La pratique de la Commission et de la Cour européennes des droits de l’homme en matière de droit international humanitaire

30-09-1998 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 831, de Aisling Reidy

  Aisling Reidy   est directrice du Projet Advocacy, Training and Education au Centre des droits de l’homme de l’Université d’Essex (Royaume Uni) et assistante à temps partiel de droit international et des droits de l’homme à la faculté de droit de cette université. À diverses reprises, elle a plaidé devant la Commission et la Cour européennes des droits de l’homme.  

L’adhésion toujours croissante de nouveaux membres au Conseil de l’Europe, ainsi que l’augmentation simultanée du nombre d’États parties à la Convention européenne des droits de l’homme, promet de poser des défis inédits à la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme — institution unique qui siégera en permanence à Strasbourg à compter du 1er novembre 1998 [1 ] . Diverses théories existent quant au type de défis que cette nouvelle Cour devra relever. Il en est une toutefois dont on ne peut pas faire abstraction et selon laquelle la Cour devra probablement traiter un plus grand nombre d’affaires résultant de situations de conflit. Le juge Jambrek, en préconisant la retenue et le conservatisme judiciaires dans une opinion dissidente qu’il a émise, a attiré l’attention sur le fait que la Cour pourrait avoir à se pencher sur les événements qui se sont déroulés dans la région croate de la Kraijna, en République Srpska, ainsi que dans d’autres parties de la Bosnie-Herzégovine ou en Tchétchénie [2 ] . Si tel était le cas, de nombreuses affaires pourraient soulever des questions relevant du droit international humanitaire.

Le présent article a pour objet d’examiner la manière dont la Commission et la Cour européennes des droits de l’homme ont à ce jour traité les affaires relevant du droit international humanitaire, et d’évaluer l’héritage juris prudentiel qu’elles légueront à la nouvelle Cour dans ce domaine.

  Le droit international humanitaire dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme  

Comme d’autres traités similaires relatifs aux droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme est applicable aux actes ou aux omissions imputés à toute partie contractante participant à un conflit armé, quel qu’il soit, dans lequel la responsabilité de la partie contractante en tant qu’État est engagée [3 ] . Cette responsabilité porte sur les actes ou omissions survenant dans le cadre d’un conflit armé sur le territoire national de l’État partie, ainsi que sur les actions entreprises par les forces armées de cet État à l’extérieur du territoire national [4 ] . Également selon la jurisprudence constante de la Convention, la responsabilité d’un État peut être engagée lorsque celui-ci, à la suite d’une action militaire légale ou illégale, exerce un réel contrôle sur une zone extérieure au territoire national [5 ] . Dans les situations précédentes, les garanties données par la Convention en vertu des articles 2 (droit à la vie), 3 (prohibition de la torture), 4 (prohibition de l’esclavage et du travail forcé) et 7 (pas de punition sans loi) s’appliqueront intégralement — sauf si la mort de la personne résulte d’actes licites de guerre. Si toutefois la guerre ou un autre danger public menacent la vie de la nation, un État partie a le droit, en prenant des mesures dérogatoires en vertu de l’article 15, de limiter ses autres obligations prévues par la Convention européenne des droits de l’homme [6 ] . Néanmoins, aucune mesure dérogatoire ne doit être en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international (parmi lesquelles figurent les obligations relevant du droit humanitai re telles que les Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de guerre) [7 ] . Comme elle l’a déjà fait, la Cour peut examiner motu proprio si une dérogation satisfait aux exigences de compatibilité avec les autres obligations juridiques internationales, mais elle n’a jamais annulé une dérogation pour ce motif. [8 ]

Lorsqu’un État n’invoque pas l’article 15 [9 ] , l’article 60 de la Convention dispose également qu’« aucune disposition de la Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie » [10 ] . La mise en œuvre du droit humanitaire par le contrôle du respect de la Convention européenne des droits de l’homme peut, par conséquent, faire l’objet d’un examen à deux niveaux : d’une part, le contrôle du respect des droits auxquels on peut déroger et de ceux auxquels on ne peut pas déroger dans une situation de conflit armé et, d’autre part, la mesure dans laquelle les restrictions aux droits faisant l’objet d’une dérogation sont limitées eu égard aux obligations découlant du droit humanitaire.

Malgré les ressources importantes dont on dispose pour faire respecter le droit humanitaire p ar le biais de la Convention européenne des droits de l’homme, force est de constater que ces ressources n’ont pas été pleinement exploitées. Tout au plus peut-on tenter d’expliquer pourquoi il en est ainsi. Une raison évidente est que jusqu’à ce jour, la Commission et la Cour ont été très rarement sollicitées pour examiner des situations où le droit des conflits armés était applicable [11 ] . La plupart des situations d’état d’urgence étaient internes et ne relevaient que de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et du Protocole additionnel II de 1977 (s’il était ratifié), et ce, uniq uement si l’État défendeur reconnaissait que la situation interne avait dépassé le seuil d’applicabilité [12 ] . Toutefois, il convient également de noter que lorsque la Commission a eu pour la première fois l’occasion de tenir dûment compte du droit humanitaire (dans le cas de l’invasion de Chypre par la Turquie), la majorité de ses membres ont décidé de ne pas s’en prévaloir. [13 ]

Ces derniers temps, la Commission et la Cour ont eu l’occasion d’analyser deux cas où l’existence de normes du droit international humanitaire s’est révélée utile et où la manière de traiter les plaintes a contribué à leur développement. Il s’agit de l’occupation continue du nord de Chypre [14 ] , d’une part, et de l’état d’urgence prolongé dans le sud-est de la Turquie, d’autre part. Les affaires concernant le sud-est de la Turquie appellent toutefois à une certaine prudence. Dans bon nombre des arrêts qu’elle a rendus dans des affaires liées à l’état d’urgence décrété dans cette zone [15 ] , la Cour a fait observer que depuis 1985 environ, des troubles graves [16 ]  ou de violents conflits [17 ]  sévissaient dans les régions du sud-est de la Turquie et opposaient les forces de sécurité et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) plus particulièrement, et que 10 des 11 provinces de cette région avaient été soumises à un régime de crise pendant la plus grande partie de cette période. Toutefois, à aucun moment, elle ne s’est prononcée sur la question de savoir si la situation qui régnait dans la région relevait de l’article 3 commun aux Conventions de Genève ou du Protocole additionnel II. Le gouvernement turc lui non plus ne reconnaît pas l’applicabilité de l’article 3 à cette région [18 ] . Toutefois, s’il est nécessaire de tenir compte de ces éléments, la jurisprudence issue de ces affaires s’applique désormais lorsqu’il s’agit de faire respecter le droit international humanitaire en invoquant la Convention.

  Application du droit international humanitaire  

Depuis le début, la Commission et la Cour ont précisé que lorsqu’elles examinaient la légitimité des mesures dérogatoires prises par des États en temps de guerre ou dans d’autres situations de danger public, elles laissaient à ces États une grande marge d’appréciation [19 ] afin de déterminer si un danger public menace ou non la vie de la nation [20 ] . Une fois seulement, la Commission a établi qu’il n’existait pas de danger public [21 ] . Toutefois, des membres de la Commission ont fait naître l’espoir que les règles du droit humanitaire auraient un rôle important à jouer. Dans le contexte de l’invasion de Chypre par les Turcs, G. Sperduti, appuyé par S. Trechsel, a exprimé l’opinion suivante :

« On remarquera que les règles du droit international concernant le traitement de la population dans les territoires occupés (et que contiennent notamment le Règlement de La Haye de 1907 et la IVe Convention de Genève du 12 août 1949) sont indéniablement susceptibles d’aider à résoudre la question de savoir si les mesures prises par la Puissance occupante par dérogation aux obligations qu’elle devrait en principe observer, en vertu de la Convention européenne, là où s’exerce ( de jure ou de facto ) sa juridiction, sont ou ne sont pas justifiées d’après le critère que seules les mesures dérogatoires strictement requises par les circonstances sont autorisées (...) Il s’ensuit que le respect de ces mêmes règles par une Haute Partie Contractante lors de l’occupation militaire du territoire d’un autre État assurera, en principe, cette Haute Partie de ne pas dépasser les limites du droit de dérogation que lui confère l’article 15 de la Convention(...) » [22 ]

Ces affirmations ont peut-être donné à entendre que le fait de recourir au droit humanitaire comme cadre de référence pourrait conduire à une situation dans laque lle les dérogations résultant d’un état d’urgence national ne seraient permises que dans le cas où l’État dérogeant à ses obligations reconnaissait que l’article 3 commun aux Conventions de Genève était applicable à cette situation [23 ] . Cela n’a toutefois pas été le cas, et le fait que la Commission et la Cour n’aient pas examiné plus à fond les situations ayant fait l’objet de dérogations a été critiqué [24 ] . Il est certain qu’aucun de ces deux organes de la Convention ne s’est livré à un examen approfondi de la qualification d’un danger public, quel qu’il soit, en termes de droit humanitaire (troubles et tensions internes contre conflit armé interne), comme la Commission interaméricaine des droits de l’homme l’a fait récemment dans l’affaire Abella [25 ] . La question qui s’est habituellement posée à la Commission et à la Cour a plutôt été de savoir si une mesure dérogatoire s’imposait stricto sensu au vu des exigences de la situation. On trouve néanmoins des e xemples de recours au droit humanitaire, que ce soit explicitement en citant les Conventions de Genève, par exemple, ou en utilisant la formulation propre à ce droit (protection de la population civile, emploi abusif d’une arme de combat).

La suite du présent article est consacrée à l’examen d’exemples de mise en œuvre du droit international humanitaire par le biais de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces exemples sont regroupés sous trois titres :

  • Destruction de biens et déplacement de la population civile

  • Détention et traitement des détenus

  • Conduite des opérations militaires et homicides intentionnels illicites

     

  Destruction de biens et déplacement de la population civile  

Dans le nord de Chypre, les règles relatives à la protection de la population civile dans les territoires occupés se sont révélées particulièrement pertinentes [26 ] . Dans la première affaire concernant ce pays, la Commission a constaté des violations du droit international constituées par l’expulsion de Chypriotes grecs de leurs maisons et leur transfert vers d’autres lieux [27 ] , l’internement de personnes civiles dans des centres de détention ou leur mise en résidence surveillée, et la privation sur une grande échelle de biens appartenant à des Chypriotes grecs [28 ] . La majorité des membres de la Commission n’ont pas utilisé le droit humanitaire comme cadre de référence, bien que G. Sperduti ait constaté l’existence d’obligations appropriées découlant de cette branche du droit pour résoudre ces problèmes : « On citera, par exemple, l’article 49 de la IVe Convention de Genève, article portant sur l’interdiction des transferts forcés, en masse ou individuels, dans les territoires occupés ainsi que sur d’autres obligations de la Puissance occupante en matière de déplacement de personnes. » [29 ]

Dans la troisième affaire concernant Chypre [30 ] , le juge G. Tenekides a déclaré, en exprimant une opinion individuelle, que des personnes avaient été installées par les forces d’occupation dans le nord de l’île, en violation de l’article 49, paragraphe 6 de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre [31 ] . Il a également fait remarquer qu’il était regrettable que la Commission n’ait pas fait référence à la destruction de biens culturels à Chypre. Il a déclaré que la Commission était dans l’obligation d’appliquer l’article 1er du Protocole 1 eu égard aux nombreux accords et conventions relatifs à la protection de tels biens, et notamment à la Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. [32 ]

Des questions similaires concernant la destruction de biens, ainsi que le transfert et l’expulsion de civils, se sont également posées dans le contexte de conflits internes. Dans trois affaires concernant le sud-est de la Turquie, la Cour a constaté que les forces de sécurité, dans le cadre d’opérations militaires, étaient responsables de la destruction de maisons appartenant à des requérants, contraignant ces derniers à quitter leurs villages. [33 ]

Toutefois, la Cour n’a soulevé aucune question pour savoir s’il s’agissait du type de situation auquel l’article 3 commun aux Conventions de Genève ou le Protocole additionnel II s’appliquaient. Comme il n’y avait pas de dérogation relativement à l’article 8 (droit au respect de la vie familiale et du domicile) ou à l’article 1er du Protocole 1 (droit au respect des biens) [34 ] , la Cour s’est contentée, dans son analyse des actes commis par les forces de sécurité, de constater les violations des articles 8 et 1er du Protocole 1, sans tenir compte du fait qu’il y avait ou non contradiction avec les autres obligations découlant du droit international [35 ] . Dans une affaire toutefois, la Cour a accepté d’examiner la plainte en vertu de l’article 3 de la Convention (prohibition de traitements inhumains) [36 ] . Elle a jugé que les actes perpétrés par les forces de sécurité devaient être considérés comme des traitements inhumains — des maisons appartenant à des requérants âgés avaient été détruites de manière préméditée et dans le plus grand mépris, ce qui avait entraîné l’expulsion de ces personnes de leur village [37 ] . La Cour a poursuivi en affirmant que « (...) même si les actes dont il s’agit ont été perpétrés sans intention de punir les requérants, mais pour empêcher que les terroristes n’utilisent ces habitations ou pour dissuader d’autres personnes, ce n’est pas là une justification des mauvais traitements ». [38 ]

L’allusion à la justification des mauvais traitement s paraît anormale, étant donné que l’interdiction de soumettre des personnes à des traitements inhumains est absolue et ne permet aucune dérogation ou justification, même en cas de conflit armé, comme l’a souligné la Cour [39 ] . Dans le contexte d’un conflit armé interne ou international, les actes perpétrés par les forces de sécurité constituent une violation du droit humanitaire [40 ] , et il est clair que de tels actes seront toujours en contradiction avec la Convention, puisqu’ils vont à l’encontre d’une disposition à laquelle on ne peut déroger. Il convient également de noter que dans cette affaire, la Cour a constaté une violation du droit à un recours effectif, précisant en particulier que l’officier commandant qui avait été identifié comme étant responsable de l’opération contestée n’avait pas été interrogé [41 ] . La Cour a insisté sur la nécessité d’enquêter sur des violations de cette nature et de cette gravité [42 ] et d’identifier et de punir les auteurs, répétant ainsi les obligations prévues par le droit humanitaire, lesquelles visent à mettre un terme aux crimes de guerre et aux infractions graves aux Conventions de Genève. [43 ]

  Détention et traitement des détenus  

En temps de conflit armé, la détention peut se présenter sous deux aspects qu’il convient d’aborder séparément. Le premier aspect concerne les motifs de la privation de liberté. Les motifs acceptables de détention, tels qu’ils sont énoncés dans l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, peuvent être modifiés par voie de dérogation en cas de conflit armé. Le droit humanitaire autorise un nombre plus important de justifications de la privation de liberté que les droits de l’homme. Le second aspect concerne le traitement des détenus. Ce traitement, régi par les articles 2 et 3 de la Convention, ne varie pas, que ce soit en temps de conflit armé ou dans d’autres circonstances [44 ] , et la relation entre les articles 2, 3 et 5 a une incidence sur les droits des détenus dans un conflit armé. Il est utile de noter qu’en cas de conflit armé, la principale institution européenne de protection des détenus — le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) [45 ]  — n’est pas autorisée à visiter les lieux de détention que des représentants ou des délégués de Puissances protectrices ou du CICR visitent effectivement et régulièrement en vertu des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels [46 ] . Lorsque la Commission, dans le cadre des affaires concernant Chypre, a dû examiner la question de la détention de prisonniers de guerre par l’armée turque, elle « a tenu compte du fait que Chypre et la Turquie sont Parties à la (troisième) Convention de Genève du 12 août 1949, concernant le traitement des prisonniers de guerre, et qu’au sujet des événements de l’été 1974, la Turquie, en particulier, a assuré le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de son intention d’appliquer la Convention de Genève et de sa volonté d’accorder toutes les facilités nécessaires pour une action humanitaire ». [47 ]

Par conséquent, la Commission n’a pas jugé nécessaire d’examiner la question de l’infraction à l’article 5 de la Convention européenne, en ce qui concerne les personnes auxquelles le statut de prisonnier de guerre avait été accordé [48 ] . Elle a toutefois conclu à une violation de l’article 5, celui-ci n’incluant pas le statut de prisonnier de guerre au nombre des motifs légitimes de détention. Toutefois, comme l’a de nouveau souligné G. Sperduti, « (...) des mesures, en elles-mêmes contraires à une disposition de la Convention européenne, mais légitimement prises d’après le droit international applicable à un conflit armé, sont à considérer comme des mesures de dérogation légitime aux obligations découlant de la Convention ». [49 ]

Il ressort de cette observation que la détention en soi des soldats grec s était peut-être effectivement légale sous l’angle du droit humanitaire. Leurs conditions de détention n’ont toutefois pas bénéficié des garanties prévues par le droit humanitaire. À Chypre, le régime auquel les prisonniers étaient soumis, le fait qu’ils aient subi des traitements inhumains (dont le viol) [50 ] , le refus de leur fournir de la nourriture et de l’eau potable en quantités suffisantes, ainsi que les soins médicaux dont ils avaient besoin, ont de fait été considérés comme une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Et pourtant, aucune mention n’a été faite des règles de droit relatives au traitement des prisonniers de guerre, si ce n’est par F. Ermacora, dans une opinion individuelle qu’il a exprimée : « J’estime que ce comportement, abstraction faite des obligations découlant de la Troisième Convention de Genève, n’est pas un comportement normal pour des militaires et que l’éthique militaire proscrit cette forme de violence sur la personne des prisonniers. » [51 ]

Comme cela a déjà été mentionné, l’application des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme à des situations de conflit n’est pas sans conséquences. L’une d’elle, et non la moindre, est qu’il existe des limites aux mesures que les États peuvent prendre pour déroger aux obligations prévues par l’article 5, obligations qui — en principe — peuvent être limitées ou partiellement suspendues. La Cour a éclairci ce point dans le cadre d’une affaire où elle devait déterminer si, l’État mis en cause ayant pris des mesures dérogeant à l’article 5, la détention du requérant pendant 14 jours au moins était autorisée sans qu’il ait à comparaître devant un magistrat d’ordre judiciaire [52 ] . En accord avec la Commission, la Cour a estimé qu’en raison des mesures qui permettaient une détention prolongée et non contrôlée (surtout en l’absence de garanties telles que l’accès à un avocat, à un médecin, à un parent ou à un ami), les détenus risquaient non seulement de v oir l’exercice de leur droit à la liberté entravé de manière arbitraire, mais également d’être soumis à la torture [53 ] . Il y avait donc là une violation de l’article 5 de la Convention, en dépit de la dérogation.

Dans une affaire différente, la Cour a également souligné que l’objectif principal de l’article 5 était notamment de faire en sorte que l’on dispose d’informations telles que la date, la durée et le lieu de détention, le nom du détenu ainsi que les raisons de sa détention, et le nom de la personne responsable [54 ] . De toute évidence, il ne peut y avoir manquement à ces obligations vis-à-vis des détenus en temps de conflit armé. Ce qui explique que les arrêts rendus dans ces affaires ont en quelque sorte tendance à limiter les mesures qui peuvent être prises en matière de détention en temps de conflit armé. Il faut espérer que l’examen approfondi d’un certain nombre d’affaires dans lesquelles des personnes ont disparu après avoir été détenues, semble-t-il, dans le cadre d’une opération militaire permettra également de préciser les responsabilités essentielles que les États parties doivent assumer vis-à-vis des détenus en cas de conflit armé, conformément à la Convention. [55 ]

  Conduite des opérations militaires et homicides intentionnels illicites  

La situation dans le sud-est de la Turquie a également exigé de la Commission qu’elle examine un certain nombre d’affaires dans lesquelles des opérations militaires avaient fait de nombreux morts et blessés graves parmi les civils [56 ] . Cela étant, dans l’affaire McCann et autres c. Royaume-Uni, la Cour a établi dans quelle mesure la planification et le contrôle d’une opération doivent permettre de réduire au minimum, autant que faire se peut, le recours à la force meurtrière [57 ] ; elle a également spécifié que les morts non justifiées eu égard à l’article 2.2 [58 ] o u résultant d’autres actes que les actes de guerre licites constituent une violation de la Convention européenne. Ces éléments d’appréciation constituent un cadre de référence quand il s’agit de déterminer si des homicides intentionnels sont illicites en vertu du droit des conflits armés. Deux des affaires portées devant la Commission se sont terminées par un règlement à l’amiable : l’une concernait une allégation selon laquelle les forces de sécurité auraient notamment utilisé un char de combat pour bombarder une zone civile, faisant des morts et des blessés parmi la population [59 ] , et l’autre avait trait à un bombardement aérien sur un village [60 ] qui avait gravement endommagé les biens civils et fait de nombreuses victimes parmi les villageois. Dans une troisième affaire relative à une opération militaire, la Commission et la Cour ont dû examiner le cas d’une femme qui, se tenant sur le seuil de sa porte, avait été tuée au cours d’une prétendue embuscade. [61 ]

La Commission a estimé que la planification et le contrôle de l’opération devaient faire l’objet d’une évaluation « (...) not only in the context of the apparent targets of an operation but, particularly where the use of force is envisaged in the vicinity of the civilian population, with regard to the avoidance of incidental loss of life and injury to others » [62 ] . Elle a ensuite constaté que l’embuscade n’avait pas été réalisée avec les précautions nécessaires pour épargner la vie de civils, qu’il y avait une preuve manifeste que les tirs mal orientés des forces de sécurité avaient provoqué la mort d’un civil, et qu’aucune mesure ni précaution n’avaient été prises pour empêcher — dans toute la mesure possible — que le conflit ne s’étende au-delà du village [63 ] . La Cour a noté de manière explicite que la responsabilité de l’État « ( ...) peut aussi [être engagée ] lorsque lesdits agents n’ont pas, en choisissant les moyens et méthodes à employer pour mener une opération de sécurité contre un groupe d’opposants, pris toutes les précautions en leur pouvoir pour éviter de provoquer accidentellement la mort de civils, ou à tout le moins de réduire ce risque » [64 ] . Le fait que la Cour fasse référence aux moyens et méthodes employés dans la conduite d’une opération militaire montre très clairement qu’elle emprunte le langage du droit international humanitaire lorsqu’elle analyse le champ d’application des obligations découlant des droits de l’homme. Un tel empressement à utiliser les concepts du droit humanitaire est encourageant.

Ces constatations, ainsi que le langage utilisé par la Cour et la Commission, peuvent être facilement interprétés sous l’angle des violations du droit humanitaire : on pourrait dire que les organes de la Convention ont procédé à l’examen de l’opération pour déterminer, notamment, s’il existait une cible légale, si l’attaque contre cette cible était proportionnelle à l’avantage militaire, et si le risque prévisible de causer la mort de non-combattants était disproportionné par rapport à ce même avantage [65 ] . L’analyse de l’opération en ces termes montre clairement que les normes des droits de l’homme permettent de faire respecter le droit humanitaire, et ce, de manière efficace.

Dans une autre affaire en instance devant la Cour, la Commission a constaté que les forces de sécurité avaient tué un civil en utilisant une arme de combat de manière manifestement disproportionnée, en violation de l’article 2 de la Convention européenne [66 ] . Cet homicide intentionnel ayant été perpétré alors que les forces de sécurité tentaient de disperser des manifestants, le droit des conflits armés ne s’appliquait pas. Cependant, on peut interpréter les conclusions de la Commission comme décrivant un homicide intentionnel illicite, en raison du fait qu’il s’agissait :

  • d’une attaque commise avec une arme légale utilisée de manière illicite, o u

  • d’un homicide intentionnel illicite en raison d’un recours disproportionné à la force, les deux options constituant des homicides intentionnels illicites selon le droit des conflits armés [67 ] . La Commission a également relevé que la zone se trouvait dans une région en état d’urgence, que les troubles civils y étaient fréquents et qu’une émeute pouvait éclater à tout moment [68 ] . Tous ces éléments indiquent que les principes essentiels du droit humanitaire peuvent en fait s’appliquer à cette situation. Fait révélateur, la Commission a également considéré que la formation et les ressources des forces de sécurité étaient insuffisantes [69 ]  — laissant ainsi entendre qu’au moins, les règles de combat étaient abusives ou que la formation dans ce domaine n’était pas satisfaisante.

Dernier point et non des moindres, la Commission et la Cour ont toutes deux déclaré de manière explicite que l’existence d’un conflit armé ne dispense pas de procéder à un examen minutieux des homicides intentionnels ni d’ouvrir une enquête afin d’évaluer leur degré de licéité. Dans une affaire où le frère du requérant avait été tué au cours d’une opération militaire, un différend était apparu sur la question de savoir si la victime avait pris part aux affrontements. La Cour a précisé que les prescriptions de forme imposaient de mener une enquête en vue d’établir si cet homicide intentionnel était licite : « (...) ni la fréquence de violents conflits armés ni le grand nombre de victimes n’a d’incidence sur l’obligation, découlant de l’article 2, d’effectuer une enquête efficace et indépendante sur les décès survenus lors d’affrontements avec les forces de sécurité(...) » [70 ]

  Conclusion  

Il ressort clairement des affaires récentes actuellement portées devant la Cour de Strasbourg que le chevauchement du droit international humanitaire et de la Convention européenne d es droits de l’homme devient une question d’importance pour cette institution. Les organes de la Convention doivent par conséquent être très compétents pour examiner les problèmes dans un contexte de droit humanitaire, bien qu’ils soient peut-être encore réticents à invoquer explicitement le droit des conflits armés ou à y recourir en tant qu’outil d’analyse. De même, lorsque l’on tente d’évaluer dans quelle mesure on peut avoir recours à la Convention européenne pour faire respecter les règles du droit humanitaire, il convient de ne pas négliger la jurisprudence de la Cour concernant le droit d’une victime à un recours effectif en cas de violation. Dans le cas de violations graves des articles 271 , 372 , 573 et 8 de la Convention et de l’article 1er du Protocole 174 , la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que la notion de recours effectif comporte, outre le versement d’indemnités s’il y a lieu, une enquête efficace et approfondie pouvant aboutir à l’identification et à la sanction des responsables, et la possibilité pour le plaignant de saisir une instance qui ouvrira une enquête. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette obligation, notamment lorsqu’une infraction particulière à l’un des articles précités constitue également une infraction au droit international humanitaire. Le fait d’exiger la responsabilité morale et des recours effectifs — de l’enquête jusqu’aux poursuites judiciaires et au versement d’indemnités — est l’élément essentiel de la mise en œuvre des droits de l’homme et du droit humanitaire sur le plan national.

Cette évolution est certainement la bienvenue dans la mesure où elle contribue à renforcer le système de protection des droits, notamment en cas de conflit armé, et où elle fournit un instrument efficace pour la mise en œuvre du droit humanitaire, au moment où l’idée de créer une création d’une cour pénale internationale est sur le point de se concrétiser. En effet, parmi tous les éléments dont la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme héritera de ses prédécesseurs, les prémisses d’une jurisprudence importante en matière de droit international humanitaire se révéleront peut-être des plus utiles.

  Notes:  

Original : anglais

1. Voir le Protocole 11, qui remplace le système actuel à deux niveaux (Commission et Cour) par une Cour unique siégeant à plein temps.

2. Opinion dissidente du juge Jambrek, affaire Loizidou c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, European Human Rights Reports (EHRR), vol. 23, pp. 513, 543. Compte tenu de la règle selon laquelle les requêtes adressées au mécanisme de la Convention européenne doivent être soumises dans un délai de six mois, après l’épuisement des voies de recours internes (article 26 ou article 35 modifiés par le Protocole 11) ou dans les six mois à partir de la violation alléguée s’il n’y a pas de remède effectif, il est peu probable que la Cour de Strasbourg ait à connaître des événements qui se sont produits au plus fort des hostilités dans aucune de ces régions. Selon l’annexe 6 des accords de Dayton, la Convention européenne des droits de l’homme est applicable en Bosnie-Herzégovine et son respect est soumis au contrôle de la Commission des droits de l’homme pour la Bosnie-Herzégovine.

3. Le débat sur la question de l’applicabilité des droits de l’homme dans le contexte d’un conflit armé a déjà été largement traité dans d’autres ouvrages. Voir en particulier D. Weissbrodt et P. L. Hicks, « Mise en œuvre des droits de l’homme et du droit humanitaire dans les situations de conflit armé », RICR, mars-avril 1993, pp. 129-150, et L. Doswald-Beck et S. Vite,   « Le droit international humanitaire et le droit des dro its de l’homme » , ibid. , pp. 99-128 ;   F.   J. Hampson, « Human rights and humanitarian law in internal conflicts », M. Meyer (ed), Armed conflict and the new law, London, 1989, p. 55 ;   G.I.A.D. Draper , « The relationship between the human rights regime and the law of armed conflicts », Israeli Yearbook of Human Rights, vol. I, 1971, p. 191; K. Suter, « Human rights in armed conflicts », Revue de droit pénal militaire et de droit de la guerre, vol. XV , 1976, p. 394.

4. Chypre c. Turquie, requêtes nos   6780/74 et 6950/75 (première et deuxième requêtes), 2 D & R 125, pp. 136-137 (1975). La responsabilité d’un État partie peut être engagée par des actes et des omissions qui sont le fait des autorités de cet État et qui ont des répercussions en dehors du territoire national. Voir X & Y & Z c. Suisse, requêtes   nos 7289/75 & 7349/76, 9 D & R 57 (1977) ; Drozd et Janousek c. France et Espagne , ECtHR, Série A 240, p. 29, par. 91. La requête no 31821/96, en instance devant la Commission, concerne des allégations d’homicides intentionnels illicites par les forces armées de la République turque dans le cadre d’une opération menée dans le nord de l’Irak. Les victimes d’actes commis par les troupes italiennes ou belges en Somalie auraient, elles aussi, pu porter plainte, en vertu de la Convention europée nne des droits de l’homme, contre l’Italie et la Belgique pour les violations commises pendant les opérations des Nations Unies en Somalie.

5. Chypre c. Turquie,   ibid. ; affaire Loizidou c. Chypre (exceptions préliminaires), ECtHR, Série A 310, par. 62 (1995), et affaire Loizidou c. Chypre (au principal), ECtHR arrêt du 18 décembre 1996, par. 52, reproduit dans EHRR, vol. 23, p. 513 ; plus récemment Chypre c. Turquie 25781/94 (quatrième requête), 86 D & R 104 (1996).

6. À ce jour, il n’y a jamais eu de dérogation en temps de guerre, bien que la Grèce, l’Irlande, la Turquie et le Royaume-Uni aient cherché à prétendre qu’il y avait un danger public. Concernant l’article 15 en général, voir P. van Dijk et G.J.H. Van Hoof, Theory and practice of the European Convention on Human Rights , 2e éd., Kluwer, 1990, pp. 548-560 ; D. J. Harris, M. O’Boyle et C. Warbrick, Law of the European Convention on Human Rights , Butterworths, 1995, pp. 489-507.

7. P. van Dijk et G.J.H. Van Hoof, op. cit. (note 6) , p. 555 ; D. J. Harris, M. O’Boyle et C. Warbrick, op. cit. (note 6) , p. 502 : « The obvious sources of treaty obligations are the [International Covenant on Civil and Political Rights ] and the Geneva Red Cross Conventions » ; J. Pinheiro Farinha, « L’article 15 de la Convention », Matscher and Petzold (eds), Protecting Human Rights: The European Dimension , Studies in honour of Gerard J. Wiarda , Carl Heymanns Verlag KG, 1989, pp. 521-529 : « La solidarité internationale impose que les engagements des États soient toujours respectés — engagements découlant de traités, coutumes internationales ou de principes généraux de droit international. Parmi les engagements qui doivent être observés, même en cas de guerre, nous soulignerons ceux que le droit humanitaire (Conventions de Genève et de La Haye) établit. » — Toutes les parties à la Convention européenne sont également parties aux Conventions de Genève de 1949.

8. Lawless v. Ireland , ECtHR, Série A 3, par. 40-41.   Dans le cas Irlande c. Royaume-Uni, le gouvernement irlandais a, semble-t-il, soulevé la question de la compatibilité de la législation britannique en Irlande du nord avec les Conventions de Genève. Voir Harris, O’Boyle et Warbrick, op. cit. (note 6), p. 502, note de bas de page no 4. Toutefois, la Cour elle-même a seulement déclaré qu’il n’y avait rien dans les informations dont elle disposait qui laissait entendre que le Royaume-Uni ne tenait pas compte de ces obligations dans l’affaire en question. En particulier, le gouvernement irlandais n’a jamais fourni à la Commission ni à la Cour des détails précis sur la plainte formulée dans ses obligations. Voir Irlande c. Royaume-Uni, ECtHR, Série A 25, par. 222. Dans l’affaire Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, ECtHR, Série A 258-B, 26 mai 1993, les requérants avaient fait valoir que la dérogation constituait une violation de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l e Royaume-Uni était également partie (par. 67-73).

9. La Commission a estimé qu’un État ne p eut invoquer l’article 15 en l’absence d’une déclaration formelle et publique de l’état d’urgence. Voir Chypre c. Turquie, rapport de la Commission, EHRR, vol. 4, pp. 482 et 556, par. 528.

10. Les articles 17 et 18 sont également pertinents en ce qui concerne la limitation des mesures destinées à porter atteinte à des droits ou à les supprimer.

11. Les seules plaintes déposées dans le cadre d’un conflit armé international l’on été dans le contexte de l’invasion de Chypre par les Turcs en 1974. Les plaintes déposées par des régions se trouvant en état d’urgence proviennent notamment de l’Irlande du Nord et du sud-est de la Turquie.

12. En d’autres termes, il ne s’agissait pas d’actes de violence isolés et sporadiques. Par exemple, le Royaume-Uni n’a jamais admis que l’article 3 commun ou le Protocole II s’appliquait à l’Irlande du Nord. Voir F. Hampson, « Using international human rights machinery to enforce the international law of armed conflicts », Revue de droit pénal militaire et de droit de la guerre, vol. XXXI, 1992, pp. 117 et 127.

13. Chypre c. Turquie , supra (note 9).

14. En préconisant d’aborder d’une manière globale les questions de juridiction qui se sont posées dans plusieurs affaires concernant le nord de Chypre, le juge Pettiti a déclaré que « [l’ ] examen global de la situation (...) permettrait de reprendre les critères « occupation », « annexion », application territoriale des Conventions de Genève en zone septentrionale, « exercice des relations internationales », à partir desquelles les Nations Unies analysent soit le problème de la reconnaissance d’État (ou non-reconnaissance), soit l’application de la Charte (...) » (voir affaire Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, ECtHR Série A 310.

15. À l’exclusion de plaintes concernant la liberté d’expression, il existe (au moment de la rédaction du présent article) neuf arrêts rendus par la Cour dans lesquels les violations dont il est question résultent de l’état d’urgence dans le sud-est de la Turquie : affaire Akdivar et autres c. Turquie , arrêt du 18 septembre 1996, 23 EHRR 143, et affaire Aksoy c. Turquie, jugement du 18 décembre 1996, 23 EHRR 553, les deux arrêts figurant dans le Recueil des arrêts et décisions , 1996-IV ; affaire Aydin c. Turquie , arrêt du 25 septembre 1997, 25 EHRR 251, et affaire Mentes c. Turquie , arrêt du 28 novembre 1997, les deux arrêts figurant dans le Recueil des arrêts et décisions, 1997-IV ; affaire Kaya c. Turquie , jugement du 19 février 1998 ; affaire Selcuk et Asker c. Turquie , arrêt du 24 avril 1998 ; affaire Gundem c. Turquie , jugement du 25 mai 1998 ; affaire Kurt c. Turquie , arrêt du 25 mai 1998, et affaire Tekin c. Turquie , arrêt du 9 juin 1998 (tous ces arrêts seront produits dans le Recueil des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme , 1998).

16. Mentes, par. 12 ; Aydin, par. 14 ; Selcuk et Asker, par. 9, supra (note 15).

17. Akdivar, par. 13-14 ; Aksoy, par. 8-9 ; Gundem , par. 9, supra (note 15).

18. La Turquie n’a pas ratifié le Protocole II (sur les conflits armés non internationaux).

19. À propos du concept de marge d’appréciation, voir W. J. Ganshof van der Meersch, « Le caractère « autonome » des termes et la « marge d’appréciation » des gouvernements dans l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme », Matscher et Petzold (éd.), supra (note 7), pp. 201-220 ; P. Mahoney, « Judicial activism and judicial self-restraint in the European Court of Human Rights: Two sides of the same coin », Human Rights Law Journal , vol. II, 1990, p. 57-88.

20. Il incombe en premier lieu à chaque État contractant, responsable de la vie de ses citoyens, de déterminer si leur vie est menacée par un danger public et, si tel est le cas, jusqu’où il faut aller pour tenter de remédier à l’urgence. Étant donné qu’elles sont confrontées directement et continuellement aux besoins pressants du moment, les autorités nationales sont en principe mieux à même que le juge international de se prononcer tant sur la présence d’une telle urgence que sur la nature et le champ d’application des dérogations nécessaires pour y parer. À ce sujet, l’article 15.1 laisse aux autorités une large marge d’appréciation. Irlande c. Royaume-Uni , ECtHR, Série A 25, par. 207 (1978).

21. Denmark, Norway, Sweden and the Netherlands v. Greece , Report of the Commission of 5 November 1969, Yearbook, vol. 12, 1969, p. 113, par. 229.

22. Chypre c. Turquie, supra (note 9).

23. F. Hampson, supra (note 12), pp. 125 et 126.

24. À ce propos, la critique la plus virulente adressée à la Cour et à la Commission serait, de l’avis général, l’affaire Brannigan et McBride c. Royaume-Uni , ECtHR, Série A 258-B (1993). Voir l’opinion dissidente du juge Makarczyk.

25. Affaire Abella v. Argentina , 18 November 1997, I-AmCHR, Report 55/97, Case 11, p. 137, par. 149.

26. La République de Chypre a saisi la Commission de quatre affaires inter-étatiques contre la Turquie, en relation avec la situation dans le nord de Chypre : requêtes nos 6780/74, 6950/75, 8007/77 et 25781/94. Il y a aussi plusieurs affa ires individuelles dont la Commission et la Cour ont eu à connaître ou qui sont en instance, la première de ces affaires étant l’affaire Loizidou (voir supra (note 5) . Dans l’affaire inter-étatique la plus récente (no 25781/94, 86 D & R 104) et dans les affaires individuelles, il semblerait qu’aucune motion n’ait été soumise à la Commission.

27. Supra (note 9), par. 208-211.

28. Ibid., par. 486.

29. Ibid.  

30. Chypre c. Turquie, requête no 8007/77, rapport du 4 octobre 1983, résolution DH (92) 12, 2 avril 1992.

31. Ibid., p. 557.

32. Ibid., p. 557 et 558.

33. Affaires Akdivar et autres c. Turquie, Mentes et autres c. Turquie, Selcuk et Asker c. Turquie, supra (note 15).

34. Dans une lettre datée du 6 août 1990 et adressée au secrétaire général du Conseil de l’Europe, la Turquie a demandé une dérogation aux articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention. Dans une lettre datée du 5 mai 1992, la Turquie a informé le secrétaire général que la dérogation ne s’appliquait dorénavant plus qu’à l’article 5.

35. Akdivar, par. 83-87 ; Mentes, par. 70-73 ; Selcuk and Asker, par. 83-87, supra (note 15). Comme dans le cas de l’affaire Mentes et autres, seul l’article 8 avait été évoqué par les requérants ; aucune violation de l’article 1er du Protocole 1 n’a été constatée.

36. Lors de l’exposé oral devant la Cour, les requérants ont expliqué que les actes commis par les forces de sécurité violaient le droit humanitaire. Voir Selcuk et Asker, compte rendu d’audience, 26 janvier 1998.

37. Arrêt du 24 avril 1998, par. 77 et 78.

38. Ibid. , par. 79.

39. Ibid., par. 75.

40. Par exemple, art. 32, 33 et 49 de la IVe Convention de Genève ; art. 51 du Protocole additionnel I ; art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève ; art. 13 et 17 du Protocole additionnel II.

41. Supra (note 37), par. 97 et 98.

42. Ibid., par. 96.

43. Voir art. 49 et 50 de la Ie Convention de Genève ; art. 50 et 51 de la IIe Convention de Genève ; art. 129 et 130 de la IIIe Convention de Genève ; art. 146 et 147 de la IVe Convention de Genève ; art. 85 et 86 du Protocole additionnel I. À propos de l’obligation de poursuivre les auteurs de violations du droit des conflits armés, voir T. Graditzky, « La responsabilité pénale individuelle pour violation du droit international humanitaire applicable en situation de conflit armé non international », RICR, no 829, mars 1998, p. 29 ; W.G. Sharp, Sr., « International obligations to search for and arrest war criminals: government failure in the former Yugoslavia? », Duke Journal of Comparative and International Law, vol. 7, 1997, p. 411 ; D. Plattner, « La répression pénale des violations du droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux », RICR, no 785, septembre-octobre 1990, p. 443.

44. Il en est ainsi si l’on tient compte du fait que les articles 2 et 3 sont des dispositions auxquelles on ne peut pas déroger. Cela ne signifie pas qu’en examinant si un acte ou une omission particuliers violent l’un ou l’autre des deux articles, les différentes situations (temps de guerre, état d’urgence ou guerre) ne seraient pas prises en compte pour déterminer si le seuil de gravité qui entraînerait l’application de l’un ou l’autre article a été atteint. Ce pourrait être le cas avec certaines conditions de détention, mais il y a moins de marge de flexibilité lorsqu’il s’agit de déterminer si les obligations destinées à protéger le droit à la vie des détenus diffèrent selon que l’on est en temps de guerre ou en temps de paix. Le droit international humanitaire, en particulier la IIIe Convention de Genève, prévoit la protection spécifique des détenus exposés à des mesures pouvant porter atteinte à leur vie.

45. Voir la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 1987.

46. Ibid., art. 17.3.

47. Chypre c. Turquie, supra (note 9), par. 313.

48. Ibid.  

49. Ibid . ; p. 564, par. 7.

50. Dans l’affaire Aydin c. Turquie , supra (note 15), la Cour a estimé que le viol de la requérante en détention était un acte de torture (par. 86), une constatation qui a une incidence sur les poursuites engagées à l’encontre de personnes coupa bles de violation du droit des conflits armés, ou de personnes accusées de crimes de guerre.

51. Supra (note 49), p. 565, par. 2.

52. Affaire Aksoy c. Turquie , supra (note 15), rapport de la Commission du 23 octobre 1995 et arrêt du 18 décembre 1996. Concernant la dérogation, voir la note 34.

53. Voir le rapport de la Commission, par. 182, et l’arrêt de la Cour, par. 78. La Commission et la Cour ont déjà confirmé que Zeki Aksoy, qui avait été soumis à la « pendaison palestinienne », avait été torturé en violation de la Convention. Voir le rapport de la Commission, par. 169, et l’arrêt de la Cour, par. 64. Dans l’affaire Kurt c. Turquie ( plus récente), arrêt du 25 mai 1998, qui concernait une disparition, la Court a parlé d’une prompte intervention judiciaire qui peut conduire à la détection et à la prévention de mesures présentant une menace pour la vie ou de sévices graves transgressants les garanties fondamentales énoncées aux articles 2 et 3 de la Convention (par. 123).

54. Affaire Kurt c. Turquie , supra (note 53), par. 125.

55. Par exemple, affaire Akdeniz et autres c. Turquie, requête no 23954/94, décision sur la recevabilité du 3 avril 1995 ; affaire Cakici c. Turquie, requête no 23657/94, décision sur la recevabilité du 15 mai 1995 ;   affaire Timurtas c. Turquie, requête no 23531,   décision sur la recevabilité du 11 septembre 1995 ; affaire Tas c. Turquie, décision sur la recevabilité du 14 mars 1996.

56. Affaire Gulec c. Turquie , requête no 21593/93, décision sur la recevabilité du 30 août 1994, rapport de la Commission du 17 avril 1997 ;   affaire Cagirge c. Turquie , requête no 21895/93, décision sur la recevabilité du 19 octobre 1994, rapport de la Commission de juillet 1995, 82 D & R 20 ; affaire Isiyok c. Turquie, requête no 22309/93, décision sur la recevabilité du 3 avril 1995, rapport de la Commission du 31 octobre 1997 ; affaire Ergi c. Turquie, requête no 23818/94, décision sur la recevabilité du 2 mars 1995, 80 D & R 157, rapport de la Commission du 20 mai 1997.

57. Affaire McCann et autres c. Royaume-Uni , ECtHR, Série A 324, par. 194. Cette démarche a été utilisée par la Commission et la Cour dans plusieurs affaires, par exemple, depuis l’affaire Andronicou et Constantinou c. Chypre ,requête no 25052/94, arrêt du 9 octobre 1997, 25 EHRR 491, par. 171.

58. La privation de la vie n’est pas considérée comme étant infligée en violation de l’article 2 quand elle résulte du recours à la force dans les limites de ce qui est absolument nécessaire pour défendre toute personne contre des actes de violence illicites, ou pour procéder à une arrestation légale, ou pour empêcher la fuite d’une personne détenue légalement, ou dans une action entreprise légalement dans le but de réprimer une émeute ou une insurrection.

59. Affaire Cagirge,   supra (note 56).

60. Affaire Isiyok, supra (note 56).

61. Affaire Ergi c. Turquie, supra (note 56), rapport de la Commission, par. 145-149.

62. Ibid., par. 145.

63. Ibid., pp. 145 et 149. Le requérant a également déclaré que les règles de combat et la formation des forces de sécurité violaient l’article 2 (par. 140), mais la Commission n’a pas abordé ce point. Les mêmes déclarations ont été faites à la Cour (voir le compte-rendu de l’audience du 21 avril 1998, p. 17).

64. Ergi c. Turquie, arrêt du 28 juillet 1998, par. 79 (pas encore publié au moment de la ré daction du présent article ; passage souligné par nos soins).

65. Les homicides intentionnels licites et illicites dans les conflits internationaux et non internationaux ont été classés par catégorie par F. Hampson, supra (note 12), pp. 128-130. L’auteur fait apparaître deux critères qui peuvent être utilisés pour déterminer le caractère illicite d’un homicide intentionnel : a) le caractère illicite de la cible et b) l’absence de proportionnalité, qu’il s’agisse de l’attaque elle-même, de l’arme utilisée ou de la manière dont elle est utilisée ( loc. cit., p. 128).

66. Affaire Gulec c. Turquie , supra (note 56), par. 235-236. Entendue par la Cour le 25 mars 1998.

67. Supra (note 65).

68. Supra (note 66), par. 235.

69. Ibid .

70. Affaire Kaya c. Turquie , arrêt du 19 février 1998, par. 91. La Cour a rappelé sa jurisprudence dans son arrêt Ergi , supra (note 64), par. 85 et 98.

71. Ibid., par. 107.

72. Aksoy, par. 98 ; Aydin, par. 103 ; Tekin, par. 66, supra (note 15).

73. Kurt, par. 140, ibid.  

74. Mentes, par. 81 ; Selcuk et Asker c. Turquie, par. 96, ibid.