La neutralité du CICR et la neutralité de l'assistance humanitaire

30-04-1996 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 818, de Denise Plattner

  Denise Plattner   est membre de la Division juridique du CICR depuis 1978. En cette qualité elle a effectué plusieurs missions, notamment auprès de délégations du CICR. Elle est actuellement affectée à la Délégation de Delhi comme délégué juriste. Denise Plattner est l'auteur de plusieurs articles publiés par la Revue .  

     

     

  1. Introduction  

Dans le vocabulaire des relations internationales, les qualificatifs de « neutre » et d'« humanitaire » sont bien souvent employés. Ce fait démontre le crédit que l'on accorde aux attributs respectifs de la neutralité et de tout ce qui peut être désigné par le vocable « humanitaire ».

Paradoxalement cependant, tant la neutralité que l'action humanitaire ne sont exemptes de critiques.

Les organisations non gouvernementales d'obédience française, comme Médecins sans Frontières (MSF), voient parfois une incompatibilité entre la neutralité et la justice [1 ] . D'autres experts examinent la neutralité du point de vue de l'efficacité par rapport à certains objectifs, comme ceux qui sont assignés aux forces des Nations Unies [2 ] . En ce qui concerne le volet humanitaire, c'est surtout l'humanitarisme et le «tout humanitaire» qui ont été remis en cause [3 ] .

De son côté, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est loin d'ériger en absolu les principes de son action. Ainsi relève-t-il lui-même que l'action humanitaire ne peut pas mettre fin aux conflits armés et qu'elle n'a donc que des objectifs limités [4 ] . Toutefois, si le CICR oppose, sur le plan des concepts, l'action humanitaire à l'action politique, le bien-fondé de l'une et de l'autre est reconnu, et il n'est nullement question de rejeter la seconde au seul profit de la première.

Nous sommes donc autorisés à affirmer que ce qui n'est pas neutre n'est pas mauvais en soi, mais est pourvu de qualités différentes avec d'autres fondements de validité. Ce faisant, nous posons que la neutralité existe, ce qui entraîne pour nous le devoir de la définir, en toute objectivité.

Pour le CICR, la neutralité porte sur trois plans différents: elle est d'abord un attribut dont il est opportun de rappeler les contours étant donné que l'institution est décrite comme un organisme neutre. En deuxième lieu, la neutralité est l'un des sept Principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Nous évoquerons donc le contenu de ce principe et examinerons ses points de contact avec la neutralité du CICR. Enfin, ces dernières années, la neutralité a été bien souvent mentionnée en relation avec l'assistance humanitaire. Nous examinerons par conséquent les différents termes du débat, puis rechercherons la définition de l'assistance humanitaire neutre.

  2. La neutralité du CICR  

     

  A. Le CICR en tant qu'organisme neutre  

Dans les Conventions de Genève de 1949 et dans le Protocole additionnel I de 1977, le CICR est qualifié d'organisme (ou d'organisation) humanitaire impartial(e), les dispositions pertinentes utilisant généralement l'expression « organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge » [5 ] . Quant aux Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ils décrivent le CICR comme une « institution neutre », ou encore une institution et un intermédiaire « spécifiquement neutres et indépendants » [6 ] .

Le CICR est ainsi décrit comme un organisme (ou une organisation) humanitaire, neutre, impartial(e) et indépendant(e), dans des textes adoptés par les seuls Etats, comme les traités de droit international humanitaire, ou dans ceux, comme les Statuts du Mouvement, qui le sont par les Etats et les composantes du Mouvement lui-même (Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et CICR).

A première vue, on doit estimer que ces attributs peuvent être mis en rapport les uns avec les autres. En ce qui concerne plus particulièrement la neutralité, il nous paraît que celle du CICR ne peut se comp rendre qu'en raisonnant à partir du premier statut de la neutralité qui s'est dégagé du droit international, soit celui de l'Etat neutre.

Lorsqu'à la fin du XIXe siècle la neutralité a commencé à trouver sa place dans les textes internationaux, elle désignait le régime juridique d'un Etat qui avait décidé de se tenir à l'écart d'une guerre entre deux ou plusieurs Etats [7 ] . La neutralité se comprenait donc comme un statut, composé de l'ensemble des droits et devoirs au bénéfice ou à la charge de l'Etat neutre. Les modifications intervenues depuis dans l'ordre international ont eu pour effet de faire passer au rang d'exception le statut de l'Etat neutre et de rendre tout particulièrement difficile la compréhension de ce statut [8 ] .

Tout d'abord, l'interdiction du recours à la force, intervenue après la Première Guerre mondiale, a ajouté un autre fondement que le statut de la neutralité au devoir de ne pas participer aux hostilités. Par la suite, l'instauration d'un système de sécurité collective par la Charte des Nations Unies a posé la question de la conciliation entre ce système et les droits et les devoirs impliqués par le statut de la neutralité. Corrélativement, elle a conduit à l'apparition d'une multiplicité de positions intermédiaires entre la neutralité et la belligérance, lesquelles sont autant de positions de fait, auxquelles le droit international n'attache pas de droits ou de devoirs spécifiques [9 ] . La neutralité « est ainsi en passe de devenir, si elle ne l'est pas déjà, une attitude facultative que les Etats tiers se réservent d'adopter en fonction des circonstances et indépendamment de la qualification formelle des conflits » [10 ] . Enfin, la guerre froide, les affrontements idéologiques - toutes formes non belliqueuses d'antagonismes entre les Etats - ont conduit à une conception de la neutral ité aux termes de laquelle cette dernière (notamment la neutralité permanente) implique des devoirs prenant naissance en temps de paix déjà. Cela, afin d'éviter à l'Etat neutre d'être entraîné dans un conflit opposant des Etats tiers [11 ] .

Ces éléments démontrent que la neutralité est loin de se réduire à une non-participation aux hostilités. Si tel était le cas, il n'y aurait pas lieu de distinguer entre l'Etat neutre et l'Etat non belligérant. La non-participation aux hostilités caractérise en effet tout autant la position de l'un et de l'autre. La différence se situe sur le plan du fondement de la non-participation aux hostilités, l'Etat neutre ne prenant pas part à celles-ci parce qu'il y est tenu en vertu de son statut, l'Etat non belligérant, parce qu'il en a décidé ainsi, ce choix coïncidant dans la plupart des cas avec l'obligation de ne pas recourir à la force dans les relations internationales.

Autrement dit, si la neutralité implique la non-participation aux hostilités, l'inverse n'est pas vrai pour autant. Ce sont donc les devoirs autres que la non-participation aux hostilités qui caractérisent la position de l'Etat neutre.

A propos de ces devoirs, le professeur Torrelli s'exprime en ces termes: « Situation d'un Etat qui entend demeurer, en tout temps ou à l'occasion, à l'écart du conflit, la neutralité s'arc-boute sur deux principes essentiels: l'abstention et l'impartialité » [12 ] .   Selon le professeur Schindler, les devoirs des Etats neutres se décomposent en devoirs d'abstention, de prévention et d'impartialité [13 ] .

Le devoir d'abstention de l'Etat neutre implique l'obligation de ne pas fournir un e assistance militaire aux belligérants. Le devoir de prévention oblige l'Etat neutre à empêcher les belligérants d'utiliser le territoire à des fins belliqueuses, ainsi que la commission, depuis le territoire national, d'actes contraires au droit de la neutralité. Enfin, le devoir d'impartialité oblige l'Etat neutre à appliquer de manière égale aux deux belligérants les règles qu'il s'est posées dans le domaine de ses relations avec les belligérants [14 ] .

On voit donc que le statut de la neutralité implique des devoirs «de ne pas faire» (ou «de ne pas laisser faire»). De même, lorsqu'on se trouve dans le domaine de l'action (« faire » ) , il y a   l'obligation d'un certain mode de faire, qui consiste à respecter le devoir d'impartialité. Ce devoir n'existant certainement pas à l'égard de l'Etat non belligérant, on peut le considérer comme étant le plus caractéristique de ceux qui sont attachés à la neutralité [15 ] . En revenant à l'essence de la neutralité et en lui conférant une portée qui englobe ses éventuelles implications pour le temps de paix, on peut donc l'entendre « au sens d'un devoir de s'abstenir de tout acte qui, dans une situation conflictuelle quelconque, puisse être interprété comme favorisant les intérêts d'une partie au conflit ou compromettant les intérêts de l'autre » [16 ] .  

     

En qualifiant le CICR, tour à tour, d'organisme impartial et d'institution neutre, les Etats ont transposé à son égard les composantes du statut de la neutralité étatique. Plusieurs motifs sont probablement à l'origine de cette attribution. Tout statut est à la fois gratifiant et contraignant. Les Etats ont sans aucun doute intérêt à s'assurer qu'un organisme qui travaille dans des pays en guerre respecte les devoirs de la neutralité. Ils n'auraient jamais attribué au CICR les compétences qui sont les siennes sans garanties pour leur sécurité militaire et politique. Par ailleurs, le CICR, en observant d'entrée de cause, de sa volonté propre et de manière permanente, les principes de l'abstention et de l'impartialité, a obtenu la confiance des Etats et l'inscription, sous forme de règles internationales, de tâches fondées à l'origine sur des bases juridiques plus incertaines [17 ] .

La qualité d'organisme neutre a pu être attribuée au CICR parce qu'il offre la particularité d'être à la fois non gouvernemental et qu'il a une personnalité de droit international. Le fait que le CICR soit composé de personnes physiques, et non d'Etats, permet en effet de garantir que ses décisions ne procèdent pas de la volonté de favoriser ou de défavoriser les parties au conflit avec lesquelles il est amené à traiter. La mononationalité du Comité, qui, selon l'article 5, paragraphe 1 des Statuts du Mouvement, recrute ses membres par cooptation parmi les citoyens suisses, constitue pour les Etats une assurance supplémentaire quant à la neutralité du CICR. A cet égard, on soulignera toutefois que la neutralité de la Suisse, qui a probablement contribué à l'émergence de la neutralité du CICR, doit être soigneusement distinguée de celle de l'institution [18 ] .

D'un autre côté, il est douteux qu'un organisme puisse se voir conférer la capacité permanente d'agir en tant qu'intermédiaire neutre si son absence de subordination par rapport aux autres sujets de droit international n'est pas établie [19 ] . Il s'ensuit que, s'il est attribué à une entité autre qu'un Etat, le statut de la neutralité suppose la personnalité international e. Le fait que le CICR puisse fonctionner en tant que substitut de la Puissance protectrice témoigne en tout cas de son aptitude à être titulaire de droits et d'obligations du droit international, et sa personnalité internationale semble maintenant admise [20 ] .

La neutralité d'une entité autre qu'un Etat implique des devoirs d'abstention qui, pour autant qu'ils soient pertinents pour une telle entité, ne diffèrent pas de ceux de l'Etat neutre. A cet égard, on peut noter que le fait de ne pas prendre part aux hostilités garde sa pertinence pour une organisation internationale ou non gouvernementale. D'un côté, il existe au moins une organisation intergouvernementale, soit l'ONU, qui dispose du droit de recourir à la force armée, dans le cadre des compétences qui lui sont réservées en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. D'autre part, la force armée peut être utilisée en-dehors du monopole étatique. Il est ainsi significatif que les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge établissent, à l'égard des organisations qui le composent, le devoir de s'abstenir « de prendre part aux hostilités » [21 ] . De même, pour les organisations impliquées, la question de la protection armée de l'assistance (ou des escortes militaires) se pose en rapport, entre autres, avec le principe de la neutralité [22 ] .

En ce qui concerne le devoir d'impartialité du CICR, il ne peut se traduire que dans le domaine d'activité propre de ce dernier, qui est celui de l'aide aux victimes des conflits armés et des troubles intérieurs. Cela signifie que le CICR observera la même attitude à l'égard des parties au conflit, les seuls critères qui le guideront étant ceux de l'intérêt des personnes couvertes par son champ d'activité [23 ] . Le CICR est donc un organisme neutre et   humanitaire, ou, selon la terminologie des dispositions des Conventions de Genève et du Protocole additionnel I, un organisme (ou une organisation) humanitaire impartial(e) [24 ] .

Il nous reste à examiner le lien entre les attributs « neutre » et « indépendant » .  

Nous avons déjà identifié l'indépendance au sens technique, en tant que qualité liée à la personnalité internationale. Au sens commun, toute entité non subordonnée à une autre doit être considérée comme indépendante. Une organisation non gouvernementale, de même qu'une organisation intergouvernementale, peuvent, dans une telle perspective, être indépendantes, pour autant qu'elles bénéficient de la personnalité juridique, et que le point d'ancrage de cette personnalité soit un droit national ou le droit international. Enfin, le droit qui régit les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge fait apparaître une troisième acceptation de l'indépendance, soit celle d'un principe qui lie ces composantes et possède une portée propre.

Dans le préambule des Statuts du Mouvement, le principe de l'indépendance est explicité par le texte suivant: « Le Mouvement est indépendant. Auxiliaires des pouvoirs publics dans leurs activités humanitaires et soumises aux lois qui régissent leur pays respectif, les Sociétés nationales doivent pouvoir pourtant conserver une autonomie qui leur permette d'agir toujours selon les principes du Mouvement. »

Le maître mot de cet énoncé est sans aucun doute celui d'« autonomie » . Jean Pictet a ainsi écrit: « Sous peine de ne plus être elle-même, la Croix-Rouge doit être maîtresse de ses décisions, de ses actes et de ses paroles; elle doit pouvoir librement montrer le chemin de l'humanité et de sa justice. On ne saurait admettre qu'une puissance, quelle qu'elle soit, la fasse dévier de la ligne que seul son idéal lui trace » [25 ] .  

Comprise ainsi, il nous paraît que l'indépendance caractérise le CICR par rapport à des organisations tant intergouvernementales que non gouvernementales. Dans la mesure où l'on doit admettre que l'autonomie du CICR (qui n'est pas un auxiliaire des pouvoirs publics et jouit de la personnalité internationale) est plus grande que celle des Sociétés nationales, on peut considérer que son indépendance est déterminée par sa composition non gouvernementale et par son statut d'organisme neutre.

  B. La neutralité en tant que principe du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge  

Selon le Préambule de ses Statuts, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge [26 ] est « guidé » par sept Principes fondamentaux, soit l'humanité, l'impartialité, la neutralité, l'indépendance, le volontariat, l'unité et l'universalité. L'article 3, paragraphe 1 dispose que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge doivent accomplir leurs tâches humanitaires « en accord avec les Principes fondamentaux ». Le CICR, pour sa part, doit « maintenir et diffuser » les Principes fondamentaux (article 5, paragraphe 2, lettre a). Enfin, la Fédération internationa le des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est appelée à exercer ses fonctions, entre autres, dans « le contexte des Principes fondamentaux » (article 6, paragraphe 4).

Le deuxième principe du Mouvement est l'impartialité et est énoncé en ces termes: « [Le Mouvement] ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de condition sociale et d'appartenance politique. Il s'applique seulement à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes. »

Le principe de la neutralité est formulé de la manière suivante: « Afin de garder la confiance de tous, le Mouvement s'abstient de prendre part aux hostilités et, en tout temps, aux controverses d'ordre politique, racial, religieux et idéologique. »

On constate ainsi que ces deux principes réunissent les devoirs d'abstention et d'impartialité qui définissent la neutralité étatique depuis ses origines. Par ailleurs, l'exigence de l'abstention dépasse le contexte des hostilités et s'étend à celle d'une « réserve dans les controverses d'ordre politique, racial, religieux et idéologique » [27 ] qui correspond à la conception de la neutralité étatique telle qu'elle s'est développée, depuis la Seconde Guerre mondiale surtout. Comme pour les Etats, cette réserve définit la neutralité en temps de paix et est destinée à préserver celle du temps de guerre. Ainsi que l'indiquent les Statuts, il s'agit en particulier de ne pas altérer la confiance des entités qui, un jour ou l'autre, pourraient être engagées dans une confrontation armée. On peut ainsi, avec Jean Pictet, distinguer la neutralité idéologique de la neutralité militaire [28 ] .

Comme le relève un auteur, « [...] le principe de l'impartialité contient deux règles d'action précises: la non-discrimination dans l'attribution de l'aide que le Mouvement apporte (aussi bien en temps de paix que lors de conflits et de troubles), ainsi que l'adéquation des secours aux besoins, ce qui implique des prestations accrues en faveur des plus démunis » [29 ] . Telle qu'elle est exprimée dans les Statuts du Mouvement, l'impartialité désigne à la fois la non-discrimination et la proportionnalité.

A l'examen, on relève que ces exigences sont plutôt dérivées de la neutralité appliquée aux relations inter-étatiques que couvertes par cette dernière. En effet, comme le Mouvement est tourné vers l'action humanitaire, conformément à son premier principe qui est celui de l'humanité, des critères apparaissent nécessaires pour que cette action s'insère dans un cadre propre à assurer sa neutralité, notamment dans le domaine des activités de secours. La non-discrimination s'applique davantage à la relation vis-à-vis de l'individu qu'à celle vis-à-vis d'une collectivité, même si les distinctions interdites pourraient conduire à privilégier une collectivité au détriment de celle qui lui est opposée. Quant à la proportionnalité, elle désigne le seul critère qui doit être pris en considération dès que l'on décide d'une action de secours. La non-discrimination et la proportionnalité sont donc les pôles négatifs et positifs d'une action humanitaire neutre.

En revanche, l'impartialité que l'on doit observer dans une situation où des collectivités s'affrontent implique, comme la neutralité étatique, que l'on traite ces dernières de manière égale. Ainsi, tandis que la non-discrimination et la proportionnalité n'ont de pertinence que par rapport à une action, en particulier de secours, l'impartialité en tant que volet intrinsèq ue de la neutralité [30 ] saisit tout le champ de décision d'une organisation humanitaire.

Ce volet-là de la neutralité n'est pas énoncé expressément par les Statuts du Mouvement. Il est vrai qu'il intéresse surtout le CICR, puisqu'il trouve son utilité dans les situations de conflits armés essentiellement. L'égalité dans l'attitude observée à l'égard des belligérants s'impose en effet de manière impérieuse au CICR pour qu'il continue d'être considéré - perçu - comme neutre par ceux-ci. A titre d'exemple des domaines d'activités auxquels ce devoir d'égalité s'applique, nous citerons l'interprétation du droit humanitaire, l'offre de services dans le cas d'un conflit armé non international [31 ] , ou la dénonciation des violations du droit humanitaire [32 ] .

C'est sur la question de la dénonciation des violations du droit que la neutralité a été mise en cause par les organisations non gouvernementales d'obédience française. Avec le recul du temps, il apparaît que leur contestation repose sur deux prémisses: la neutralité impose le silence [33 ] , et le silence est, du point de vue de la justice, condamnable [34 ] .

En réalité, comme l'a relevé Yves Sandoz, « (...) le silence, jamais, n'a été érigé en principe par le CICR. C'est toujours en fonction de l'efficacité à l'égard de l'objectif fixé par le principe d'humanité que la question s'est posée » [35 ] . On en voudra pour seule preuve que le CICR ne s'interdit pas la dénonciation des violations du droit humanitaire, mais la soumet à des conditions. Parmi celles-ci, figure, en particulier, l'exigence qu'« une telle publicité [soit] dans l'intérêt des personnes ou populations atteintes ou menacées » [36 ] . Quant à l'opposition entre la justice et la neutralité , elle n'a pas été niée par les représentants du CICR. Ainsi, selon Jean Pictet, « si la justice donne à chacun, selon son droit, la charité donne à chacun selon sa souffrance. [...La charité] se refuse à peser le mérite ou la faute de chacun » [37 ] . Maintenant que l'organisation Médecins sans Frontières se demande s'il ne convient pas d'abandonner la neutralité [38 ] , on peut estimer que les positions des deux organisations se rejoignent en ce qui concerne l'interprétation du principe. Les divergences se situeraient alors clairement sur le plan de son bien-fondé, l'organisation française paraissant souhaiter conserver, en certaines occasions, la possibilité de témoigner [39 ] .

Quant au CICR, il a toujours estimé que la neutralité n'est pas une fin en soi, mais qu'elle est un moyen de remplir son mandat en faveur des victimes des conflits armés et des troubles intérieurs [40 ] . Pour lui, le respect des différents devoirs impliqués par la neutralité constitue donc un impératif au regard de la perpétuation de son statut comme de ses fonctions.

  3. La neutralité de l'assistance humanitaire  

     

  A. Les termes du débat
 

L'attention que les experts des relations internationales portent à la neutralité dans le domaine de l'assistance est assez récente. Elle est intimement liée à la faveur dont jouit tout ce qui relève de l'action humanitaire et, surtout, au développement de la coordination humanitaire au sein des Nations Unies. Les réflexions ont parfois débordé le cadre de la fourniture des secours pour saisir tout ce qui est destiné à protéger l'être humain des atteintes contre sa vie, son intégrité physique et sa di gnité [41 ] . Envisagée sous cet angle, la neutralité perd son sens juridique pour devenir un critère permettant de distinguer différents modes de l'action internationale.

Parfois, on invoque même la neutralité du droit humanitaire [42 ] ; selon celle-ci, la mise en oeuvre du droit humanitaire ne peut pas être considérée comme portant préjudice aux positions militaires et politiques des parties au conflit [43 ] , puisque les règles de ce droit ont été adoptées par les Etats en tant que compromis acceptables entre les nécessités militaires et les impératifs de l'humanité. En-dehors de ce cas, l'examen d'autres branches du droit international à la lumière du concept de la neutralité nous paraît inapproprié et de nature à engendrer des malentendus. L'impartialité, en revanche, est un principe pertinent du point de vue de l'application du droit, et, plus spécifiquement, de l'administration de la justice. Mais, il revêt un sens bien précis qui n'a que des rapports très lointains avec la neutralité.

La neutralité appliquée au domaine de l'assistance appelle aussi la distinction entre les activités liées à la distribution de secours, qui sont englobées sous le vocable « assistance » , et les autres formes d'action auxquelles peuvent se livrer les organisations qui travaillent dans le domaine des secours alimentaires et médicaux. Ainsi, comme le démontre le professeur Torrelli, la question se pose de savoir quelles peuvent être les conséquences, sur le plan d'une opération de secours, d'activités consistant en la dénonciation de violations alléguées des règles applicables [44 ] . Cette distinction rejoint celle qu'il faut faire entre la neutralité d'une entité et la neutralité appliquée à une certaine forme de l'action internationale.

L'abstention et l'im partialité appliquées à l'action des forces des Nations Unies a fait récemment l'objet de plusieurs critiques. «L'aide humanitaire peut se fonder sur des motifs et des principes universalistes, mais dans sa mise en oeuvre elle revêt inéluctablement un caractère politique partisan, longtemps jugé inopportun dans le cas des forces de maintien de la paix, qui interviennent sous la bannière des Nations Unies, car il représente une menace pour leur neutralité» [45 ] . Selon d'autres, «si l'impartialité et la neutralité sont compromises, il conviendrait de reconsidérer une opération humanitaire en cours, de la réduire ou d'y mettre fin» [46 ] . Ou alors, «dans les conflits entre des Etats, l'impartialité n'est pas parvenue à rétablir la paix et, dans certains cas comme en Bosnie, elle a peut-être en fait prolongé les souffrances» [47 ] . «Fautil alors en conclure qu'il ne suffit pas d'être neutre et impartial?» [48 ]

En principe, les objections soulevées à l'encontre de l'adéquation entre les objectifs des forces des Nations Unies et le respect de abstention et de l'impartialité ne devraient pas porter préjudice aux positions du CICR. Dans la mesure, cependant, où elles ne font pas toujours la distinction entre les applications militaires et humanitaires du concept de la neutralité, elles peuvent se comprendre comme une critique du principe s'étendant à tous les domaines auxquels il peut s'appliquer.

Se référant à l'usage du principe de la neutralité parmi les organisations non gouvernementales, l'une d'entre elles estimait que «la dépréciation des concepts, symboles et procédures du CICR, suite à leur adoption par d'autres organisations humanitaires moins scrupuleuses, a des conséquences graves pour l'intégrité du CICR lui-même» [49 ] . Si nous ne partageons pas entièrement le pessimisme de cette organisation, ni, encore moins, sa sévérité, nous pensons néanmoins qu'une clarification des expressions est nécessaire, et qu'elle peut être utile à ceux qui examinent certaines formes d'action internationale à la lumière du principe de la neutralité.

  B. La recherche d'une définition  

     

On peut estimer qu'il existe, pour autant qu'on la dégage, une acceptation juridique de la neutralité appliquée au domaine des secours aux victimes des conflits armés.

En premier lieu, les dispositions pertinentes des Protocoles additionnels I et II mentionnent deux conditions étroitement associées au principe de la neutralité, soit l'impartialité et la non-discrimination. Ainsi, l'article 70, paragraphe 1 du Protocole additionnel I se réfère à « des actions de secours de caractère humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable »;   l'article 18, paragraphe 2 du Protocole II traite « des actions de secours en faveur de la population civile, de caractère exclusivement humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable » .  

Par ailleurs, les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le renforcement de la coordination de l'aide humanitaire d'urgence fournie par l'ONU rappellent généralement les principes de l'humanité, de la neutralité et de l'impartialité [50 ] . En particulier, les principes directeurs annexés à la résolution 46/182, du 19 décembre 1991, stipulent, en leur chiffre 2, que « l'aide humanitaire doit être fournie conformément aux principes d'humanité, de neutralité et d'impartialité » .  

De même, la neutralité et/ou l'impartialité sont mentionnées dans beaucoup de textes émanant d'une ou de plusieurs entités intéressées au domaine des secours, en vue de servir de lignes directrices à leurs activités ou à l'activité d'assistance en général. Ainsi, la neutralité figure dans les « Principes humanitaires et dilemmes lors d'opérations en zones de conflits armés » du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) [51 ] ;   l'impartialité et la neutralité sont mentionnées dans « The Mohonk Criteria for Humanitarian Assistance in Complex Emergencies » [52 ]   et dans les « Principes directeurs concernant le droit à l'assistance humanitaire », adoptés par le Conseil de l'Institut international de droit humanitaire lors de sa session d'avril 1993 [53 ] . Parfois, ces principes sont même évoqués dans des textes s'appliquant à des situations autres que des conflits armés, ce qui peut paraître, à première vue, surprenant, dans la mesure où la neutralité suppose en principe l'existence de collectivités qui s'opposent [54 ] .

Enfin, des professeurs éminents, come Ch. Dominicé [55 ] et M. Torrelli [56 ] , ont examiné la neutralité en rapport avec l'assistance humanitaire.

Aucun des textes auxquels nous nous sommes référés ne donne cependant la définition de l'assistance humanitaire   neutre. Il nous paraît donc que celle-ci ne peut être donnée qu'à partir d'un certain nombre d'éléments, tirés de l'état du droi t et de la réflexion en la matière, et que nous présentons ci-dessous.

1. L'assistance neutre est une assistance qui trouve son fondement de validité dans le droit international humanitaire . Les articles 70 du Protocole I et 18, paragraphe 2 du Protocole II mentionnent deux conditions étroitement associées à la neutralité, soit l'impartialité et la non-discrimination. En outre, la neutralité est considérée comme un principe du droit humanitaire, qui implique notamment que « l'assistance humanitaire n'est jamais une ingérence dans le conflit » [57 ] .  

2. L'assistance neutre ne constitue pas une ingérence dans le conflit armé, ni un acte hostile . Cela résulte de la lettre même de l'article 70 du Protocole I. Le Protocole II précise de manière plus générale qu'aucune de ses dispositions ne pourra justifier une intervention directe ou indirecte dans le conflit armé [58 ] .

3. Une assistance imposée par la force armée dans le cadre d'une action unilatérale est une ingérence et par conséquent ne répond pas au critère de la neutralité . Deux auteurs qui se sont penchés sur le droit d'ingérence, O. Corten et P. Klein, opposent ainsi l'opération humanitaire non armée entreprise à la suite du refus arbitraire de l'Etat à une réaction armée unilatérale qu'ils estiment interdite par le droit international [59 ] . Comme exemple de la première, ils citent le parachutage par des appareils indiens, en 1987, de vivres et de médicaments à Jaffna (Sri Lanka), dans la zone tamoul. Ils relèvent toutefois que la licéité de l'opération restait néanmoins sujette à caution, étant donné que les avions civils étaient escortés de Mirages [60 ] .

4. Seule une assistance de caractère exclusivement humanitaire est neutre . Contrairement à l'article 70 du Protocole I, l'article 18, paragraphe 2 du Protocole II ne contient aucune référence à l'ingérence; il stipule en revanche que l'action de secours doit être « de caractère exclusivement humanitaire ».

5. L'assistance neutre se limite aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge . La Cour internationale de Justice, dans son jugement sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, a établi que « pour ne pas avoir le caractère d'une intervention condamnable dans les affaires d'un autre Etat, non seulement « l'assistance humanitaire » doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge, à savoir « prévenir et alléger les souffrances des hommes » et « protéger la vie et la santé [et] faire respecter la personne humaine » ; elle doit aussi, et surtout, être prodiguée sans discrimination à toute personne dans le besoin (...) » [61 ] .

6. Le fait qu'une assistance est fournie alors que l'Etat ou une autre partie au conflit a arbitrairement refusé une offre de secours ne la prive pas de son caractère neutre, pour autant qu'elle ne s'accompagne pas d'une utilisation de la force armée . Comme dit plus haut, une offre de secours qui répond aux conditions des articles 70 du Protocole I et 18, paragraphe 2 du Protocole II n'est pas une ingérence. Si « le refus arbitraire persiste, après négociations restées infructueuses » , une action de secours entreprise en dépit de ce refus s'apparente, tout au moins lorsqu'elle est le fait d'un Etat tiers, à une « contre-mesure »   légitime et ne constitue donc pas une ingérence [62 ] .

7. Le fait qu'une assistance fournie par l'une ou l'autre des composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge soit protégée par des escortes armées ne la prive pas de son caractère neutre. Cela, pour autant que la partie (ou l'autorité) qui contrôle le territoire où le convoi doit passer et où l'assistance humanitaire doit être apportée ait approuvé pleinement les principes et les modalités de l'escorte armée, et que le but de cette dernière soit de protéger les secours contre des bandits et des criminels de droit commun . Il s'agit des conclusions auxquelles est parvenu un groupe de travail conjoint du CICR et de la Fédération, suite à la résolution 5 adoptée par le Conseil des Délégués en 1993 [63 ] . Le groupe de travail insiste par ailleurs sur le fait que l'usage des escortes armées ne doit être décidé qu'à titre exceptionnel, en dernier ressort et après un examen approfondi des avantages et des inconvénients d'une telle mesure.

8. Pour être neutre, l'assistance ne doit pas être discriminatoire . Les articles 70 du Protocole I et 18, paragraphe 2 du Protocole II stipulent tous deux la condition de l'absence de distinction défavorable. Dans les instruments de droit humanitaire, la liste la plus complète des distinctions défavorables se trouve à l'article 75 du Protocole I.

9. Pour être neutre, l'assistance doit s'appliquer à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et à subvenir par priorité aux besoins les plus urgents [64 ] . Cette exigence est posée, en particulier, par l'impartialité en tant que principe du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge [65 ] .

10. Pour être neutre, l'assistance ne doit pas favoriser certains groupes ou individus par rapport à d'autres [66 ] . Des distinctions autres que celles qui sont comprises dans la liste des distinctions défavorables et qui ne se justifient pas au regard des besoins des victimes ne sont par conséquent pas conformes à la condition de l'impartialité.

11. Une assistance unilatérale n'est pas nécessairement non neutre [67 ] . L'assistance qui est fournie en faveur des victimes d'une seule des partie au conflit n'est pas, sous réserve d'autres facteurs, contraire aux conditions posées par le droit humanitaire.

Tous ces éléments n'épuisent probablement pas le contenu de la définition de l'assistance humanitaire neutre, qui devra encore s'enrichir des enseignements de la pratique récente.

La communauté internationale devrait en particulier se déterminer à propos de l'assistance fournie en relation avec une opération armée entreprise par les Nations Unies ou autorisée par ces dernières. La question qui se pose en effet est de savoir si une assistance délivrée au moyen d'une opération qui ne répond pas nécessairement au critère de l'abstention peut néanmoins être considérée comme neutre. En l'état, il paraît admis qu'une assistance protégée par des forces de l'ONU utilisant la force contre une ou plusieurs parties d'un conflit armé ne peut pas être neutre [68 ] . Il reste alors à éta blir si une assistance distribuée par des éléments militaires, de police ou civils impliqués dans une opération à caractère coercitif, ou d'une opération de maintien de la paix dotée ou non de pouvoirs coercitifs [69 ] , peut être considérée comme neutre [70 ] .

En tout état de cause, les éléments que nous avons dégagés permettent d'aboutir à la constatation que la neutralité appliquée à l'assistance humanitaire est un concept autonome, indépendant de la nature de l'entité qui se livre aux activités englobées sous le vocable « assistance humanitaire ».   En d'autres termes, un Etat, même non neutre, une organisation intergouvernementale ou une organisation non gouvernementale sont en mesure de fournir aux victimes des conflits armés une assistance qui répond aux conditions du droit humanitaire. On peut même envisager que leurs activités sont, dans certains contextes, conformes au droit humanitaire, alors que cela ne serait pas le cas sur d'autres théâtres d'opérations. En ce qui concerne le CICR, on doit en revanche considérer que ses activités d'assistance sont toujours conformes à la neutralité appliquée au domaine des secours aux victimes des conflits armés. Il y a en effet un point de contact entre la neutralité du CICR, la neutralité en tant que principe du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et la neutralité en tant que qualité de l'assistance humanitaire.

  4. Conclusion  

Dans le domaine de l'action humanitaire, la neutralité se présente comme un attribut du CICR, un devoir qui lie les composantes du Mouvement et une qualité de l'assistance en faveur des victimes des conflits armés. Dans ces trois cas, le contenu de la neutralité varie légèrement en fonction des usages auxquels ce c oncept doit servir. Toutefois, il demeure toujours étroitement lié à la définition qui l'a vu naître en droit international pour désigner le statut d'un Etat ayant décidé de se tenir à l'écart d'un conflit armé. Ses applications de droit positif continuent donc de faire appel aux critères de l'abstention et de l'impartialité qui ont caractérisé la neutralité dès ses origines.

Aujourd'hui, la neutralité subit un phénomène d'attraction ou de rejet, basé davantage sur sa définition habituelle que juridique. Il s'ensuit des malentendus qui entachent l'appréciation objective de la neutralité. Par ailleurs, l'invocation de la neutralité à l'égard des différentes formes de l'action collective en faveur du maintien ou du rétablissement de la paix révèle beaucoup d'incertitudes.

Il serait donc souhaitable de parvenir à une meilleure compréhension de la neutralité appliquée à l'assistance en faveur des victimes des conflits armés. Dans le cas contraire, seule l'assistance fournie par le CICR pourrait être considérée, de façon certaine, comme neutre. Car il faut bien l'admettre, la neutralité d'un organisme se répercute sur le champ entier des activités qu'il peut être amené à entreprendre.

  Notes  

1. Voir infra, notes 33 et 34.

2. Voir infra, notes 46 à 48.

3. Cf . R. Brauman, «Contre l'humanitarisme», Esprit , décembre 1991, pp. 77-85, p. 79.

4. Cf . l'allocution de M. Cornelio Sommaruga, président du CICR, prononcée lors de la Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre, RICR, N° 803, septembre-octobre 1993, pp. 389-392.

5. Cf . l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, les articles 9/9/9/10 de ces quatre Conventions et l'article 5, paragraphe 3 du Protocole additionnel I.

6. Cf . l'article 5, paragraphe 2, lettre d, et paragraphe 3 de ces Statuts. Rappelons à cet égard que les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont adoptés par la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui réunit, en principe tous les quatre ans, le CICR, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, la Fédération de ces Sociétés, ainsi que les Etats parties aux Conventions de 1949. Pour le texte de ces Statuts, voir Manuel du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge , édité par le Comité international de la Croix-Rouge et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 13e édition, Genève, 1994, pp. 429-446.

   

7. J. Monnier, «Développement du droit international humanitaire et droit de la neutralité», Quatre études du droit international humanitaire , Institut Henry-Dunant, Genève, 1985, pp. 516, p. 5.

8. D. Schindler, «Transformation in the law of neutrality since 1945», Humanitarian Law of Armed Conflict - Challenges Ahead , ed. by A. J. M. Delissen and G. J. Tanja, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1991, pp. 367-386, p. 370.

9. Ibid. , p. 371 et suiv.; voir aussi, du même auteur, «Aspects contemporains de la neutralité», Académie de droit international, Recueil des Cours , 1967, II, tome 121, pp. 221-321, p. 272. On constate que ces positions intermédiaires ont été consacrées par le droit international humanitaire, qui, à l'article 4, lettre B, paragraphe 2 de la IIIe Convention de Genève de 1949, mentionne les « Puissances neutres ou   non belligérantes », (c'est nous qui soulignons) et à l'article 9, paragraphe 2, lettre a), du Protocole additionnel I, « un Etat neutre ou   un autre Etat non partie à ce conflit » (c'est nous qui soulignons).

10. J. Monnier, op. cit. (voir note 7), p. 8.

11. D. Schindler, op. cit. (voir note 9), pp. 307 et suiv.; cf . Ch. Dominicé, «La neutralité et l'assistance humanitaire», Annales de droit international médical, N° 35, 1991, pp. 118-126, p. 118, et J. Monnier, op. cit. (voir note 7), p. 9.

12. M. Torrelli, «La neutralité en question», Revue Générale de Droit International Public , tome 96/1992/1, pp. 543, p. 7.

13. D. Schindler, op. cit. (voir note 8), p. 379.

14. Ibid ., p. 380.

15. H. Meyrowitz, Le principe de l'égalité des belligérants devant le droit de la guerre , Paris, 1970, p. 392.

16. Ch. Swinar ski, «La notion d'un organisme neutre et le droit international», Etudes et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l'honneur de Jean Pictet , éd. par Ch. Swinarski, CICR, Genève, 1984, pp. 819-835, p. 823.

17. Ibid. , p. 833.

18. Cf . C. Sommaruga, président du CICR, «La neutralité suisse et la neutralité du CICR sont-elles indissociables? - Une indépendance à sauvegarder», RICR , N° 795, mai-juin 1992, pp. 275-284.

19. Ch. Swinarski, op. cit. (voir note 16), p. 826, et D. Schindler, «Die Neutralität des Roten Kreuzes», Des Menschen Recht zwischen Freiheit und Verantwortung , Festschrift für K. J. Partsch zum 75. Geburtstag, hgg. von J. Jekewitz, K. H. Klein, J. D. Kühne, H. Petersmann, R. Wolfrum, Dunker & Humblot, Berlin, 1989, pp. 141-152, p. 145.

20. Cf . les articles 10/10/10/11 des quatre Conventions de Genève ainsi que l'article 5 du Protocole additionnel I. En ce qui concerne la personnalité internationale du CICR, cf ., en particulier, Ch. Dominicé, «L'Accord de siège conclu par le Comité international de la Croix-Rouge avec la Suisse», Revue Générale de Droit International Public , tome IC1995, pp. 536, pp. 25 et suiv.

21. Voir infra, paragraphe 2 B.

   

22. Voir infra, paragraphe 3 B.

23. Voir infra, paragraphe 2 B.

24. Voir les articles cités à la note 5 supra.

25. J. Pictet, Les principes fondamentaux de la Croix-Rouge, Commentaire, Institut Henry-Dunant, Genève, 1979, pp. 55-56.

26. Voir, en ce qui concerne ses Statuts, la note 6 supra.

27. M. Harroff-Tavel, «Neutralité et impartialité De l'importance et de la difficulté, pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, d'être guidé par ces principes», RICR , N° 780, novembre-décembre 1989, pp. 563-580, p. 564.

28. J. Pictet, op. cit. (voir note 25), pp. 49-50.

29. M. Harroff-Tavel, op. cit. (voir note 27), p. 565.

30. J. Pictet, Les Principes de la Croix-Rouge , CICR, Genève, 1955, p. 70.

31. Y. Sandoz, «Le droit d'initiative du CICR», Jahrbuch für internationales Recht , vol. 22, 1979, pp. 352-373, p. 368; M. Harroff-Tavel, op. cit. (voir note 27), p. 572.

32. Cf . «Les démarches du Comité international de la Croix-Rouge en cas de violations du droit international humanitaire», RICR , N° 728, mars-avril 1981, pp. 79-86, pp. 84 et suiv.

33. Cf. , sur le lien entre la neutralité et l'attitude du CICR à l'égard des violations du droit humanitaire, J. Pictet, op. cit. (voir note 30), p. 73, et, pour une critique du « silence », B. Kou chner, Le malheur des autres , Editions Odile Jacob, Paris, 1991, pp. 107 et suiv.

34. Cf . par exemple, A. Desthexe, ancien secrétaire général de Médecins sans Frontières, qui, dans un ouvrage, écrit certes à titre personnel, s'exprime ainsi: « Le monde humanitaire n'a pas besoin de plus d'une organisation neutre: le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), indispensable, y suffit amplement . ... [L']action humanitaire privée doit réussir à sortir du double carcan de la simple compassion et de la neutralité et se doubler d'une exigence de justice. » A. Desthexe, Rwanda: essai sur le génocide , Editions Complexe, Bruxelles, 1994, p. 87.

35. Y. Sandoz, «Droit ou devoir d'ingérence, droit à l'assistance: de quoi parleton?», RICR , N° 795, mai-juin 1992, pp. 225-237, p. 235.

36. Cf . «Les démarches du Comité international de la Croix-Rouge», op. cit. (voir note 32), p. 84.

37. J. Pictet, op. cit. (voir note 30), p. 47.

38. V. Kassard, «Vous dites neutralité?», Messages - Journal interne des Médecins sans Frontières , N° 78, mai 1995. p. 2.

39. Ainsi, V. Kassard, dans l'article précité, indique que «Médecins sans Frontières pratique une neutralité occasionnelle - la neutralité d'accord, mais l'action MSF d'abord - et elle est parfois invoquée comme un frein au témoignage!»

40. Cf. , entre autres, J. Pictet, op. cit. (voir note 30), p. 58; Y. Sandoz, op. cit. (voir note 35), p. 234; M. Harroff-Tavel, op. cit. (voir note 27), p. 580; J. Meurant, «Principes fondamentaux de la Croix-Rouge et humanitarisme moderne», Etudes et essais en l'honneur de Jean Pictet , op. cit. (voir note 16), pp. 893-911, p. 899.

41. Ainsi, « The Mohonk Criteria for Humanitarian Assistance in Complex Emergencies » (publiés par la World Conference on Religion and Peace, February, 1994), qui mentionnent la neutralité et l'impartialité au nombre de leurs principes, constituent des lignes directrices intéressant un champ d'activités beaucoup plus large que la simple fourniture de secours.

42. Cf . p. ex., Th. A. von Baarda, «The Involvement of the Security Council in Maintaining International Humanitarian Law», Netherlands Quarterly of Human Rights , vol. 12, 1994, N° 2, pp. 137-152, p. 146.

43. J. Pictet, Le droit humanitaire et la protection des victimes de la guerre , A. W. Sijthoff, Institut Henry-Dunant, Genève, 1973, p. 47.

44. Cf. , en particulier, M. Torrelli, «De l'assistance à l'ingérence humanitaire?», RICR , N° 795, mai-juin 1992, pp. 238-258, p. 250.

45. Traduction CICR. M. Pugh, International Peacekeeping , vol. 1, Winter 1994, Number 4, pp. 503-505, p. 503: recension de Th. G. Weiss and L. Minear, «Humanitarian Aid Across Borders, Sustaining Civilians in Times of War», Lynne Rienner Publishers, Colorado and London, 1993. Pour des considérations sur la neutralité dans l'ouvrage en question, cf. G. Smith, «Relief Operations and Military Strategy», pp. 97-116, p. 98.

46. Traduction CICR. «Military Support for Humanitarian Aid Operations; IISS - Strategic Comments», ISS - International Institute for Strategic Studies , Issue N° 2, 22 February 1995.

47. Traduction CICR. S. Duke, «The United Nations and IntraState Conflict», International Peacekeeping , vol. 1, Winter 1994, Number 4, pp. 375-393, p. 389. Dans le même sens, R.K. Betts, «The Delusions of Impartiality», Foreign Affairs , November-December 1994, pp. 20-33, p. 20.

48. Traduction CICR. A. Donini, «Beyond Neutrality: On te Compatibility of Military Intervention and Humanitarian Assistance», The Fletcher Forum of World Affairs , Volume 19, Summer/Fall 1995, Number 2, pp. 3145, p. 44.

49. Traduction CICR. «Humanitarianism Unbound», African Rights , Discussion Paper N° 5, November 1994, p. 25.

50. Ainsi, la résolution 43/131 du 8 décembre 1988 rappelle que «dans les cas de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre, les principes d'humanité, de neutralité et d'impartialité devraient faire l'objet d'une particulière considération pour tous ceux qui dispensent une assistance humanitaire». Dans la résolution 45/100 du 14 décembre 1990 l'Assemblée générale est «consciente que, à côté de l'action des gouvernements et des organisations intergouvernementales, la rapidité et l'efficacité de cett e assistance reposent souvent sur le concours et l'aide d'organisations locales et d'organisations non gouvernementales agissant de façon impartiale et dans un but strictement humanitaire» et elle «souligne l'importante contribution à l'assistance humanitaire qu'apportent les organisations intergouvernementales et non gouvernementales agissant de façon impartiale et dans un but strictement humanitaire». Dans la résolution 48/57 du 14 décembre 1993 l'Assemblée générale «souligne qu'il importe que le coordonnateur des secours d'urgence participe pleinement à la planification d'ensemble des activités des Nations Unies visant à répondre aux situations d'urgence, afin de remplir son rôle de mobilisation de l'aide humanitaire en faisant en sorte qu'il soit pleinement tenu compte du facteur dimension humanitaire, et en particulier des principes d'humanité, de neutralité et d'impartialité qui doivent présider à l'octroi des secours d'urgence.». Enfin, dans la résolution 49/139 du 20 décembre 1994 elle «prend note des mesures, décrites dans le rapport du Secrétaire général, en vue de renforcer la coordination de l'aide humanitaire sur le terrain, et constate qu'il est nécessaire de développer et renforcer encore la coordination entre les organismes du système, notamment la coopération entre les organismes opérationnels, le Département des affaires humanitaires et les organisations non gouvernementales, conformément aux dispositions de la résolution 46/182, afin d'améliorer leur capacité d'intervenir rapidement et de façon coordonnée en cas de catastrophes naturelles et d'autres situations d'urgence, tout en préservant le caractère apolitique, neutre et impartial de l'action humanitaire».

   

51. Module préparé par L. Minear et Th. Weiss, UNDPDHA, Programme de formation à la gestion des catastrophes, 1994, p. 30.

52. Voir supra, note 41.

53. Ils ont été publiés dans la RICR , N° 804, novembre-décembre 1993, pp. 548-554. On peut aussi mentionner la résolution 12, sur l'assistance humanitaire dans les conflits armés, adoptée par le Conseil des Délégués lors de sa session à Budapest (1991), RICR , N° 793, janvier-février 1992, p. 57, et la résolution 11, sur les principes de l'assistance humanitaire, adoptée par le Conseil des Délégués lors de sa session à Birmingham, en 1993, RICR , N° 804, novembre-décembre 1993, p. 527. Ces résolutions tendent surtout à définir l'assistance humanitaire.

54. Il en est ainsi des « Guidelines on the use of military and civil defence assets in disaster relief », United Nations DHA-Geneva, Project DPR 213/3 MCDA, May 1994, pp. 62 et suiv., p. 64.

55. Ch. Dominic, op. cit. (voir note 11), p. 120.

56. M. Torrelli, op. cit. (voir note 12), p. 37.

57. J. Pictet, op. cit. (voir note 43), p. 47.

58. Article 2, paragraphe 2; cf. également l'article 5 de la résolution de l'Institut de droit international sur «La protection des droits de l'homme et le principe de nonintervention dans les affaires intérieures des Etats», Annuaire de l'Institut de droit international , 1990, vol. 63II, pp. 338 et suiv.

59. O. Corten et P. Klein, Droit d'ingérence ou obligation de réaction? , Editions de l'Université de Bruxelles, 1992, p. 220.

60. Ibid ., pp. 144-145.

61. Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 1986, p. 125, paragraphe 243.

62. O. Corten et P. Klein, op. cit. (voir note 59), p. 144.

63. Cf. «Résolutions du Conseil des Délégués», RICR, N° 804, novembre-décembre 1993, pp. 521-522.

64. Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 , édité par Y. Sandoz, C. Swinarski et B. Zimmermann, CICR, Genève 1986, p. 840, paragraphe 2802.

65. Voir supra paragraphe 2 B.

66. Commentaire des Protocoles additionnels (voir note 64).

67. Ibid ., paragraphe 2803 et paragraphe 2812.

68. Ainsi, dans son Supplément à l'Agenda pour la Paix , le secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, relève que des opérations exigeant l'usage de la force en-dehors de la légitime défense se sont écartées des principes du consentement des parties, de l'impartialité et du non emploi de la force, notamment lorsqu'il s'agissait d'assurer «la protection d'opérations humanitaires alors que les hostilités se poursuivaient». Il évoque à cet égard les précédents de la Somalie et de la Bosnie-Herzégovine. Voir Boutros Boutros-Ghali, «Supplément à l'Agenda pour la Paix: Rapport de situation présenté par le secrétaire général à l'occasion du cinquantenaire de l'Organisation des Nations Unies», A/50/60S/1995/1, du 3 janvier 1995, paragraphes 33 à 35.

69. Cf ., au sujet des opérations de maintien de la paix dotées de pouvoirs coercitifs, le texte du discours prononcé par le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali devant l'Institut universitaire des hautes études internationales, à Genève, le 3 juillet 1995 (Communiqué de presse SG/SM/95/147, du 3 juillet 1995, p. 6).

70. Il semble à cet égard que les spécialistes du système des Nations Unies préfèrent employer le terme « impartialité » que « neutralité » ( cf . CICR, «Symposium sur l'action humanitaire et les opérations de maintien de la paix», Genève, 22-24 juin 1994, Rapport, Genève, 1995, p. 84). Dans le même sens, il convient de noter que la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1994, n'évoque que « le caractère   impartial   et international » (c'est nous qui soulignons) des fonctions de ce personnel (cf. l'article 6, paragraphe 1, lettre b de cette Convention, dont le texte est annexé à la résolution A/RES/49/59).