya, avec le soutien du CICR, a fait rapidement face aux besoins humanitaires, elle a notamment remis en état les points d’eau, et distribué des vivres et des articles ménagers de première nécessité aux milliers de personnes déplacées. Comment le CICR a-t-il réussi à agir immédiatement face à une situation si complexe alors que la délégation n’avait eu qu’à mener des petites opérations les années précédentes ?  

Cela s’explique à la fois par les efforts et les capacités mises en oeuvre. Les capacités déjà en place, notamment le centre régional de logistique, chargé de la logistique en Afrique et au-delà, le personnel supplémentaire envoyé de Genève dans le cadre de l'unité de déploiement rapide récemment mise en place, l'expérience de la délégation concernant toutes les actions déjà menées dans l'environnement kényan à ce jour, et bien sûr, les capacités de la Croix-Rouge du Kenya. Toute seule, la Croix-Rouge du Kenya n’aurait jamais pu mener toutes ces opérations à bien et le CICR n’aurait pas non plus été en mesure de les mener seul. Ensemble, nous avons réussi à mettre en place l’action de la Croix-Rouge sur le terrain, littéralement deux semaines avant d’autres.

  Comment décririez-vous le partenariat entre la Croix-Rouge du Kenya et le CICR pendant cette période ?  

L’élément essentiel de ce partenariat était la confiance et le respect mutuel sans concurrence interne. De plus, la situation à la fois sur le terrain et la situation de notre partenariat étaient sans cesse analysées avec la plus grande honnêteté. C'était une leçon d'humilité pour toutes les parties prenantes avec un fort sentiment de respect des priorités de l’autre, de respect des zones interdites et du respect des besoins mutuels.

  Sur un ton personnel, quel sont les moments les plus lumineux de votre séjour à Nairobi?  

Nairobi est une ville importante pour ma famille et elle le restera toujours. Non pas en raison des animaux et de la beauté de l’env ironnement, mais pour les êtres humains. Nous avons des amis ici et bien qu’en mission pour le CICR, c’est la première fois que ma famille n’a pas été obligée de vivre dans le cadre de mon travail. Nous avions tous une vie privée ici, ce qui assurément nous manquera à l’avenir même si nous nous réjouissons beaucoup à l’idée de notre prochaine mission qui nous emmènera au Pakistan.