Les premiers Etats généraux de l’action et du droit international humanitaire sur le principe de responsabilité

28-11-2001 Déclarationde Jakob Kellenberger

  Assemblée nationale, Paris, 27-28 novembre 2001  

     

  Intervention de M. Jakob Kellenberger, Président du Comité international de la Croix-Rouge  

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Mesdames et Messieurs,

je remercie la Présidence de l’Assemblée nationale, le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de la Défense, et le Ministère délégué à la Coopération et à la francophonie pour leur appui dans la réalisation de ce projet. Je souhaite également saluer les membres du comité préparatoire aux Etats généraux et tous ceux qui ont contribué à la préparation de cette manifestation.

Vous savez que le droit international humanitaire est devenu un droit assez complet. Qu'en est-il de son application? C'est cette question qui sera un peu au centre de mes quelques réflexions.

Le thème de la responsabilité des différents acteurs par rapport au droit international humanitaire n'est pas un thème léger, pas non plus un des thèmes standard du débat humanitaire comme celui de savoir si quelqu'un est hostile, pas hostile ou pas totalement hostile au largage de vivres par des forces armées. C'est notamment face aux types de conflit qui dominent la scène depuis les années 90 un débat autrement sérieux. En effet, nous savons toutes et tous que le respect du Droit international humanitaire (DIH) dans beaucoup de contextes est insuffisant. Nous savons aussi que le cercle d'acteurs qui assument une responsabilité pour une meilleure application doit être élargi. Et nous connaissons également les causes principales de ce non-respect. Je mentionne quelques unes:

  • l'argument de la souveraineté (ou l'abus de la souveraineté)

  • le manque de connaissance du DIH

  • la non-acceptation du DIH

  • des intérêts militaires, économiques et criminels

  • des objectifs politiques qui ont une priorité sur le DIH

  • l'absence de réaction de la communauté internationale en cas de violations graves du DIH

  • impunité

  • la non-utlisation des mécanismes existant et disponibles

  • une indignation publique face aux violations du DIH qui diminue avec la distance, la fréquence et la durée des conflits armés.

Assurer un meilleur respect des règles du droit humanitaire international est sans aucun doute une des plus grande priorité humanitaire. Imaginez pour un moment la baisse spectaculaire du nombre des déplacés internes si certaines règles par respect à la population civile étaient respectées. Il y a des réponses possibles face à l'application insuffisante du DIH. Elles vont de l'intensification de la formation en matière de DIH jusqu'au mesures que les Etats peuvent prendre quant ils ont connaissances de violations graves du DIH. Mettre une fin à l'impunité est sans doute une réponse particulièrement efficace.

Il faut insister sur ce respect, même si le climat général ne s'y prête pas forcément. Sur le chemin de Kaboul la semaine dernière, je n'étais, à la lumière de remarques faites ces dernières semaines, pas s ans inquiétude concernant le sort des Talibans et notamment miliciens étrangers encerclés à Kunduz et d'autres endroits. Certaines remarques pouvaient en effet être interprétées comme si les règles du DIH, que ce soient celles applicables aux conflits armés internationaux ou internes, pouvaient être ignorées par rapport à ce groupe de personnes. J'ai été clair à ce sujet vendredi et samedi dans mes entretiens à Kaboul avec le Président Rabbiani, le Général Fahim, Dr. Abdullah Abdullah et Monsieur Quannoni. J'ai notamment rappelé les dispositions de l'article 3 commun des Conventions de Genève en soulignant, vu la situation à Kunduz à ce moment-là et la crainte des milices étrangers d'être massacrés s'ils se rendaient, que toute personne qui se rend a droit à un traitement humain. Ces interlocuteurs m'ont promis sans réserves que ces règles seraient respectées.

La question de la responsabilité -et vous le ferez dans les débats- peut être posé à différents niveaux, dans différents contextes. Il y a aussi des responsabilités que l'on peut et doit assumer à court terme (protéger les victimes) comme il y a des responsabilités que l'on ne peut sérieusement assumer qu'à très long terme, si jamais (changer une société). Il m'a par ailleurs toujours paru qu'il est bien plus utile et exigeant d'assumer réellement une responsabilité limitée que de se sentir et se déclarer responsable de tout sans changer grande chose dans la réalité des choses. Le CICR, lui, veut assumer les responsabilités qui sont les siennes partout sans sélectivité. Le principe de responsabilité de toutes les composantes de la société en relation avec les attentats aux Etats-Unis du 11 septembre sera le thème de votre premier débat. Il y a deux manières extrêmes d'aborder la question sans exclure d'autres: 

  • dans un sens large: qui a quelle responsabilité pour éviter que de tels attentats se répètent? Cela nous mène très loin: des responsabilités dans le domaine de la sécurité jusqu'aux responsabilités en matière d'éducation et pour mettre fin à la misère sans perspective de centaines de millions de personnes;

  • dans un sens étroit: qui a quelle responsabilité pour assurer que le DIH soit respecté dans le cadre des actions déclenchées par les attentats du 11 septembre? La réponse est assez simple, assurer le respect sur le terrain est plus difficile. Les parties au conflit doivent respecter ces règles. Que l'on approche le conflit sous l'angle d'un conflit armé international ou d'un conflit interne, les règles principales sont claires. A quoi s'ajoute, pour les Hautes Parties contractantes des Conventions de Genève non parties au conflit, l'obligation " à faire respecter " les Conventions en toutes circonstances. Inutile de souligner que cette obligation me paraît dans le contexte actuel particulièrement important par rapport à la relation entre les Etats coalisées et l'Alliance du Nord. Les Etats coalisés n'ont pas seulement l'obligation de respecter les règles eux-mêmes mais de faire respecter les règles par les parties au conflit interne dans la mesure du possible.

Le DIH connaît des règles interdisant les actes terroristes en relation avec un conflit armé. Il s'agit des règles sur la conduite des hostilités, sur la protection de personnes détenues par une partie au conflit et d'autres. Reste la question importante de l'application du DIH aux attaques mêmes du 11 septembre. Selon les juristes du CICR il ne s'applique pas: il manque la qualité étatique d'une partie des acteurs pour s'insérer dans le cadre d'un conflit armé international; il manque le niveau d'intensité et la durée dans la violence pour la qualification d'un conflit armé non internation al. Et voilà que peut surgir tout naturellement la question de l'adéquation du DIH à la réalité d'aujourd'hui. Mais avant de gonfler trop la question de l'adéquation du DIH à cette situation il est utile de se rappeler qu'il y a d'autres corps de droit que le DIH qui sont applicables pour faire face au phénomène du terrorisme, sur le plan national et international. Mentionnons le droit international des droits de l'homme, les conventions portant sur le terrorisme (une dizaine à ce stade) sans oublier, bien sûr, le droit interne. N'étant expert ni dans l'un ni dans l'autre domaine, je me contente de la remarque que c'est d'abord la question de l'adéquation de ces derniers instruments juridiques qui se pose. Mais cela, me semble-t-il, a été bien compris déjà. Et nous ne sommes pas sans savoir que l'absence d'une définition juridique généralement accepté du terme " terrorisme " n'a pas toujours facilité les travaux. La tragédie du 11 septembre a renforcé la volonté politique d'aller de l'avant.

N'interprétez surtout pas ces remarques dans le sens que je ne serais pas de l'avis qu'il faut constamment se poser la question de l'adéquation du DIH à la réalité et aux développements futurs prévisibles. Le DIH s'est d'ailleurs considérablement développé ces dernières années et le CICR, dans son rôle de promoteur du DIH, a fait de nouvelles propositions pour compléter et actualiser la Convention sur certaines armes classiques de 1980. Son autre rôle de gardien me paraît d'ailleurs plus dur et périlleux.

Mais mon souci principal, à part l'effort inlassable d'assurer l'adéquation de l 'action humanitaire à la réalité, reste néanmoins comment nous allons assurer un meilleur respect des règles existantes. A les étudier on est toujours surpris de constater dans quelle mesure elles sont adaptées à la réalité conflictuelle d'aujourd'hui, de plus en plus dominée par l'action d'acteurs non étatiques même si un renforcement des règles applicables aux conflits internes serait hautement souhaitable. Mais là j'ai l'espoir que l'étude que le CICR va publier sur le droit coutumier aura quelques effets positifs. Mais voilà, cette réalité: il y a environ 40 règles qui se réfèrent à la protection et à l'assistance aux femmes, mais le respect de ces règles est insuffisant, très insuffisant dans beaucoup de contextes. Je pourrais dire la même chose par rapport aux enfants.

C'est l'endroit pour rappeler une autre responsabilité que nous avons: ne pas oublier les conflits ailleurs dans le monde qu'en Afghanistan.

Il y a sans doute un débat bien plus important que celui sur l'adéquation du DIH actuel à la réalité d'aujourd'hui. C'est le débat sur les mesures à prendre pour assurer un meilleur respect du droit qui existe déjà .  Des Etats généraux, c'est la réunion de toutes les forces concernées pour faire changer les choses. Dans le cadre de notre débat: pour arriver à un meilleur respect d'un droit qui nous importe. Je vous remercie.



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