Irak : faire au mieux dans une situation désespérée

04-03-2010 Éclairage

En Irak, après des décennies de conflit, bon nombre de familles vivent dans la pauvreté ou la misère. De nombreux hommes, souvent soutiens de famille, sont détenus, ont été tués ou ont disparu. La déléguée du CICR Caroline Douilliez a rencontré deux Irakiennes, qui lui ont expliqué comment elles assuraient la survie de leur famille.

     
©CICR/ M Greub 
   
Ville d'Amara, Irak. Une équipe du CICR rend visite à une veuve bénéficiaire du programme de projets générateurs de revenus. 
           
       
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Ville d'Amara, Irak. Siham (à gauche) et sa fille Salma ont monté chez elles un petit commerce grâce au soutien du CICR.      
           
       
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Ville d'Amara, Irak. Siham et Salma vendent principalement des vêtements et des aliments congélés.      
           
   

« Trouver de la nourriture pour s’en sortir était une lutte au quotidien. Il fallait frapper à chaque porte pour demander de l’aide ou un peu d’argent. Je vivais au jour le jour ; demain n’existait pas. » Il y a six mois encore, Siham* était dans une situation désespérée. En 2004, son mari a disparu alors qu’il se rendait chez un ami ; elle n'a plus eu de ses nouvelles depuis. La même année, sa fille Salma, mère de deux jeunes filles, est devenue veuve après que son mari a été capturé, torturé et tué par un groupe armé. En 2006, le fils aîné de Siham, Mahmoud, a été tué sur la route alors qu’il exerçait son métier de chauffeur. En 2007, Ammer, un autre de ses fils qui travaillait comme technicien à la télévision, a été pris dans des tirs croisés et s'est retrouvé paralysé des membres inférieurs. Depuis, il passe ses journées à languir d’ennui sur un matelas posé dans le séjour de la maison.

Comble de cette succession de tragédies, la situation dans leur quartier de Bagdad est devenue tellement dangereuse que Siham et les membres de sa famille ont été contraints de fuir et de rejoindre les centaines de milliers de déplacés irakiens. Ils se sont installés à Amara, dans le gouvernorat de Missan (sud de l’Irak). Bien qu’ayant perdu presque tout ce qu’ils possédaient, Siham, son fils paralysé et sa fille veuve accompagnée de ses deux filles adolescentes se sont efforcés tant bien que mal de payer le loyer d’une petite maison délabrée, située au cœur d’un quartier insalubre. Âgé de 24 ans, le plus jeune fils de Siham, seul homme valide de la maison, est devenu l’unique soutien de famille et a dû se battre pour trouver quotidiennement du travail.

Le destin de cette famille irakienne est aujourd’h ui loin d’être un cas unique dans le pays. Depuis 2003, 80 à 90 % des personnes tuées dans le cadre du conflit sont des hommes. Selon les estimations, l’Irak compte désormais 1 à 3 millions de foyers dont le chef de famille est une femme – veuve, épouse d’un disparu ou d’un détenu, femme divorcée ou abandonnée par son mari. Dans un pays où les femmes dépendent traditionnellement d’un homme jouant le rôle de soutien de famille et de protecteur social, celles qui se retrouvent soudainement à devoir assumer la responsabilité de la survie de la famille sont confrontées à d’énormes difficultés. Leurs proches ne peuvent pas leur venir en aide, car ils doivent eux-mêmes lutter pour s’en sortir dans une économie sinistrée. Souvent, les femmes n’ont reçu qu’une éducation limitée et n’ont aucune expérience professionnelle. En outre, la société irakienne n’est pas prête à accepter un tel renversement des rôles traditionnels. Les emplois sont peu nombreux, et la priorité est généralement accordée aux hommes. Enfin, en raison des valeurs conservatrices de la société, une femme qui sort quotidiennement de sa maison risque de voir sa réputation entachée. 

Certains mécanismes de soutien existent, notamment un système d’allocations pour les femmes qui n’ont pas de soutien de famille, mais bien que des efforts aient été déployés en la matière ces douze derniers mois, beaucoup trop de femmes n’y ont encore pas accès.

  Surmonter la situation  

Lorsque, en avril 2009, le CICR a rendu visite à Siham pour la première fois, afin de trouver un moyen de lui venir en aide en finançant un projet modeste, elle et sa fille Salma ont eu l’idée de monter une petite affaire dans le quartier. Elles souhaitaient vendre de la viande rouge, du poulet ou des glaces. Grâce au soutien financier du CICR, elles ont pu acheter un réfrigérateur, investir dans des produits et commencer leur activité à domicile. Aujourd’hui, des clients de tout le quartier viennent chaque jour chez elles.

Ni Siham ni sa fille n’avaient jamais eu d'emploi auparavant. Toutes les deux se sont mariées à l’âge de 14 ans. Seule Salma sait lire et écrire, de sorte que c’est elle qui se charge de la comptabilité et veille à ce qu’elles aient suffisamment d’argent pour se réapprovisionner. La jeune femme a déjà rempli cinq cahiers. « Même si nous ne gagnons pas grand-chose, et même si beaucoup de clients demandent à payer en plusieurs fois, nos ventes suffisent à couvrir nos dépenses quotidiennes », explique-t-elle. L’odeur du poulet en train de cuire témoigne du nouveau confort que cette petite affaire a apporté au ménage. Salma en est particulièrement fière. « J’ai pu acheter une télévision et de meilleurs vêtements pour mes filles. Nous cherchons maintenant des idées pour développer notre activité. Nous avons déjà ajouté de la farine et du riz à notre assortiment de base ; nous avons également commencé à vendre des repas chauds, et nous envisageons de vendre de petits meubles. »

Afin d’aider d’autres femmes à satisfaire les besoins essentiels de leur famille, le CICR a mis en place en Irak plus de 20 projets générateurs de revenus similaires, en collaboration avec des ONG locales à Bagdad, Basra et Najaf. En outre, le CICR soutient les femmes dans leurs demandes d’allocations sociales et suit les procédures administratives.

Siham et Salma doivent désormais trouver l’énergie de continuer à se battre pour faire respecter leurs droits. « C’est très gratifiant d’avoir son propre argent et de voir que la communauté accepte notre activité du fait que nous n’avons aucun homme pour subvenir à nos besoins. Si nous avions eu des maris, nous n’aurions jamais travaillé. » Salma souhaite toutefois que ses filles suivent la tradition. Âgées respectivement de 13 et 15 a ns, elles ne vont plus à l’école depuis plusieurs années et seront bientôt mariées.

* Les prénoms sont fictifs.