L'aide humanitaire reste dans une large mesure inaccessible à des millions de personnes déplacées

25-06-2014 Déclaration

Nations Unies, Conseil économique et social, Débat consacré aux affaires humanitaires, session de 2014, déclaration du CICR, New York, 23-25 juin 2014.

Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à travers le monde a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies. Dans le même temps, les acteurs humanitaires ont eu de plus en plus de difficultés à répondre efficacement aux besoins des personnes les plus démunies. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) souhaite faire part de ses points de vue sur la réponse collective en faveur des personnes déplacées, et sur quelques obstacles qui compromettent notre capacité à mener des activités humanitaires visant à répondre aux besoins de toutes les victimes de conflits armés.

Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à travers le monde a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies. 

S’agissant des personnes déplacées, des progrès ont été réalisés, notamment grâce à l'adoption de la Convention de Kampala et une intégration croissante des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays dans les lois et les politiques nationales. Sur le plan opérationnel, des progrès ont également été accomplis vers une action plus cohérente, notamment en renforçant la coordination entre les parties prenantes concernées.

Néanmoins, en dépit de ce progrès normatif et opérationnel, l'aide humanitaire reste dans une large mesure inaccessible à des millions de personnes déplacées qui reçoivent une protection et une assistance minimale voire nulle. Ces personnes sont donc souvent livrées à elles-mêmes, ne disposant pas de suffisamment de nourriture et d’eau, forcées d’entreprendre des voyages périlleux en quête de sécurité, avec quelquefois des conséquences qui risquent de mettre en danger la vie des jeunes enfants en cas d'épuisement et de maladie. Elles sont plus susceptibles d’être exposées aux attaques d’acteurs armés, à la séparation, à l’exploitation et à des abus tels que le recrutement forcé ou le viol.

La réponse collective de la communauté internationale n’a réussi ni à réduire le nombre de personnes qui se trouvent dans les conditions les plus dangereuses pour leur vie, ni à répondre de manière adéquate à leur situation.
Les gouvernements doivent plus efficacement prévenir et résoudre les conflits armés, et apporter leur soutien pour améliorer la protection de la population civile en général, afin d’endiguer le nombre toujours plus grand de personnes déplacées. Cela exige un meilleur respect du droit international humanitaire, qui interdit explicitement le déplacement arbitraire, nécessite que les civils et leurs biens soient respectés, protège les civils contre les dangers des opérations militaires, et établit des règles régissant les secours et la protection en faveur des personnes démunies. Les acteurs humanitaires ne peuvent jouer qu'un rôle subsidiaire sur ce plan.

Monsieur le Président, le CICR voudrait rappeler à cette assemblée que, même si le respect du droit humanitaire incombe au premier chef aux parties à un conflit, tous les États en portent la responsabilité, comme le prévoit l'article premier commun aux quatre Conventions de Genève, en vertu duquel les États se sont engagés non seulement à respecter, mais aussi à faire respecter les Conventions en toutes circonstances.

Pour que le CICR soit en mesure de s'acquitter efficacement de ses activités de protection et d'assistance, il doit avoir un contact direct avec toutes les victimes afin de bien comprendre les problèmes humanitaires et les contextes opérationnels qui prévalent. De plus, l’institution doit être en mesure d'établir un dialogue constructif et confidentiel avec les groupes armés et les autorités concernés pour faire part de ses préoccupations humanitaires et formuler des recommandations sur la façon d'améliorer la situation des personnes vulnérables.

Alors que le principe d'impartialité dicte que la priorité doit être accordée aux plus démunis, les acteurs humanitaires tant nationaux qu’internationaux sont trop souvent incapables d'atteindre les personnes les plus à risque, faute notamment de sécurité ou parce qu’ils ne sont pas acceptés par les autorités et les groupes armés. C’est pourquoi, il est fréquent que les conditions de base justifiant la pertinence des acteurs humanitaires et leur réponse aux besoins humanitaires ne soient pas réunies. Et pourtant, nous avons tendance à souligner nos réalisations et le nombre de bénéficiaires, tout en minimisant nos lacunes et nos limites, propageant ainsi un sentiment de normalité alors qu’en fait nous sommes confrontés à l'inacceptable. Pour mieux mettre en lumière ces insuffisances, il faut que nous soyons plus explicites sur notre incapacité à atteindre toutes les personnes dans le besoin, et sur les raisons de cette situation.

Nous croyons aussi que pour assurer une action humanitaire pertinente, il est nécessaire de promouvoir et d’améliorer les capacités opérationnelles des acteurs locaux, en complément à l'action des organisations humanitaires internationales.

En tant qu'acteurs humanitaires, nous devons examiner attentivement si nous avons fait tout ce qui est possible pour surmonter les obstacles qui se dressent. Parmi ces obstacles, notons que l'action humanitaire est trop souvent politisée, parce que les acteurs humanitaires sont liés à des programmes politiques ou militaires plus larges. Dans les contextes polarisés, nous sommes convaincus qu’une action humanitaire fondée sur des principes, strictement neutre, indépendante et impartiale s’impose.

Nous croyons aussi que pour assurer une action humanitaire pertinente, il est nécessaire de promouvoir et d’améliorer les capacités opérationnelles des acteurs locaux, en complément à l'action des organisations humanitaires internationales. Pour le CICR, cela suppose avant tout que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui sont souvent acceptées localement, disposent d’un important réseau de volontaires, et possèdent une connaissance approfondie des conditions et des dynamiques locales. Lorsque d’autres entités coopèrent avec les Sociétés nationales, il faut veiller à ce que la neutralité et l’indépendance des Sociétés nationales ne soit pas compromise, ce qui est primordial pour leur accès à toutes les personnes démunies.

En conclusion, nous espérons que cette session du Conseil économique et social contribuera à s’attaquer à quelques facteurs qui diminuent la possibilité d’action accordée aux organisations humanitaires fondées sur des principes. Alors que la réponse humanitaire devrait correspondre, qualitativement, aux besoins des personnes déplacées, c’est avant tout à l’ensemble des États qu’incombe le rôle et le devoir d’assurer un plus grand respect des civils touchés par les conflits armés, et d’aider à créer les conditions nécessaires pour permettre aux acteurs humanitaires d’apporter protection et assistance aux populations touchées.

Pour sa part, le CICR, conformément à ses Principes fondamentaux, s’efforcera inlassablement de poursuivre et d’approfondir son dialogue confidentiel avec les autorités nationales et les groupes armés non étatiques qui peuvent déterminer le sort des personnes en vue d'améliorer le traitement et la protection de tous les civils touchés, dont les personnes déplacées, qui sont vulnérables aux risques et abus décrits ou sont tout simplement livrés à eux-mêmes.