Honduras : les disparus peuplent les rêves de leurs proches

19 octobre 2017
Honduras : les disparus peuplent les rêves de leurs proches
Des passants regardent des photos de migrants honduriens disparus exposées sur la place du parc central de Tegucigalpa, dans le cadre de la Journée internationale des personnes disparues. CC BY-NC-ND / CICR / D. Membreño

D'après la Direction de la protection des migrants honduriens, cinq Honduriens disparaissent en moyenne chaque mois sur les routes migratoires. Bien qu'il soit difficile d'obtenir des chiffres exacts, on estime que plusieurs milliers de migrants honduriens auraient disparu ces dernières années.

Pour le CICR, une personne disparue est une personne dont les proches n'ont aucune nouvelle, ou dont la disparition a été signalée sur la base d'informations fiables.

Ne pas savoir si un être cher est vivant ou mort est une expérience angoissante, susceptible de paralyser la vie des proches et notamment de la mère d'un migrant disparu. Les personnes confrontées à ce genre de situation sont vulnérables à divers problèmes psychosociaux et de santé mentale.

C'est pourquoi les activités psychosociales sont essentielles pour comprendre ce que traversent les mères qui se heurtent à la perte ambiguë, à savoir ce sentiment de perte confuse dû au fait d'ignorer si un être cher est vivant ou mort, absent ou présent.

Des centaines de mères, de pères, de sœurs ou de frères honduriens rejoignent des groupes de recherche de migrants disparus. La perte ambiguë se manifeste fréquemment dans leurs rêves.
Voici deux histoires qui illustrent cette souffrance :

Un cercueil au milieu de la pièce

Clementina Fúnez Murcia (73 ans), originaire de Chamelecón au Honduras, a un fils porté disparu : Jorge Flores Murcia. Elle a récemment retrouvé à Guadalaja son autre fils, Mauro Flores Murcia. CC BY-NC-ND / CICR

Après d’innombrables nuits d’insomnie et accablée par la disparition de son fils Jorge, Clementina Fúnez, âgée de 73 ans, a fini par s’endormir. Alors qu’elle rêvait, elle a senti la fraîcheur de la pelouse du stade de foot où « Quiro », le surnom de Jorge dans le quartier, jouait depuis qu’il était petit.

Dans son rêve, Clementina ne porte qu’une chemise de nuit et est pieds nus. Tout le monde dort et il fait noir. Elle marche dans la rue qui mène à sa maison à Chamelecón.

Clementina se demande ce qu’elle fait là quand elle aperçoit de la lumière qui filtre sous la porte de sa maison.

Elle se dit alors que quelqu’un est réveillé.

En ouvrant la porte de chez elle, elle voit un cercueil posé au milieu de la pièce. Un grand homme au visage flou invite Clementina à entrer. Elle fait quelques pas et s’avance jusqu’au cercueil. Elle pose ses deux mains sur la vitre du cercueil et se rend compte que le visage et le corps qui s’y trouvent appartiennent à Jorge.

« C’est impossible, ce n’est pas mon fils, je le veux vivant ! », crie Clementina dans son rêve.

« Regarde-le bien, Clementina, c’est ton fils Jorge », lui répond l’homme étrange debout à côté du cercueil.

Clementina pleure et se réveille. Ce rêve triste est pourtant un moyen d’accepter la perte.

*

Le fils de Clementina, Jorge Flores Murcia, a disparu il y a 30 ans en essayant de rejoindre les États‑Unis. Elle n’a jamais reçu de coup de fil. À l’époque la famille n’avait ni téléphone fixe, ni portable.

Les dernières nouvelles que Clementina a reçues sur Jorge provenaient de Guadalajara, deux ans après son départ. Une voisine qui avait atteint le Mexique, mais que la douane avait renvoyée chez elle, a dit à Clementina qu’un jeune Hondurien avait perdu la vie à un carrefour entre six voies ferrées, écrasé par un train.

Il y a quelques années, Clementina a participé à une mission de recherche avec d’autres mères honduriennes. Au Mexique, d’autres migrants lui ont indiqué que la personne décédée s’appelait Jorge et qu’on la surnommait « El Quiro », comme son fils. Les autorités auraient mis les restes du corps dans un carton. À ce jour, Clementina n’a pas pu voir la dépouille de Jorge.

« J’ai fini par m’habituer à vivre avec l’angoisse et la douleur », soupire Clementina avec résignation. Elle poursuit pourtant ses recherches avec ténacité et détermination.

Un retour à la maison – en rêve

Madre de migrante hondureño desaparecido 2

María Esther Villalta (53 ans), originaire de Puerto Cortés au Honduras, recherche son fils Ruber Armando Villalta Sandoval, qui a disparu il y a 12 ans. CC BY-NC-ND / CICR

Lors de son dernier appel à sa mère María Villalta, Ruber lui a demandé l’autorisation de poursuivre son chemin jusqu’aux États‑Unis. Il voulait y retrouver son frère qui avait franchi la frontière.

« Maman, j’y vais ? Je vais de l’autre côté ? », lui a-t-il demandé au téléphone.

Depuis six mois, Ruber avait pris l’habitude d’appeler sa mère tous les samedis depuis Nuevo Laredo, dans l’État de Tamaulipas, que ce soit dans l’après‑midi ou tôt le matin. Le samedi précédant son dernier appel, il lui a raconté qu’un « coyote » (un passeur) lui avait proposé de reprendre la route et de franchir la frontière. Il lui a également dit qu’il avait besoin d’argent pour poursuivre le voyage.

« Non, mon fils, je n’ai pas d’argent, je ne peux pas t’aider à payer le passeur. Attends un peu s’il te plaît, jusqu’à ce que ton frère t’aide à rassembler l’argent », l’a supplié María. Cela a été leur dernière conversation.

Douze ans se sont écoulés depuis que Ruber Villalta a disparu. Pour María Villalta, qui a 53 ans et vit à Puerto Cortés, la vie a changé. Ses journées ne sont plus comme avant. Elle parle de temps en temps avec d’autres personnes. Elle rit, mais ne ressent aucune joie. Elle passe ses journées à penser, mais surtout elle rêve. Elle rêve que son fils Ruber revient et franchit la porte de la maison. Depuis une fenêtre de son humble demeure, María voit Ruber rentrer avec une petite valise.

« J’ai rêvé de lui il n’y a pas longtemps. Je ne sais plus de quoi on a parlé, mais j’ai rêvé de lui et je l’ai vu. »

 Il y a quelques jours, María parlait à un de ses petits-enfants. Elle l’a appelé Ruber, comme son fils, par erreur.

 « Ah, mon Dieu, mon fils était si beau ! J’espère tant qu’il reviendra ! », s’exclame-t‑elle.

 María Villalta garde la chambre de Ruber intacte. Le même lit avec le même couvre‑lit, les mêmes draps, le même oreiller. Pour María, c’est en maintenant l’ordre des choses dans cette chambre qu’elle peut continuer de rêver que son fils rentrera un jour à la maison.

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