Le CICR, 1939-45 : les allégations de l'OSS

05-03-1997

En 1996, des allégations graves fondées sur des documents, jusqu’alors secrets, provenant des services de renseignements des États-Unis, ont été lancées contre certains délégués du CICR en fonction lors de la Seconde Guerre mondiale. Réponse du CICR.

Au printemps, puis en été 1996, la presse internationale s'est faite l'écho d'allégations américaines fondées sur des documents provenant de l'Office of Strategic Services (OSS) , prédécesseur de l'actuelle CIA , lancées contre certains délégués du CICR en fonction lors de la Seconde Guerre mondiale. Devant la gravité de ces allégations, le CICR a décidé d'entreprendre des recherches, aussi bien dans ses propres archives que dans les archives publiques. Reconnaissant la dimension morale du dossier, le CICR s'est engagé à faire toute la lumière sur les agissements de ses délégués, et dans ce but, il a créé un groupe de travail «Seconde Guerre mondiale».

Une première prise de position relative à ces allégations a été diffusée en septembre 1996. Elle rectifie plusieurs des assertions contenues dans les documents extraits   des archives de l'OSS par l'équipe de chercheurs du Congrès juif mondial et du sénateur américain Alfonse M. D'Amato. Dans sa réponse, le CICR s'est engagé à mener à terme son enquête historique sur les faits rapportés dans ces documents. Cette réponse intitulée «Le CICR infiltré par les Nazis ?», a été publiée dans la Revue internationale de la Croix-Rouge (pages 606 à 611 du numéro 821, septembre-octobre 1996). Sa mise à jour, datée du 28 février 1997, peut être demandée ou consultée auprès de la Division de presse du CICR.

Les allégations lancées contre les anciens délégués du CICR sont de deux ordres : protect ion de biens allemands et trafic de biens spoliés à des victimes des persécutions nazies, d'une part, espionnage, voire infiltration du CICR par des agents au service de l'Allemagne nazie, d'autre part. Les noms de 49 personnes sont cités dans les documents américains. Parmi elles, 21 personnes sont présentées comme «représentants de la Croix-Rouge internationale».

Rapidement, l'étude de chacun de ces cas a permis de vérifier que seules 18 des personnes citées avaient été au service du CICR durant la guerre. Trois d'entre elles se seraient livrées à des activités répréhensibles, mais dans les 15 autres cas, l'enquête historique paraît confirmer que les allégations relèvent, pour l'essentiel, d'une profonde ignorance du rôle et des activités de l'institution. Lors d'une mission, du 1 er au 4 octobre 1996, aux Etats-Unis, le CICR en a informé le Congrès juif mondial et le sénateur D'Amato. Il s'est engagé, sur la base des premiers résultats obtenus, à poursuivre son enquête historique, afin de faire toute la lumière sur ces affaires. De leur côté, les interlocuteurs américains rencontrés ont assuré également au CICR qu'ils le tiendraient informé en cas de nouvelles découvertes dans les archives. A ce jour, aucun nouveau document n'est parvenu au CICR.

L'étude menée par le CICR durant les trois derniers mois s'est donc concentrée sur les trois cas de Giuseppe Beretta, de Jean-Roger Pagan et de Jean Sublet. Ses résultats apportent quelques compléments utiles, mais sans modifier de manière significative les premières réponses données par le CICR.

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Alors que les motifs qui ont conduit Jean Sublet à renseigner l'Allemagne ne sont pas établis, nous savons maintenant que le motif des fraudes, voire des tr afics illicites de Giuseppe Beretta en Turquie et des activités d'espionnage de Jean-Roger Pagan en Afrique du Nord, ont été l'appât du gain.

  Giuseppe Beretta n'a jamais été condamné par aucun tribunal. La seule accusation qui, en définitive, a été retenue contre lui est l'accusation de violation des prescriptions relatives à la protection de la monnaie turque, en somme, d'avoir changé de l'argent au marché noir. Il n'empêche que le CICR a considéré, au vu des indices et des témoignages en sa possession, qu'il devait se séparer de G. Beretta. Il n'existe cependant aucune preuve que G. Beretta ait abusé du courrier du CICR pour transférer de l'argent ou d'autres biens. De même, aucun document ne vient confirmer que les 710 pièces d'or, saisies par la police turque et que lui avait confiées un ressortissant allemand, Willy Goetz-Wilmos, étaient de provenance douteuse.

Ce faisceau d'allégations, le fait que W. Goetz a été accusé d'être un agent de la Gestapo, et les autres zones d'ombres qui subsistent dans le dossier, ont conduit le CICR à se séparer de G. Beretta et suffisent encore à faire planer le doute.

  Jean-Roger Pagan a travaillé au CICR de mars 1941 à mars 1942 et l'a quitté pour aller s'installer en Afrique française. Le 14 octobre 1943, il a été arrêté à Alger, puis jugé et condamné à mort par le Tribunal militaire permanent d'Alger pour fait d'espionnage au profit des services de renseignements allemands. Il a été exécuté le 2 décembre 1944.

Au cours de l'enquête, J.-R.   Pagan aurait avoué qu'il avait été recruté à Genève par deux membres des services de renseignements allemands, Maximilian von Engelbrechten, chargé des affaires de la Croix-Roug e auprès du consulat général d'Allemagne à Genève, et un certain von und zur Mühlen de la légation d'Allemagne à Berne. Sa mission, pour laquelle il aurait reçu entre 10 000 et 20 000 francs suisses, consistait à transmettre des renseignements de caractère économique et militaire sur les alliés en Afrique du Nord et en Afrique occidentale française.

Lors de son arrestation, J.-R. Pagan a mis en cause un délégué en mission temporaire à Alger, Georges Graz. Ce dernier a aussitôt été arrêté par les autorités françaises. En effet, dans les semaines qui ont précédé cette arrestation, les deux hommes, anciens camarades d'école primaire, s'étaient rencontrés à Alger. G. Graz a été relâché le 18 octobre 1943 et aucune charge n'a été retenue contre lui lors du procès de J.-R. Pagan. Le CICR en a reçu confirmation des Archives de la justice militaire française, sises à Le Blanc, le 7 novembre 1996.

En novembre 1944, enfin, Jean Sublet , engagé par la délégation du CICR à Alger le 1er octobre 1943, comme collaborateur bénévole à Tanger, a été accusé d'avoir renseigné le consulat d'Allemagne à Tanger et d'avoir ainsi permis à un Français travaillant au service de l'Allemagne d'échapper à la justice française au Maroc.

Les faits reprochés à J. Sublet remontent à 1942. Dès qu'il en a eu connaissance, fin novembre 1944, le CICR s'est séparé de J. Sublet. Ce dernier, bien que reconnaissant les faits, n'a rien avoué d'autre que des confidences faites de manière inconsidérée.

Les recherches effectuées à propos des autres délégués mis en cause par les sources américaines indiquent, en l'état actuel des recherches, que ces allégations sont soit infondées, soit inspirées par une méconnaissance du travail effectué par le CICR. La révision de la note de dossier intitulée «Le CICR infiltré par les Nazis ?» rend just ice à ces hommes qui, durant la Seconde Guerre mondiale, avaient décidé de mettre leur vie au service des victimes.

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Jusqu'ici, les recherches effectuées dans les Archives fédérales suisses, tant sur les dossiers du Département fédéral des Affaires étrangères que du Ministère public de la Confédération, ont été menées à partir des documents extraits des archives de l'OSS . Elles n'ont révélé que trois cas, plus ou moins graves, de déficiences individuelles d'employés ou d'anciens employés du CICR. Mais elles mettent d'abord en cause ces employés eux-mêmes.

Dans l'immédiat après-guerre déjà, le CICR a établi un bilan historique des réussites et des échecs de son action, tant en faveur des prisonniers de guerre qu'en faveur des victimes civiles, juives et autres, des persécutions nazies. Outre son monumental Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (1er septembre 1939 – 30 juin 1947) , il a publié, entre 1946 et 1948, un Livre blanc , recueil de ses démarches en faveur des civils détenus et de ses rapports de visites effectuées dans les camps de concentration dans les dernières semaines de la guerre.

C'était insuffisant et c'est la raison pour laquelle le CICR a, en 1980, décidé d'ouvrir ses archives au professeur Jean-Claude Favez. Il l'a mandaté pour conduire une étude indépendante sur son action en faveur des Juifs et des minorités persécutées par les Nazis. Cette étude, Une mission impossible? Le CICR, les déportations et les camps de concentration nazis , publiée en 1988 et rééditée en 1996, a été pour le CICR l'occasion de se pencher une fois encore sur un passé douloureux et d'en tirer des enseignements pour le présent. Elle représente aussi la première étape vers l'ouverture de ses archives au public, décidée le 17 janvier 1996, qui donne aujourd'hui la possibilité à l'ensemble de la communauté des historiens et au public de poursuivre les études historiques menées par le passé à l'initiative du CICR lui-même.

COM/PR-KGD

  Ref. LG 1997-025-FRE