Le droit international humanitaire au Timor oriental : entre théorie et pratique

31-03-2001 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 841, de Bertrand Levrat

  Introduction I 27e province ou territoire occupé? I Autonomie ou indépendance? I Réfugiés ou personnes déplacées? I Intervention de la communauté internationale I La question du lien entre les milices et l’armée indonésienne I Prisonniers de droit commun ou prisonniers de guerre? I Règles de la IVe Convention applicables à l’INTERFET? I Conclusions I Notes  

  Bertrand Levrat est conseiller juridique à la Division juridique, Comité international de la Croix-Rouge, Genève. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles du CICR.  

 
 

  Introduction  

     

Depuis 1975, le Timor oriental est à l’ordre du jour de la communauté internationale [1 ] . En 1999, suite à un scrutin organisé par les Nations Unies sur la question de l’autonomie de ce territoire, il a sombré dans un chaos d’une rare violence. Les yeux du monde se sont alors tournés vers cette île et face à l’urgence, la communauté internationale s’est précipitée au secours de cette population en détresse. De nombreuses questions juridiques complexes se sont posées alors et continuent de se poser aujourd’hui par rapport au droit international applicable aux Timorais.

Les lignes qui suivent analysent la situation juridique au regard du droit international humanitaire, de 1975 à nos jours. Tout en nous concentrant sur les événements récents qui ont secoué «l’île du santal blanc», nous passerons en revue le statut du Timor oriental – après son annexion par l’Indonésie, après l’arrivée d’une force multinationale et aujourd’hui, sous la responsabilité des Nations Unies –, celui des personnes réfugiées à Timor-Ouest, ainsi que celui des miliciens pro-indonésiens capturés par la force multinationale et dont certains sont encore détenus par l’ONU.

 
 

  27e province ou territoire occupé?  

     

  Un peu d’histoire  

     

En 1974, la «révolution des œillets» précipite le démembrement de l’empire portugais. Le 24 juillet 1974, le Conseil d’État du Portugal approuve une loi réformant la constitution et reconnaissant le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du Timor oriental, qui n’est plus considéré comme une «province d’outre-mer». Dans ce cadre, le gouvernement portugais promulgue une loi qui prévoit la fin de la souveraineté portugaise pour octobre 1978. Différents groupes luttent alors pour le pouvoir et le FRETILIN ( Fronte Revolucionario de Timor Leste Independiente ) [2 ] proclame l’indépendance de «la République démocratique du Timor oriental» le 28 novembre 1975. Le 7 décembre 1975, l’Indonésie intervient militairement au Timor oriental [3 ] et, tout en niant sa participation à cette action [4 ] , permet aux partis opposés au FRETILIN de prendre le pouvoir en décembre 1975. Quelques mois plus tard, en mai 1976, ces partis demandent l’incorporation du Timor oriental à la République d’Indonésie. Le 17 juillet 1976, le président indonésien promulgue une loi prévoyant l’incorporation du Timor oriental à la République d’Indonésie, en tant que 27e province du pays. [5 ]

Les affrontements armés ouverts entre le FRETILIN et l’armée indonésienne se poursuivent jusqu’en 1979, puis les combats continuent sous la forme d’actes de guérilla sporadiques et limités dans l’espace.

Le Portugal, tout en rejetant la proclamation d’indépendance par le FRETILIN et affirmant sa qualité de Puissance administrante, dénonce l’intervention de l’Indonésie, qu’il qualifie d’acte d’agression.

L’Assemblée générale des Nations Unies condamne, le 12 décembre 1975, l’invasion par les forces indonésiennes et demande leur retrait immédiat [6 ] afin «de cesser de violer l’intégrité territoriale du Timor portugais(…) et de permettre au peuple du territoire d’exercer librement son droit à l’autodétermination et à l’indépendance» [7 ] . Le Conseil de sécurité, utilisant la même terminologie que la résolution de l’Assemblé générale, condamne à son tour l’invasion. [8 ]

Le 1er décembre 1976, l’Assemblée générale refuse expressément l’allégation selon laquelle le Timor oriental a été intégré à l’Indonésie, «dans la mesure où la population du territoire n’a pas été en mesure d’exercer librement son droit à l’autodétermination et à l’indépendance» [9 ] . En décembre 1978, elle affirme «la légitimité de la lutte du peuple du Timor oriental» en vue de réaliser son droit à l’autodétermination et à l’indépendance. [10 ]

Avec le temps toutefois, le soutien apporté à la cause du peuple timorais par la communauté internationale s’est progressivement érodé. Les principaux voisins de l’Indonésie ont toléré l’annexion de fait et l’Australie a même reconnu officiellement la souveraineté de l’Indonésie sur Timor oriental. Les résolutions de l’Assemblée générale sont quant à elles adoptées avec des majorités de plus en plus faibles. En 1982, une résolution adoptée par 50 voix contre 46, avec 50 abstentions, demande au secrétaire général d’engager des consultations avec toutes les parties impliquées en vue de trouver une solution au problème timorais. [11 ]

Depuis, l’Indonésie et le Portugal négocient sous l’égide des Nations Unies sans cependant arriver à trouver une solution aux problèmes de fond liés à l’autodétermination du peuple timorais et au statut du Timor oriental. Pour permettre au secrétaire général de poursuivre ses efforts en vue d’une solution dans un contexte aussi favorable que possible, et pour ne pas risquer de voter sur une résolution dont le résultat serait incertain, l’Assemblée renvoie l’examen de la question d’année en année. Les Nations Unies n’accepteront jamais for mellement l’annexion du Timor oriental par l’Indonésie.

Il est paradoxal de constater que l’ONU, qui a tant œuvré pour la décolonisation, demande au Portugal «en tant que puissance administrante» de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies en conservant sa tutelle dans le cadre du Chapitre XI de la Charte des Nations Unies. [12 ]

En 1995, la Cour internationale de Justice rappelle dans son arrêt sur le Timor oriental que, pour le Portugal et l’Australie, «le Territoire du Timor oriental demeure un territoire non autonome et son peuple a le droit à disposer de lui-même» [13 ] . Il est intéressant de noter que dans son exposé des faits, la Cour mentionne expressément que «[d ] epuis ce retrait, c’est l’Indonésie qui occupe le Territoire et les Parties reconnaissent que celui-ci est demeuré sous le contrôle effectif de cet État». [14 ]

  Quant au droit international humanitaire applicable  

     

Au regard du droit international humanitaire, il ne fait pas de doute que l’intervention indonésienne en 1975 constituait un conflit armé mené par les forces armées d’un État sur le territoire d’un autre État, ce qui entraîne l’application des quatre Conventions de Genève pour la protection des victimes de la guerre du 12 août 1949 [15 ] . En effet, l’Indonésie et le Portugal sont des États souverains, parties aux Conventions de Genève [16 ] . Le fait que l’État dont le territoire a été envahi n’ait pas fait usage de ses forces armées pour résister aux troupes indonésiennes ne change en rien son caractère de conflit armé, en vertu de l’article 2, alinéa 2 commun aux quatre Conventions de Genève. Il en résulte que le contrôle du territoire par l’armée indonésienne qui fait suite à cette invasion est une occupation déclenchant l’applicabilité au territoire du Timor or iental de la (quatrième) Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. [17 ]

La IVe Convention de Genève est construite sur l’axiome selon lequel les parties au conflit doivent veiller à ce que, malgré l’occupation ou la guerre, les ressortissants du territoire occupé ou les étrangers vivant sur le territoire d’une partie au conflit puissent continuer à mener une vie aussi normale que possible, dans le respect de leurs lois, de leur culture et de leurs traditions. [18 ]

L’intégration du Timor oriental à l’Indonésie, en tant que 27e province est une annexion au regard du droit international, l’occupation n’entraînant aucun transfert de souveraineté [19 ] . En effet, en vertu de l’article 47 de la IV e Convention, «[l ] es personnes protégées qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront privées, en aucun cas ni d’aucune manière, du bénéfice de la présente Convention(…) en raison de l’annexion [par la Puissance occupante ] de tout ou partie du territoire occupé». Ce n’est qu’en cas de reconnaissance par la communauté internationale de l’annexion que la IVe Convention cesse de s’appliquer [20 ] . Or, comme nous l’avons vu précédemment, à l’exception d’une minorité d’États, cela n’a pas été le cas.

En vertu de l’article 6, alinéa 3 de la IVe Convention, «[e ] n territoire occupé, l’application de la Convention cessera un an après la fin générale des opérations militaires; néanmoins, la Puissance occupante restera liée pour la durée de l’occupation – pour autant que cette puissance exerce les fonctions de gouvernement dans le territoire en question – par les dispositions des articles suivants de la présente Convention: 1er à 12, 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52, 53, 59, 61 à 77 et 143».

La fin générale des opérations militaires s’entend, d’après le Commentaire (publié par le CICR) de la IVe Convention de Genève [21 ] , pa r «le dernier coup de canon. Il y a cependant un certain nombre d’autres facteurs dont il faut tenir compte. Lorsque la lutte se déroule entre deux États, la fin des hostilités peut être assez facilement fixée: elle découle soit d’un armistice, soit d’une capitulation, soit d’une debellatio pure et simple. On doit admettre que, dans la plupart des cas, la fin générale des opérations militaires sera la fin complète de la lutte entre tous les intéressés». La lutte entre les forces armées indonésiennes et les forces armées portugaises n’a jamais eu lieu. En ce qui concerne la résistance timoraise, principalement celle du FRETILIN, ses actions militaires deviennent de plus en plus sporadiques, voire progressivement inexistantes face à la répression militaire exercée par l’occupant. [22 ]

Au regard de l’article 6, la IVe Convention ne s’applique donc pas dans sa totalité [23 ] . Toutefois, cette règle peut être interprétée par rapport à l’évolution du droit en la matière. En particulier, le Protocole I additionnel aux quatre Conventions de Genève, en son article 3, lettre b), étend l’application des Conventions de Genève aux territoires occupés jusqu’à la fin de l’occupation. Ne restreignant plus l’applicabilité de certaines dispositions de la IVe Convention après un certain délai, cette nouvelle disposition marque l’évolution du droit humanitaire en ce qui concerne son application dans le temps. Comme le relève le Commentaire du CICR aux Protocoles additionnels: «La fin de l’occupation, qui peut intervenir longtemps après le début de cette occupation, résultera de divers éléments de fait ou de droit, selon que l’issue en sera la libération du territoire ou son incorporation dans un ou plusieurs États conformément au droit du peuple ou des peuples de ce territoire à disposer d’eux-mêmes. L’occupation n’affecte pas en tant que telle le statut juridique du territoire occupé, ainsi que le rappelle l’article 4». [24 ]

Bie n que l’Indonésie ne soit pas partie aux Protocoles additionnels de 1977, on peut considérer, à notre avis et au vu de l’évolution du droit international humanitaire, que l’ensemble de la IVe Convention de Genève est applicable au Timor oriental. Les conséquences pour son applicabilité aux forces de la Force internationale au Timor oriental (INTERFET) et de l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO) sont examinées plus loin.

     

 
 

  Autonomie ou indépendance?  

     

La chute du président Suharto, le 21 mai 1998, sur fond de crise tant économique que de politique interne, précipite les événements. Dès juin 1998, le nouveau président de l’Indonésie, Youssef Habibie, se déclare prêt à réfléchir à la question d’un «statut spécial» pour le Timor oriental. En janvier 1999, l’Indonésie déclare qu’elle envisage une possible indépendance du territoire en cas de rejet du principe d’autonomie. Le 5 mai 1999, le Portugal et l’Indonésie signent un accord sous l’égide des Nations Unies [25 ] . Fondé sur le droit à l’autodétermination du peuple timorais, cet accord prévoit de soumettre la question à une consultation populaire, organisée et supervisée par l’ONU. [26 ]

Dans sa résolution du 7 mai 1999, le Conseil de sécurité rappelle les résolutions 1514 (XV), 1541 (XV) et 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, soulignant ainsi que la question du droit à l’autodétermination et à l’indépendance du Timor oriental doit être prise en compte dans le cadre de la recherche d’une solution pour le territoire [27 ] . Dans cette résolution, le Conseil de sécurité «sait gré au Secrétaire général de son intention d’établir aussitôt que possible une présence des Nations Unies au Timor oriental, en vue de contribuer à l’application [de l’accord du 5 mai 1999 ] , notamment en organisant une consultation de la population du Timor oriental sur l’acceptation ou le rejet dans un cadre constitutionnel d’autonomie pour le Timor oriental, prévue pour le 8 août 1999».

Les deux questions proposées aux Timorais sont formulées comme suit [28 ] :

«Acceptez-vous l’autonomie spéciale proposée pour le Timor oriental au sein de la République unitaire d’Indonésie?

«Rejetez-vous l’autonomie spéciale proposée pour le Timor oriental, option conduisant le Timor oriental à se séparer de l’Indonésie?»

Pour le cas où une autonomie spéciale serait acceptée, le secrétaire général des Nations Unies avait préparé un «Cadre constitutionnel pour l’autonomie spéciale du Timor oriental», réglementant les questions des compétences respectives du gouvernement central et du gouvernement de la région autonome, de l’identité et de l’immigration des Timorais de l’Est, des pouvoirs et institutions du Timor oriental, de la promotion et la protection des droits de l’homme, des relations entre le gouvernement central et le gouvernement de la région autonome, des relations de la région autonome avec d’autres entités, ainsi que du rôle de l’ONU. [29 ]

En cas de victoire de l’option autonomiste, le gouvernement du Portugal devait, aux termes de l’article 5 de l’accord du 5 mai 1999, prendre les mesures nécessaires pour que le Timor oriental soit rayé de la liste des territoires non autonomes de l’Assemblée générale des Nations Unies, et retiré de l’ordre du jour du Conseil de sécurité et de l’Assemblée. Afin de mener à bien ces élections, le Conseil de sécurité décide, le 11 juin 1999, d’établir une mission de l’ONU: la Mission des Nations Unies au Timor oriental   (MINUTO) ayant pour mandat d’organiser et de conduire le processus de référendum. [30 ]

Le 4 septembre 1999, date de la proclamation des résultats du vote, le Timor oriental sombre dans la violence. Des 800 000 habitants du territoire, 344 580 électeurs inscrits (78,5%) ont voté contre la proposition de large autonomie présentée par l’Indonésie, et donc ipso facto pour l’indépendance. Au total, 94 388 électeurs ont voté pour l’autonomie dans le cadre de l’Indonésie.

Dès que les résultats sont connus, des miliciens anti-indépendantistes (également appelés miliciens pro-intégrationnistes) [31 ] détruisent systématiquement les habitations, pillent, tuent et violent. Plus de 250 000 civils sont contraints de fuir le territoire, alors qu’un nombre similaire se déplace à l’intérieur des terres, pour se mettre à l’abri des miliciens. Le désastre est total. Le rapport du secrétaire général des Nations Unies est à cet égard éloquent: «Depuis l’annonce des résultats de la consultation populaire le 4 septembre, les milices pro-intégrationnistes, parfois avec l’appui d’éléments des forces de sécurité indonésiennes, ont mis à feu et à sang le Timor oriental». [32 ]

 
 

  Réfugiés ou personnes déplacées?  

     

Rapidement, la communauté internationale et les organisations humanitaires cherchent à venir en aide à la population déplacée tant à Timor-Est qu’à Timor-Ouest. Une question d’apparence simple va néanmoins se poser: les Timorais se trouvant à Timor-Ouest doivent-ils être considérés comme des réfugiés ou comme des personnes déplacées, et par là-même, sous la protection de quels instruments juridiques du droit des gens se trouvent-ils? [33 ]

L’article 49 de la IVe Convention de Genève prohibe les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la puissance occupante et ce, quel qu’en soit le motif. Une évacuation de civils pour leur propre sécurité ou exigée par d’impérieuses nécessités militaires reste possible dans le système instauré par l’article 49, mais à plusieurs conditions. D’une part, ces déplacements ne sont autorisés qu’à l’intérieur du territoire occupé lui-même, sauf impossibilité matérielle (art. 49, al. 2) et, d’autre part, les événements décrits ci-dessus ne sauraient satisfaire les conditions exigées pour la réalisation d’une telle évacuation. De même, les destructions de biens mobiliers ou immobiliers civils sont interdites (art. 53).

Même après leur déplacement sur le territoire de la province indonésienne de Timor-Ouest, les Timorais de l’Est restent protégés par les dispositions de la IV e Convention (d’après l’article 47). Afin de faire cesser la violation de l’interdiction de transferts forcés, les autorités indonésiennes sont tenues de permettre à ces derniers de rentrer.

Reste à examiner si les Timorais pouvaient également bénéficier du statut de réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 et de son Protocole additionnel de 1967. Un réfugié est une personne qui «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays(…)». [34 ]

La reconnaissance de leur statut de réfugiés soulève plusieurs difficultés, la première et non des moindres étant le fait que l’Indonésie n’est pas partie à la Convention de 1951. De plus, cet État considérant le Timor oriental comme sa 27e province, ces personnes n’ont traversé aucune frontière internationale en allant se réfugier à Timor-Ouest. Enfin, même si plusieurs États reconnaissent le statut de réfugiés à ceux qui fuient les persécutions généralisées liées à un conflit [35 ] , cette définition n’est pas acceptée par l’ensemble de la communauté des États et ne peut dès lors pas être considérée comme de nature coutumière. [36 ]

Le Conseil de sécurité, le 15 septembre 1999, a souligné dans sa résolution 1264 (1999) «qu’il appartient aux autorités indonésiennes de prendre des mesures immédiates et efficaces afin d’assurer le retour en toute sécurité des réfugiés au Timor oriental». Il réitère également, le 8 septembre 2000, «sa profonde préoccupation devant la présence prolongée d’un grand nombre de réfugiés du Timor oriental dans des camps au Timor occidental» [37 ] . Le Rapport de la Mission du Conseil de sécurité au Timor oriental et en Indonésie, du 20 novembre 2000, exprime également ses «préoccupations pour les réfugiés dans les camps du Timor occidental». [38 ]

On peut donc parler de réfugiés au sens du besoin de protection de la part de la communauté internationale et du mandat du haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés [39 ] . Néanmoins, vu l’absence de consensus sur la détermination de leur statut de réfugié, le statut formel des Timorais originaires du Timor oriental et se trouvant à Timor-Ouest n’est à notre connaissance toujours pas clair.

 
 

  Intervention de la communauté internationale  

       

Le gouvernement indonésien, bien que réticent dans un premier temps, a non seulement consenti, le 12 septembre 1999, à accepter le déploiement de la force internationale [40 ] , mais s’est aussi engagé à coopérer avec elle à l’exécution du mandat de celle-ci sous tous ses aspects [41 ] .

Le 15 septembre 1999, le Conseil de sécurité «prenant note du résultat de la consultation populaire, qu’il considère comme reflétant véritablement les vœux de la population du Timor oriental(…) profondément préoccupé par la détérioration des conditions de sécurité au Timor oriental, en particulier par les actes de violence qui continuent d’être commis contre la population civile du Timor oriental et par le déplacement et réinstallation de très nombreux civils(…), profondément préoccupé par les attaques commises contre le personnel et les locaux de la Mission des Nations Unies au Timor oriental (MINUTO)(…), consterné par la détérioration de la situation humanitaire (…), constatant que la situation au Timor oriental constitue une menace pour la paix et la sécurité», a adopte à l’unanimité, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, la résolution 1264 (1999), dans laquelle il autorise la création d’une force multinationale, l’INTERFET. [42 ]

Le mandat de l’INTERFET est extrêmement ample:

«rétablir la paix et la sécurité au Timor oriental, protéger et appuyer la MINUTO dans l’exécution de ses tâches et, dans la limite des capacités de la force, faciliter les opérations d’aide humanitaire» [43 ] . Pour cela, les États participant à la force sont autorisés a prendre «toutes les mesures nécessaires», y compris la force. Placée sous commandement australien, l’INTERFET se déploie rapidement et le 20 septembre, les premiers hommes débarquent à Timor. Le principal danger qui les guette vient des milices pro-intégrationnistes. Ces milices, actives sur le territoire du Ti mor oriental depuis plusieurs mois, se sont manifestées avant les élections. Depuis la proclamation des résultats du scrutin, elles donnent libre cours à une violence massive et aveugle. [44 ]

 
 

  La question du lien entre les milices et l’armée indonésienne  

     

Au cours des semaines qui vont suivre le début de l’opération de l’INTERFET, des accrochages ont lieu entre les milices pro-intégrationnistes et la force internationale. Si l’INTERFET en tant que telle n’est pas partie aux Conventions de Genève, il ne fait aucun doute que chacun des États qui fournissent des contingents à la force multinationale est responsable de l’application des Conventions de Genève par ses forces. Certaines personnes seront arrêtées suite à ces accrochages et il est dès lors essentiel, pour déterminer leur statut, de se pencher sur le lien entre les milices pro-intégrationnistes et l’armée indonésienne et leur degré d’organisation.

Tant dans les rapports de l’ONU que dans ceux d’organisations non gouvernementales, il apparaît que ce lien était quasiment organique. Nous allons en citer plusieurs ci-après sans prétendre à l’exhaustivité:

Dans son Rapport de la Mission du Conseil de sécurité à Jakarta et à Dili [45 ] , et son annexe La destruction du Timor oriental depuis le 4 septembre 1999 [46 ] , cité et approuvé par le Conseil de sécurité dans la résolution 1264, la mission du Conseil de sécurité relève sans équivoque: «Ces destructions n’ont pas été opérées par des populations civiles frustrées et angoissées. C’est le mythe que les autorités indonésiennes s’efforcent de d iffuser. L’existence de liens directs entre les miliciens et les militaires ne fait plus l’ombre d’un doute et a été dûment étayée par la MINUTO au cours des quatre derniers mois. Mais l’ampleur et le caractère systématique de la destruction du Timor oriental intervenue au cours de la semaine écoulée ont révélé un nouveau degré de participation de l’armée à l’exécution de ce qui était jusque-là une opération plutôt déguisée.»

Le secrétaire général des Nations Unies, quant à lui, relève dans son rapport au Conseil de sécurité que «[d ] epuis l’annonce des résultats de la consultation populaire, le 4 septembre, les milices pro-integrationnistes, parfois avec l’appui d’éléments des forces de sécurité indonésiennes, ont mis à feu et à sang le Timor oriental». [47 ]

De même, la Commission des droits de l’homme se déclare profondément préoccupée «par l’absence de mesures effectives tendant a décourager ou empêcher les violences des milices, et par la collusion qui a été signalée entre les miliciens et les membres des forces armées et de la police indonésiennes au Timor oriental». [48 ]

Le rapport du haut commissaire aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Timor oriental, lui aussi, est éloquent [49 ] : «Le personnel de la MINUTO a signalé que le 10 septembre des miliciens Aitarak avaient été autorisés à franchir librement des points de contrôle des TNI (forces armées indonésiennes – Tentara Nasional Indonesia ) et de la police(…) Puis, le personnel de la MINUTO a vu des soldats de la TNI prêter main-forte aux miliciens qui tentaient de piller des véhicules de la mission» (par. 15). «En maintes occasions, les fonctionnaires de l’ONU au Timor oriental ont vu des miliciens commettre des actes de violence sous les yeux de policiers et de soldats fortement armés qui soit les ont laissé faire soit les ont activement aidés» (par. 16). «Dare, situé à 9 km de Dili, aurait été a ttaqué par des éléments des forces spéciales (Kopassus) de l’armée indonésienne» (par.18).

Dans leur rapport de mission commune à l’Assemblée générale, la rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le rapporteur spécial de la Commission sur la question de la torture et la rapporteuse spéciale de la Commission sur la violence contre les femmes intitulent un chapitre «Responsabilité de l’État», dans lequel ils insistent sur le fait que «les informations recueillies et les témoignages entendus ne laissent pratiquement aucun doute en ce qui concerne le rôle joué directement et indirectement par les TNI et la police en appuyant, en planifiant, en assistant et en organisant les groupes de miliciens pro-intégration». Ils ajoutent qu’«un certain nombre de documents officiels indiquant qu’il y avait une coopération formelle entre les TNI et les groupes de miliciens ont été découverts dans les locaux du Gouvernement au Timor oriental». [50 ]

De même, Human Rights Watch et Amnesty International , à l’occasion de la 54e Assemblée générale des Nations Unies, ont prononcé, le 6 octobre 1999, une déclaration faisant état de l’organisation et de la coopération entre l’armée et les milices [51 ] : «The militias [in the western district] were among the best organized and equipped, and their command structures in several subdistricts in Bobonaro and Covalima overlapped almost completely with that of the regular TNI forces; the fact that the militias have not been disarmed, retain considerable strengh, and continue to be allowed to operate with impunity in West Timor with the support of the TNI(…); the evidence for the Indonesian army’s having organized, trained, armed, and otherwise supported the militias is so overwhelming that the head of Indonesia’s military intelligence admitted it freely to journalists.       Kopassus officers took charge of the opération. »

     

  Human Rights Watch a de plus recueilli les témoignages de plus d’une centaine de Timorais à leur retour de Timor-Ouest et rassemblé sur cette base les preuves de l’implication de l’armée indonésienne – et de « its militia proxies » – dans la planification, la coordination et l’exécution de la politique de la terre brûlée qui a dévasté le Timor oriental. [52 ]

Nous arrivons donc à la conclusion que les miliciens pro-intégrationnistes ont agi de concert avec l’armée indonésienne.

Ils étaient armés et organisés par cette dernière et ont agi dans le cadre d’une politique planifiée et soutenue à tout le moins par les éléments de l’armée indonésienne se trouvant au Timor oriental.

 
 

  Prisonniers de droit commun ou prisonniers de guerre?  

     

Après cet exposé des faits, revenons au statut des miliciens engagés dans des affrontements armés avec des membres de l’INTERFET [53 ] et qui, pour certains, ont été capturés par cette force.

Sont prisonniers de guerre, au sens de la (troisième) Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, les personnes qui appartiennent à l’une des catégories définies à son article 4. L’article 4, lettre A, chiffre premier accorde ce statut à ceu x qui sont membres des forces armées d’une partie au conflit, de même qu’aux membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées.

Le gouvernement indonésien ayant formellement nié, malgré l’évidence factuelle, tout lien avec les milices pro-intégrationnistes, il peut être utile de tirer un parallèle avec les principes dégagés tant par la Cour internationale de Justice que par la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) par rapport aux groupes de volontaires «qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler à un organe du gouvernement» [54 ] . Pour ces groupes d’individus qui n’ont pas formellement le statut d’agents de l’État et qui participent aux hostilités, la Cour a proposé un critère de contrôle effectif qui inclut les notions de dépendance et d’autorité. En effet, pour que l’État devienne une partie au conflit, celui-ci doit non seulement rétribuer et financer les groupes armés et coordonner ou superviser leurs actions, mais également délivrer des instructions précises relatives à la commission des actes illégaux en question [55 ] . Si ces conditions sont remplies, ces individus sont des agents de fait de l’État.

Sur ce point, le TPIY a adopté récemment une position novatrice. En effet, il ne retient pas le critère étroit de contrôle effectif proposé par la Cour internationale de Justice et indique que des instructions spécifiques ne sont pas nécessaires: «The control required by international law may be deemed to exist when a State (or, in the context of an armed conflict, the Party to the conflict) has a role in organising, coordinating or planning the military actions of the military group, in addition to financing, training and equipping or providing operational support to that group. Acts performed by the group or members thereof may be regarded as acts of de facto State organs regardless of any specific instruction by the controlling State concerning the commission of each of those acts.» [56 ]

Ainsi, pour un groupe organisé, un contrôle général (« overall control ») sur le groupe est suffisant: «An organised group differs from an individual in that the former normally has a structure, a chain of command and set of rules as well as the outwards symbols of authority(…) Consequently, for the attribution to a State of acts of these groups it is sufficient to require that the group as a whole be under the overall control of the State.» [57 ]

Ces agents de fait de l’État, à l’inverse des conseillers ou experts militaires, internationalisent donc le conflit en engageant l’État qui les soutient comme partie au conflit [58 ] . Dans le cas des miliciens pro-intégrationnistes, le lien avec l’État indonésien ne fait aucun doute. Ces derniers doivent donc, en cas de capture par des soldats de l’INTERFET, bénéficier du statut de prisonnier de guerre sur la base de l’article 4, lettre A, chiffre 1 de la IIIe Convention de Genève, en tant que membres de milices faisant partie des forces armées.

Subsidiairement, le chiffre 2 de l’article 4, lettre A de la IIIe Convention stipule qu’ont également le droit au statut de prisonnier de guerre les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, à condition d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés, d’avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance, de porter ouvertement les armes et de se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.

Ce ne sont que ces dernières conditions cumulatives de l’article 4, lettre A, chiffre 2 qui semblent avoir été retenues par les conseillers juridiques de l’INTERFET quand ils ont conclu que les miliciens pro-intégrationnistes ne répondaient pas aux exigences de structure et de commandement nécessaires pou r bénéficier du statut de prisonnier de guerre59. On peut toutefois douter du bien-fondé de l’argumentation développée par l’INTERFET pour ne pas reconnaître le statut de prisonnier de guerre aux miliciens capturés. En effet, s’il est probable que certains ont parfois agi à titre individuel, la grande majorité des exactions commises l’a été dans le cadre d’une action orchestrée et commandée par des éléments de l’armée indonésienne qui avaient donné aux milices un degré d’organisation suffisant pour parvenir à détruire la grande majorité de l’île et en déporter les habitants.

Dans les deux cas toutefois, l’article 5, alinéa 2 de la IIIe Convention de Genève stipule qu’en cas de doute sur le statut du prisonnier, ce dernier devra bénéficier de la protection de la Convention jusqu’à ce que son statut soit déterminé par un tribunal compétent. Manifestement, et c’est regrettable, cela n’a pas été et n’est toujours pas le cas.

Les miliciens sont à notre sens des prisonniers de guerre. Ceux qui sont aujourd’hui encore détenus60 doivent pouvoir bénéficier du traitement qui leur est dû. Cela n’empêche bien entendu pas leur poursuite et leur condamnation s’ils sont reconnus coupables pour les infractions graves aux Conventions de Genève qui ont été commises sur le territoire du Timor oriental. Il est intéressant de relever que leur inculpation actuelle ne fait pas état de crimes de guerre mais uniquement de crimes contre l’humanité, cela probablement pour éviter une discussion ouverte et délicate sur l’occupation et les milices lors d’un procès public. Dans le cadre d’un procès [61 ] , cette question sera pourtant probablement abordée par la défense des accusés [62 ] . La IIIe Convention stipule de plus que les prisonniers de guerre resteront protégés par cette Convention jusqu’à leur libération. [63 ]

Enfin, il est à relever que, selon le droit international humanitaire, l’Australie conserve pendant toute la durée de la détention de ces p risonniers de guerre, une responsabilité sur «tout point important» de l’application de la Convention et que ses autorités doivent remédier à la situation s’il s’avérait que la puissance à laquelle ils les ont remis manque à ses obligations, ceci jusqu’à leur libération. [64 ]

 
 

  Règles de la IVe Convention applicables à l’INTERFET?  

     

Il est enfin légitime de se poser la question du statut du Timor oriental au regard du droit international humanitaire entre le 20 septembre 1999, date du déploiement de l’INTERFET, et le 25 octobre 1999, date de la résolution 1272 (1999) du Conseil de sécurité créant l’ATNUTO (Administration transitoire des Nations Unies pour le Timor oriental).

Comme nous l’avons vu précédemment, le Timor oriental était un territoire occupé par l’Indonésie. Avec l’arrivée d’INTERFET, les quelques éléments de l’armée indonésienne encore basés à Dili se retirent et laissent la force multinationale gérer seule le territoire. La résolution 1264 (1999) du Conseil de sécurité autorise la force «à prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter son mandat».

Comme certains auteurs l’ont relevé, la notion d’occupation est une notion qui doit se comprendre objectivement, en tant que contrôle effectif d’une zone et inclure également les territoires se trouvant sous le contrôle d’une force agissant sur mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies [65 ] . «Initially, occupation was viewed as a possible by-product of military actions during war, and therefore it was referred to in legal literature as «belligerent occupation» (…) today the more inclusive «term occupation» is generally used. The emphasis is thus put not on the course through which the territory came under the foreign state’s control, whether through actual fighting or otherwise, but rather on the phenomenon of occupation. This phenomenon can be defined as the effective control of power (be it one or more states or an international organisation, such as the United Nations) over a territory to which that power has no sovereign title, without the volition of the sovereign of that territory.» [66 ]

En cas de consentement de la part du souverain à la présence de forces militaires d’un pays tiers, il ne peut en effet s’agir d’une occupation entraînant l’application de la IVe Convention de Genève. Il est pourtant impossible de parler de consentement souverain dans le cas du Timor oriental. En effet, la question du consentement par les Timorais à la présence de l’INTERFET est formellement impossible à résoudre. Il est certain que la vaste majorité des Timorais victimes des exactions des milices ne pouvait que souhaiter voir débarquer les soldats de la force multinationale. Toutefois, aucune autorité timoraise légitime susceptible de donner un consentement n’existait. De plus, l’urgence paraissant évidente, personne ne semble s’être soucié de demander le consentement des Timorais, qui semblait aller de soi. Le consentement de l’Indonésie, puissance occupante, ne saurait être invoqué comme un argument valable dans ce cadre.

La IVe Convention a donc continué à s’appliquer à l’INTERFET après le départ des troupes indonésiennes.

Il existe de plus une interprétation de la IVe Convention de Genève fondée tant sur l’esprit de la Convention que sur son texte, et sur laquelle nous aimerions nous arrêter. Cette interprétation est en effet une solution élégante à la problématique des territoires sous contrôle onusien, où les questions de jus ad bellum semblent prendre le dessus sur les questions de jus in bello lorsqu’il s’agit des règles relatives à l’occupation. [67 ]

L’article 2, alinéa 2 stipule en effet que «la Convention s’appliquera également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante(…)» (souligné par l’auteur). Les États, lorsqu’ils rédigèrent la IVe Convention en 1949, avaient en mémoire la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient en tête non seulement l’occupation nazie, mais également la reprise des territoires par les alliés en Europe (France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et celle des territoires d’Afrique du Nord, notamment les colonies italiennes qui sont passées sous contrôle britannique [68 ] . Le mot «également» de la Convention concerne, selon cette interprétation, des territoires qui, comme le Timor ou le Kosovo aujourd’hui, n’ont pas été «conquis», mais où la IVe Convention de Genève devrait s’appliquer de jure [69 ] , vu le contrôle total du territoire et des institutions.

Avec la résolution 1272, du 25 ocobre 1999, le Conseil de sécurité a décidé de mettre en place une administration transitoire (ATNUTO) en vue de la création de l’État timorais. Cette administration est en place avec l’accord, explicite cette fois-ci, des responsables timorais, des autorités portugaises, de tous les pays de la région et de la communauté internationale en général. La résolution 1272 donne à l’administration un mandat recouvrant quasiment toutes les fonctions d’un État, basé sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Notamment, l’ATNUTO a le droit d’édicter des lois, d’administrer la justice, de maintenir la loi et l’ordre, etc.

La question de l’applicabilité de la IVe Convention de Genève au territoire du Timor oriental, sur la base de son article 2, alinéa 2 reste d’actualité. Il est certain q ue l’on ne ressent pas une urgence à appliquer les règles du droit international humanitaire dans des circonstances où, clairement, l’ATNUTO donne au pays une stabilité et une paix bienvenues, bien que la IVe Convention puisse offrir un canevas utile à l’administration. Il n’empêche que les perspectives d’avenir pour le Timor ne sont pas toutes optimistes. Et, si d’ici quelques mois des affrontements armés opposaient les soldats de l’ATNUTO et des Timorais – soit des représentants des 94 388 personnes qui n’ont pas voté pour l’indépendance, soit des membres de groupes armés à l’intérieur du Timor oriental –, les questions, tant de la qualification du conflit que du statut des personnes capturées dans ce cadre, redeviendraient épineuses.

 
 

  Conclusions  

     

On pourrait être tenté d’appliquer, dans le cas du Timor oriental, la devise selon laquelle «s’il n’y a pas de solutions, c’est qu’il n’y a pas de problèmes». Toutefois, au moment où ces lignes sont écrites, près d’une centaine de milliers de Timorais se trouvent encore de l’autre côté de la frontière [70 ] , des prisonniers de guerre sont détenus depuis plus d’une année sans que leur statut soit reconnu et sans qu’un procès présentant les garanties d’un jugement équitable se dessine dans un avenir proche.

Les problèmes de qualifications juridiques et de droit applicable décrits dans cet article démontrent la complexité d’une situation qui a nécessité des solutions rapides et pragmatiques de la part des forces en présence. Il est à regretter toutefois que ces solutions n’aient pas été fondées sur des bases juridiques plus formelles, telles que celles données par le droit international humanitaire.

Certes, le droit international humanitaire impose des obligations aux parties, mais il donne également des droits aux victimes des conflits armés, des droits qui ne se fondent pas sur des principes généraux aux contours flous, mais sur les Conventions de Genève qui ont le mérite d’être claires et acceptées par 189 États. L’actualité nous rappelle malheureusement leur nécessité, sous la forme non pas de principes adaptables en fonction des circonstances, mais d’un ensemble de règles à mettre en œuvre et à respecter.

 
 

  Notes  

     

1. Rés. 3485 (XXX) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 12 décembre 1975.

2. Les soldats portugais d’alors, tous natifs de l’île, rejoignent les rangs du FRETILIN qui contrôle la quasi-totalité de la partie portugaise de Timor, alors que deux groupes adverses, l’UDT ( Uniuo Democratica de Timor ) et le MAC ( Movimento Anti-Communista ) préparent une contre-offensive à partir de Timor-Ouest, avec le soutien actif de l’Indonésie. R. Clark, «The «decolonization» of East Timor and the UN norms on Self-determination», The Yale Journal of World Public Order , Vol. 7: 2, 1980, p. 5.

3. À cet égard, la Cour internationale de Justice est sans équivoque: «… les forces armées indonésiennes sont intervenues au Timor oriental». Affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 96.

4. Les villes de Dili et de Baucau auraient été «libérées» par des forces de l’UDT avec l’appui de «volontaires» indonésiens envoyés sur place à la demande de la coalition anti-FRETILIN. Clark, op. cit. (note 2).

5. Lettre du représentant permanent de l’Indonésie au secrétaire général des Nations Unies concernant la question du Timor oriental, du 25 janvier 1989, doc. A/44/941.

6. Rés. 3485 (XXX) du 12 décembre 1975.

7. Idem.  

8. Rés. 384 (1975) du 22 décembre 1975 et rés. 389 (1976) du 22 avril 1976.

9. Rés. 31/53 (1976). Voir aussi rés. 32/34 (1977) 28 novembre 1977 qui reprend les mêmes points.

10. Rés. 33/39 (1978).

11. Rés. 37/30 (1982).

12. Voir à cet égard Jean-Marc Sorel, «Timor oriental – Un résumé de l’histoire du droit international», RGDIP , no 1, 2000, p. 39.

13. Loc. cit. (note 3), par. 31 et 37, pp. 103, 105 et suiv.

14. Ibid ., par. 13, p. 96.

15. Art. 2 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949.

16. L’Indonésie a accédé aux Conventions de Genève le 30 septembre 1958 et le Portugal les a ratifiées le 14 mars 1961.

17. Voir Arrêt Timor oriental, loc. cit . (note 3), p. 96.

18. Réunion d’experts sur les problèmes généraux d’application de la IVe Convention de Genève, Rapport du CICR, 27-29 octobre 1998, p. 3.

19. Éric David, Principes du droit des conflits armés, 2e éd., Bruylant, 1999, p. 454 et suiv.

20. Jean Pictet (éd.) Commentaire de la Convention de Genève relative à la protection des civils en temps de guerre , CICR, Genève, 1956, p. 70. Voir aussi P. Malanczuk, Akehurt’s Modern Introduction to International Law , 7th ed., Routledge, London/New York, 1997, pp. 151-154, et D. J. Harris, Cases and Materials on International Law , 5th ed., Sweet and Maxwell, London, 1998, pp. 218-227.

21. Commentaire , ibid., p. 69.

22. Voir J.-M. Balencie/A. de La Grange, Mondes rebelles, Michalon, 1999, p. 983 .  

23. Voir également Commentaire . op. cit. (note 20), pp. 69-70.

24. Y. Sandoz/C. Swinarski/B. Zimmermann (éd.), Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 , CICR/Martinus Nijhoff, Genève, 1986, p. 68.

25. A/53/951-S/1999/513.

26. L’accord rappelle les rés. 1514 (XV), 1541 (XV) et 2625 (XXV).

27. Rés. 1236 (1999).

28. Rapport du secrétaire général, Annexe II, do c. S/1999/513.

29. Appendice à l’accord du 5 mai 1999, doc. S/1999/513, Annexe I.

30. Rés. 1246 (1999) du 11 juin 1999. Voir aussi rés. 1257 (1999) du 3 août 1999 par laquelle le Conseil de sécurité étend le mandat de la MINUTO jusqu’au 30 septembre 1999, puis au 30 novembre 1999 par la rés. 1262 (1999).

31. Voir, par exemple, rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité du 4 octobre 1999, doc. S/1999/1024.

32. Ibid ., point 3.

33. Les communiqués de presse des organisations humanitaires évitent de se référer à l’un ou l’autre des termes. Voir par exemple, HCR, 6 septembre 1999.

34. Convention relative au statut de réfugiés du 28 juillet 1951.

35. Voir par exemple la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (1969) ou la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés (1984).

36. En particulier, selon le HCR, les pays occidentaux refuseraient d’accorder le statut de réfugié à ceux qui fuient des persécutions généralisées ou des conflits. Voir < www. unhcr. ch/un & ref/who/whois. htm#war > .

37. Rés. 1319 (2000) du 8 septembre 2000.

38. Doc. S/2000/1105.

39. G. Goodwin-Gill, The refugee in international law, 2nd ed., Clarendon Press, Oxford, 1996, p. 29.

40. Rés. 1264 (1999) du 15 septembre 1999.

41. Rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité du 4 octobre 1999, doc. S/1999/1024, p. 2.

42. Il s’agit d’une force autorisée par les Nations Unies, menée directement par les États au moyen de contingents demeurant sous leur commandement (comme, par exem ple, l’action en Corée, l’Opération Turquoise, l’UNITAF, l’Opération Tempête du désert). Voir M. Holly Mac Dougall, «United Nations Operations: Who Should Be in Charge?», Revue de droit militaire et droit de la guerre , vol. XXXIII, 1994, pp. 21-87.

43. Rés. 1264 (1999) du 15 septembre 1999.

44. Voir Human Rights Watch, World Report 2000 : «(…) the Indonesian military was organizing, arming, and training pro-independence militia in each of East Timor’s thirteen districts. Some of these militia had existed since the late 1970s; others were newly created. But the army, apparently under the leadership of the army   special forces, known as Kopassus, linked them into a centrally-coordinated network with a political front organization as a way of defending «autonomy»— which came to mean not enhanced self-government but the status quo.»  

     

45. Doc. S/1999/976 du 14 septembre 1999.

46. Rapport préparé par la MINUTO, 11 septembre 1999, Annexe au doc. S/1999/976.

47. Doc. S/1999/1024 du 4 octobre 1999, par. 3.

48. Rés. de la Commission des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme au Timor oriental , para. 3 (d), 20 octobre 1999.

49. Doc. E/CN.4/S-4/CRP.1 du 17 septembre 1999.

50. Doc. A/54/660, Situation des droits de l’homme au Timor oriental , 10 décembre 1999.

51. Déclaration à la 54e session de la Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission) de l’Assemblée générale des Nations Unies, Point 96 de l’ordre du jour, Question du Timor oriental, 6 octobre 1999.

52. Human Rights Watch, Forced expulsions to West Timor and the refugee crisis , December 1999, Vol. 11, No. 7 (c).

53 Rapport à l’Assemblée générale, doc. A/54/660: «Les pertes en vies humaines n’ont malheureusement pas pu être totalement évitées et six personnes, soupçonnées d’être des miliciens, ont été tuées lors d’affrontements armés avec des unités de l’INTERFET». De même, dans Jane’s Intelligence Review , février 2000, on lit «Following a contact between an Australian SAS patrol and a militia unit(…) INTERFET HQ spokesman Colonel Mark Kelly said: «They [the militia] were clearly employing what appeared to be a sweep-and-clear-by-fire technique when they came across the patrol’s location.» An incident on 16 October saw a six-man Australian SAS patrol ambushed by up to 20 militia near Marko (15km from the border) resulting in the deaths of three militia before the patrol was extracted by helicopter.»  

     

54. Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Fond, C.I.J. Recueil 1986, par. 109: «(…) les liens entre les contras et le gouvernement des États-Unis sont à tel point marqués par la dépendance d’une part et l’autorité de l’autre qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler les contras à un organe du gouvernement des États-Unis ou de les considérer comme agissant au nom de ce gouvernement

55. Ibid ., par. 115: «(…) la participation des États-Unis à l’organisation, à la formation, à l’équipement, au financement et à l’approvisionnemen t des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante(…) pour que puissent être attribués aux États-Unis les actes commis par les contras(…) toutes les modalités de participation qui viennent d’être mentionnées, et même le contrôle général exercé par eux sur une force extrêmement dépendante à leur égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans preuve complémentaire, que les États-Unis aient ordonné ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au droit humanitaire(…) il devrait en principe être établi qu’ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites.»

56. Le Procureur c/Tadic , Affaire No. IT-94-1-A, Chambre d’appel, 15 juillet 1999, par. 137.

57. Ibid ., par. 120.

58. Ibid ., par. 162: «(…) the armed forces of the Republika Srpska were to be regarded as acting under the overall control of and on behalf of the RFY. Hence(…) the armed conflict in Bosnia and Herzegovina between the Bosnian   Serbs and the central authorities of Bosnia and Herzegovina must be classified as an international armed conflict.»

59. Kelly, Mc Cormick, Muggleton and Oswald, «Legal aspects of Australia’s involvement in the International Force for East Timor», in: RICR, mars 2001, no 841.

60. Conférence de presse du 19 avril 2000 par le conseiller juridique adjoint de la MINUTO: «Currently some 65 people were held in the prison in Dili, about 20 of whom were members of militias, or other individuals suspected of participating in the September 1999 violence.»  

61. Human Rights Watch, dans son «World Report 2001», relève à cet égard que «[m]   ost civpol treated each case as a routine homicide investigation, with no attention to the role of the Indonesian state or to the links among the different crimes».  

62. Le rapport de la Mission du Conseil de sécurité à Timor (S/2000/1105) relève à cet égard les carences du fonctionnement de la justice à Timor: «Le système actuel ne peut poursuivre les suspects placés en détention, dont certains depuis près d’un an.»

63. IIIe Convention, art. 5, al. 1.

64. Ibid ., art. 12.

65. La question de l’applicabilité du droit international humanitaire aux forces sous mandat onusien est aujourd’hui reconnue. Voir notamment Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies , Circulaire du secrétaire général, 6 août 1999, UN doc. ST/SGB/1999/13, et à ce sujet: A. Ryniker, «Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies», RICR , no 836, décembre 1999, pp. 795-801, et R. Murphy, «International humanitarian law training for multinational peace support operations», RICR , no 840, décembre 2000, pp. 953-968.

66. E. Benvenisti, The International Law of Occupation , Princeton University Press, Princeton, 1993, pp. 3-4.

67. Il est à relever que bien que ne reconnaissant pas l’application de jure de la IVe Convention, l’INTERFET en a appliqué les dispositions sous forme de directives.

68. Voir à cet égard Michael J. Kelly, Public Security in Peace Operations: The Interim Administration of Justice in Peace Operations and the Search for a Legal Framework , University of New South Wales, 1998.

69. La IVe Convention, si elle avait été appliquée par l’INTERFET au-delà de son esprit et de jure , aurait toutefois posé quelques défis, comme par exemple l’application du code pénal portugais de 1975.

70. Selon un communiqué de l’AFP du 16 janvier 2001, il reste plus de 100 000 personnes dans les camps de Timor-Ouest.