IRRC No. 871

Éditorial - Droits de l'homme

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Abstract
Il ne fait aucun doute que le droit international humanitaire est étroitement lié au droit international des droits de l'homme. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 devait à l'origine s'appliquer en temps de paix et n'a que peu influencé l'élaboration des Conventions de Genève adoptées un an plus tard. En revanche, l'article 75 du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949 a introduit des garanties fondamentales et même des normes de procédure découlant des traités relatifs aux droits de l'homme dans ce qu'on appelait – et qu'on appelle parfois encore – le «droit de la guerre». En dépit de leurs origines et évolution différentes, le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme «ont convergé, fusionnent relativement vite, et (...), dans de nombreux cas concrets, le régime des droits de l'homme définit l'orientation et les objectifs généraux de la révision du droit de la guerre», comme le souligne Gerald I.A.D. Draper, éminent chercheur et historien militaire.Aujourd'hui, personne ne conteste que le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme s'appliquent aux situations de conflit armé et que ces deux branches du droit sont complémentaires et s'influencent mutuellement. Les divers organes des Nations Unies, de même que les jurisprudences et doctrines nationales et internationales, reconnaissent le principe selon lequel les «droits fondamentaux de l'homme, tels qu'ils sont acceptés en droit international et énoncés dans des instruments internationaux, demeurent pleinement applicables en cas de conflit armé».***Ce numéro de la Revue internationale de la Croix-Rouge examine la relation entre le droit international humanitaire et les droits de l'homme dans les situations de conflit armé, à la lumière des éléments d'appréciation récemment formulés par la Cour internationale de justice dans son avis consultatif sur les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé. La Cour note que :«trois situations peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire; d'autres peuvent relever exclusivement des droits de l'homme; d'autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international. Pour répondre à la question qui lui est posée, la Cour aura en l'espèce à prendre en considération les deux branches du droit international précitées, à savoir les droits de l'homme et, en tant que lex specialis , le droit international humanitaire».Alors que le droit international humanitaire demeure le droit spécial applicable dans les conflits armés, il arrive que des normes ou règles divergentes doivent être interprétées pour déterminer si le droit humanitaire ou le droit des droits de l'homme prévaut dans un cas spécifique. Certaines questions liées à la détention dans les situations de conflit armé non international et à l'application du droit dans les situations d'occupation sont prédominantes dans ce débat de fond.***Ces questions fondamentales sur la relation entre le droit humanitaire et les droits de l'homme sont éclipsées par la question – plus politique – de savoir si les mécanismes de mise en œuvre des droits de l'homme devraient également régir les situations de c onflit armé. Les mécanismes établis par le droit humanitaire sont souvent considérés comme étant moins stricts, appliqués uniquement dans des cas exceptionnels (notamment en ce qui concerne les poursuites pénales) et développés de façon rudimentaire dans les situations de conflit armé non international. Les mécanismes des droits de l'homme, en revanche, garantissent un traitement plus ouvert des violations graves des droits fondamentaux de l'homme dans les conflits armés – souvent par voie judiciaire. Plus particulièrement, les procédures judiciaires relatives aux situations de conflit armé ont considérablement évolué ces dernières années, mettant en évidence des questions clés en matière de droits de l'homme telles que l'interdiction de la torture, la détention arbitraire ou l'expulsion forcée ( non-refoulement ) dans les conflits armés et dans ce qu'on appelle la «guerre contre le terrorisme». Cette évolution a contribué à ce que les violations des droits de l'homme soient portées devant la justice comme des questions relevant du droit, non pas de la politique, réaffirmant ainsi la primauté du droit dans les contextes de la guerre et du terrorisme, qui sont particulièrement sensibles et constituent l'ultime défi posé au droit et à ses mécanismes.***Presque tous les États occidentaux sont parties à une convention régionale des droits de l'homme. Ces dernières années, la Cour européenne des droits de l'homme, en particulier, a rendu plusieurs jugements qui ont un impact sur la lecture juridique des situations de conflit armé et du droit applicable. La Cour s'est notamment déclarée compétente pour juger des plaintes déposées par des civils tchétchènes à l'encontre de la Russie au sujet de violations des droits de l'homme commises durant la deuxième guerre russo-tchétchène, et a prononcé 31 jugements à ce jour. Contrairement à la Cour interaméricaine, elle a appliqué uniquement les normes de la Convention européenne des droits de l'homme, dans des situations de conflit armé. Elle s'est abstenue ne serait-ce que de mentionner le droit humanitaire, probablement pour éviter d'éventuels problèmes de compétence matérielle . Néanmoins, la Cour n'a pas évité de faire référence à des notions émanant directement du droit humanitaire, notamment la distinction entre combattants et civils.Cette question est d'autant plus importante que les instruments relatifs aux droits de l'homme peuvent s'appliquer non seulement sur le territoire des États parties, mais aussi à des actes commis par ces États dans un pays tiers – y compris dans les situations de conflit armé. La Cour internationale de justice a approuvé ce principe d'application extraterritoriale des droits de l'homme, en soulignant qu'il est inadmissible de permettre aux États de perpétrer à l'étranger des actes qui leur sont interdits dans leurs propres frontières. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – en particulier la signification de «contrôle effectif» et la question de savoir si son application se limite à la détention de personnes – démontre l'incertitude qui règne dans cette «zone d'ombre». Les compétences et la jurisprudence divergentes des organes créés par traité risquent d'avoir des incidences directes sur la conduite des hostilités – et la distribution des rôles parmi les parties alliées dans un conflit armé – d'autant que les actes de certains belligérants ne sont pas soumis au contrôle d'organismes chargés des droits de l'homme.Une autre question qui a gagné en importance ces dernières années est le principe susmentionné de non-refoulement , qui empêche le transfert d'une personne d'un État à un autre si elle risque de subir des violations de ses droits fondamentaux. Ce principe est énoncé dans le droit des réfugiés et les traités d'extradition, de même que da ns le droit international humanitaire et le droit des droits de l'homme, et montre la complémentarité entre ces deux branches du droit. Le transfert de personnes au cours des opérations multinationales dans les situations de conflit armé est un phénomène croissant : lors d'opérations complexes, des transferts peuvent être réalisés entre des pays fournisseurs de contingents et de personnel de police, les Nations Unies, des organisations régionales et le pays où se déroulent ces opérations. L'idée de base est qu'une personne ne peut pas être transférée s'il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être victime de persécutions, de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants ou d'exécution arbitraire. Dans le cadre des opérations militaires en cours en Afghanistan, en Irak, au Soudan ou au Tchad, la difficulté est de trouver des solutions pratiques pour concilier à la fois l'objet et le but de ces opérations et leurs limites intrinsèques. Les forces internationales ne sont pas particulièrement aptes, ni enclines, à détenir des personnes et ont des difficultés à faire appliquer toutes les normes relatives aux droits fondamentaux de l'homme dans un pays étranger ravagé par la guerre. Il se peut toutefois qu'elles n'aient juridiquement pas le droit de remettre des détenus au pays dans lequel elles se trouvent. À tout le moins, les obligations juridiques dans de telles situations ne devraient pas avoir pour résultat pernicieux d'inciter à ne faire aucun prisonnier.***À l'échelon des Nations Unies, la création d'un Conseil des droits de l'homme il y a deux ans a suscité l'espoir d'un débat multilatéral plus efficace et moins politisé sur les droits de l'homme. L'année 2008 touchant à sa fin, le Conseil a presque terminé la mise en place de ses institutions et son mécanisme d'examen périodique universel favorise une approche plus impartiale et coopérative. Cependant, le Conseil se heurte encore à des obstacles majeurs lorsqu'il porte son attention sur des questions et des situations urgentes sur le plan des droits de l'homme. De surcroît, l'universalité des droits de l'homme est de plus en plus remise en question au sein du Conseil, car bon nombre de pays soulignent la nécessité de prendre en considération les particularités culturelles et religieuses dans l'interprétation de ces droits. Les sessions spéciales du Conseil des droits de l'homme ont notamment montré qu'à l'instar de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui l'a précédé, cet organe demeure profondément divisé du point de vue politique. Les États-Unis ont même abandonné leur statut d'observateur au sein du Conseil.Les positions des États divergent également quant à savoir dans quelle mesure le Conseil et, en premier lieu, les titulaires de mandats au titre des procédures spéciales devraient prendre en considération le droit international humanitaire. Certains États craignent que le traitement sélectif de certaines situations de conflit armé, en particulier au Moyen-Orient, ne politise davantage encore le Conseil, alors que d'autres, sachant la position de force qu'ils occupent au sein de cet organisme, sont favorables à des discussions sur l'application du droit international humanitaire . Tout au moins, le Conseil ne devrait pas assumer la fonction des différents organes qui ont été créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme et qui garantissent une certaine impartialité dans ce débat souvent politisé.***Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pour mandat d'assumer les tâches qui lui sont reconnues par les Conventions de Genève et de travailler à l'application fidèle du droit international humanitaire. Il n'a reçu aucun mandat similaire en vertu du droit international des droits de l'homme, quoique son droit d'initiative humanitaire, de portée plus générale, et son rôle reconnu dans les situation s de violence interne l'aient amené à agir dans de nombreuses situations qui ne sont pas considérées comme des conflits armés. Le CICR, tout comme les forces armées, se sent naturellement plus à l'aise avec le droit international humanitaire, car cette branche du droit a évolué en concomitance avec l'institution et ses activités opérationnelles.Dans la pratique, le CICR a souvent eu recours à des expressions générales telles que «normes reconnues au niveau international» ou «principes humanitaires», au lieu de se référer explicitement au droit international des droits de l'homme. Il craignait de s'exposer à un risque de politisation en invoquant directement les droits de l'homme. Cela a été et reste le cas, surtout dans les instances multilatérales qui sont étroitement liées au système –inévitablement politisé – des Nations Unies. De même, s'il s'engage en faveur des droits de l'homme, il prend le risque d'être associé ou assimilé à des organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme dont les méthodes de travail diffèrent des siennes, en particulier celle de la dénonciation publique. De telles méthodes contrastent avec celle que privilégie le CICR, la confidentialité dans des démarches bilatérales. Qui plus est, le droit des droits de l'homme confère aux individus des droits que les États doivent respecter, alors que le droit humanitaire régit les relations entre les États et les autres parties à un conflit armé.Néanmoins, l'importance croissante des droits de l'homme – au regard de leur complémentarité avec le droit humanitaire, de la jurisprudence des tribunaux des droits de l'homme et du principe d'application extraterritoriale – doit être prise en compte et apporte effectivement un nouvel éclairage sur les obligations juridiques des parties à un conflit armé et les droits des victimes du conflit. Les règles fondamentales relatives aux droits de l'homme, en particulier celles qui protègent les personnes dans les situatio ns de violence (par exemple les dispositions portant sur le droit à la vie, à l'intégrité physique et morale et à la dignité ; au recours à la force pour garantir le respect du droit ; et aux personnes portées disparues), sont comparables aux règles du droit international humanitaire, ont des origines similaires et s'appliquent dans une large mesure à de nombreuses activités menées actuellement par le CICR. En outre, dans les situations qui ne sont pas considérées comme des conflits armés, où les forces de police – parfois soutenues ou relayées par les forces armées – interviennent pour maintenir ou rétablir l'ordre, seuls la législation nationale et le droit des droits de l'homme sont applicables et fournissent les points de référence et les normes communes nécessaires pour engager un dialogue avec les autorités. Dans de tels cas, le CICR peut explicitement faire référence aux règles énoncées dans les traités relatifs aux droits de l'homme ou à des normes non contraignantes ( soft law ) pour améliorer la protection des personnes dans le cadre spécifique de ses activités, tout en réaffirmant son identité indissociable du droit international humanitaire.

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