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Séisme en Asie du Sud : conversations à Chinari

21-12-2005 Éclairage

Jessica Barry, déléguée du CICR,décrit la manière dont un commerce soutenu par le CICR à Chinari offre un espace où les gens viennent parler de leur souffrance.

 

© CICR / J. Barry 
   
Conversations après le petit-déjeuner à Chinari. 
        Majid Ali, étudiant en économie, âgé de 20 ans, cesse de manger son pain et de boire son thé pour se joindre aux deux inconnus qui viennent de s’asseoir. La minuscule boutique de thé de Chinari est pleine de clients et il doit élever la voix pour se faire entendre malgré le bruit. Des camions klaxonnent dans la rue et des bus surchargés, cliquetant, ajoutent au vacarme en descendant dans la vallée de la Jhelum.

Étant donné le remue-ménage extérieur, on peut penser que cette station de montagne autrefois prospère, située dans la partie du Cachemire sous administration pakistanaise, est en train de se redresser après avoir été dans une large mesure détruite par le séisme du 8 octobre. Mais ce que monsieur Ali et ses compagnons de table relatent aux visiteurs lors d’une longue conversation, de nouveau centre l’attention de manière fulgurante sur l’horreur du tremblement de terre et des jours qui l’ont suivi.

" J’’étais dans le bazar quand les secousses ont commencé, dit Majid, en sirotant son thé. Elles étaient si fortes que je suis tombé par terre et quand je me suis relevé, on n’y voyait plus rien à cause de la poussière. Le silence était total. Puis des gens se sont mis à gémir et à appeler à l’aide et je me suis précipité pour tenter de les dégager des bâtiments effondrés. "

" Je travaillais à l’hôtel restaurant Karim, dans la rue là-bas, raconte Muneer Ahmed, le propriétaire de la boutique de thé, montrant la route. On y vendait des plats délicieux. Il a été entièrement détruit pendant le tremblement de terre. J’ai ouvert cette boutique de thé depuis, et les gens viennent s’y retrouver pour parler. "

La boutique est ouverte tous les jours de 5 heures du matin à minuit. Monsieur Ahmed, son propriétaire originaire du village de Sardak, dort sur place. Il a recours aux services de proches pour l’aider à la gérer.

Elle est située sur la route principale, très fréquentée, qui part la ligne de contrôle, près de Chakoti, traverse Chinari, et descend jusqu’à Muzaffarabad. Les murs sont faits de grosse toile et de carton, renforcés avec des planches de bois. L’intérieur, sombre, est meublé de bancs récupérés dans une école détruite. 

Malgré son caractère improvisé, la boutique est vite devenue un lieu de réunion de la communauté après le tremblement de terre.

Au début, la nourriture était elle aussi rudimentaire, consistant surtout en du pain plat et rond et du thé.

L’eau était un autre problème, car la principale source d'approvisionnement de la ville avait été interrompue et monsieur Ahmed, le propriétaire de la boutique de thé, a dû payer à des tarifs exorbitants les services d’un porteur qui allait chercher l’eau à la rivière.

Avec l’aid e du CICR, qui a installé une unité de soins médicaux à Chinari à la fin du mois d’octobre, et dont les délégués passaient tous les jours à côté de la boutique pour aller à leur bureau sous tente, les problèmes de monsieur Ahmed ont été résolus peu à peu. 

Les ingénieurs du CICR ont remis en état un dispositif d’approvisionnement de la ville en eau, en pompant l’eau de la rivière, à 60 mètres dans les collines, et en érigeant des bornes fontaines pour que les habitants puissent venir y remplir des seaux et des jerrycans. Les ingénieurs ont également raccordé les conduites allant d’une source dans les collines jusqu’à la route principale en contrebas, et mis en place un système d’acheminement de l’eau par camions-citernes. De plus, un plus grand nombre de bornes fontaines ont été installées devant la boutique de thé, à la grande joie de M. Ahmed.

 
   
   
© CICR / J. Barry 
   
Muneer Ahmed préparant le thé pour ses clients. 
         

Le manque de vaisselle et d’ustensiles de cuisine a soulevé d’autres difficultés, de même qu’une pénurie de lait et d’œufs. Tous ces problèmes ont pu être surmontés avec le temps. Quand le CICR lui a fourni des casseroles suffisamment grandes, monsieur Ahmed a pu préparer des plats chauds et sa clientèle a augmenté.

En offrant un espace chaleureux où se réunir et parler, il a répondu non seulement au souhait de ses clients de se remplir l’estomac mais aussi à leur besoin de s’asseoir ensemble, de surmonter les pertes qu’ils ont subies. C’est pour cela, au même titre que pour d’autres raisons, que le CICR a décidé de soutenir cette activité.

La conversation avec Majid Ali et d’autres ce matin, autour d’un plat de dhal épicé et de chapattis, justifie amplement, si besoin est, cette décision. 

" Nous avons oublié toutes les choses normales " , dit un homme, tandis que les clients se regroupent autour de lui. 

" Nous venons ici pour partager notre tristesse " , dit un autre, qui a perdu 29 parents proches dans le tremblement de terre et dont la fille, les deux bras cassés, a été hospitalisée durant 22 jours.

" Nous serions morts en plus grand nombre si vous n’étiez pas venus ici " lance une voix dans la foule.

Tous veulent partager leurs expériences. Et leur douleur. Les récits sont poignants et tragiques, et la plupart, relatés avec une calme résignation. Toutefois, ils ne s’attardent pas tous sur le passé. Monsieur Ahmed, au sommet de la réussite de sa boutique de thé, fait part de son projet d’ouvrir un autre restaurant au cours des mois à venir.

Et Majid Ali, l’étudiant, déplorant ces perturbations dans ses études, murmure : " Nous avons tout ce qu’il faut à manger et rien à lire. "



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