1937, sur le front de la guerre sino-japonaise

17-10-2013 Article, de Frédéric Koller

Témoignage d’un médecin suisse plongé au cœur de la guerre sino-japonaise. Louis Calame a notamment tenté d’accéder à Nankin après le massacre de 1937. Cet article est paru le 17 août 2013 dans le quotidien suisse « le Temps » et fait partie d'une série consacrée aux acteurs de terrain du CICR à l’occasion de son 150e anniversaire.

 
Enregistrement de soldats blessés, à Changsha, dans la province chinoise du Hunan.
© CICR / hist-03298-08A

Les souffrances infligées par les nazis à l’Europe furent telles durant la Deuxième Guerre mondiale que cette dernière n’eut guère le loisir de s’émouvoir des atrocités perpétrées dans le même temps par les Japonais en Extrême-Orient. Or, les civils chinois payèrent le plus lourd tribut, devant les Russes, dans la lutte contre le fascisme. Quinze millions d’entre eux furent tués et cent millions déplacés (il y eut par contre bien plus de soldats soviétiques tués que de soldats chinois). Durant près de quatre ans, jusqu’à Pearl Harbour, la Chine fut presque seule à combattre l’empire japonais allié au IIIe Reich.

L’occupation japonaise débuta en réalité en 1931 avec la mise sous tutelle de la Mandchourie. L’offensive en vue de contrôler l’ensemble de la Chine utile (la côte est et les principaux axes du pays) démarra en 1937 avec la prise de Pékin, Shanghai et Nankin, la capitale du régime nationaliste de Tchang Kaï-chek, qui se réfugia à Chongqing.

En novembre, cette même année, le CICR recrutera Louis Calame, un médecin suisse établi à Shanghai depuis plusieurs années, pour le représenter auprès de la Croix-Rouge chinoise. Durant un an et demi, il va sillonner la Chine pour le compte de l’organisation genevoise, en quête d’informations sur le sort des prisonniers de guerre dans l’un et l’autre camp. Il visitera par ailleurs à de nombreuses reprises les camps de réfugiés civils situés dans les enclaves internationales du Shanghai des concessions. Entreprenant – trop aux yeux de Genève –, il sillonnera le nord de la Chine inondé par une gigantesque crue du fleuve Jaune (qui fit un million de morts), dont il rapportera un témoignage précieux. L’homme a la plume alerte, et son style tranche avec le langage formaté des délégués du CICR. Son emphase, un certain goût pour la mise en abyme, ses indignations et des considérations générales sur l’âme asiatique font parfois penser à La Chine en folie du grand reporter Albert Londres. Plusieurs fois, il informe Genève du fait que, décidément, rien ne fonctionne là-bas, en Extrême-Orient, comme en Europe.

De fait, aucun des trois délégués du CICR ayant œuvré en Chine durant les années 1930 ne parviendra à faire saisir aux Chinois ou aux Japonais le sens de leur présence. «En définitive, les interventions des délégués en faveur des cap­tifs se sont heurtées à une totale incompréhension, écrit François Bugnion*. D’un côté comme de l’autre, on s’étonnait de l’intérêt que le Comité international portait aux prisonniers militaires ou civils.» De même, le CICR échoua à jouer le rôle d’intermédiaire neutre entre belligérants. Et son appel de mars 1938 – qui s’adressait surtout au Japon – à s’abstenir des bombardements aériens frappant les populations civiles ne suscita pas le moindre écho. Comme pour la guerre d’Espagne, qui se déroule au même moment, le recours massif à l’aviation remettait en cause l’un des fondements du droit humanitaire: l’ancienne distinction entre objectifs militaires et populations civiles.

Au lendemain du massacre de Nankin, en décembre 1937, l’un des épisodes les plus terrifiants du conflit (cette tuerie d’une rare sauvagerie fit entre 100 000 et 300 000 morts, selon les sources, surtout civils), Louis Calame se vit à plusieurs reprises refuser l’accès à la ville par l’autorité d’occupation. Le médecin évoque en introduction du rapport reproduit ici les rumeurs selon lesquelles les armées des deux camps ne faisaient tout simplement pas de prisonniers de guerre. Louis Calame eut à une seule occasion accès à un camp d’une centaine de détenus chinois, à Amoy, dont il jugea l’état tout à fait satisfaisant. Le récit de sa rencontre à Pékin, au consulat du Japon, avec huit Chinois présentés comme des prisonniers indique toutefois qu’il était loin d’être dupe de la situation.