Directives pour les manuels d'instruction militaire sur la protection de l'environnement en période de conflit armé

30-04-1996 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 818

Suivi de la Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre (1993)

  La Résolution I adoptée par la XXVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève, 1995) a fait siennes les recommandations élaborées par un groupe d'experts intergouvernemental chargé de traduire la Déclaration finale de la Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre (Genève, août/septembre 1993) en proposant des « mesures concrètes et efficaces »   [1 ] . Ces recommandations s'adressent avant tout aux États parties aux Conventions de Genève, dont le dépositaire de ces instruments. Toutefois, le CICR, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont aussi instamment priés de contribuer à cet effort pour améliorer l'efficacité de la mise en oeuvre du droit international humanitaire, l'objectif principal étant de prévenir les violations de ce droit.  

     

  La Revue tient à informer périodiquement ses lecteurs sur les « mesures concrètes et efficaces » qui ont été prises ou devraient l'être par toutes les instances concernées, et notamment celles proposées par le CICR. La Revue apprécierait tout particulièrement de pouvoir également rendre compte des mesures prises par les États.  

     

  Le premier document de cette série traite d'une proposition élaborée avant que la Conférence pour la protection des victimes de la guerre ne lance ce processus en 1993. Il vise à renforcer le respect de l'environnement naturel en période de conflit armé.  

     

  La Revue  

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Dans deux précédents numéros de la Revue , Antoine Bouvier, juriste du CICR, a rendu compte des travaux effectués sur le plan international pour renforcer les moyens juridiques permettant de protéger l'environnement naturel en période de conflit armé [2 ] . Dans son second article, après avoir mentionné les résultats obtenus en 1992 par la 47e session de l'Assemblée générale des Nations Unies, l'auteur concluait que « le droit existant offre une protection suffisante pour autant qu'il soit correctement mis en oeuvre et respecté ». La question essentielle porte donc sur une meilleure application des obligations internationales existantes. Selon lui, « c'est désormais sur la mise en oeuvre des moyens existants et la rec herche de nouveaux mécanismes qu'il faudra porter l'accent » [3 ] .

Depuis 1993, d'autres travaux ont été réalisés suivant les méthodes proposées par Antoine Bouvier; ils correspondent en fait à la position adoptée par le CICR en diverses occasions. Notre propos n'est pas de dresser ici la liste détaillée des différentes mesures prises pour renforcer la protection de l'environnement naturel en période de conflit armé [4 ] . Nous proposons simplement de présenter et discuter brièvement une proposition pratique que le CICR, après consultation d'un groupe d'experts internationaux, a présenté aux Nations Unies en 1994 : les directives pour les manuels d'instruction militaire sur la protection de l'environnement en période de conflit armé . Sans les adopter officiellement, l'Assemblée générale des Nations Unies, lors de sa 49e session, a invité tous les États à h dûment envisager la possibilité de les intégrer dans leurs manuels d'instruction militaire et autres instructions destinées à leur personnel militaire» [5 ] .

Les directives sont conçues comme un outil destiné à faciliter l'instruction et la formation des forces armées dans un domaine souvent négligé du droit international humanitaire : la protection de l'environnement naturel. Elles forment ni plus ni moins un résumé des règles internationales actuellement applicables que les membres des forces armées doivent connaître et respecter. En d'autres termes, elles constituent un instrument de diffusion.

Les directives élaborées par le CICR ne doivent pas être considérées comme le schéma d'une nouvelle codification. Leur seul objectif est de contribuer, de manière pratique et efficace, à mieux prendre conscience d'un précieux atout qui mérite d'être respecté et protégé, même - ou particulièrement - en période de conflit armé : l'environnement naturel. Il incombe déso rmais aux États et, en particulier, aux forces armées, de prendre les mesures adéquates.

  Hans-Peter Gasser  

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  Directives pour les manuels d'instruction militaire sur la protection de l'environnement en période de conflit armé [6 ]

  I. Remarques préliminaires  

1) Les présentes directives sont tirées des dispositions juridiques internationales en vigueur et reflètent les pratiques nationales concernant la protection de l'environnement contre les effets des conflits armés. Elles ont pour but de renforcer l'intérêt des forces armées de tous les États pour la protection de l'environnement et leur préoccupation à cet égard.

2) Les législations des États et les autres mesures prises au niveau national sont des moyens essentiels de faire en sorte que les instruments internationaux de protection de l'environnement en période de conflit armé soient effectivement mis en pratique.

3) Dans la mesure où ces directives sont l'expression du droit coutumier international ou des instruments conventionnels liant un État donné, elles doivent être incluses dans les manuels d'instruction militaire et les règlements sur les lois de la guerre. Lorsqu'elles reflètent la politique d'un pays, il est suggéré de les inclure dans ces textes.

  II. Principes généraux du droit international  

     

4) En plus des règles spécifiques indiquées ci-après, les principes généraux du droit international applicables en cas de conflit armé - tels que le principe de la distinction et le principe de la proportionnalité - s'appliquent à la protection de l'environnement. En particulier, seuls les objectifs militaires peuvent être attaqués et il est interdit d'employer des méthodes ou moyens de guerre qui provoquent des dommages excessifs. Lors des opérations militaires, les précautions exigées par le droit international doivent être prises.
 

Protocole I, art. 35, 48, 52 et 57

5) À moins d'être incompatibles avec le droit applicable en cas de conflit armé, les accords internationaux sur l'environnement et les règles pertinentes du droit coutumier continuent d'être applicables en période de conflit armé. Les obligations relatives à la protection de l'environnement vis-à-vis des États qui ne sont pas parties au conflit (par exemple les États voisins) et pour ce qui est des zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale (par exemple la haute mer) continuent de s'appliquer en cas de conflit armé, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec le droit applicable en cas de conflit armé.

6) Les parties à un conflit non international sont invitées à appliquer les mêmes règles de protection de l'environnement naturel que celles qui régissent les conflits armés internationaux et, en conséquence, les États sont instamment priés d'incorporer ces règles dans leurs manuels d'instruction militaire et leurs règlements sur les lois de la guerre sans établir de distinction entre les différentes formes de conflit armé.

7) Dans les cas non prévus par les règles des accords internationaux, l'environnement reste sous la sauvegarde et sous l'empire des pr incipes du droit international, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes de l'humanité et des exigences de la conscience publique.
 

Convention IV de La Haye, préambule; Protocole I, art. 1 par. 2; Protocole II, préambule

  III. Règles spécifiques relatives à la protection de l'environnement naturel  

     

8) La destruction de l'environnement qui n'est pas justifiée par les nécessités des opérations militaires constitue une infraction au droit international humanitaire. Dans certaines circonstances, cette destruction peut faire l'objet de sanctions en tant que violation grave du droit international humanitaire.
 

Règlement de La Haye, art. 23, par. g); IVe Convention de Genève, art. 53 et 147; Protocole I, art. 35, par. 3 et 55

9) L'interdiction générale de détruire des biens de caractère civil, sauf dans les cas où une telle destruction est justifiée par les nécessités des opérations militaires, protège aussi l'environnement.
 

Règlement de La Haye, art. 23, par. g); IVe Convention de Genève, art. 53; Protocole I, art. 52; Protocole II, art. 14

En particulier, les États devraient prendre toutes les mesures exigées par le droit international afin d'éviter que :

a) des forêts et autres types de couverture végétale soient soumis à des attaques au moyen d'armes incendiaires sauf si ces éléments naturels sont utilisés pour couvrir, dissimuler ou camoufler des combattants ou d'autres objectifs militaires, ou constituent eux-mêmes des objectifs militaires;
 

Convention sur les armes classiques, Protocole III

b) des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que des denrées alimentaires, des zones agricoles ou des réserves d'eau potable soient soumis à des attaques si le but de ces attaques est de priver la population civile de tels biens;
 

Protocole I, art. 54; Protocole II, art. 14

c) des ouvrages d'art ou des installations contenant des forces dangereuses, à savoir des barrages, des digues et des centrales nucléaires de production d'énergie électrique, soient soumis à des attaques, même s'ils constituent des objectifs militaires, lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer de lourdes pertes dans la population civile, et ce aussi longtemps que ces ouvrages d'art ou ces installations bénéficient d'une protection spéciale en vertu du Protocole I aux Conventions de Genève;
 

Protocole I, art. 56; Protocole II, art. 15

d) des monuments historiques, des oeuvres d'art ou des lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples soient soumis à des attaques.
 

Convention de 1954, Protocole I, art. 53; Protocole II, art. 16

10) La pose de mines terrestres sans discrimination est interdite. L'emplacement de tous les champs de mine préplanifiés sera enregistré. Toute pose non enregistrée de mines terrestres mises en place à distance, qui ne sont pas munies d'un mécanisme de neutralisation à autodéclenchement, est interdite. Des règles particulières limitent l'emplacement et l'emploi des mines marines.
 

Protocole I, art. 51, par. 4 et 5; Convention sur les armes classiques, Protocole II, art. 3; Convention VIII de La Haye

11) La guerre sera conduite en veillant à protéger et à préserver l'environnement naturel. Il est interdit d'utiliser des méthodes ou de s techniques de guerre ayant pour objet ou étant susceptibles de causer des dommages graves durables et étendus à l'environnement naturel, et compromettant de ce fait la santé ou la survie de la population.
 

Protocole I, art. 35, par. 3, et 55

12) Il est interdit d'utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyen de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie. Les termes « techniques de modification de l'environnement » désignent toute technique ayant pour objet de modifier - grâce à une manipulation délibérée de processus naturels - la dynamique, la composition ou la structure de la Terre, y compris ses biotes, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ou l'espace extra-atmosphérique.
 

ENMOD, art. I et II

13) Les attaques contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites aux États parties au Protocole I additionnel aux Conventions de Genève.
 

Protocole I, art. 55, par. 2

14) Les États sont instamment invités à conclure entre eux d'autres accords pour assurer une protection supplémentaire de l'environnement en période de conflit armé.
 

Protocole I, art. 56, par. 6

15) Les ouvrages d'art ou installations contenant des forces dangereuses et les biens culturels seront marqués et identifiés, conformément aux règles internationales applicables. Les parties à un conflit armé sont encouragées à marquer et identifier également les ouvrages d'art ou les installations dans lesquelles sont effectuées des activités présentant des risques, ainsi que les sites qui sont indispensables à la santé humaine ou à l'environnement.
 

Par exemple, Protocole I, art. 56, par. 7 et Convention de 1954, art. 6

  IV. Mise en oeuvre et diffusion  

16) Les États respecteront et feront respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international applicable en cas de conflit armé, y compris les règles protégeant l'environnement en période de conflit armé.
 

Conventions de Genève, art. 1, et Protocole I, art. 1, par. 1

17) Les États diffuseront ces règles, les feront connaître le plus largement possible dans leurs pays respectifs et les intégreront dans leurs programmes d'instruction militaire et civile.
 

Convention IV de La Haye, art. 1; IVe Convention de Genève, art. 144; Protocole I, art. 83; Protocole II, art. 19

18) Dans l'étude, la mise au point, l'acquisition ou l'adoption d'une nouvelle arme, de nouveaux moyens ou d'une nouvelle méthode de guerre, les États ont l'obligation de déterminer si l'emploi doit en être interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par les règles du droit international applicables, y compris celles qui prévoient la protection de l'environnement en période de conflit armé.
 

Protocole I, art. 36

19) Dans le cas d'un conflit armé, les parties à ce conflit sont encouragées à faciliter et protéger l'action des organismes impartiaux contribuant à empêcher ou à réparer les dommages causés à l'environnement, en vertu d'accords spéciaux entre les parties concernées ou, selon le cas, de l'autorisation accordée par l'une d'entre elles. L'accomplissement de ces tâches devrait se faire en tenant dûment compte de la sécurité des parties concernées.
 

IVe Convention de Genève, art. 63, pa r. 2; Protocole I, art. 61-67

20) En cas d'infraction aux règles du droit international humanitaire assurant la protection de l'environnement, des mesures seront prises pour faire cesser toute violation de ces règles et prévenir toute nouvelle infraction. Les commandants militaires sont tenus d'empêcher que soient commises des infractions à ces règles et, au besoin, de les réprimer et de les dénoncer aux autorités compétentes. Dans les cas graves les auteurs des violations seront traduits en justice.
 

IVe Convention de Genève, art. 146 et 147; Protocole I, art. 86 et 87

  Annexe  

  Sources des obligations internationales concernant la protection de l'environnement en période de conflit armé  

     

1. Principes généraux du droit international et règles du droit coutumier

2. Conventions internationales

  Principaux traités internationaux contenant des règles sur la protection de l'environnement en période de conflit armé   :  

     

Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention IV), de 1907, et Règlement annexé concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Règlement de La Haye)

Convention de La Haye relative à la pose de mines sous-marines automatiques de contact (Convention VIII), de 1907

Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, de 1949 (IVe Convention de Genève)

Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, de 1954 (Convention de 1954)

Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, de 1976 (ENMOD)

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), de 1977

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), de 1977

Convention des Nations Unies sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, de 1980, incluant :

- le Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de mines, pièges et autres dispositifs (Protocole II)

- le Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des armes incendiaires (Protocole III).

  Notes  

1. RICR , N° 817, janvier-février 1996, pp. 60-62. Pour le texte de la Déclaration finale de la Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre, voir RICR , N° 803, septembre-octobre 1993, pp. 401-405, et pour les Recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental pour la protection des victimes de la guerre, voir RICR , N° 811, janvier-février 1995, pp. 36-42.

2. A. Bouvier, « La protection de l'environnement naturel en période de conflit armé », RICR , N° 792, novembre-décembre 1991, pp. 599-611, et « Travaux récents relatifs à la protection de l'environnement en période de conflit armé », RICR , N° 798, novembre-décembre 1992, pp. 578-591.

3. « Travaux récents... » (note 2) p. 578.

4. Voir articles de M. Bouvier (note 2) et les informations plus récentes dans H. P. Gasser,« For better protection of the natural environment in armed conflict: a proposal for action », 89 American Journal of International Law, 1995, pp. 637-644.

5. Rés. AG 49/50 du 9 décembre 1994. Les directives ont été publiées en annexe au Doc. N.U. A/49/323 (1994). Voir H. P. Gasser (note 4).

   

6. Doc. N.U. A/49/323 (1994) et Rés. AG 49/50 (1994).