La protection des civils - Déclaration du CICR, Conseil de sécurité de l'ONU, 2014

12-02-2014 Déclaration

Déclaration d'Yves Daccord, directeur général du CICR, Conseil de sécurité des Nations Unies, 12 février 2014

Madame la Présidente, Excellences, Mesdames et Messieurs,

J'ai le plaisir et l'honneur de faire rapport au Conseil de sécurité sur un sujet qui est au cœur de nos activités et de notre identité. Au nom du CICR, je remercie la Lituanie pour son invitation.

Tandis que, réunis ici aujourd'hui, nous débattons des problèmes que nous rencontrons et des moyens de mieux protéger les civils pris au piège dans un conflit armé, aucun mot ne pourra décrire correctement l'immensité et l'intensité des souffrances de nombre de ces civils – ni, en toute honnêteté, y mettre un terme.

Dans certains des conflits armés et autres situations de violence où le CICR travaille aujourd'hui à travers le monde – en particulier dans certaines régions du Moyen-Orient et d'Afrique –, l'impact humanitaire de ces violences sur des populations entières, à l'intérieur des frontières de l'État et au-delà, est si énorme qu'il défie pratiquement toute description.  Lorsque presque chaque homme, chaque femme et chaque enfant d'un pays donné est directement ou indirectement touché par la violence, et que chaque famille que vous rencontrez peut vous raconter une histoire à vous fendre le cœur, il est vraiment vital de prendre des mesures décisives et de ne plus se contenter de mots.

Alors que la recherche de solutions politiques à plusieurs conflits apparemment sans issue se poursuit, les organisations humanitaires telles que le CICR doivent aider à atténuer les conséquences des combats plutôt que de s'interroger sur leurs causes. Cependant, dans nombre des crises les plus complexes et les plus violentes d'aujourd'hui, ce rôle est de plus en plus difficile à remplir.

Les obstacles que nous rencontrons sont multiples. On peut citer l'évidente politisation de l'aide et la polarisation des États au sujet des questions humanitaires, qui renforcent la nécessité d'établir une distinction bien claire entre l'action humanitaire obéissant à des principes et les autres initiatives humanitaires. Un autre exemple est l'écart grandissant entre les besoins humanitaires et la capacité à y répondre de façon efficace, ou la distance qui s'installe entre de nombreux acteurs humanitaires et les personnes qu'ils tentent d'aider. Les parties aux conflits armés – y compris les réseaux complexes de groupes armés – qui, souvent, ni ne respectent, ni n'acceptent l'action humanitaire impartiale constituent un autre défi, tout comme les perpétuels problèmes de sécurité. De plus, les obstacles administratifs, les restrictions et les retards injustifiés ou arbitraires aggravent souvent les problèmes.

Toutes ces difficultés contribuent ensemble au problème le plus préoccupant que rencontre le CICR dans de nombreux contextes, à savoir comment obtenir un meilleur accès humanitaire aux personnes directement touchées par les violences, être à leurs côtés et pouvoir répondre à leurs besoins. La protection que le droit international humanitaire accorde aux civils se trouve au cœur du mandat et de la mission du CICR et sert de cadre à nos activités d'assistance.

La question de l'accès humanitaire peut être extrêmement litigieuse, comme le montrent les débats en cours au plus haut niveau politique. Pour le CICR, cependant, elle est tout à fait claire. L'accès humanitaire dans les situations de conflit armé est réglementé par le droit international humanitaire, que toutes les parties au conflit, étatiques ou non étatiques, doivent respecter. Ces règles établissent sans équivoque qu'il incombe en premier lieu aux États et aux autres parties au conflit de garantir la sécurité et le bien-être de la population vivant sur les territoires sous leur contrôle. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, les besoins essentiels de la population touchée par le conflit armé ne sont pas satisfaits, les parties doivent permettre le passage rapide et sans encombre d'aide humanitaire de nature impartiale et conduite sans discrimination, bien qu'elles conservent un droit de regard.

Cela signifie que les services humanitaires fournis par une institution neutre, impartiale et indépendante telle que le CICR ne peuvent pas être vus comme un affront à la souveraineté d'un État, ni comme une reconnaissance ou un soutien à une partie au conflit, et qu'ils ne peuvent pas être refusés sous ce prétexte.

Nous profitons donc de cette occasion pour réitérer l'appel du CICR à toutes les parties étatiques ou non étatiques aux conflits armés d'aujourd'hui, même les plus violents : respectez les dispositions du droit international humanitaire, y compris celles relatives à l'accès humanitaire. La survie d’innombrables personnes vulnérables est en jeu.

C'est bien sûr le non-respect global du droit international humanitaire, par les États et les groupes armés non étatiques, qui constitue le plus grand défi pour la protection des civils et qui est la cause des souffrances généralisées que nous observons aujourd'hui dans diverses situations de conflit.

Un aspect crucial de l'approche du CICR consiste à entretenir un dialogue avec toutes les parties à un conflit, y compris les groupes armés non étatiques, pour leur rappeler leurs obligations découlant du droit international humanitaire et les presser de les honorer.

Bien sûr, cette approche n'en est qu'une parmi celles adoptées par le nombre toujours croissant d'acteurs – civils et militaires, avec des mandats et des modes de travail différents – pour protéger les civils. Les Nations Unies, par exemple, ont fait de grands efforts ces dernières années pour mieux intégrer la question de la protection des civils dans leur cadre structurel. Le CICR est déterminé à poursuivre et à renforcer le dialogue extrêmement constructif qu'il entretient avec les Nations Unies sur les questions opérationnelles et juridiques liées au maintien de la paix, et à faire bénéficier l'organisation de son soutien et de son savoir-faire en droit humanitaire pour l'aider à dispenser une formation à ses forces de maintien de la paix, tant avant leur déploiement que sur place. Les normes professionnelles relatives aux activités de protection sont de la plus grande importance et, en 2013, le CICR a publié un guide mis à jour à ce sujet. Ces normes pourraient être utilisées pour guider les missions de maintien de la paix des Nations Unies dans l'élaboration et la mise en œuvre de stratégies de protection des civils.

Dans ses activités quotidiennes, le CICR – tout comme les forces de maintien de la paix des Nations Unies – fait face aux conséquences du non-respect actuel du droit international humanitaire. L'une des plus répandues et des plus décourageantes – du moins en termes de chiffres – est le déplacement interne. Ce problème ne touche pas seulement les millions de déplacés internes eux-mêmes, mais également les innombrables familles et communautés d'accueil.

Un meilleur respect du droit international humanitaire est essentiel pour empêcher ce problème d'apparaître en premier lieu et pour protéger les personnes qui ont été déplacées et atténuer leurs souffrances. Le droit humanitaire, par exemple, interdit les déplacements de population, à moins que des raisons militaires impérieuses ou la sécurité des civils ne l'exigent. Un meilleur respect des règles interdisant les attaques directes contre les civils et les biens de caractère civil, et de celles qui interdisent les moyens et les méthodes de guerre frappant sans discrimination, par exemple, permettrait de limiter le nombre de personnes obligées de quitter leur foyer.

Les personnes déplacées sont souvent exposées à de nouveaux actes de violence et ont des besoins vitaux très divers. À l'inverse, il est tout autant répréhensible d'empêcher des personnes de fuir si elles le désirent. Dans les deux situations, il est crucial que les parties au conflit permettent et facilitent un accès humanitaire afin que les besoins des personnes touchées puissent être satisfaits de manière impartiale.

Dans de nombreux conflits armés, on constate l'utilisation courante d'armes explosives ayant un impact étendu dans des zones densément peuplées. Cette pratique, qui risque de provoquer de façon accidentelle ou sans discrimination des morts, des blessés et la destruction de maisons et d'infrastructures civiles vitales, provoque de nouveaux déplacements et empêche les habitants de rentrer chez eux. Le CICR se joint au Secrétaire général pour encourager les États à échanger des informations sur leurs politiques respectives, leurs pratiques opérationnelles et les enseignements tirés sur l'utilisation d'armes explosives dans les zones peuplées. Cela contribuerait à orienter les discussions sur cette question humanitaire importante et, avec un peu de chance, à aider les États à développer des lignes directrices opérationnelles.

Le droit international humanitaire offre une protection durant les conflits armés et après la fin des combats. Et pourtant nous regardons, consternés, les parties au conflit continuer de passer outre aux règles qui pourraient ouvrir la voie au relèvement et à un éventuel retour à la stabilité. Quand la haine et la violence ethniques, religieuses et sectaires sont attisées, le problème est exacerbé, ce qui accroît l'instabilité et la fragilité chroniques de nombreux États en proie à des conflits.

Nous tous ici pouvons contribuer à améliorer le respect du droit international humanitaire. L'initiative conjointe de la Suisse et du CICR visant à renforcer le respect du DIH – qui continue de prendre de l'ampleur et jouit d'un soutien croissant auprès des États – n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Finalement, il revient aux États et aux groupes armés non étatiques – qui sont eux aussi tenus de respecter les dispositions du droit international humanitaire – de faire preuve de la volonté politique de traduire ces dispositions juridiques en actes ; de transformer les paroles et les promesses en actions concrètes ; et de faire de la protection des civils une réalité.

Merci.