Respect et protection du personnel d'organisations humanitaires

19-01-1998 Rapport

Document préparatoire du Comité international de la Croix-Rouge pour la 1re réunion périodique sur le droit international humanitaire, Genève, 19 - 23 janvier 1998

  Sommaire  

 
Respect et protection du personnel d'organisations humanitaires    
Introduction    
I. Conditions de sécurité    
1. L'environnement de l'action humanitaire    
2. L'action humanitaire et ses principes    
3. Les acteurs et l'éthique humanitaire
 

(a) Contexte local

(b) Médias

(c) Prolifération des acteurs humanitaires

(d) Nécessité d'une éthique humanitaire

 

4. L'action humanitaire et les opérations de maintien de la paix    
5. La protection physique des acteurs humanitaires    
II. Protection juridique du personnel d'organisations humanitaires    
1. Introduction    
2. Protection du personnel humanitaire en droit international humanitaire
 

2.1 Les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977

(a) Protection par l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge

(b) Protection du personnel humanitaire participant aux actions de secours

2.2 Mesures de protection contre les mines

 
3. Autres mesures juridiques de protection
 

3.1 Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé

3.2 Résolutions des Nations Unies

(a) Assemblée générale

(b) Conseil de sécurité

3.3 Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre

3.4 Privilèges et immunités des organisations internationales

 

4. Évaluation de la protection juridique    
III. Pistes de réflexion pour l'amélioration de la protection du personnel d'organisations humanitaires    
1. Mesures préventives en temps de paix    
2. Principes opérationnels et éthique de l'action humanitaire      
3. Concertation entre acteurs humanitaires et coordination des activités    
4. Mesures spécifiques visant la sécurité du personnel d'organisations humanitaires    
5. Enquêtes et poursuites pénales    
6. Responsabilités de la communauté internationale
       
 

  Respect et protection du personnel d'organisations humanitaires  

     

  PERU. 10.02.1996.   "On the way to the airport a car violently crossed in front of us, forcing us to stop. Three people, dressed as policemen/military, with bullet-proof jackets, jumped out of the car and ran towards us aiming at us with their weapons and identifying themselves as policemen. They requested my documents and when I moved to get the passport one of the assaillants shouted at me and introduced his weapon in my mouth, causing an injury in the upper lip. We were driven away to an isolated area, interrogated and threatened; then we were taken to the second car, the one they had used to make us stop, where they took our money, watches and my suitcase. Finally we were released and could walk to our car" .

  RWANDA. 18.01.1997. Plusieurs points de la ville de Ruhengeri ont été attaqués par des hommes armés non identifiés. Les objectifs furent variés mais comprenaient plusieurs bâtiments d'organisations humanitaires. Pénétrant dans celui de Médecins du Monde, les assaillants le mirent à sac, tuèrent trois employés espagnols d'une ou plusieurs balles dans la tête et blessèrent un employé américain qui dut subir une amputation de la jambe. Suite à ces attaques ciblées, les activités locales des organisations humanitaires ont été réduites et la quasi-totalité des expatriés évacués.

  MALI. 16.09.1993.   "Deux hommes armés s'approchent de la voiture, deux autres restent à une dizaine de mètres. L'un d'eux vient vers moi et me fait signe de sortir de la voiture. Je tends la main pour prendre mon sac. Il hurle quelque chose et me tire des coups de feu devant les pieds dans le sable. J'essaie de parler avec lui mais il m'interrompt tout de suite avec une nouvelle rafale. Entre-temps, un deuxième homme a fait sortir les autres occupants. Il nous chasse de la piste en tirant des balles derrière nous. L'attaque a duré dix minutes. Ils partent avec notre voiture, nous laissant en plein après-midi dans le désert, sous le soleil, avec une seule petite gourde d'eau" .

  SOMALIE. 14.01.1993. S'étant introduits dans le bâtiment de la sous-délégation du CICR de Bardera, trois hommes armés menacent l'équipe présente et réclament de l'argent dans un état d'excitation extrême. Faisant suite à leur demande et se dirigeant vers le lieu où se trouvent les clés des caisses, l'administrateur est abattu par l'un des hom mes armés. Après une légère hésitation ces derniers s'emparent des caisses et prennent la fuite.

  BURUNDI. 04.06.1996. Deux véhicules du CICR circulent sur la route menant de Mugina vers Bujumbura. Soudain, la première voiture est prise sous le feu de tirs nourris et les trois délégués CICR qui l'occupent trouvent la mort. La seconde voiture rebrousse chemin. Le CICR était la dernière organisation humanitaire à se rendre dans la province de Citiboke, la plus durement touchée par le conflit, et venait de recevoir de la part de représentants de la population et de l'armée toutes les garanties de sécurité nécessaires. Suite à cet événement, le CICR décide de suspendre toutes ses activités au Burundi.

  BOSNIE. 08.05.1992. Après avoir passé le dernier check-point serbe, au moment d'entrer dans Sarajevo, un convoi CICR incluant un camion chargé de matériel humanitaire fut stoppé par des tirs. Certains occupants du convoi purent se réfugier derrière un mur situé à quelques mètres de là, d'où ils purent observer les obus tomber sur le convoi. Les positions de tir étaient de toute apparence très proches. Un engin téléguidé toucha le camion et le mit en feu. Des tirs de mitrailleuse étaient également perceptibles. "Dès cet instant j'étais convaincue qu'il ne s'agissait pas d'un hasard malheureux, mais d'une attaque clairement planifiée". "Nous n'avions absolument aucune idée où se trouvaient les autres, s'ils étaient en sécurité, s'ils avaient été touchés." L'attaque se solda par la mort d'un délégué et provoqua le retrait temporaire du CICR de Sarajevo, puis de toute la Bosnie.

  ZAIRE. 05.05.1997. Après s'être rendu dans l'une des zones de Kenge touchée par les combats pour y apporter son aide, un secouriste de la Croix-Rouge zaïroise, ayant noté le caractère coopératif des militaires présents, est parti à la recherche de neuf autres collègues pour l'aider à poursuivre ses activités dans une autre région. Malheureusement, les militaires qu'ils y rencontrèrent les arrêtèrent et les tuèrent froidement, malgré le fait qu'ils portaient clairement le signe distinctif.

  LIBERIA. Sept. 1994.   "All the present organisations realized this: what the Military wanted more than anything else was cars. It became soon impossible to move out of the compounds without risking a car. It got out of hand when the Military started to pay us visits after dark to "borrow" vehicles. Local staff of humanitarian organisation s were by that time already targeted. At a point, one of MSF compounds was completely looted and destroyed. It became clear to all of the humanitarian organisations that we had to reduce our teams as fast as possible. At a later stage, we all felt threatened in our lives and within days we were facing anarchy" .

  RWANDA. 04.02.97. Five members of the Human Rights Field Operation in Rwanda were attacked by a group of around fifteen armed individuals on the road in Karengera commune. Four members of the team were killed during the attack. The fifth member died several hours later as a result of his injuries. The team was on its way to attend a meeting organized by prefectural authorities in Gasumo sector. The two cars were ambushed at a small bridge, where one of the attackers opened fire at the first vehicle arriving. This vehicle stopped and the second one attempted to pull back but was blocked by two attackers who arrived from behind. According to preliminary investi gations, those armed individuals met on the day before and planned to carry out an attack in order to create a sense of insecurity.

  RUSSIA. 17.12.1996. " Deep in the night I woke up from the noise of heavy boot steps on the staircase. I immediately realized that strangers had entered our residence. A few seconds later I heard a horrible loud scream coming from the room opposite of mine. Just one scream, followed by a dull noise. Then somebody kicked at my door with his foot two times. The door resisted both attempts. I then heard another short single scream followed again by a dull noise. I was terribly frightened when a few seconds later boots steps approached my door again and somebody violently tried to break it open. I was still standing in the middle of my room - paralized by fear " . During this night, six ICRC delegates were cold-bloodedly and methodically murdered in the Novy Atagi hospital dormitory.

  AFGHANISTAN. 23.07.1994. Alors qu'il revenait sur Kaboul, un convoi de deux voitures du CICR a été arrêté d'abord par un commandant, qui a mis un médecin afghan et son épouse de force dans l'une des voitures, puis, un peu plus loin, par six combattants en armes. Ces derniers ont obligé les occupants des véhicules à en sortir, les ont battus, leur ont volé tous leurs effets personnels et sont repartis avec les véhicules. Les employés ont pu rejoindre Kaboul, mais les passagers imposés ont disparu.

  SENEGAL. 25.01.1993. En mission en Casamance, un petit convoi clairement identifiable de la Croix-Rouge sénégalaise s'arrête auprès d'un détachement militaire qui lui confirme qu'il est possible de continuer sur la piste sans aucun problème. Une heure plus tard, le premier véhicule, transportant plusieurs secouristes, est ébranlé par une très forte explosion. La présence d'une mine sur la piste provoque la mort de sept secouristes. Quatre autres sont blessés.

  SOMALIA. 21.03.1995.   "As we approached the fifth check point outside Gelib, one of the three guards took up an aggressive aim position with his rifle and gestured at us to turn back. We stopped and the field officer walked forward. Trying to speak to the aggressive guard was impossible as he was completely under the influence of some drug. He was highly volatile, incoherent and he bluntly refused to let us pass. It turned out that this drugged guard was operating as a freelance extorting high fees from passing travellers. Those that were slow in paying up were simply shot".  

 
 

  Introduction  

Ces dernières années, le nombre de personnes travaillant pour des organisations humanitaires qui ont été violentées ou tuées dans l'exercice de leurs fonctions a augmenté de manière dramatique dans les zones de conflit. Ce phénomène n'est, hélas, pas nouveau, et il est vrai que tout collaborateur d'une organisation humanitaire travaillant dans un contexte de guerre doit être prêt à affronter certains risques. Même si les organisations humanitaires peuvent encore effectuer un travail considérable dans la plupart des situations conflictuelles, la multiplication de graves incidents de sécurité, qui ont pour dernière conséquence d'empêcher les déploiements de l'assistance ou de forcer le retrait unilatéral des opérations, les amène aujourd'hui à remettre en question les moyens utilisés jusqu'à présent pour assurer la sécurité de leur personnel.

Nombreux sont les employés de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge qui ont perdu la vie ces dernières années, lors des opérations menées notamment en Somalie, au Burundi, et au Congo. Le seul incident en Tchétchénie, en décembre 1996, a coûté la vie à six collaborateurs de Sociétés nationales travaillant dans le cadre de l'action du CICR.

La plupart des grandes agences humanitaires sont concernées par ce phénomène. Preuve en est, par exemple, l'assassinat au Rwanda de trois collaborateurs de Médecins du Monde et de cinq membres de la mission d'observation des Nations Unies sur les droits de l'homme.

L'aspect nouveau et particulièrement choquant des tragédies de ces dernières années est que des personnes ont été délibérément tuées, bien qu'elles étaient clairement identifiées et connues en tant que membres du personnel de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, des Nations Unies ou d'organisations non gouvernementales.

La problématique du respect et de la protection du personnel humanitaire dans les conflits armés comporte de multiples facettes. Le présent document décrit, dans sa première partie, les conditions de sécurité dans lesquelles les actions humanitaires se déroulent, ainsi que les moyens à disposition des organisations concernées pour assurer au mieux la sécurité de leur personnel. La deuxième partie rappelle la protection juridique du personnel humanitaire, en particulier à travers le droit international humanitaire. La dernière partie, enfin, propose des pistes pour permettre d'améliorer le respect et la protection du personnel des organisations humanitaires.

 
 

  I. Conditions de sécurité  

 
 

  1. L'environnement de l'action humanitaire  

Par leurs activités, les acteurs humanitaires ont toujours été et seront toujours exposés à des incidents de sécurité. Par ailleurs, toute atteinte à leur intégrité physique, jusqu'à récemment considérée comme tabou, choque aujourd'hui l'ensemble de l'opinion publique internationale par l'intermédiaire des médias. Ces deux facteurs font de l'action humanitaire à la fois une cible facile et attractive: les attaques contre elle sont virtuellement dénuées de risques physiques, et peuvent avoir, aux yeux de leurs auteurs, un impact politique important. Le personnel des organismes humanitaires court donc de plus en plus le risque d'être l'enjeu d'objectifs politiques.

En outre, la nature des conflits dans lesquels les acteurs humanitaires sont appelés à intervenir s'est modifiée de manière considérable au cours de la dernière décennie.

À l'exception, notable, de la Guerre du Golfe (1991), la très grande majorité des conflits récents ont été des conflits internes. Beaucoup d'entre eux ont été provoqués ou influencés par la fin de l'ordre mondial bipolaire. D'autres ont été le fait de cycles historiques récurrents ou de problèmes politiques jamais résolus.

Dans l'ensemble, les conflits des années 90 se déroulent dans des contextes nettement plus déstructurés qu'auparavant. Par le passé, les organisations humanitaires, qui étaient par ailleurs moins nombreuses, avaient des points de repères relativement clairs: d'un côté, les forces armées régulières, soumises au contrôle du pouvoir politique en place; de l'autre, un m ouvement de guérilla, ayant une chaîne de commandement structurée et se réclamant d'une idéologie bien définie. Les deux parties au conflit bénéficiaient généralement d'appuis internationaux importants.

Dans la plupart des cas, ces structures permettaient aux organisations humanitaires d'établir les contacts nécessaires à la réalisation de leur action à tous les niveaux de la hiérarchie politique et militaire. La protection du personnel humanitaire - expatrié aussi bien que national - relevait essentiellement de la responsabilité des parties au conflit, qui s'en acquittaient non pas à l'aide d'escortes armées, mais par un système de laissez-passer et d'autorisations qui fonctionnait relativement bien, justement parce qu'il était basé sur une chaîne de commandement claire.

Aujourd'hui, l'environnement dans lequel les acteurs humanitaires sont appelés à intervenir s'est radicalement modifié:

a) le chaos remplace le système de parrainage bipolaire des parties au conflit; l'effritement des chaînes de commandement s'est substitué à la hiérarchie, plus " lisible " , de l'ère de la guerre froide; les parties elles-mêmes se sont fragmentées [1 ] .

 Deux conséquences fondamentales en découlent:

  • le personnel humanitaire se trouve exposé comme jamais auparavant aux risques dus à une augmentation du banditisme, qui vise parfois spécifiquement les biens gérés par les humanitaires;

  • l'intensité des conflits peut même être augmentée par la présence de ces biens, parce qu'ils supposent un renforcement considérable de la faction qui arrivera à s'en emparer; cela en raison du peu de ressources disponibles dans ces contextes anarchiques, autrement que par l'intermédiaire des humanitaires.

b) La composante identitaire de nombreux conflits récents est un autre élément caractéristique et un facteur supplémentaire d'augmentation des risques pour les organisations humanitaires. Ces conflits visent l'exclusion de l'adversaire présumé. La tentative d'accéder au pouvoir de la part d'un groupe – que celui-ci soit culturel, religieux ou ethnique – passe dès lors obligatoirement par la marginalisation, voire l'élimination, du ou des groupes rivaux. Le droit à l'existence même de " l'autre " est parfois nié, ce qui peut conduire à des formes de génocide.

Les populations civiles ne sont plus considérées comme foncièrement étrangères à la guerre elle-même, ni même exploitées comme une " base " de soutien logistique et politique, mais deviennent l'enjeu, voire la raison d'être du conflit. De par leur appartenance à l'un ou l'autre groupe, défini sur la base de critères religieux, culturels ou ethniques, elles vont être la cible des actes d'hostilité et partie intégrante des stratégies politiques et militaires.

L'action humanitaire est alors perçue comme une entrave aux objectifs ultimes des parties au conflit. Tout ce qui s'oppose à la stratégie d'élimination, de marginalisation ou de déplacement des populations civiles est compris comme une menace contre l'affirmation de son propre droit au pouvoir, voire de son existence.

Cette vision a pour conséquence extrême l'effacement progressif de la distinction entre combattants et non-combattants, de même que l'identification du personnel humanitaire avec l'ennemi - l'équation étant: " celui qui vient en aide à mon ennemi est mon ennemi " . Cette tendance existait déjà par le passé, notamment lors des guerres idéologiques, mais elle s'est exacerbée dans les conflits identitaires contemporains. Ce phénomène provoque une augmentation exponentielle des risques de sécurité pour le personnel humanitaire, expatrié ou national. De plus, ce même personnel - par sa présence sur le terrain, au coeur même du conflit - devient un témoin embarrassant et dangereux de méthodes brutales d'exclusion, voire d'élimination de la partie ennemie.

c) Un troisième élément favorise indirectement l'augmentation des risques de sécurité pour les acteurs humanitaires: la confusion engendrée (aux yeux des différentes factions ainsi que des victimes) par le mélange entre buts humanitaires et buts politiques et/ou militaires lors des interventions de la communauté internationale dans les conflits armés. Souvent décidées à la hâte mais retardées dans leur déploiement sur le terrain, ces opérations aux étiqu ettes floues, se sont fréquemment caractérisées par une confusion entre les objectifs politiques, les stratégies militaires et les buts humanitaires qu'elles poursuivaient.

d) Ces interventions de la communauté internationale ont par ailleurs entraîné la présence massive d'une pléthore d'organismes humanitaires, aussi éphémères que peu structurés. Leurs objectifs comme leur modus operandi ne sont pas toujours précis. Il est également devenu de plus en plus difficile pour le personnel de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge de se démarquer des diverses composantes d'opérations " militaro-politico-humanitaires " et de faire comprendre, aussi bien aux factions qu'aux victimes et aux autres intervenants, le sens véritable de la neutralité et de l'indépendance du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

 
 

  2. L'action humanitaire et ses principes  

Il convient de réaffirmer que, même si elle se déroule dans un contexte où les facteurs politiques, économiques, sociaux et militaires sont entremêlés et s'influencent mutuellement, l'action humanitaire en temps de conflit armé garde une nature, un but et des caractéristiques spécifiques. Une utilisation laxiste de cette expression peut porter gravement et durablement atteinte à ce qui constitue un pilier fondamental dans les garanties qui sont offertes par la communauté internationale aux victimes des conflits armés.

L'action humanitaire, telle qu'elle est décrite dans les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, repose sur les principes d'humanité et d'impartialité, que la Cour internationale de Justice a érigés en conditions essentielles de toute action humanitaire [2 ] .

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi qu'un nombre croissant d'organisations exigent en outre le respect des principes de neutralité et d'indépendance.

Le droit international humanitaire, comme son nom l'indique, repose sur le principe d'humanité, qui confère des droits à tous ceux qui sont concernés par un conflit armé et les soumet à des obligations. Il s'agit, principalement, des parties au conflit et des victimes, mais également des États tiers et des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Le droit international humanitaire met l'accent sur le droit des victimes à recevoir une assistance humanitaire. Le devoir correspondant confère la responsabilité à l'État sur le territoire duquel se déroule le conflit ou à la partie qui contrôle un territoire, soit de subvenir aux besoins essentiels des populations, soit de consentir à ce que soit menée une action de secours humanitaire et impartiale (notamment sous forme de vivres, de médicaments et de matériel médical). Mais le droit humanitaire soumet ces actions à l'accord des États ou parties concernés et ne prévoit pas de mesures coercitives en cas de refus abusif. Il faut donc aux organisations humanitaires l'accord explicite, implicite ou, au moins, tacite, des belligérants, sous peine de se heurter rapidement à des obstacles sur le plan de la sécurité. Le recours à la force contre la volonté des parties à un conflit - même pour des raisons humanitaires valables (par exemple, pour permettre la fourniture de l'assistance) - transformerait nécessairement l'action humanitaire au sens du droit international humanitaire en une opération militaire.

L'impartialité comme corollaire du principe d'humanité peut être définie comme l'absence de toute discrimination basée sur la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques, ou tout autre critère analogue, et l'octroi de la priorité aux victimes ayant les besoins les plus urgents. Sans impartialité, la confiance risque d'être perdue, et il devient généralement difficile de pouvoir compter sur la poursuite d'une coopération avec les parties au conflit. C'est pourquoi la perception de l'impartialité est presque aussi importante que sa pratique, car la contestation de cette impartialité par l'une ou l'autre des parties concernées peut engendrer des risques quotidiens. En effet, si l'impartialité est mise en cause par les acteurs d'un conflit armé - par défaut, perception ou rejet - le personnel des organisations humanitaires sera rejeté avec l'action et courra des risques évidents pour sa sécurité.

Le principe de neutralité exige de ne pas prendre part aux hostilités, ni aux controverses d'ordre politique, religieux ou idéologique qui sous-tendent le conflit armé. Elle demande également de s'abstenir de toute ingérence, directe ou indirecte, dans les opérations militaires en cours. Mais la neutralité n'implique jamais d'accepter que les causes profondes du conflit conduisent à des politiques qui portent atteinte aux principes élémentaires du droit humanitaire, comme le font par exemple les politiques de " purification ethnique " . La neutralité n'est en effet pas une fin en soi, mais le moyen indispensable de gagner la confiance de toutes les parties à un conflit, afin que le libre accès à toutes les victimes puisse être obtenu. Mais, comme nous l'avons vu, l'action humanitaire neutre n'est souvent plus comprise ni acceptée, particulièrement dans les conflits qui, visant l'extermination, n'acceptent pas la " neutralisation " des populations et de ceux qui les aident.

Enfin, le principe d'indépendance exprime l'autonomie que doivent garder les organisations humanitai res pour leur permettre d'agir selon les principes susmentionnés, sans être soumises à des considérations politiques.

L'action humanitaire exige, en particulier dans des situations de conflit, l'adhésion à ces principes et leur respect scrupuleux pour garantir un minimum de protection à ceux qui viennent en aide aux victimes.

Il est donc d'autant plus important de ne pas brouiller les perceptions par un usage trop général du terme " humanitaire " et de réserver l'expression " action humanitaire " aux actions qui répondent strictement aux principes mentionnés ci-dessus. Il faut ainsi clairement faire la distinction entre une action humanitaire et une action politique, voire militaire, ayant un objectif humanitaire. Les deux se différencient par leurs buts, moyens et méthodes, ainsi que par leurs principes directeurs. L'action humanitaire et ses principes doivent être non seulement expliqués, mais aussi - et surtout - compris et acceptés par les bénéficiaires et les autorités. À défaut d'une telle compréhension et acceptation, l'action humanitaire, fût-elle parfaitement impartiale, neutre et indépendante dans sa mise en oeuvre, verra le personnel et les biens des organisations humanitaires être confrontés à des problèmes de sécurité.

 
 

  3. Les acteurs et l'éthique humanitaire  

Il ne suffit pas que les organisations humanitaires s'engagent à respecter les principes mentionnés ci-dessus, il faut aussi que ces principes soient mis en oeuvre par les acteurs humanitaires sur le terrain. Leur façon de se comporter en tout temps - et non seulement lorsqu'ils travaillent - joue aussi un rôle essentiel pour la sécurité.

  (a) Contexte local  

En aucun cas, ce comportement ne doit contredire les principes sur lesquels l'action est basée, ni heurter les coutumes et la culture des populations bénéficiaires.

C'est pourquoi une attention particulière doit être portée au recrutement et à la formation du personnel. Le recours à des membres de la communauté bénéficiaire de l'action s'impose de plus en plus, afin de permettre une meilleure compréhension des conditions locales dans lesquelles le personnel humanitaire évolue, et de favoriser l'acceptation de l'aide et de ceux qui l'apportent. On pensera notamment au rôle fondamental des Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge.

À cela, il faut ajouter la nécessité d'un dialogue franc et constant entre les organisations humanitaires et les gens qu'elles côtoient sur le terrain. Prendre le temps d'expliquer clairement aux bénéficiaires et aux interlocuteurs le mandat, le rôle, mais aussi les limites de l'action, contribue à la diminution du risque de malentendus. Il faut éviter de susciter de faux espoirs chez les bénéficiaires. Il s'agit au contraire de leur expliquer exactement à quoi ils peuvent s'attendre. Comme les trop grandes attentes, les promesses non tenues risquent de créer des frustrations, des tensions, voire des affrontements.

  (b) Médias  

Les actions humanitaires menées dans les conflits bénéficiant d'une large couverture médiatique appellent des remarques supplémentaires. La présence massive des médias, et surtout de la télévision contribue, certes, et pour une part non négligeable, à la prise de conscience par la communauté internationale des problèmes rencontrés par les victimes de conflits. Mais elle induit en même temps le besoin pour les acteurs humanitaires d'être visibles, car la visibilité conditionne largement le financement des opérations. Cet état de fait peut cependant entraîner des conséquences néfastes, à partir du moment où les médias sont considérés par certains acteurs du conflit comme des tribunes à partir desquelles ils peuvent attirer l'attention de la communauté internationale. Au pire, certaines parties voient dans un crime contre le personnel humanitaire médiatisé l'occasion d'affirmer ou de renforcer une position politique. Ces considérations doivent donc être présentes à l'esprit de tous pour que l'action humanitaire ne soit pas inconsidérément transformée par les médias en spectacle, susceptible à la fois d'accentuer l'instabilité et de porter atteinte à la dignité des victimes, voire de mettre en péril l'action humanitaire.

  (c) Prolifération des acteurs humanitaires  

La présence médiatique internationale conduit presque immanquablement à une explosion du nombre d'organisations présentes sur le terrain.

C'est surtout lors des grandes actions d'assistance, dans des contextes très médiatisés, que l'on a vu apparaître une multitude d'organisations non gouvernementales. En 1994 au Rwanda, on en comptait plus de cent cinquante actives simultanément. On constate également l'utilisation croissante de certaines organisations non gouvernementales comme agents opérationnels (implementing agencies) d'institutions humanitaires internationales qui sous-traitent ainsi la livraison et la distribution de leur aide. Pour des raisons de publicit é, de financement, d'opportunité ou de conviction, certaines organisations affichent une volonté réelle de s'attribuer un type de victimes, une partie de territoire ou encore une problématique humanitaire. Sur le plan de la sécurité, l'un des dangers que risque de créer une telle situation est que les acteurs humanitaires soient tous assimilés les uns aux autres. Il en résulte que, si un sentiment hostile venait à se développer contre un seul de ces " expatriés " , comme on les appelle souvent, cette animosité pourrait se répercuter sur tous les autres.

  (d) Nécessité d'une éthique humanitaire  

Dans ce genre de situation, on constate notamment que:

-le degré d'adhésion aux principes de neutralité, d'impartialité et d'indépendance varie considérablement d'une organisation à l'autre;

-la multitude d'organisations humanitaires crée une confusion dans l'esprit des nationaux, qui ne savent plus à qui s'adresser pour tel ou tel type de besoins (ou qui tentent d'obtenir un maximum de chacune);

-le comportement des différents intervenants humanitaires diffère radicalement selon leur degré d'expérience et de formation, et le niveau de professionnalisme de l'organisation qui les recrute.

La sécurité de tout acteur humanitaire est en partie fonction de ses standards éthiques et professionnels. Dans un contexte où les organisations se multiplient, il est donc fondamental de développer et d'appliquer des principes d'action et une éthique rigoureux. L'adoption d'un Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales lors des opérations de secours en cas de catastrophe participe de la promotion d'une telle éthique. La question est de savoir jusqu'où l'on souhaite et l'on peut progresser dans l'établissement et, surtout, l'application concrète de critères garantissant la qualité de l'action humanitaire .

Or, cette " discipline éthique " devient encore plus difficilement maîtrisable avec l'intensification du phénomène de la compétition humanitaire. Plus les acteurs humanitaires se multiplient, plus les médias se focalisent sur une situation, plus le financement devient difficile, et plus la compétition devient vive.

La compétition peut, à l'extrême, avoir des conséquences désastreuses sur l'activité même des organisations humanitaires. Ce fut par exemple le cas au Libéria où l'on a vu un théâtre opérationnel se transformer en un véritable marché humanitaire dans lequel les organisations présentes sur le terrain, loin de servir l'intérêt des victimes, ont finalement, bien involontairement, alimenté la guerre en accentuant par leur action la convoitise des uns et des autres. Les secours devenant l'objet même des affrontements. Il est ainsi extrêmement difficile de concilier les contraintes de cette compétition entre organisations humanitaires et les impératifs d'une action impartiale et neutre.

Au centre des principes humanitaires, il doit donc y avoir une éthique humanitaire qui s'articule autour d'un impératif de base, celui de " l'intérêt de la victime " . L'intérêt de toutes les victimes et même de toutes celles des conflits armés à venir. Chaque action humanitaire pervertie peut avoir des conséquences négatives sur d'autres régions d'un même territoire, tout comme elle peut avoir des répercussions néfastes à l ong terme. Aucun des acteurs humanitaires n'agit seul dans une sorte de vacuum en faveur des bénéficiaires; chacun d'eux, au contraire, constitue une partie d'un réseau d'interrelations qui se crée dans un contexte donné, et où les actions et les comportements des uns ont des conséquences sur les autres.

Une part importante de la réponse se trouve certainement dans le respect des mandats octroyés à certaines organisations par la communauté internationale. La compréhension de leur spécificité par les parties au conflit constitue une garantie fondamentale du respect de l'intégrité physique du personnel de ces organisations. Pour les organisations humanitaires, apporter une réponse adaptée aux besoins des victimes, sans s'exposer à une mauvaise compréhension de leur rôle par les belligérants, devient un pari de plus en plus difficile à relever. Il faut que l'action des acteurs humanitaires soit prévisible, qu'il y ait une continuité et une cohérence dans leur mandat, notamment lorsque celui-ci est conféré par la communauté internationale.

 
 

  4. L'action humanitaire et les opérations de maintien de la paix  

Pour compléter ce tableau, il faut encore mentionner les situations dans lesquelles se déploient simultanément une action humanitaire et une opération de maintien de la paix autorisée par les Nations Unies, que cette dernière soit mise en oeuvre par des forces onusiennes ou par celles d'une organisation régionale.

Certes, les opérations de maintien de la paix sont en principe conduites avec l'accord de toutes les parties concernées. Mais elles agissent sur la base de mandats très variables et émanant d'un organe, le Conseil de sécurité, qui a une fonction essentiellement politique. On ne peut donc pas s'attendre à ce que ces opérations soient perçues comme " neutres " au sens du droit international humanitaire. Au surplus, le fait qu'on leur attribue fréquemment des tâches qui relèvent davantage du domaine de l'assistance humanitaire que du maintien de la paix tend à créer une confusion nuisible à la sécurité des organisations humanitaires. Cette confusion altère en effet la perception de la neutralité, de l'indépendance et de l'impartialité de l'action humanitaire. Or cette perception par les parties est un facteur essentiel de l'acceptabilité des acteurs humanitaires et donc, de leur sécurité.

Lorsque les autorités structurées s'effritent ou disparaissent, il peut être nécessaire d'intervenir pour recréer des conditions de sécurité permettant le déroulement des opérations d'assistance et de protection. De telles opérations sont cependant de nature militaire et il est important de garder une distinction claire (aussi bien réelle que perçue comme telle par les belligérants) entre les forces militaires qui recréent ces conditions de sécurité et les organisations humanitaires qui portent secours aux populations. Mais cette distinction est difficile à maintenir et à faire comprendre, c'est pourquoi il faut avant tout essayer d'éviter, sauf si les autres recours sont épuisés, de s'engager dans ce type de situations confuses et dangereuses.

 
 

    5. La protection physique des acteurs humanitaires  

Dans des situations particulières où le banditisme et les autres formes de violence criminelle prennent pour cibles les secours et les acteurs humanitaires, il peut arriver que ces derniers doivent avoir recours à des mesures exceptionnelles de sécurité. Dans ces circonstances, le bon déroulement de l'action humanitaire justifie le recours à des moyens de protection passive, tels que gilets pare-balles, blindages des moyens de transport, ou encore sacs de sable autour des bâtiments.

Pour les organisations humanitaires, il importe cependant de rester strictement dans le cadre de l'action humanitaire, et donc de concilier ces moyens matériels de protection avec les principes qui guident leur action. Sans préjuger des solutions qui sont adoptées par d'autres organisations, dont les moyens et les buts peuvent être différents, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge considère que la meilleure protection contre la violence réside dans une attitude qui reflète fidèlement les principes de l'action humanitaire, et en particulier l'humanité, l'impartialité, la neutralité et l'indépendance. C'est ainsi qu'il s'oppose en principe à ce que les convois de ses diverses composantes engagées dans une action internationale soient protégés par des escortes armées, parce que la présence de troupes en armes, quelle que soit leur nature, aux côtés du personnel de leur personnel présente de gros risques de confusion et pourrait porter atteinte durablement à l'image, si essentielle pour sa survie, d'un Mouvement qui veut rester d'une fidélité sans faille aux principes ci-dessus mentionnés. Ceux-ci sont pour le CICR et les autres composantes du Mouvement la garantie d'une action efficace et durable, fondée sur la confiance de l'ensemble de la population et sur le consentement des parties au conflit. C'est dans ce cadre strict qu'ils envisagent la question de la sécurité physique de leur personnel [3 ] .

Il arrive cependant que le consentement des parties et les moyens de protection passive ne suffisent plus à assurer la sécurité des convois humanitaires, parce que la désintégration des structures amène une explosion du banditisme menaçant les biens destinés aux victimes. Dans ce cas de figure très regrettable, on ne peut donc pas tout à fait exclure le recours limité à des escortes armées, et cela dans l'intérêt des victimes. Il faut cependant bien faire la différence entre la protection armée de convois autorisés par les parties concernées, et l'imposition par la force de convois humanitaires. Il peut en effet arriver non seulement que les acteurs humanitaires soient en danger, mais que la population à laquelle ceux-ci viennent en aide soit à terme mise en péril par des violations massives du droit international humanitaire et les actions criminelles commises par des bandes de malfaiteurs contre les convois de secours. Cette situation dramatique peut avoir des effets considérables sur la stabilité du pays considéré dans son ensemble, de sorte que si l'on n'arrive pas à y mettre fin rapidement, la sécurité et la paix peuvent être menacées dans l'ensemble de la région. Dans ces cas il appartient au Conseil de sécurité, en vertu des responsabilités que lui impose la Charte des Nations Unies, de prendre les mesures qu'il juge appropriées en vue d'écarter les menaces à la paix internationale [4 ] . Ces mesures doivent alors créer une situation qui permette à nouveau à l'action humanitaire d'urgence d'agir conformément à ses principes.

Comme déjà mentionné, il est préférable que ces situations extrêmes soient évitées, parce que l'action militaire et l'action humanitaire suivent des principes très différents, parfois même incompatibles. La protection physique n'est qu'une mesure exceptionnelle pour pallier une défaillance dans le respect dû au personnel humanitaire, qui est en principe suffisant s'il existe de la part des parties au conflit une véritable volonté politique d'assurer le respect des normes du droit international en la matière.

 
 

  II. Protection juridique du personnel d'organisations humanitaires  

 
 

  1. Introduction  

La question de la protection du personnel d'organisations humanitaires relève aussi bien du droit international que du droit interne. En droit international, la protection du personnel humanitaire a pris plusieurs formes. Il existe des normes conventionnelles, contenues dans plusieurs traités, des résolutions et autres textes adoptés dans le cadre des Nations Unies ou d'autres enceintes, ainsi que d'autres mesures propres à promouvoir cette protection. Dans ce rapport, nous tenterons de présenter les dispositions légales et autres mesures les plus importantes [5 ] . Il ne faut pas oublier pour autant que les droits de l'homme non dérogeables restent applicables en toutes circonstances.

 
 

  2. Protection du personnel humanitaire en droit international humanitaire  

Le principe fondamental du droit international humanitaire selon lequel il faut toujours faire une distinction entre les combattants et les non combattants est à la base de la protection du personnel d'organisations humanitaires. Les personnes qui ne participent pas, ou celles qui ne participent plus activement aux hostilités bénéficient d'une protection générale contre les effets des opérations militaires. Ainsi les civils seront respectés et protégés en toutes circonstances. Il seront toujours traités avec humanité, et il est interdit de porter atteinte à leur vie, à leur santé et à leur intégrité corporelle et mentale. Ils ne feront en aucun cas l'objet d'attaques et ne seront jamais assujettis à la torture ou à des expériences biologiques.

Cette immunité générale, dont jouit également le personnel d'organisations humanitaires, est renforcée par des règles spécifiques du droit international humanitaire: certaines ont trait à la protection conférée par l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge, alors que d'autres concernent la protection du personnel participant aux opérations de secours.

  2.1 Les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977  

  (a) Protection par l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge  

L'essence de la 1ère Convention de Genève historique de 1864 était déjà de faire accepter la neutralisation des blessés et des malades, ainsi que du personnel médical militaire qui devait jouir d'un respect particulier pour pouvoir accomplir sa mission.

Les Conventions de Genève de 1949 ainsi que leurs Protocoles additionnels de 1977 ont confirmé et fortement développé cette immunité en l'étendant au personnel sanitaire et aux unités et moyens de transport sanitaires, militaires et civils. Leur protection est rendue visible à travers l'usage de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge qui renforce la protection juridique. Afin de tenir compte de l'évolution des conflits armés, le Protocole additionnel I a en outre offert aux États la possibilité d'identifier les unités et moyens de transport sanitaires par des signaux distinctifs, tels des signaux lumineux, des signaux radio ou encore des moyens électroniques.

Afin de limiter autant que possible les abus de l'emblème qui risquent d'affaiblir son effet protecteur en cas de conflit armé, son usage est soumis à des règles très strictes. L'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge ne pourra ainsi être utilisé qu'avec la permission de l'autorité compétente et sous son contrôle. Il est indispensable que les États adoptent une législation nationale au sujet de l'utilisation et de la protection de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge, dans laquelle ils prévoiront en particulier un système de contrôle efficace et des sanctions pour les abus graves de l'emblème.

Les principaux utilisateurs de l'emblème sont le personnel sanitaire et religieux, les unités sanitaires des forces armées, ainsi que les unités et moyens de transport sanitaires civils, tels les hôpitaux et les ambulances. Selon les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, les Sociétés nationales de la Croix-Rou ge ou du Croissant-Rouge, ainsi que d'autres sociétés de secours dûment reconnues et autorisées par leur gouvernement, peuvent mettre à disposition des services de santé des forces armées du personnel et du matériel, qui sera alors soumis aux lois et règlements militaires. Déjà en temps de paix, les ambulances et les postes de secours pourront être, à certaines conditions, marqués par l'emblème (articles 26, 27, 38 à 44 Ie Convention de Genève; articles 41 à 45 IIe Convention de Genève; articles 18 à 22 IVe Convention de Genève; articles 8, 9 et 18 Protocole additionnel I; article 12 Protocole additionnel II).

Par ailleurs, les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont une relation particulière avec l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge. Les Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge utilisent l'emblème à titre indicatif en tout temps pour signaler leur personnel, leurs installations et leur matériel. Mais elles peuvent aussi l'utiliser à titre protecteur quand elles agissent comme auxiliaire des services sanitaires des forces armées ou sous l'égide du CICR. De leur côté, le Comité international de la Croix-Rouge et la Fédération internationale des Sociétés de Croix-Rouge et de Croissant-Rouge peuvent arborer l'emblème en tout temps et pour toutes leurs activités.

Il convient de rappeler ici le rôle particulier que le Comité international de la Croix-Rouge est amené à jouer dans les conflits armés. Les Conventions de Genève ainsi que leurs Protocoles additionnels lui confèrent des compétences expresses, telles que celles d'agir en tant que substitut de Puissances Protectrices ou d'avoir accès aux prisonniers de guerre et aux personnes protégées par la IVe Convention de Genève (Articles 123 IIIe et 143 IVe Conventions de Genève). En outre, les Conventions de Genève lui accordent le droit d'offrir ses services aux parties au conflit. D'une man ière générale, il agit en tant que promoteur et gardien du droit international humanitaire et, à ce titre, il travaille au respect de ce droit ainsi qu'à sa promotion, sa diffusion et son développement. Dans les conflits armés ou les autres situations nécessitant l'intervention d'une institution spécifiquement neutre et indépendante, le CICR assume la direction générale de l'action internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Enfin, une autre catégorie de personnel, doit être respectée et protégée en vertu du droit international humanitaire. Il s'agit du personnel de la protection civile, qui bénéficie d'un signe ad hoc, le triangle bleu sur fond orange.

  (b) Protection du personnel humanitaire participant aux actions de secours  

L'article 23 IVe Convention de Genève stipule que les États accorderont le libre passage à certains biens indispensables à la survie de la population civile et ce, même dans les situations de blocus. Par ailleurs, la puissance d'occupation a le devoir d'approvisionner la population des territoires occupés et, si ces territoires sont insuffisamment approvisionnés, d'accepter les actions de secours de la part de tiers et de les faciliter dans toute la mesure de ses moyens (articles 55 et 59 IVe Convention de Genève).

Selon les Protocoles additionnels de 1977, la population civile a le droit d'être secourue lorsque son approvisionnement en denrées indispensables est insuffisant. Des actions de secours de caractère humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable pourront alors être entreprises (articles 69 ss. Protocole additionnel I et 18 Protocole additionnel II). Les offres de secours remplissant ces conditions ne seront considérées ni comme une ingérence dans le conflit armé, ni comme des actes hostiles.

En ce qui concerne le personnel apportant les secours, le Protocole additionnel I précise que ce personnel sera respecté et protégé. La partie qui reçoit des secours l'assistera, dans toute la mesure du possible, dans l'accomplissement de sa tâche. Les activités de ce personnel de secours ne peuvent être limitées et ses déplacements temporairement restreints qu'en cas de nécessité militaire impérative. Par ailleurs, ce personnel ne devra en aucune circonstance outrepasser les limites de sa mission (article 71 du Protocole additionnel I).

Enfin, l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève permet aux organismes humanitaires impartiaux, tel le Comité international de la Croix-Rouge, d'offrir leurs services aux parties au conflit.

D'une manière générale, on retiendra que les actions de secours telles que prévues en droit international humanitaire ne pourront avoir lieu que si la sécurité du personnel humanitaire est garantie. Cette dernière est donc directement liée au respect même de ce droit. Il faut par ailleurs noter que le personnel de secours non rattaché au Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ne bénéficie en principe pas du droit d'utiliser l'emblème protecteur de la Croix-Rouge au du Croissant-Rouge. Le problème de l'identification de la multitude des organisations non gouvernementales présentes sur le théâtre des conflits et des critères à adopter à cet égard reste donc entier.

  2.2 Mesures de protection contre les mines  

Lors de son adoption, la Convention des Nations Unies sur l'interdiction ou la limitation de certains armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination DU 10 OCTOBRE 1980, à laquelle étaient an nexés trois protocoles, interdisait ou limitait l'utilisation des armes suivantes: les éclats non localisables (Protocole I), l'emploi de mines, pièges et autres dispositifs (Protocole II) et l'emploi des armes incendiaires (Protocole III).

Lors de sa révision en 1996, le Protocole II a subi plusieurs modifications importantes. Il s'applique désormais aussi aux conflits armés non internationaux. L'article 8 non révisé prévoyait la protection des missions des Nations Unies contre les effets des mines et des pièges. Cette protection a été sensiblement renforcée: la version révisée de ce Protocole exige maintenant des États et des autres parties à un conflit armé qu'ils prennent les mesures requises pour assurer une protection:

  • des forces et des missions de maintien de la paix;

  • des missions d'établissement des faits ou à caractère humanitaire d'organismes des Nations Unies;

  • des missions du Comité international de la Croix-Rouge;

  • des missions de Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge ou de leur Fédération internationale;

  • ainsi que des missions d'autres organisations impartiales à vocation humanitaire.

Chaque partie à un conflit a ainsi l'obligation de protéger, dans toute zone placée sous son contrôle, ces " personnes protégées " contre les effets des mines, pièges et autres dispositifs.

En date du 22 septembre 1997, le Protocole II révisé avait été ratifié par dix États et n'était donc pas encore entré en vigueur puisqu'il n'avait pas atteint le seuil fixé de vingt États.

 
 

  3. Autres mesures juridiques de protection  

  3.1 Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du  

   personnel associé  

Cette Convention a été élaborée très rapidement en réponse aux importantes pertes de personnel des Nations Unies déplorées suite à l'augmentation spectaculaire du nombre et de l'ampleur des opérations de maintien ou d'imposition de la paix dès le début des années 1990. Elle a été adoptée le 9 décembre 1994 par l'Assemblée générale des Nations Unies et entrera en vigueur lorsque vingt-deux États y seront parties. Au 30 septembre 1997, quatorze États l'avaient ratifiée.

Cet instrument protège tout d'abord le personnel engagé directement par l'Organisation des Nations Unies et par ses institutions spécialisées. Elle protège également le " personnel associé " , qui comprend le personnel affecté par un gouvernement, une organisation intergouvernementale ou non gouvernementale, en vertu d'un accord avec le Secrétaire général ou avec une institution spécialisée, pour mener des activités dans deux situations: lorsque l'opération vise à maintenir ou à rétablir la paix et la sécurité internationales; ou lorsque le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale a déclaré qu'il existe un risque exceptionnel pour la sécurité du personnel participant à l'opération (article 1).

La Convention stipule que le personnel des Nations Unies et le personnel associé, leur matériel et leurs locaux ne doivent être l'objet d'aucune atteinte, ni d'aucune action qui les empêche de s'acquitter de leur m andat. Les États prendront toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité du personnel (article 7).

La Convention ne s'applique toutefois pas "à une opération des Nations Unies autorisée par le Conseil de sécurité en tant qu'action coercitive en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans le cadre de laquelle du personnel est engagé comme combattant contre des forces armées organisées et à laquelle s'applique le droit des conflits armés internationaux" (article 2, para. 2). Dans le cadre des opérations hybrides, au cours desquelles des catégories de personnel très diverses sont présentes, bon nombre de ces catégories seraient privées de la protection spéciale conférée par la Convention si l'une des composantes de l'opération pouvait être considérée comme combattante. Toutefois, il convient de noter que, dans cette hypothèse, ces personnes bénéficieraient de la protection conférée par les dispositions du droit international humanitaire.

Certaines dispositions essentielles de la Convention - dont celles délimitant son champ d'application matériel - devront être interprétées à la lumière des faits et de la pratique suivie par l'Organisation des Nations Unies et les États membres, car leur formulation n'est pas parfaitement claire.

Il faut noter que la question de la protection du personnel des Nations Unies et du personnel associé fait l'objet de discussions dans le cadre de l'élaboration d'une convention établissant une Cour criminelle internationale. Dans son projet, la Commission du droit international propose d'inclure les atteintes au personnel onusien dans les crimes tombant sous la juridiction de la cour, proposition reprise par plusieurs États lors des travaux du Comité préparatoire chargé de préparer une convention.

Finalement, on re tiendra que compte tenu de l'indépendance que le CICR doit garder par rapport aux autres acteurs, ses délégués, travaillant sous la protection de l'emblème de la croix rouge, ne seront pas couverts par la Convention sur la protection du personnel des Nations Unies, mais bénéficieront par contre de la protection spéciale conférée par les Conventions et Protocoles de Genève (voir ci-dessus).

  3.2 Résolutions des Nations Unies  

L'accès des organisations humanitaires aux victimes des conflits armés et la sécurité du personnel de ces organisations ont fait l'objet de nombreuses résolutions ou déclarations des Nations Unies. Dans certains cas, celles-ci vont même au-delà de la protection d'organisations humanitaires quand le Conseil de sécurité demande que soient respectées des forces de maintien de la paix qui acheminent des secours à la population civile.

Nous nous limiterons, dans le présent rapport, à mentionner quelques résolutions particulièrement pertinentes, à titre d'exemple.

  (a) Assemblée générale  

À l'occasion de plusieurs conflits armés récents, l'Assemblée générale a manifesté son inquiétude quant à la sécurité du personnel des Nations Unies et des divers organismes à vocation humanitaire. Citons à titre d'exemple la résolution 47/160 relative à la situation en Somalie où l'Assemblée " lance un appel à tous les partis, mouvements et factions somalis pour qu'ils respectent totalement la sûreté et la sécurité du personnel des Nations Unies, des institutions spécialisées et des organisations non gouvernementales et garantissent leur totale liberté de mouvement dans l'ensemble du pays " . L'Assemblée s'est exprimée en des termes similaires à propos d'autres conflits comme notamment ceux du Libéria (A/Res 51/30B) et d'Afghanistan (A/Res 51/195).

  (b) Conseil de sécurité  

Tout comme l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité a adopté plusieurs résolutions abordant la question de la sécurité du personnel des Nations Unies et des organisations humanitaires. Agissant sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, il a à plusieurs occasions exigé que soient créées les conditions nécessaires à une distribution sans obstacle de fournitures humanitaires, exhorté les parties à coopérer avec les organismes à vocation humanitaire pour permettre l'acheminement en toute sécurité de l'aide humanitaire ou encore exigé que les parties prennent les mesures nécessaires pour garantir la sécurité du personnel chargé d'acheminer l'aide humanitaire (par exemple Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda).

Visant en premier lieu le personnel des Nations Unies, ces résolutions incluent la plupart du temps également une référence à d'autres catégories de personnel, comme par exemple le personnel d'organisations non gouvernementales qui fournissent une aide humanitaire. Rappelons encore que, préoccupé par la sécurité du personnel des Nations Unies et de celui des organisations humanitaires, le Conseil de sécurité a parfois autorisé les forces participant aux opérations militaires des Nations Unies ou certains États membres à " employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaires" (Res. 794/1992 sur la Somalie).

  3.3 Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre  

Lors de cette Conférence, qui s'est tenue à Genève du 30 août au 1er septembre 1993 à l'invitation du Gouvernement suisse, les participants ont adopté par consensus une déclaration qui dénonce les violations du droit international humanitaire. Ce texte aborde aussi la sécurité du personnel humanitaire:

  "Nous exigeons que des actions soient menées aux niveaux national, régional et international pour que le personnel portant assistance et secours puisse accomplir, en toute sécurité, son mandat en faveur des victimes d'un conflit armé" (Partie I, para. 7).

  "Nous demandons instamment à tous les États de n'épargner aucun effort pour:  

* (.......) favoriser des opérations de secours rapides et efficaces en garantissant à ces organisations humanitaires l'accès aux régions affectées et prendre les mesures qui s'imposent pour renforcer le respect de leur sécurité et de leur intégrité, conformément aux règles applicables du droit international humanitaire .

* Renforcer le respect des emblèmes de la croix rouge et du croissant rouge, ainsi que les autres emblèmes prévus par le droit international humanitaire et qui protègent le personnel, le matériel, les installations et les moyens de transports sanitaires, le personnel religieux et les lieux de culte, ainsi que le personnel, les envois et les convois de secours au sens du droit international humanitaire" (Partie II, para. 8 et 9).

  3.4 Privilèges et immunités des organisations internationales  

Le droit international prévoit que certaines organisations jouissent des privilèges et immunités nécessaires pour exercer en toute indépendance leurs fonctions. Pour l'ONU et ses institutions spécialisées, ces droits sont reconnus dans la Charte et dans des traités internationaux, notamment la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées de 1947. En outre, certaines organisations ont conclu des accords de siège avec des États, accords qui déterminent le statut juridique de l'organisation dans le pays concerné et accordent à ses représentants des privilèges et immunités.

Il convient de mentionner cette question dans le présent rapport, car il n'y a pas de doute que le statut juridique d'une organisation humanitaire dans un pays donné, ainsi que les immunités qui lui sont accordées, contribueront à la prémunir contre des interférences pouvant mettre l'ensemble de son action en péril.

À titre d'exemple, l'on mentionnera les nombreux accords de siège que le Comité international de la Croix-Rouge a conclus sur la base de son statut international découlant des Conventions de Genève et des Protocoles additionnels. Cette reconnaissance internationale lui permet généralement de jouir d'un statut similaire à celui d'une organisation intergouvernementale. Le CICR e n tant que tel, ainsi que ses délégués, bénéficient ainsi d'immunités lui permettant d'assumer pleinement son mandat humanitaire, ainsi que parfois de facilités d'évacuation en périodes de crise. La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge a également conclu plusieurs accords de siège.

 
 

  4. Évaluation de la protection juridique  

On constate que le personnel d'organisations humanitaires est protégé de façon inégale. Les normes de protection sont très dispersées, ce qui peut conduire à une certaine confusion sur la portée exacte de cette protection. Résumons brièvement:

»Le personnel des Nations Unies (y compris ses institutions spécialisées) sera protégé dans certaines situations par la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies (une fois que cette dernière sera entrée en vigueur). Cette Convention protégera également le personnel d'organisations non gouvernementales rattachées à des opérations des Nations Unies par le biais d'un accord. Cette protection est très élaborée, mais la Convention n'est pas encore entrée en vigueur.

»La protection conférée par l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge, tout comme le signe distinctif de la protection civile, est également très détaillée. Les règles sur l'usage de l'emblème étant très strictes, exigeant des autorisations et un contrôle de l'État, leur champ d'application demeure toutefois limité. Si les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont recours à l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge, la plupart des organisations humanitaires n'ont pas droit en principe à une p rotection équivalente.

»Le personnel participant à des actions de secours de caractère humanitaire et impartial est protégé par le droit international humanitaire. Cette protection est très vaste et devrait dès lors couvrir les besoins de protection de nombreuses organisations humanitaires, en particulier non gouvernementales. Elle ne se traduit cependant pas par un signe protecteur permettant d'identifier, comme l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge, l'immunité des ayants droit.

»Finalement, il y a la protection très générale de la population civile qui couvre aussi le personnel des organisations humanitaires. Bien que réelle, cette forme de protection est toutefois peu spécifique.

On ajoutera à ce bilan succinct les trois remarques suivantes:

L'évaluation du droit existant sera influencée par la définition que l'on donne du personnel humanitaire: si l'on prend en considération le personnel impliqué dans des actions de secours, force est de constater que sa protection juridique est régie de façon spécifique. En revanche, les personnes qui n'auraient pas d'activités de secours à proprement parler ne seraient protégées qu'au titre de personnes civiles, voire dans certains cas à travers la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies.

En outre, des différences existent quant au champ d'application des règles: si le droit international humanitaire s'applique uniquement dans les conflits armés, la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies ne connaît pas cette limitation. Or, le personnel humanitaire est aussi exposé à des risques de sécurité dans des situations non couvertes par le droit international humanitaire, tels des troubles intérieurs. Il n'y a toutefois pas de doute que ce sont les conflits armés qui constituent les plu s grandes menaces pour le personnel humanitaire. Sans vouloir minimiser les risques de sécurité dans les autres situations, ce rapport s'est dès lors concentré sur la protection durant les conflits armés.

Pour conclure, il convient de faire ici, comme dans d'autres domaines du droit, la distinction entre la norme juridique et l'application de la norme. Si le droit existant offre aux organisations humanitaires une certaine protection juridique, il faut bien admettre que les attaques à l'encontre du personnel humanitaire mentionnées au début de ce rapport représentent toutes des violations graves du droit international humanitaire.

Un effort particulier doit donc continuer d'être fait en vue d'améliorer et préciser la mise en oeuvre du droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne la répression des crimes contre le personnel humanitaire.

 
 

  III. Pistes de réflexion pour l'amélioration de la protection du personnel d'organisations humanitaires  

Comment améliorer la protection du personnel d'organisations humanitaires ? Comme on a pu le constater dans la première partie de ce rapport, plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer la détérioration des conditions de sécurité. Mais comment aborder concrètement les énormes défis découlant des conflits liés à la désintégration des États [6 ] et les conflits dits " identitaires " , étant donné que dans le premier cas, le droit d'une manière générale tend à ne plus être une référence reconnue, ni même connue, et que, dans le second, il y a volonté délibérée d'aller à l'encontre du droit ?

Il n'y a bien entendu pas de réponses faciles à ces défis. À défaut de trouver de véritables solutions, on peut tout au moins tenter d'examiner quelques mesures pratiques propres à améliorer le cadre général dans lequel se déroule l'action humanitaire. Ces mesures devraient être prises par les différents acteurs en présence: par les États et les autres parties à un conflit armé, certes, mais aussi par les organisations humanitaires elles-mêmes. Ce n'est qu'à cette double condition que l'on peut espérer une protection renforcée du personnel humanitaire.

Par ailleurs, s'il est juste de se concentrer sur le comportement des uns et des autres durant la période du conflit armé, il est également nécessaire d'aborder les mesures qui peuvent être prises à titre de prévention, déjà bien avant qu'un conflit armé n'éclate.

 
 

  1. Mesures préventives en temps de paix  

Une meilleure mise en oeuvre du droit humanitaire commence par des mesures très pratiques qui dépassent largement la protection du personnel d'organisations humanitaires. Bien que ces mesures aient déjà été discutées dans d'autres enceintes, il est utile de les rappeler:

  • ratification ou adhésion à l'ensemble des instruments de droit international humanitaire, en particulier aux Protocoles additionnels de 1977, à la Convention sur certaines armes classiques de 1980, ainsi qu'à la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies de 1994;

  • diffusion du droit international humanitaire, tout spécialement au sein des forces armées et de sécurité, mais aussi parmi la population civile, avec un accent particulier sur le respect et la protection de l'action et du personnel humanitaires et le caractère protecteur de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge;

  • adoption des mesures nationales de mise en oeuvre du droit international humanitaire, permettant notamment de protéger l'usage de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge et d'en finir ainsi avec les dangereux abus d'utilisation de l'emblème, ainsi que de punir les personnes qui auraient porté atteinte au personnel humanitaire.

 
 

  2. Principes opérationnels et éthique de l'action humanitaire  

Avec le nombre croissant d'organisations présentes dans les situations conflictuelles, le besoin de professionnaliser l'action humanitaire se fait ressentir plus que jamais. En plus du respect des principes d'humanité, d'impartialité et de neutralité, il convient de développer et d'appliquer une véritable éthique humanitaire. L'adoption de standards éthiques, tels le Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales lors des opérations de secours en cas de catastrophe , contribuera sans doute à atteindre ce but.

La sécurité du personnel humanitaire sera également améliorée si celui-ci respecte les principes d'humanité, d'impartialité et de neutralité dans son comportement quotidien. Il veillera aussi à ne pas heurter la culture et les coutumes des populations dans les pays et régions dans lesquels l'action se déroule. Les organisations humanitaires mettront dès lors un accent particulier sur le recrutement et la formation de leur personnel. Une meilleure connaissance et compréhension de l'environnement de travail et une plus grande capacité d'écoute sont des outils indispensables au bon déroulement d'une action.

En outre, les organisations humanitaires chercheront le dialogue avec les autorités et les bénéficiaires de leurs activités en vue de gagner leur confiance. Elles expliqueront en quoi consiste l'action humanitaire afin d'éviter de possibles malentendus et de faux espoirs. La compréhension et l'acceptation de l'action sera encore améliorée par le biais d'une implication directe de la population dans le déroulement de l'action et un renforcement des structures locales, notamment des Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge.

Il est aussi essentiel de privilégier les actions visant à restaurer l'autonomie des populations et de n'utiliser qu'en ultime recours les grandes actions de secours, dont certains effets négatifs ne sauraient être ignorés.

En ce qui concerne le recours à des escortes armées, les organisations humanitaires mesureront avec grande attention l'impact d'un tel accompagnement, qui présente toujours de graves inconvénients, à court, moyen et long termes. On ne peut cependant exclure totalement certaines mesures de ce type, tel le recours à des gardes armés pour la protection de bureaux ou de résidences contre la criminalité de droit commun.

 
 

  3. Concertation entre acteurs humanitaires et coordination des activités  

À une époque où le nombre d'acteurs humanitaires va en augmentant, il devient particulièrement souhaitable que ceux-ci développent un dialogue opérationnel qui permette des échanges d'informations en matière de sécurité.

En outre, il est certain que le respect des mandats respectifs dans un esprit de complémentarité, ainsi qu'une coordination efficace des activités permettra non seulement d'utiliser les ressources à bon escient, mais tendra aussi à améliorer la sécurité du personnel humanitaire.

 
 

  4. Mesures spécifiques visant la sécurité du personnel d'organisations humanitaires  

Les parties à un conflit armé prendront toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité du personnel d'organisations humanitaires. Ils prendront des mesures pour protéger ce personnel contre toute atteinte, ainsi que pour protéger les locaux officiels, le domicile privé ou les moyens de transport d'organisations humanitaires.

Les États accorderont et garantiront aux organisations humanitaires, ainsi qu'à leur personnel, dans toute la mesure du possible, les immunités nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches en toute indépendance, et tout spécialement les immunités en relation avec leur sécurité.

 
 

  5. Enquêtes et poursuites pénales  

À la suite d'attaques ou de la violation de l'intégrité du personnel d'organisations humanitaires, de même que dans d'autres cas de vi olations graves du droit international humanitaire, il est crucial que les belligérants ouvrent sans tarder une enquête approfondie et prennent les mesures nécessaires pour rechercher les responsables. Ces enquêtes seront menées de façon indépendante et impartiale et leurs résultats seront en principe rendus publics.

Il est essentiel aussi que les responsables soient traduits en justice dans les meilleurs délais, voire qu'ils soient extradés vers un État désireux de les poursuivre, tout spécialement lorsqu'ils ont commis des violations graves aux Conventions de Genève et aux Protocoles additionnels. L'obligation de réprimer les infractions graves continuera d'exister, même après la création, très attendue, d'une Cour criminelle internationale qui devrait compléter et encourager les efforts à faire au niveau national. Tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour lutter contre l'impunité.

Les États doivent coopérer entre eux, échanger des informations et s'accorder l'entraide judiciaire la plus large possible. Le recours à une commission d'enquête, comme la Commission internationale humanitaire d'établissement des faits, est également souhaitable.

 
 

  6. Responsabilités de la communauté internationale  

Les États parties aux Conventions de Genève, même s'ils ne sont pas parties au conflit armé, se sont engagés à les faire respecter (article 1 commun aux quatre Conventions de Genève). Dans les cas de violations graves des Conventions, ils agiront, pour y mettre fin, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation des Nations Unies et conformément à la Charte des Nations Unies (article 89 du Protocole additionnel I). Il n'y a pas de doute que les atteintes au personnel d'organisations humanitaires représentent de telles violations graves du droit humanitaire.

Il convient de relever ici l'importance que les États, notamment dans le cadre de l'ONU, assument pleinement leur rôle politique face aux conflits armés. Ils doivent éviter de se contenter de soutenir l'action humanitaire quand une action politique, voire militaire, est requise pour mettre fin à des violations massives du droit international humanitaire, tels des massacres étendus de civils. L'humanitaire ne saurait être un alibi pour ne pas agir. L'intervention des États devrait alors viser à rétablir des conditions de sécurité permettant aux organisations humanitaires d'accomplir leur tâche conformément à leurs mandats.

Il est important que les États dénoncent avec la plus grande fermeté les atteintes au personnel d'organisations humanitaires et envisagent de prendre les mesures adéquates pour obtenir des acteurs au conflit le respect du personnel humanitaire.

En outre, l'une des causes identifiées comme contribuant à déstabiliser l'environnement humanitaire est le risque de confusion grandissante entre des mesures militaro-politiques et l'action humanitaire. Il conviendrait dès lors que les États, lorsqu'ils agissent dans le cadre du maintien ou de l'imposition de la paix, portent une attention particulière à cette problématique et respectent la distinction entre le rôle des acteurs politiques et celui des acteurs humanitaires.

1. Ces éléments sont développés dans le document " Les conflits armés liés à la désintégration des structures de l'État " .(voir sous " nouveaux types de conflits " sur ce serveur)

2. Affaires des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ, Recueil, 1986, par. 243.

3. Cette position a été clairement réaffirmée à la XXVI e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève, décembre 1995). La résolution 4, " rappelant que conformément aux Statuts du Mouvement, chaque composante du Mouvement doit respecter en tout temps les Principes fondamentaux contenus dans lesdits Statuts (...) et que les États doivent en tout temps respecter l'adhésion du Mouvement aux Principes Fondamentaux " , dispose au point G.2.(c) que: " La XXVI   e   Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (...) demande aux États de (...) noter que la sécurité des opérations et du personnel du CICR, des Sociétés nationales et de la Fédération internationale est fondée sur leur adhésion aux Principes fondamentaux, et qu'ils ne recourent à la protection armée que dans des circonstances exceptionnelles et non sans avoir obtenu l'approbation de l'autorité qui contrôle le territoire concerné " .

4. Sur cette question, voir aussi le document " Les conflits armés liés à la désintégration des structures de l'Etat " .

5. Ce rapport ne traite pas des défenseurs des droits de l'homme, qui constituent une catégorie de personnel distincte. Rappelons à cet égard que la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a établi en 1985 un groupe de travail à composition non limitée chargé d'élaborer un projet de " déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales universellement reconnus " . Sel on cet instrument, qui n'a pas encore été adopté, chaque État devrait, inter alia , prendre toutes les mesures nécessaires afin de veiller à ce que toutes les autorités compétentes protègent toute personne, tant individuellement qu'en association avec d'autres, contre toute violence, menace, action de représailles, discrimination de facto ou de jure , pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l'exercice légitime du droit à promouvoir et protéger les droits de l'homme.

6. Voir document " Les conflits armés liés à la désintégration des structures de l'État "

  Ref. LG 1997-147-FRE