Cisjordanie : les colonies illégales mettent les Palestiniens à rude épreuve

10-06-2009 Interview

La violence des colons et les importantes restrictions de mouvement pèsent lourdement sur la vie de tous les jours des Palestiniens du sud de la Cisjordanie occupée et des habitants de la vieille ville d’Hébron en particulier. Chef du bureau du CICR à Hébron depuis septembre 2007, Matteo Benatti fait le point sur la situation.

  

 

           
       

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À Hébron, la situation est particulièrement pénible pour les personnes âgées qui doivent parcourir de longues distances pour amener leurs provisions chez elles.      
               
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Le CICR doit parfois intervenir pour que les ambulances puissent accéder à la vieille ville d'Hébron.      
               
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Le CICR distribue de l’eau par camion aux familles d'éleveurs et aux Bédouins vivant dans les collines au sud d’Hébron.      
               
   
     
     
   
    Matteo Benatti, chef de la sous-délégation du CICR à Hébron.      

          

Quels problèmes humanitaires rencontre-t-on à Hébron ?  

Les colonies compliquent considérablement l’existence de la population palestinienne, et ce, à de nombreux égards. Environ 600 colons sont implantés dans la vielle ville d’Hébron, où ils vivent en étroite proximité avec quelque 30 000 Palestiniens. Les autorité s israéliennes imposent des mesures de sécurité très strictes ; elles ont notamment établi des points de contrôle dans cette partie de la ville, entre autres au Caveau des patriarches, un important lieu de pèlerinage que se partagent juifs et musulmans. Certaines routes sont fermées aux Palestiniens, qui ne sont pas autorisés à se rendre chez eux en voiture.

Les restrictions de mouvement, ajoutées à la violence récurrente des colons, rendent le quotidien des Palestiniens très difficile.

  Quels sont les problèmes auxquels les Palestiniens doivent faire face ?  

Pour s’approvisionner en nourriture, par exemple, des centaines de familles palestiniennes doivent franchir des points de contrôle, où elles subissent fréquemment des actes d’intimidation de la part des colons. Les femmes sont tout particulièrement vulnérables à cette forme de harcèlement, d’autant plus que les Palestiniens n’ont pas le droit d’utiliser leurs voitures sur beaucoup de ces parcours, ce qui oblige les femmes à passer les points de contrôle à pied. En raison des fermetures de routes, des personnes âgées se voient obligées de porter des sacs remplis de provisions sur de très longues distances.

Il arrive aussi que des ambulances emmenant en urgence des patients palestiniens vers des hôpitaux soient longuement retenues aux « checkpoints ». Les familles sont ainsi parfois obligées de transporter leurs proches malades sur des civières, ou d’avoir recours à des ânes, pour les amener jusqu’à un endroit où les attend une ambulance.

Les restrictions de mouvement et la violence des colons sont quasiment venues à bout de la vie économique de la vieille ville. Certains commerçants ont même reçu l‘ordre de l’armée de fermer boutique. D’autres ont perdu leurs clients, car les Palestiniens redoutent de s'approcher de trop près des colonies juives. La pauvreté est galopante. Selon une étude menée par le CICR l'été dernier auprès des foyers habitant la zone soumise aux restrictions, 86% des familles vivent dans des conditions de pauvreté relative, ne disposant que de 97 dollars US par personne et par mois pour se nourrir, s’habiller et subvenir à d’autres frais de subsistance.

La plupart des Palestiniens habitant la vieille ville ont dû installer des treillis de protection devant leurs fenêtres, qu’ils maintiennent fermées en permanence, pour éviter les jets de pierres, de légumes pourris ou encore d’urine. Pour les enfants, le seul fait de se rendre à l’école peut être une aventure traumatisante compte tenu des menaces que leur adressent les colons ou des pierres qu’ils leur jettent. Vivre dans cette atmosphère de tensions permanentes est une expérience épuisante pour les familles.

  Que peut faire le CICR dans une situation comme celle-ci ?  

Nous recevons régulièrement des appels téléphoniques au milieu de la nuit de familles palestiniennes agressées par des colons ou attendant désespérément une ambulance retenue à un point de contrôle. Lorsque des personnes sont en difficulté, nous intervenons auprès de l’administration civile locale et des forces armées israéliennes. Heureusement, cela a souvent des effets positifs ; je dirais qu’en général, nous entretenons de bonnes relations de travail avec les autorités israéliennes locales.

Nous sommes également en mesure d’apporter une aide pratique aux familles. Chaque mois, nous fournissons par exemple des vivres à près de 7 000 personnes. Certaines familles ont en outre reçu des ruches d’abeilles ; elles produisent un excellent miel, pour leur propre consommation et pour en vendre une partie. Nous avons aussi aidé certains foyers à aménager des potagers sur les terrasses de leur immeuble, leur permettant ainsi de cultiver des légu mes frais. Et si ce n’est certes pas une véritable solution à leurs problèmes, cela contribue tout au moins à alléger la difficile situation économique de ces gens.

En vertu du droit international humanitaire, les autorités israéliennes, en tant que puissance occupante, ont le devoir d’approvisionner la population sous occupation en vivres et en fournitures médicales, ainsi que d’assurer l’ordre et la sécurité publics. Pour nous, collaborateurs du CICR, il est frustrant de ne pas pouvoir apporter toute l’aide que nous souhaiterions et de ne pas constater d’amélioration. Cela dit, nous continuons à espérer que les restrictions de mouvement seront allégées.

  Quelle est la situation dans le sud de la Cisjordanie ?  

La zone de Masafer Yatta, la plus méridionale de la Cisjordanie, est un autre endroit où la violence des colons s’exprime de manière exacerbée. Cette région abrite des milliers de bergers et de Bédouins habitués à se déplacer librement pour faire paître leurs moutons et leurs chèvres. Or il n’est pas rare que des bergers occupés à surveiller leurs troupeaux, y compris des femmes et des enfants, soient agressés. En outre, certains villages sont situés dans ce qui est aujourd’hui une zone d'entraînement militaire israélienne. Tout déplacement peut y être particulièrement dangereux.

Le climat très rude qui prévaut dans la région n’est pas pour arranger les choses. Les terres sont arides et stériles, et les collines n’acquièrent une légère nuance verte que deux mois durant, au printemps. Faute de trouver de l’eau et de la nourriture en suffisance, nombreux sont les éleveurs qui ont été contraints de réduire la taille de leurs troupeaux.

  Comment les familles s’en sortent-elles dans des conditions si extrêmes ?  

Il leur est toujours plus difficile de faire face. Il semblerait, par ailleurs, que nous nous acheminions vers une nouvelle sécheresse, cette année, ce qui risque d’aggraver encore davantage la situation des nombreuses familles vivant dans les collines au sud d’Hébron, et qui souffrent déjà d‘une pénurie chronique d’eau. Les autorités israéliennes n’autorisant pas les Palestiniens à construire de nouvelles citernes pour recueillir l’eau de pluie, le CICR fournit des réservoirs mobiles aux familles qui en ont le plus besoin.

Cela réduit le temps qu’elles passent à se procurer de l’eau, les réservoirs permettant de stocker de l’eau potable en quantité suffisante pour répondre aux besoins hebdomadaires d’un foyer. Avant, les familles achetaient l'eau à des convoyeurs ; souvent à un prix très élevé. Aujourd'hui, cet argent peut leur servir à satisfaire d'autres besoins essentiels.