Cueillette des olives en Cisjordanie : pas aussi simple qu’il n’y paraît

30-11-2009 Interview

En Cisjordanie occupée, environ 10 millions d’oliviers aident quelque 100 000 familles à subvenir à leurs besoins. Depuis plusieurs années, la cueillette est entravée par un accès restreint. Entretien avec Tom Glue, qui coordonne le programme de sécurité économique du CICR dans le territoire.

     
©ICRC      
   
    Tom Glue, coordinateur des programmes de sécurité économique du CICR.      
       

       
©Reuters / N. Hashlamoun      
   
Village de Surif, Cisjordanie. Des Palestiniens cueillent des olives non loin de la barrière de sécurité.      
           

  Pourquoi la cueillette annuelle des olives est-elle si importante pour les familles palestiniennes qui vivent en Cisjordanie occupée ?  

Les revenus d’environ 100 000 familles palestiniennes, dont la plupart se trouvent en Cisjordanie, dépendent dans une plus ou moins grande mesure de la cueillette des olives. Je précise « plus ou moins grande » car la cueillette des olives constitue essentiellement un revenu d’appoint pour ces familles. Néanmoins, vu le taux de chômage élevé et le nombre de personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts, une bonne cueillette peut vraiment contribuer de manière substantielle au budget d’une famille.

Les oliviers et la cueillette représentent également une partie importante de la tradition et de l’héritage palestiniens. Les oliveraies se transmettent de génération en génération, les arbres pouvant vivre des centaines d’années. Ils symbolisent donc le mode de vie des Palestiniens ainsi que le lien profond qui les unit à leur terre. En général, tous les membres de la famille participent à la cueillette. C’est un effort collectif, qui réunit jeunes et moins jeunes.

Cependant, depuis plusieurs années, la cueillette des olives est entravée par l’accès restreint aux oliveraies dans les zones situées entre la barrière de Cisjordanie et la ligne d’armistice de 1949, appelée « Ligne verte ». Il est arrivé que des colons agressent des agriculteurs et les empêchent faire la cueillette.

  Que pouvez-vous nous dire sur la cueillette de cette année ?  

Elle s’est déroulée sa ns incident majeur, ce qui constitue une amélioration par rapport aux années précédentes. Les autorités palestiniennes et israéliennes ont organisé conjointement l’accès des agriculteurs palestiniens aux zones restreintes autour des colonies de peuplement et de l’autre côté de la barrière de Cisjordanie. Le CICR a suivi la cueillette mais n’a jamais dû intervenir comme il l’avait fait les années précédentes, par exemple lorsque les portes d’accès aux oliveraies restaient fermées. 

Ces bonnes nouvelles doivent cependant être tempérées par le fait que des milliers d’arbres ont été coupés ou brûlés par des colons plus tôt dans l’année. En outre, dans certaines zones, les agriculteurs palestiniens ont dû demander pour la première fois des autorisations pour pouvoir accéder à leurs terres de l’autre côté de la barrière. Environ 400 demandes ont été présentées pour la partie sud de la Cisjordanie et moins de la moitié ont été acceptées. Dans la plupart des cas, les autorités israéliennes ont invoqué à l’appui de leur refus le fait que les agriculteurs n’avaient pas de titre de propriété valable.

  Quels sont les effets des restrictions d’accès sur les agriculteurs ?  

Contrairement à ce que l’on dit souvent, les oliviers ont besoin de beaucoup d’entretien tout au long de l’année pour produire une bonne récolte. Dans des circonstances normales, les agriculteurs se rendent chaque mois dans leur oliveraie pour procéder à la taille, répandre des engrais, désherber ou protéger les arbres contre les insectes ou les maladies. D’après une étude du CICR, le rendement peut baisser jusqu’à 80 % si le terrain et les arbres ne sont pas bien entretenus. Un agriculteur qui n’a accès à ses terres qu’une seule fois par an souffre donc à la fois sur le plan économique et sur le plan psychologique.

De plus, un agriculteur peut être totalement impuis sant si ses arbres brûlent (il ne peut tout simplement pas se rendre sur ses terres pour éteindre le feu) ou sont déracinés par des colons. On peut bien sûr planter de nouveaux oliviers, mais il faudra attendre jusqu’à quinze ans pour retrouver un plein rendement. La perte d’arbres peut par conséquent entraîner des années de difficultés financières pour des familles et parfois pour des communautés agricoles entières.

  Que peut faire le CICR pour les agriculteurs confrontés à ces problèmes ?  

Nous cherchons surtout à aider les personnes qui vivent au centre de la Cisjordanie, où le tracé de la barrière a pratiquement coupé l’accès à de nombreuses oliveraies.

Nous soutenons les agriculteurs de différentes manières. Par exemple, cet hiver, nous fournirons 70 000 plants d’oliviers aux agriculteurs qui n’ont pas pu soigner leurs arbres correctement, ou dont les arbres ont été déracinés ou brûlés. Remplacer des arbres coûte cher ; c’est donc une manière efficace de les aider.

Normalement, il faut des heures pour cueillir toutes les olives d’un seul arbre, selon le nombre de cueilleurs. Mais certains agriculteurs, dont les oliveraies se trouvent de l’autre côté de la barrière ou sont proches des colonies, ne se voient accorder par les escortes militaires israéliennes que relativement peu de temps pour ce faire. Pour accélérer la cueillette, nous avons donc fourni des bâches en plastique et des engins mécaniques qui permettent de secouer les troncs. Les olives tombent sur la bâche et peuvent être recueillies dans des sacs.

Nous apportons aussi une assistance au cas par cas à des familles ayant des besoins particuliers. Par exemple, nous avons aidé un agriculteur âgé et sa femme qui ne pouvaient rejoindre leur oliveraie que très difficilement car les points de franchissement de la barrière se trouvaient à des kilomèt res de chez eux. Nous leur avons donné un âne et une charrette, ce qui leur a permis d’accéder plus facilement à leur terrain.

  Comment envisagez-vous l’avenir de la cueillette des olives en Cisjordanie ?  

Compte tenu de l’expérience de cette année, j’espère que la récolte posera moins de problèmes dans les années à venir. Une récolte sans incidents serait une heureuse évolution. 

Cela dit, la récolte ne sera jamais tout à fait normale tant que les propriétaires des terrains qui se trouvent à proximité des colonies et derrière la barrière de Cisjordanie n’auront pas accès à leurs arbres toute l’année. On devrait également leur donner plus de latitude pour exporter leur huile d’olive. Les oliviers qui se trouvent sur le territoire palestinien produisent en moyenne 20 000 tonnes d’huile par an, ce qui signifie qu’une bonne récolte provoque un excédent, qui entraîne une chute des prix.

Alléger les restrictions imposées par Israël et autoriser qu’une partie de la récolte d’huile soit vendue à l’étranger améliorerait véritablement la situation, non seulement des agriculteurs et de leur famille, mais de toute l’économie de la Cisjordanie. Enfin, et c’est peut-être le plus important, Israël a l’obligation, au regard du droit international humanitaire, de garantir à la population palestinienne vivant sous occupation une vie aussi normale que possible.