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Vers la réalisation des objectifs du traité d’Ottawa en Asie centrale

15-04-2004 Déclarationde Daniel Thürer

Discours d’ouverture du professeur Daniel Thürer, Membre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Conférence de Douchanbé 15-16 avril 2004

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Au nom du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), je tiens à remercier le gouvernement du Tadjikistan, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Centre international de déminage humanitaire de Genève d’avoir organisé cette conférence sur un thème d’une importance capitale pour le CICR.

Vous êtes nombreux à savoir que le CICR est une organisation impartiale, neutre et indépendante. Fondé il y a plus de 140 ans, il agit dans les situations de conflit et de violence interne pour protéger la vie et la dignité des victimes, auxquelles il apporte une assistance. Le CICR s’emploie en outre à promouvoir le développement du droit humanitaire. La Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel reflète tous les aspects de notre mission, qui comprend le soutien direct à des dizaines de milliers de victimes de mines, en faveur desquelles nous menons des programmes d’assistance médicale et de rééducation physique, et l’action auprès des communautés, que nous sensibilisons aux dangers des mines terrestres.

L’appel à une interdiction totale des mines antipersonnel, lancé par le CICR en 1994, se fondait sur l’expérience de notre personnel médical qui, à travers le monde, était le témoin d’une crise médicale, humaine et sociale profonde dans presque toutes les situations où ces armes étaient utilisées. En langage médical, ces engins étaient la cause d’une « épidémie » de blessures d’une exceptionnelle gravité, de morts innombrables et de souffrances immenses.

L’aversion grandissante qu’inspiraient au public les effets dévastateurs des mines antipersonnel sur les civils a condui t les gouvernements à adopter, en 1997, la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel.

L’interdiction des mines antipersonnel repose sur deux des règles les plus fondamentales du droit international humanitaire en ce qui concerne le choix des armes :

  • premièrement, la règle en vertu de laquelle les parties à un conflit armé doivent, en tout temps, faire la distinction entre les civils et les combattants, et veiller à ce que les civils ne soient pas la cible d’attaques ; et

  • deuxièmement, la règle interdisant l’emploi d’armes de nature à causer des souffrances excessives.

Les mines antipersonnel frappent de manière aveugle : elles ne peuvent pas « faire la distinction » entre un soldat et un civil. Elles sont activées par la victime, ce qui signifie qu’elles sont conçues pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne, que ce soit un soldat, un civil, un homme, une femme ou un enfant. Les mines antipersonnel continuent de frapper au hasard longtemps après la fin des hostilités, tuant et mutilant surtout des civils.

Les blessures provoquées par les mines antipersonnel sont la cause d’indicibles souffrances. D’ailleurs, les chirurgiens de guerre du CICR considèrent qu’elles sont parmi les pires qu’ils aient à traiter. L’explosion d’une mine antipersonnel enterrée arrache une jambe de la victime, parfois les deux. De la terre, de l’herbe, du gravier, des bouts de métal et de plastique de l’enveloppe extérieure de la mine, des lambeaux de chaussure et des fragments d’os s’incrustent dans les chairs et le bas du corps. Le plus so uvent, ceux qui survivent à l’explosion d’une mine doivent subir une amputation, de multiples opérations et une longue rééducation. Les survivants sont frappés d’une incapacité permanente et subiront, leur vie durant, les conséquences sociales, psychologiques et économiques de cet état. Les effets des mines antipersonnel ne se produisent pas « par accident » : ces armes sont conçues spécifiquement pour mutiler et pour irrémédiablement briser des vies.

Dans une étude réalisée en 1996 pour le CICR Les mines terrestres antipersonnel - des armes indispensables ? Emploi et efficacité des mines antipersonnel sur le plan militaire, CICR, Genève 1996., des experts militaires soulignaient que le coût humain des mines antipersonnel dépassait de très loin la valeur militaire, limitée, de ces engins. 

Mesdames et Messieurs,

En adoptant le traité d’Ottawa en 1997, les États ont accepté, pour la première fois dans l’histoire, d’interdire totalement, sur la base du droit international humanitaire , une arme qui était déjà très largement utilisée. En effet, la Convention n’est pas seulement un traité de désarmement : c’est un programme d’action humanitaire conçu pour faire face aux conséquences humanitaires des mines antipersonnel en engageant les États à éliminer la menace que posent les mines déjà enterrées dans le sol, à porter assistance aux victimes des mines et à sensibiliser la population civile aux dangers des mines antipersonnel.

La mise en œuvre du traité d’Ottawa a été caractérisée par une coopération hors du commun entre les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que les obligations imposées par le traité en matière d e prévention contre les dangers des mines, de déminage et d’assistance aux victimes ont des effets tangibles dans la vie des communautés concernées. Le CICR a constaté que, là où le traité d’Ottawa était pleinement mis en œuvre, le nombre annuel des nouvelles victimes de mines avait diminué des deux tiers, voire plus.

Reste que la crise est loin d’avoir pris fin. Des millions de mines antipersonnel continuent de dévaster des populations à travers le monde, faisant des milliers de nouvelles victimes chaque année et appauvrissant des communautés. D’immenses étendues de terres d’une grande richesse sont inutilisables en raison de la présence de mines. Débarrasser le monde des mines antipersonnel et s’occuper des victimes, tout au long de leur existence, exigent l’engagement de tous sur le long terme.

Il est encourageant de constater que plus des deux tiers des États du monde ont reconnu que seule l’interdiction totale des mines antipersonnel pourrait mettre fin aux souffrances dont ces armes aveugles et inhumaines sont la cause. Mais tant que des États resteront en dehors du cadre de la Convention et continueront à produire des mines antipersonnel, à conserver des stocks importants et à se réserver le droit de les utiliser, les mines antipersonnel constitueront un problème humanitaire persistant.

Les États parties aux Conventions de Genève ont réaffirmé par consensus, à la XXVIIIe Convention internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, tenue à Genève en décembre 2003, l’objectif de l’élimination totale des mines antipersonnel. Notant que la quasi-totalité des États du monde ont souscrit à cet objectif, le CICR invite instamment tous ceux qui n’ont pas encore adhéré au traité d’Ottawa à le faire dans les meilleurs délais.

La première Conférence d’examen du traité d’Ottawa – appelée le Sommet de Nairobi pour un monde sans mines – se tiendra dans la capitale kényenne à la fin de l’année 2004. Le Sommet de Nairobi aura pour tâches, essentielles, de faire le point sur les progrès réalisés depuis l’entrée en vigueur de la Convention en 1999, et d’adopter un « plan d’action » pour les cinq années à venir, afin que le délai de dix ans fixé par cet instrument pour les activités de déminage soit respecté. Ce délai sera échu en 2009.

Les États qui ne sont pas encore parties devraient saisir cette occasion pour adhérer au traité d’Ottawa. L’adhésion universelle au traité d’Ottawa épargnera aux générations futures les indicibles souffrances dont les mines antipersonnel sont la cause et leur permettra de vivre dans un monde libéré de cette menace silencieuse.

Merci.



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