Hommage à Jean Pictet

30-06-2002 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 846, de François Bugnion

  François Bugnion   , Directeur du droit international et de la communication, CICR  

Le Comité international de la Croix-Rouge est en deuil car il a perdu en la personne de Jean Pictet l’un de ses plus remarquables serviteurs, qui fut aussi un maître pour des générations de collaborateurs de l’institution et, pour ceux qui ont eu la chance de travailler étroitement avec lui, un ami.

Entré au service du CICR comme secrétaire-juriste en 1937, il fut à la veille de ses 25 ans, jour de l’invasion allemande en Pologne, bloqué au siège de l’institution pour envoyer les premières offres de service aux belligérants. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il rédigea la plupart des démarches importantes et des appels que le Comité lança en faveur des prisonniers de guerre et des victimes civiles de la guerre. Il fut nommé directeur du CICR en 1946, puis membre du CICR dès 1967 et enfin vice-président de l’institution, qu’il servit jusqu’à sa retraite en décembre 1984. Il fut alors nommé vice-président d’honneur du CICR.

Jean Pictet fut un homme aux talents multiples.

Il fut tout d’abord un juriste d’exception que l’on peut à bon droit considérer comme le père des Conventions de Genève de 1949. Le CICR n’a pas attendu la fin de la Seconde Guerre mondiale pour entreprendre les travaux qui devaient conduire à une refonte complète des Conventions de Genève. Par un mémorandum du

15 février 1945, il annonçait qu’il entreprenait des consultations à cet effet. Lors des consultations d’experts comme lors de la Conférence dip lomatique de 1949, Jean Pictet participa aux débats les plus délicats. Son expertise, ses qualités de juriste, son sens de la formule et ses talents de rédacteur ont permis de surmonter bien des difficultés. Lorsque le CICR mit en chantier une nouvelle mise à jour du droit international humanitaire, pour tenir compte de l’expérience des conflits de la décolonisation, Jean Pictet n’a pas craint de prendre une nouvelle fois la direction des travaux de révision qui devaient déboucher sur l’adoption, le 8 juin 1977, des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949.

Jean Pictet fut aussi un auteur remarquable. Parmi les nombreux ouvrages et articles qu’il a publiés, citons notamment le Commentaire des Conventions de Genève de 1949 qui constitue un instrument de travail précieux, constamment utilisé par tous ceux qui ont la responsabilité d’interpréter, d’appliquer et de mettre en œuvre les dispositions conventionnelles.

La Seconde Guerre mondiale devait cruellement démontrer la nécessité de renforcer la cohésion du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en précisant les principes qui devaient orienter son action. En effet, dès sa fondation en 1863, la Croix-Rouge avait eu la conviction d’obéir à quelques principes fondamentaux qui découlaient de sa mission et de la nature de l’œuvre qu’elle se proposait d’entreprendre; toutefois, si la Croix-Rouge ne cessait de se référer à ces principes, elle semblait incapable d’en préciser la formulation. Les travaux de Jean Pictet ont fait faire à cette question des progrès décisifs. En 1955, il publiait Les Principes de la Croix-Rouge . L’ouvrage, qui fut aussitôt traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en arabe et en japonais, n’impressionne pas par ses dimen-sions, mais par sa densité, par la clarté des formulations qui y sont proposées et par la foi dont il témoigne en l’idéal de la Croix-Rouge.

Les formules proposées par jean Pictet s’imposaient avec une telle évidence qu’elles débouchèrent sur l’adoption unanime, par la XXe Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie à Vienne en 1965, des Principes fondamentaux de la Croix-Rouge, auxquels on s’est constamment référé depuis lors. Tout autant que les Statuts du Mouvement, à l’élaboration desquels Jean Pictet a également participé, les Principes fondamentaux ont contribué à renforcer la cohésion du Mouvement en donnant à ses diverses composantes une direction commune, une référence morale et un guide.

Parallèlement à cet engagement de tous les jours au service du Comité international de la Croix-Rouge, Jean Pictet n’a cessé de conduire une activité académique importante, comme chargé de cours, puis comme professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Genève, de 1965 à 1979. Ses travaux ont été honorés par les doctorats honoris causa de plusieurs universités, par les plus hautes distinctions honorifiques du Mouvement et, en 1999, par la médaille de la Ville de Genève.

Enfin, à sa retraite, il consacra ses forces à un tout autre domaine, qui l’avait toujours passionné, l’histoire des Indiens d’Amérique. Il publia sur ce sujet une somme qui fait autorité.

Derrière l’homme de science dont nous conserverons précieusement l’héritage spirituel et intellectuel se cachait un homme de cœur que tous ceux qui l’ont approché regrettent aujourd’hui. Sa bienveillance chaleureuse, son optimisme à toute épreuve et son sens de l’humour en faisaient un interlocuteur agréable et un homme de grande qualité.

Toujours passionné, c’est vers la musique qu’il s’est tourné au soir de sa vie, composant de petites pièces qu’il était trop modeste pour faire jouer mais que ceux qui venaient le voir ont eu parfois la chance d’entendre.

En guise d’hommage, la Revue in ternationale de la Croix-Rouge a décidé de publier à nouveau un article de Jean Pictet, paru en 1985, et dans lequel selon ses mots, « il présente à bâtons rompus quelques réflexions et expériences d’un praticien du droit humanitaire, qui a eu la chance insigne d’être associé à ce travail fascinant dès le début de sa carrière ».