Bosnie-Herzégovine : souvenirs douloureux d’une ancienne détenue
18-03-2005 Éclairage
Sadika Hajruli est née à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en janvier 1945. Près de 50 ans plus tard, elle a été victime d’une autre guerre qui n’a apporté dans sa vie que bouleversements et souffrances.
« Kerim était un compagnon très agréable », répète Sadika. « Jamais il n’aurait élevé la voix contre mes fils ou moi ».
Peu après le début de la guerre, la vie de Sadika a basculé, devenant un véritable cauchemar fait de détention et de mauvais traitements. Bien que je l’aie obligé pendant plusieurs heures à revivre les souvenirs douloureux de quatre années de tortures et de brutalités, Sadika est restée charmante, cherchant par tous les moyens à me mettre à l’aise.
Alors qu’elle me raconte les horreurs qu’elle a subies, elle s’excuse tout à coup d’avoir oublié ce qu’elle voulait me dire ensuite.
« La femme qui me détenait aimait me taper la tête contre le mur », m’explique Sadika, comme en s’excusant, craignant de m’avoir offensée en me révélant un « détail » aussi troublant de son histoire personnelle.
« J’ai été la première femme détenue à Hadzici. Quand ils sont venus arrêter Kerim, en 1992, je n’ai pas voulu laisser emmener mon mari – ils ont donc décidé que je devais partir avec lui. Deux mois durant, nous avons été détenus ensemble, à l’intérieur du complexe sportif de Hadzici.
Quand les soldats sont venus une deuxième fois chercher Kerim, mon manège a échoué et ils ont refusé de m’emmener avec lui », me raconte Sadika. La suite du récit lui a été soufflée par son petit-fils qui buvait le café avec sa grand-mère quand je suis arrivée pour l’interview.
Peu de temps plus tard, Sadika a été transférée hors du complexe sportif.
« Nous étions onze - dix femmes et un homme - détenus dans plusieurs maisons voisines à Hadzici ; parfois nous étions deux par maison, parfois nous étions seuls. Nous n’avons été que deux à survivre jusqu’à la fin : une autre femme, catholique, et moi.
« Ils nous ont forcés à servir les familles qui occupaient les maisons où nous étions en détention. Cela, en soi, aurait pu être acceptable, étant donné les circonstances, mais je suppose que la guerre révèle les pires aspects d’une personne. La femme pour qui j’étais forcée de travailler vivait avec son fils et sa belle-fille ; presque chaque jour, elle me frappait avec une canne en bois et me donnait rarement, et fort peu, à manger. J’ai passé chez elle la plus grande partie de ma vie en détention ».
Le CICR a finalement réussi à enregistrer Sadika en tant que détenue en septembre 1994, plus de deux ans après son arrestation. Aujourd’hui, elle se souvient clairement des deux délégués du CICR, Pierre et Ivan, qui lui ont rendu visite.
« Ils étaient formidables, et ils m’ont traitée comme s’ils étaient mes frères ». Jusqu’à sa libération, en janvier 1996, Sadika a été visitée à douze reprises par des délégués du CICR.
Quatre longues années de détention ont laissé des traces : un bras et un poignet fracturés, une lésion de la colonne vertébrale et des problèmes crâniens.
Voilà maintenant dix ans que la guerre en Bosnie-Herzégovine a pris fin. Après sa libération, Sadika est retournée vivre dans la maison que Kerim avait construite pour elle et leurs enfants. Il semble que rien n’ait vraiment changé. Pourtant, on n’a jamais retrouvé la moindre trace de son mari et, pour Sadika, la vie « ne sera jamais plus la même, jamais plus ».