La protection de l'environnement naturel en période de conflit armé

31-12-1991 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 792, de Antoine Bouvier

  Antoine Bouvier   est licencié en droit de l'Université de Genève. Il est membre de la Division juridique du CICR depuis 1984. Il a publié plusieurs articles dans la Revue , dont «Aspects particuliers de l'utilisation de l'emblème de la croix rouge et du croissant rouge» ( RICR , No 779, septembre-octobre 1989).  

  «The deterrence of, and response to, environmental attacks are new dimensions to national security challenges». [2 ]

  I. INTRODUCTION  

Dès le début des années 70, la dégradation constante de l'environnement naturel a entraîné une prise de conscience généralisée de la gravité des atteintes que l'homme inflige à la nature.

L'importance vitale pour l'humanité de la protection de l'environnement, tout comme l'action décisive d'un grand nombre d'organismes voués à la protection de l'environnement, a abouti, au fil des années, à l'adoption d'une importante réglementation juridique sur les questions relatives à la protection et à la préservation de l'environnement naturel.

Cette prise de conscience - et l'action normative qui en a résulté - s'est en premier lieu exprimée au niveau des Etats.

Elle s'est traduite par l'adoption de très nombreux textes législatifs protégeant l'environnement en tant que tel, ou certaines de ses composantes (lois sur la protection des eaux, de l'air, des forêts, etc.). En outre, de nombreux Etats ont adopté des règles constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement naturel. [3 ]

Cependant, vu l'ampleur des problèmes écologiques, la dimension évidemment transnationale de certains d'entre eux, et l'insuffisance de politiques «environnementalistes» purement nationales, les Etats et les organismes spécialisés ont assez rapidement abouti à la conclusion qu'une réglementation internationale de ces questions était indispensable.

La protection, ou la conservation, de l'environnement, ont ainsi été inscrites à l'ordre du jour de nombreuses institutions actives dans le développement du droit international général. Leurs travaux ont abouti à l'adoption d'un ensemble normatif important et en constant développement: celui du droit international de l'environnement.  Le contenu de ce droit est varié: il comprend aussi bien des dispositions relatives aux formes de la coopération internationale qui doit s'instaurer pour répondre à des atteint es à l'environnement que des normes relatives à la prévention de telles atteintes, pour n'en donner que quelques exemples.

Il n'est pas possible d'examiner ici le détail des règles du droit international de l'environnement (qui, on le sait, est pour l'essentiel destiné à s'appliquer en temps de paix). Nous nous bornerons donc à rappeler les deux principes fondamentaux de ce droit.

Le premier d'entre eux impose aux Etats l'obligation de ne pas causer des dommages à l'environnement situé au-delà de leur compétence territoriale.  

Ce principe est affirmé dans plusieurs décisions judiciaires [4 ] ; il est également défini avec précision dans plusieurs traités internationaux [5 ] et dans nombre de textes non conventionnels. [6 ]

Le second principe établit une obligation de respecter l'environnement en général.  Comme le précédent, il est énoncé aussi bien dans des traités que dans des textes non conventionnels, de portée bilatérale, régionale ou universelle [7 ] .

Les questions relatives à la protection de l'environnement ont également été abordées dans le cadre plus spécifique du droit international des droits de l'homme. A ce titre, il est aujourd'hui admis que le développement et l'épanouissement de l'individu - qui constituent les buts fondamentaux poursuivis par les droits de l'homme - ne peuvent être atteints si l'environnement naturel fait l'objet d'atteintes sérieuses [8 ] . Le droit à un environnement naturel sain est ainsi considéré de plus en plus largement comme constituant un élément fondamental des droits de l'homme.  Un tel droit est expressément prévu dans des traités internationaux [9 ] , dans des textes non conventionnels et dans les constitutions de nombreux Etats [10 ] .

Il convient enfin - à ce stade de notre examen des dispositions protégeant l'environnement en temps de paix - de signaler que le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge s'est également attentivement penché sur ces questions, ainsi qu'en attestent plusieurs résolutions [11 ] et de nombreux travaux [12 ] .

La prise en compte - lors des travaux de codification du droit international humanitaire les plus récents - des questions liées à la protection de l'environnement était à la fois évidente et logique: évidente puisque les tendances marquant le développement du droit applicable en temps de paix sont bien souvent identiques à celles qui conduisent au développement du droit international humanitaire; logique si l'on se réfère aux atteintes extrêmement graves que certaines méthodes ou certains moyens de guerre modernes infligent à l'environnement. On trouvera, au chapitre Il du présent article, un résumé des principales normes du droit international humanitaire relatives à la protection de l'environnement en temps de guerre.

Il convient de rappeler ici qu'en période de conflit des atteintes à l'environnement sont inévitables. En réalité, les guerres ont de tout temps laissé des traces - parfois extrêmement durables - sur l'environnement naturel. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore certains des champs de bataille de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, pour ne citer que ces conflits, sont impropres à l'exploitation ou présentent, pour la population, des risques considérable dus aux engins (en particulier les mines) et projectiles dont ils sont truffés. [13 ]

Le but des règles de droi t international humanitaire relatives à la protection de l'environnement ne consiste donc pas à exclure totalement ces atteintes à l'environnement mais bien plutôt à les limiter à un niveau jugé tolérable. On peut malheureusement craindre que l'apparition, sur les champs de bataille, de moyens de guerre particulièrement dévastateurs (aux effets souvent inconnus aujourd'hui encore) ne conduise à des atteintes inacceptables, qui rendraient illusoire la protection reconnue à l'ensemble de la population civile par les règles du droit international humanitaire. En effet, dans l'hypothèse d'une perturbation grave de l'environnement naturel, la mise en oeuvre des dispositions protégeant les victimes des conflits armés (qu'il s'agisse des blessés , des malades , des prisonniers de guerre ou des civils ) pourrait rencontrer d'insurmontables obstacles. Ne serait-ce que pour cette seule raison, le respect et l'observation des dispositions du droit international humanitaire relatives à la protection de l'environnement revêtent une importance fondamentale.

Ces questions ont gagné une soudaine et tragique actualité à l'occasion du conflit qui a embrasé le Moyen-Orient en 1990-1991.

Suite à ces événements, nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur le contenu, les limites et les lacunes éventuelles des normes du droit international humanitaire relatives à la protection de l'environnement en période de conflit armé, ainsi que sur les moyens d'améliorer encore cette protection. Ces questions ont fait l'objet de plusieurs réunions de spécialistes du droit humanitaire et des questions liées à la protection de l'environnement naturel [14 ] .

Ma lgré leur intérêt et la qualité des débats qu'elles ont suscités, ces récentes réunions n'ont naturellement pas permis d'aboutir à des conclusions définitives, trop d'éléments restant aujourd'hui encore difficiles à établir, qu'il s'agisse de l'évaluation scientifique des atteintes portées par la guerre moderne à l'environnement [15 ] ou du contenu et des limites du droit applicable.

Il ressort cependant des travaux de ces conférences:

a) que la seule référence au conflit de 1990-1991 n'est pas suffisante, les types d'atteinte à l'environnement en temps de guerre pouvant varier considérablement;

b) que divers problèmes devraient néanmoins être réexaminés, afin de résoudre certaines questions d'interprétation des règles applicables, voire de combler certaines lacunes de ce droit;

c) que, pour autant qu'elles soient correctement mises en oeuvre et respectées, les règles actuelles du droit international humanitaire devraient permettre de limiter sensiblement les atteintes à l'environnement en période de conflit.

  Il. EXAMEN DU DROIT APPLICABLE RELATIF À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT EN PÉRIODE DE CONFLIT  

On trouvera dans les pages qui suivent un rappel des principes généraux et des règles juridiques, coutumières ou conventionnelles, relatives à la protection de l'environnement en temps de guerre. Seules les dispositions revêtant une importance particulière font l'objet d'un examen détaillé, les aut res étant mentionnées pour mémoire.

Il convient dès maintenant de signaler que, si le concept d'environnement n'est apparu - en tant que tel - que dans les années 70, nombre de règles et principes généraux du droit international humanitaire (souvent bien antérieurs à cette époque) contribuent également à la protection de l'environnement en période de conflit.

  A) Principes généraux  

Le premier principe, essentiel au droit humanitaire, qu'il convient de citer est celui selon lequel le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité.  Enoncé pour la première fois en 1868 dans la Déclaration de Saint-Pétersbourg, ce principe a été maintes fois réaffirmé dans les traités du droit international humanitaire, en dernier lieu à l'article 35, paragraphe 1 du Protocole I de 1977.

Un autre principe fondamental du droit international humanitaire doit être mentionné ici: celui de la proportionnalité, qui marque de nombreuses dispositions de ce droit [16 ] . Tout comme le premier, ce principe s'applique sans aucun doute également à la protection de l'environnement en période de conflit armé [17 ] .

  B) Traités protégeant indirectement l'environnement  

Il importe tout d'abord de définir ici ce que l'on entend par la notion de protection indirecte de l'environnement. Il s'agit tout simplement de te nir compte du fait que, jusqu'au début des années 1970, le droit international humanitaire a «traditionnellement été anthropocentrique quant à sa portée et à son champ d'étude» [18 ] . L'environnement en tant que tel n'apparaît donc pas dans ces textes (cette notion n'avait d'ailleurs pas été inventée lors de l'adoption de la plupart d'entre eux); il se voit néanmoins protégé par des dispositions relatives, par exemple, aux propriétés privées ou à la protection de la population civile.

De telles dispositions peuvent être trouvées dans de nombreux traités internationaux. La plupart d'entre elles sont aujourd'hui de nature coutumière.

Il n'est pas possible de passer en revue tous ces instruments; nous nous limiterons à l'examen des plus importants d'entre eux.

On a déjà évoqué l'importance des principes généraux énoncés dans la Déclaration de Saint-Pétersbourg en 1868. La Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention IV, signée à La Haye en 1907) réaffirme et précise ces principes [19 ] . Le Règlement qui lui est annexé contient une disposition, l'article 23, alinéa 1, lettre g), qui mérite d'être citée ici. En effet, cet article illustre parfaitement bien l'approche «anthropocentriste» dont il a déjà été fait état. Par ailleurs, en interdisant «de détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf les cas où ces destructions et ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre», l'article 23 constitue l'une des plus anciennes bases de la protection de l'environnement en période de conflit armé.

Plusieurs traités limitant ou interdisant l'usage de certains moyens de combat contribuent également à la protection de l'environnement en période de conflit. A ce titre, il convient de mentionner:

- le Protocole concernant la prohibition d'emploi, à la guerre, de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques , adopté à Genève le 17 juin 1925;

- La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, adoptée le 10 avril 1972;

- La Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, adoptée le 10 octobre 1980.

Cette dernière Convention présente un intérêt tout particulier, ce pour deux raisons au moins:

* elle prévoit un mécanisme de révision et d'amendements (article 8); on pourrait donc imaginer, le cas échéant, qu'un Protocole supplémentaire relatif à la question de la protection de l'environnement y soit introduit;

* certaines de ses dispositions, en particulier celles touchant à l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs (Protocole II) et des armes incendiaires (Protocole III), contribuent directement et concrètement à la protection de l'environnement en Période de conflit. 20

Un dernier traité doit être cité ici: la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles (IVe Convention du 12 août 1949), et en partic ulier, son article 53 qui interdit la destruction des biens mobiliers ou immobiliers. Cet article constitue une Protection minimale de l'environnement en cas d'occupation.

  C) Traités protégeant spécifiquement l'environnement  

Deux traités doivent être mentionnés ici:

- la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention «ENMOD» adoptée dans le cadre des Nations Unies le 10 décembre 1976);

- le Protocole I de 1977, additionnel aux Conventions de Genève de 1949.

  1. Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles  

Conclue sous l'égide des Nations Unies - en réponse notamment aux craintes nées de l'utilisation de moyens de combat très dommageables à l'environnement durant la guerre du Viet Nam - [21 ] cette Convention a pour but d'interdire l'utilisation à des fins militaires ou à toutes autres fins hostiles de «techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyen de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre Etat partie» (article 1).

Les atteintes à l'environnement interdites par la Convention sont celles résultant de l'utilisation de «toute technique ayant pour objet de modifier - grâce à une manipulation délibérée de processus naturels - la dynamique, la composition ou la s tructure de la terre (... )» (article 2).

  2. Protocole I additionnel aux Conventions de Genève de 1949  

Le Protocole I contient deux articles traitant spécifiquement de la protection de l'environnement en période de conflit armé international.

Il convient de rappeler que cette question n'apparaissait pas dans les projets de Protocoles soumis par le CICR à la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés (CDDH).

Ces deux dispositions sont donc le fruit des travaux de la CDDH; leur existence atteste la prise de conscience de l'importance du respect de l'environnement, qui a marqué le début des années 1970 [22 ] .

a)  L'article 35, paragraphe 3 stipule l'interdiction «d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel».

Cet article a trait aux méthodes et moyens de guerre et il protège l'environnement en tant que tel.  

b) L'article 55 dispose ainsi:

« 1. La guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection inclut l'interdiction d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels dommages à l'environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population.

2. Les atteintes contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites».

     

Il est important de réaliser que cet article - qui a pour but de protéger la population civile contre les effets des hostilités - s'insère dans un contexte plus large: celui de la protection des biens de caractère civil, qui fait l'objet du Chapitre III du Titre IV du Protocole (articles 52-56).

Cette disposition n'est donc pas une simple répétition de l'article 35, paragraphe 3. Elle contient une obligation générale de se soucier de la protection de l'environnement naturel dans la conduite des hostilités, mais cette obligation est axée sur la protection de la population civile, alors que l'article 35, paragraphe 3 tend à protéger l'environnement en tant que tel [23 ] .

En outre les représailles contre l'environnement naturel sont logiquement interdites dans la mesure où, en définitive, elles pénaliseraient l'humanité toute entière.

Il convient enfin de rappeler que d'autres dispositions du Protocole I contribuent indirectement à la protection de l'environnement en période de conflit [24 ] . Il s'agit en particulier des articles 54 («Protection des biens indispensables à la survie de la population civile») et 56 («Protection des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses»).

  3. Liens entre les dispositions du Protocole I et les règles de la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement («ENMOD»)  

Il convient tout d'abord de souligner que ces traités interdisent des types bien distincts d'atteintes à l'environnement. Le Protocole I interdit, pour sa part, le recours à la guerre écologique, soit à l'usage de méthodes de combat susceptibles de rompre certains équilibres naturels indispensables. Les atteintes à l'environnement visées par la Convention «ENMOD» sont différentes. Il s'agit ici du recours à la guerre dite géophysique , qui s'entend de la manipulation délibérée de processus naturels pouvant conduire à des phénomènes tels «qu'ouragans, raz-de-marée, tremblements de terre, mais aussi pluie ou neige» [25 ] .

Loin de faire double emploi, ces deux traités internationaux sont donc complémentaires même s'ils soulèvent de délicates questions d'interprétation, touchant en particulier à leurs relations réciproques. Ces difficultés sont dues, en particulier, au fait que ces deux traités assignent une signification différente à certains termes apparaissant dans l'un et l'autre traité. C'est ainsi que le sens attribué par le Protocole I aux termes «étendus, durables et graves» n'est pas identique à celui donné à ces termes dans la Convention de 1976. Pour ne donner qu'un exemple de ces difficultés terminologiques, rappelons que si, «pour la Convention des Nations Unies le terme «durable» s'entend d'une période de plusieurs mois ou environ une saison pour le Protocole, il se traduit en décennies» [26 ] .

Par ailleurs, si les conditions de durée, de gravité et d'étendue sont cumulatives dans les dispositions du Protocole I, chacune d'entre elles est suffisante pour entraîner l'application de la Convention «ENMOD»

Ces distinctions risquent d'entraîner des difficultés dans l'application de ces normes. On ne peut donc que souhaiter que les travaux menés actuellement dans le domaine de la protection de l'environnement en temps de guerre (cf. supra , note 14) permettent d'aboutir à l'harmonisation des dispositions des deux traités examinés dans ce paragraphe [27 ] .

  D) Protection de l'environnement en période de conflit armé non international  

Malgré les risques évidents encourus par l'environnement en cas de conflit armé non international, aucune règle du droit humanitaire applicable à ces situations ne protège spécifiquement l'environnement. En réalité, durant les travaux de la CDDH, proposition fut faite d'introduire, dans le Protocole II, une disposition analogue aux articles 35, paragraphe 3 et 55 du Protocole I. Cette proposition fut finalement rejetée [28 ] .

La protection de l'environnement naturel n'est cependant pas totalement absente du Protocole II, ce grâce aux articles 14 («Protection des biens indispensables à la survie de la population civile») et 15.  L'article 14 interdit les attaques contre «les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d'eau potable et les ouvrages d'irrigation»; il contribue donc sans doute à la protection de l'environnement en période de conflit armé non international. Il en va de même de l'article 15, qui interdit les attaques contre les installations contenant des forces dangereuses si de telles attaques peuvent entraîner la libération de ces forces.

  III. CONCLUSION  

La puissance destructrice des moyens de combat utilisés dans les conflits armés ou disponibles aujourd'hui dans les arsenaux fait peser la menace d'atteintes à l'environnement d'une gravité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Il convient donc d'attacher une grande importance au respect des normes du droit humanitaire relatives à la protection de l'environnement en période de conflit, et de porter une attention constante au perfectionnement et à l'amélioration de cette protection.

Contrairement à certains auteurs [29 ] , nous ne sommes pas convaincus de la nécessité d'une révision globale des règles du droit humanitaire relatives à la protection de l'environnement, révision que l'arrivée sur les champs de bataille de nouveaux moyens de combat rendrait indispensable.

Il n'en demeure pas moins que certaines questions méritent d'être attentivement examinées. A titre d'exemple - et nous référant aux travaux de Londres et d'Ottawa [30 ] - nous mentionnerons la question de la protection de l'environnement en période de conflit armé non international, ainsi que celle de la détermination des normes applicables entre un Etat partie à un conflit et un Etat non partie à ce conflit mais dont l'environnement pourrait être mis en danger en raison du conflit. La suggestion émise par certains experts, selon laquelle les réserves naturelles devraient, en période de conflit, être déclarées zones démilitarisées, mériterait égal ement d'être examinée [31 ] .

Il ressort des travaux entrepris à ce jour que, pour autant qu'elles soient correctement mises en oeuvre et respectées, les règles du droit humanitaire actuellement en vigueur (cf. supra , chapitre II) devraient permettre de limiter sensiblement les atteintes à l'environnement en période de conflit. Il conviendrait donc - plutôt que d'entamer un processus de nouvelle codification, dont on peut douter qu'il trouve une issue positive - d'entreprendre un effort particulier afin que ces règles s'imposent au plus grand nombre d'Etats possible.

C'est enfin sur la mise en oeuvre [32 ] et le respect des règles existantes que l'accent doit être porté, afin que les générations futures ne se retrouvent pas confrontées à d'insurmontables problèmes découlant des atteintes portées à l'environnement en période de conflit.

  Notes  

1. Les vues exprimées ici sont celles de l'auteur. Elles n'engagent pas le Comité international de la Croix-Rouge.

2. «Dissuader les atteintes contre l'environnement et parer à leurs effets constituent les nouvelles dimensions des défis lancés à la sécurité nationale» in «Conduct of the Persian Gulf Conflict», an interim Report to Congress, Department of Defence, Washington, juillet 1991, p.11.

3. Une liste des Etats ayant introduit de telles normes dans leur Constitution est donnée in: Schwartz, Michelle, Preliminary Report on Legal and Institutional aspects of the relationship between human rights and the environment, Geneva, août 1991, p.11.

4. Cf. «La protection de l'environnem ent en temps de conflit armé», Communautés européennes, Brochure 54 110/85 slnd, pp.17-18.

5. Cf. par exemple, l'article 194, paragraphe 2 de la Convention sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.

6. Cf. par exemple, le principe No 21 de la Déclaration de Stockholm, adopté le 16 juin 1972 par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement humain. Pour un résumé des travaux de cette Conférence cf. RICR, No 648, décembre 1972, pp.754 ss et RICR, NI 644, août 1972, pp. 310 ss.

7. pour un inventaire de ces textes, cf. «La protection de l'environnement en temps de conflit armé», op. cit, pp. 25-30.

8. Pour une analyse plus détaillée de ce problème, cf. Schwartz, op. cit , pp. 4-11.

9. Cf., par exemple, l'article 24 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, signée à Nairobi en juin 1981: «Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement».

10. Cf. supra, note 3.

11. Résolution No 17, XXIIe Conférence internationale, Téhéran 1973, résolution No 21, XXIIIe Conférence internationale, Bucarest 1977.

12. Cf. par exemple, Domanska, Irena, «La Croix-Rouge et les problèmes de l'environnement», RICR , No 638, février 1972, p. 80; «La Croix-Rouge et l'environnement», RICR , No 690, juin 1976, p. 343; Schaar, Johan: A Shade of Green.Environment Protection as Part of Humanitarian Action, Institut Henry-Dunarit, Genève, 1990.

13. Pour une analyse de ces questions, cf: Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 , Eds, Sandoz Yves, Swinarski Christophe, Zimmermann Bruno, CICR, Genève, 1986, p.413, par.1443 et note 84.

14. Il s'agit, pour l'essentiel, d'un colloque tenu le 3 juin à Londres, sous les auspices de la London School of Economics, du Centre for Defence Studies et de Greenpeace International, en vue d'étudier la nécessité d'une Ve Convention de Genève, ainsi que d'une conférence d'experts convoquée à Ottawa par le gouvernement canadien (10-12 juillet). La question de la protection de l'environnement en période de conflit armé a également été abordée lors du troisième comité préparatoire de la Conférence des Nations Unies sur le Développement et l'Environnement (UNCED), du 12 août au 4 septembre 1991.

15. Une telle évaluation est extrêmement délicate, vu la diversité des atteintes qui peuvent être portées à l'environnement, et du fait que certaines d'entre elles n'apparaissent qu'après une période qui peut être longue. Pour une évaluation partielle des atteintes commises durant le conflit de 1990-1991, cf. «On impact, Modern Warfare and the Environment, a case study of the Gulf War», Greenpeace International , London, 1991; «Some lessons to be learned from the enviro nmental conséquences of the Arabian Gulf War», WWF International , May 1991 (document distribué lors du deuxième Comité préparatoire de l'UNCED); «Evaluation écologique de la crise du Golfe», Doc.A/conf./151/PC/72, rapport examiné durant le troisième Comité préparatoire de l'UNCED.

16. Cf. par exemple, arts. 35 , par. 2; 51, par. 5 b) ; 57, par. 2. a) et b) du Protocole I de 1977.

17. Pour une analyse du principe de proportionnalité et de son influence sur la protection de l'environnement en période de conflit, cf. Bothe, Michael, «War and Environment» in Encyclopedia of Public International Law, Instalment 4, p. 291.

18. Cf. «Brève analyse du DIH relatif à la protection de l'environnement lors des conflits conventionnels», p.1, document préparé par le Bureau du juge avocat général des Forces armées canadiennes et distribué aux participants au colloque d'Ottawa cf. supra , note 14).

19. Cf. notamment l'article 22 du Règlement annexé à cette Convention: «Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi».

20. Pour une analyse de ces dispositions, cf. Goldblat, Jozef, «The mitigation of environmental disruption by War: Legal Approaches» in Environment Hazards of War, Westing, A. (ed), Oslo, London, pp. 53-55.

21. Pour plus d'information sur l'historique de ce traité et sur le déroulement de sa négociation, cf. Commentaire des Protocoles, op. cit., pp. 415-416, par. 14 48 et Herczegh, Geza: «La protection de l'environnement et le droit humanitaire» in Etudes et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l'honneur de Jean Pictet, CICR, Martinus Nijhoff Publishers, Genève, La Haye, 1984, p.730.

22. Quant à la genèse et à l'histoire législative de ces dispositions, cf. Kiss, Alexandre, «Les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977 et la protection de biens de l'environnement», Etudes et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l'honneur de Jean Pictet, op. cit., p.182 ss; Herczegh, op. cit., p.726 ss; Goldblat, op. cit., p.50 ss, Commentaire des Protocoles op. cit., p. 413-414, par. 1444-1447; Bothe/Solf/Partsch, «New Rules for Victims of Armed Conflicts», Martinus Nijhoff Plublishers, La Haye, 1982, p. 344.

23. Quant aux liens entre ces deux articles et à leur place dans l'économie générale du Protocole, cf. aussi: Herczegh, op. cit., pp. 729-730; Kiss, op. cit., pp. 184-186, Commentaire des Protocoles, op. cit., p. 416, par. 1449, p. 681, par. 2133; Bothe/Solf/Partsch, op. cit., pp. 344-345. Pour ce chapitre, nous nous sommes également inspirés d'un rapport (à paraître) présenté le 8 juin 1991 à Paris par M. Paul Fauteux lors d'un Colloque consacré aux aspects juridiques de la crise du Golfe. Nous tenons à remercier ici M. Fauteux, qui a bien voulu nous faire parvenir copie de ce rapport.

24. A ce sujet, cf. Bothe, op. cit., p. 292; Kiss, op. cit., p. 186; Commentaire des Protocoles, op. cit., pp. 645-694. par. 1994-2183.

25. Cf. Commentaire des Protocoles, op. cit., p. 419, par. 1454; cf. aussi pp. 414-422, par. 1447-1462; Kiss, op. cit., p. 187, Bothe, op. cit., pp. 291-292.

26. Cf. Commentaire des Protocoles, op. cit., p. 418, par. 1452. Sur ces divergences terminologiques, cf. aussi: Kiss, op. cit., p. 189.

27. Sur le plan strictement juridique, une telle harmonisation ne devrait pas poser d'insurmontables problèmes. En effet, si l'on examine la question de la signification des termes «durables, étendus et/ou graves», force est d'admettre que ces termes n'ont pas été définis dans les traités et que les seuls éléments d'information relatifs à leur signification - éléments bien fragmentaires d'ailleurs - apparaissent dans les Actes des Conférences diplomatiques qui ont conduit à la signature de ces deux traités. En se basant sur les règles générales du droit des traités (en particulier arts. 31 et 32 de la Convention de Vienne de 1969) un accord sur le sens de ces termes devrait être possible: c'est en tout cas l'une des conclusions auxquelles les experts réunis à Ottawa (cf. supra, note 14) ont abouti.

28. Sur ce point, cf.  Kiss, op. cit., p. 184; Goldblat, op. cit., p. 52.

29. Nous pensons en part iculier aux porteurs de la réunion de Londres sur une Ve Convention de Genève (cf. supra, note 14)

30. Cf. supra, note 14.

31. Il convient de rappeler que cette proposition avait été faite lors de la CDDH, mais qu'elle n'avait finalement pas été retenue (cf. Kiss, op. cit., p. 191; Commentaire des Protocoles, op. cit., p. 682, par. 2138-2139).

32. A cet égard, deux moyens de mise en oeuvre propres au DIH pourraient se révéler d'une grande utilité: a) l'obligation de «respecter et faire respecter» les dispositions du DIH, énoncée à l'article 1er commun aux Conventions de 1949 et au Prolocole I de 1977; b) la Comrnission internationale d'établissement des faits prévue à l'article 90 du Protocole I et constituée le 25 juin 1991 (pour une analyse des compétences de cette Commission, cf. Krill, Françoise, «La Commission internationale d'établissement des faits», RICR , No 788, mars-avril 1991, pp. 204-220).