Obtenir des entreprises militaires et de sécurité privées qu’elles respectent le droit

17-04-2008 Interview

De plus en plus de tâches militaires et de sécurité étant « externalisées » et confiées à des entreprises privées, on peut se demander quelles règles régissent le comportement de celles-ci en cas de conflit. Cordula Droege, conseillère juridique au CICR, commente une initiative du gouvernement suisse qui vise à promouvoir le respect du droit international humanitaire et fait certaines propositions pour aborder la question.

Comment l’initiative du gouvernement suisse relative aux entreprises militaires et de sécurité privées a-t-elle vu le jour ?

L’idée a été lancée par le Département fédéral des Affa ires étrangères de la Suisse. En raison d’une présence toujours plus importante d’entreprises militaires et de sécurité privées dans les pays en proie à un conflit armé ou sous occupation, ils ont jugé qu’il serait utile d’entamer un processus de réflexion et un dialogue entre les États pour débattre des règles qui s’appliquent.
 
Ce processus inclurait également des mesures que les États pourraient prendre pour promouvoir le respect du droit international humanitaire (DIH) et du droit des droits de l’homme de la part de ces entreprises, dont l’entrée en scène est relativement récente. Le CICR se félicite d’être associé à ce projet.
 
  Qui participe à cette initiative – et quels sont les objectifs poursuivis ?

Fondamentalement, il s’agit d’une initiative lancée par un État pour les États. Toutefois, des représentants de ce secteur peuvent eux aussi apporter une contribution extrêmement importante. C’est pourquoi ils ont été consultés, au même titre que quelques experts.
 
Il est évident que c’est aux États de décider comment ils veulent procéder. Le minimum souhaité, c’est une confirmation et une reconnaissance pleine et entière des responsabilités que le droit international attribue aux États, aux entreprises militaires et de sécurité privées et à leur personnel.
 
Un document qui conseillerait les États dans leurs relations avec ces entreprises, leur suggérant par exemple des mesures fondées sur les bonnes pratiques à adopter pour améliorer le respect du DIH et des droits de l’homme, pourrait être un autre résultat utile ; et ce, soit lorsque les États engagent ces entreprises pour travailler sur leur territoire, soit lorsque de telles entreprises, basées sur leur territoire, exportent leurs services à l’étranger.
 
Ce document pourrait aussi proposer l’adoption d’un cadre réglementaire national qui constit uerait une base juridique solide pour traiter de ces questions.
 
  Quelles sont les étapes suivantes ?

En 2006, deux réunions intergouvernementales ont rassemblé des experts venant d’États ayant déjà une expérience dans ce domaine, un petit nombre de représentants de ce secteur, et d’autres experts ; les réactions ont été très positives et les participants ont encouragé la Suisse à poursuivre cette initiative.
 
Nous organisons une troisième réunion intergouvernementale en avril 2008 pour discuter du cadre juridique international qui régit actuellement les activités des entreprises militaires et de sécurité privées, des responsabilités des États en la matière, ainsi que des recommandations sur la façon dont les États peuvent s’acquitter de leurs obligations dans la pratique. La Suisse espère vivement que cette initiative aboutira d’ici la fin de l’année 2008.
 
Une chose est sûre : les entreprises militaires et de sécurité privées vont maintenir et même renforcer leur présence dans les zones de conflit, et le moment est venu de commencer à réglementer ces activités.
 
  Quelles sont les règles qui s’appliquent, et sont-elles adéquates ?

Des journalistes, et même des experts, mentionnent souvent un vide juridique en ce qui concerne les entreprises militaires et de sécurité privées. Mais pour le CICR, il est clair que dans des situations de conflit armé, il existe effectivement une branche du droit qui s’applique, le DIH, qui régit à la fois les activités des collaborateurs de ces entreprises privées et les responsabilités des États qui les engagent.
 
Le droit attribue également des obligations aux gouvernements des pays dans lesquels ces entreprises sont enregistrées et où elles exercent leurs activités.
 
En cas de violations du DIH, la responsabilité légale du personnel des entreprises militaires et de sécurité privées et des États qui les emploient est clairement établie. Il est vrai que des difficultés pratiques ont surgi lorsqu’il s’est agi d’intenter une action en justice pour poursuivre ces violations.
 
Là où le droit est lacunaire, c’est au niveau du contrôle national ou international qui est exercé sur les services que ces entreprises peuvent fournir et en ce qui concerne les procédures administratives, lorsqu’elles existent, que les entreprises doivent respecter pour obtenir une autorisation de travail. Aucun cadre réglementaire international n’est consacré spécifiquement à ce type d’activités.
 
Seule un poignée d’États a adopté une législation prévoyant des procédures spécifiques auxquelles les entreprises militaires et de sécurité privées basées sur leur territoire doivent se conformer, soit pour obtenir l’autorisation de travailler à l’étranger (Afrique du Sud), soit pour pouvoir travailler sur le territoire de l’État en question (Irak, Sierra Leone).
 
Enfin, il ne faut pas oublier que le droit existe aussi pour protéger le personnel de ces entreprises, à certaines conditions. La protection à laquelle il a droit varie en fonction du type d’activité qu’il déploie.
 
  A-t-on simplement affaire à des juristes qui souhaitent tout réglementer ?

Pas du tout ! Les entreprises militaires et de sécurité privées travaillent de plus en plus dans des situations - en Irak par exemple – qui les mettent en contact direct avec des personnes vulnérables protégées par les Conventions de Genève ; il est essentiel qu’elles connaissent et respectent le droit. Certaines de ces entreprises ont même demandé qu’une réglementation soit mise en place et que le droit soit précisé, elles ont donc bien accueilli cette initiative. Et, une fois encore, cette initiative n’a pas pour objet une nouvelle réglementation, mais elle vise à réaffirmer la primauté du droit international existant et à orienter la pratique des États.
 
Lien vers le Département fédéral des Affaires étrangères de la Suisse –  Présentation de l'initiative