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Retourner au Kosovo

07-05-1999 Divers, La Tribune de Genève, de Cornelio Sommaruga

  Cet article est paru dans La Tribune de Genève du 7 mai 1999  

     

  Cornelio Sommaruga est président du Comité international de la Croix-Rouge  

Le Comité international de la Croix-Rouge mène actuellement des négociations pour pouvoir retourner au Kosovo et y reprendre ses activités afin de venir en aide aux victimes du conflit. Nous espérons que ce retour pourra se faire dans quelques jours ou dans quelques semaines. Pour cela, il faudra toutefois que le CICR reçoive de la part des autorités yougoslaves des garanties écrites précisant que les méthodes de travail de l'institution seront respectées. Il s'agit essentiellement d'obtenir une complète liberté de mouvement et d'accès pour le personnel du CICR ainsi que le respect de l'emblème de la croix rouge. Nous devons également être assurés que l'insécurité qui avait contraint le CICR à se retirer a maintenant diminué. Si la sécurité est indispensable pour le personnel du CICR, elle l'est également pour les civils qu'il s'efforce d'atteindre. Tout retour de nos délégués au Kosovo s'effectuera avec prudence et de manière entièrement conforme aux principes auxquels nous tenons : la neutralité, l'impartialité et une approche strictement humanitaire dans notre travail. Au Kosovo, les droits des civils — tels qu'ils sont énoncés dans les Conventions de Genève qui, il y a 50 ans, ont défini les règles à respecter lors de conflits armés — ont été constamment violés et ce de manière particulièrement horrible. C'est pou rquoi, le retour du CICR pourrait représenter un progrès, modeste mais sans doute significatif.

Les organisations humanitaires indépendantes et neutres ont un rôle vital à jouer dans ce conflit : elles devront être respectées par toutes les parties au conflit international. Et soyons clairs : ce rôle ne peut pas et ne doit pas être assumé par les militaires. La distinction entre l'humanitaire et le militaire doit être parfaitement nette. Dans la crise du Kosovo, les militaires ont assumé de plus en plus de responsabilités humanitaires — des activités auxquelles ils peuvent, de par leur nature même, contribuer mais qu'ils ne sauraient assumer entièrement. L'action humanitaire a pour principe directeur de répondre aux besoins des personnes les plus vulnérables sans prendre parti dans un conflit. Au début de cette crise, il a été extrêmement utile de pouvoir compter sur les ressources, le matériel et le personnel dont disposent les militaires pour aider à installer des camps de réfugiés. En période de crise, il faut que chacun mette « la main à la pâte », et cela a été vrai particulièrement à un moment où tant les militaires que les humanitaires étaient complètement dépassés par l'ampleur de la tragédie. Mais c'est là une phase temporaire. Tout comme de bons invités, les militaires doivent savoir quand il faut s'en aller, tout comme ils doivent savoir quand il faut arriver et ce qu'il faut apporter !

En cette période de changement, et alors que tout se désagrège, il est plus que jamais indispensable de s'en tenir fermement aux principes auxquels nous croyons et qui nous tiennent à cœur. Les civils ne doivent pas subir les effets du conflit. J'entends par là les civils quels qu'ils soient, quelle que soit leur croyance, et en dépit du fait que l'ennemi soit présenté comme l'incarnation du mal, ce qui est une autre caractéristique inquiétante de ce conflit. Au cours de ma récente rencontre avec le président Mi losevic, je lui ai rappelé qu'en vertu du droit international humanitaire, l'évacuation forcée de civils hors de leurs foyers était illégale. Nous avons été fondamentalement en désaccord quant à notre analyse de ce qui s'est passé au Kosovo au cours des dernières semaines. Mais il s'est montré disposé à ce que le CICR retourne au Kosovo, et cela a représenté pour moi un encouragement. La précision de certaines des armes déployées par l'OTAN lui donne la possibilité de choisir très soigneusement ses cibles. C'est là, bien entendu, une évolution positive de la situation mais elle entraîne également de nouvelles responsabilités. J'ai rappelé aux dirigeants de l'OTAN leur obligation, en temps de guerre, de limiter leurs attaques à des objets ou à des installations qui contribuent réellement à l'action militaire de l'ennemi. Si l'on met en balance les risques encourus par les combattants et les souffrances infligées aux civils, il faut sans aucun doute que ce soit en faveur de ces derniers.