Armes à dispersion (armes à sous-munitions) : le CICR réclame un traité fort

19-05-2008 Déclaration

Déclaration de Jakob Kellenberger, Président du Comité international de la Croix-Rouge, lors de la cérémonie d'ouverture de la Conférence diplomatique sur les armes à dispersion (armes à sous-munitions), Dublin, le 19 mai 2008

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est honoré de l’occasion qui lui est donnée de contribuer aux travaux de cette conférence diplomatique urgente.

 
"...l’imprécision et la non fiabilité, combinées avec un grand nombre de sous-munitions, sont les caractéristiques des armes à dispersion qui causent le nombre le plus élevé de victimes civiles. Ce sont justement ces victimes qui font de l’interdiction de ces armes un impératif humanitaire." 
La nécessité de cette conférence historique et d’un traité spécifique sur les armes à dispersion a été déjà démontrée à maintes reprises. Des décennies durant, ces armes ont tué et blessé des milliers de civils au Laos, au Cambodge, au Viet Nam et en Afghanistan. Au cours du seul mois dernier, le personnel du CICR a rencontré une famille à l’hôpital de Phonsavan au Laos. La mère et les deux jeunes enfants venaient d’être gravement blessés et le fils tué, après la détonation accidentelle d’une sous-munition qui était enfouie près de leur maison. Ce projectile était tombé là il y a plus de quarante ans. Les armes à dispersion utilisées lors de conflits plus récents ont fait des centaines de victimes civiles au Kosovo, en Serbie, en Érythrée, en Éthiopie, en Irak et au Liban. Les civils ont payé cher l’absence de fiabilité et de précision des armes à dispersion larguées en masse sur de vastes zones. Leurs vies racontent l’histoire de la « souffrance inacceptable » que ces armes infligent. Il faut que ces pertes en vies humaines et notre humanité nous motivent collectivement à mettre un terme à ce schéma effroyable d’utilisation des armes à dispersion qui ont fait souffrir les populations civiles pendant des décennies. Pour bon nombre, nos efforts arrivent, hélas, trop tard.
 
Le CICR a bon espoir que vos travaux culmineront par l’adoption d'une convention sur les armes à dispersion d’ici deux semaines, ce qui permettrait que ces armes ne soient plus considérées, juridiquement ou moralement, comme « juste une autre arme » dont l’emploi est laissé à la discrétion de celui qui l’utilise en vertu des règles générales du droit international humanitaire. En effet, l’emploi, la conception, la production, le transfert et le stockage de toutes les armes à dispersion, telles que définies dans la future Convention, seraient interdits. Si les États adoptent ces interdictions, ils auront réussi à créer collectivement une nouvelle norme internationale qui aura un impact majeur sur les producteurs et les acquéreurs d’armes à dispersion qui sont parties de ce processus. Je suis convaincu qu’avec le temps, la Convention aura également un impact positif sur les politiques et les pratiques des États non parties et commencera à infléchir l’augmentation régulière des nouveaux utilisateurs de ces armes abjectes.
 
Lorsque vous finaliserez le texte de la nouvelle Convention sur les armes à dispersion, le CICR vous prie instamment de garder à l’esprit les impératifs humanitaires qui sous-tendent vos efforts et ceux du processus d’Oslo. Pour nous, les incidences sont multiples :
  • Les négociations devraient être conduites avec un réel sens de l’urgence et la conscience de l’occasion unique qu’offre la Conférence diplomatique de Dublin.

  • La Conférence doit trouver des solutions aux grandes questions en suspens qui permettront de garantir au mieux la protection des civils contre les armes à dispersion et qui seront effectivement utilisées par les forces armées, notamment celles ayant p ris part à ce processus, et qui ont produit, stocké ou utilisé ces armes.

  • Les réalisations qui peuvent aboutir dans les deux semaines ne devraient pas être sacrifiées au nom de ce qui ne peut pas être réalisé.

Pendant des décennies, il n’existait aucun mouvement international sur les problèmes humanitaires causés par les armes à dispersion. Ces deux dernières années, une conscience accrue du problème ainsi que des propositions de solutions ambitieuses et réalistes ont vu le jour. La participation aujourd’hui de plus d’une centaine d’États, d’organismes des Nations Unies et de la société civile, représentée par la Coalition contre les armes à sous-munitions (CMC), témoigne de l’engagement et des efforts inlassables de bon nombre d’entre vous présents ici dans cette salle : personnel chargé du déminage, officiers militaires, experts techniques et travailleurs humanitaires. La Convention, si elle est adoptée dans deux semaines par la Conférence, sera le fruit de votre coopération et communication continues entre vous tous qui œuvrez pour protéger ceux qui ne devraient jamais payer le prix des conflits armés et qui, pourtant, en payent si souvent le tribut le plus lourd.

Comme vous le savez, en promouvant ce nouveau traité, le CICR cherche à réaliser l’objectif d’une interdiction totale de la production, du stockage, du transfert et de l’emploi des armes à dispersion, imprécises et non fiables, avec le ferme engagement d’éliminer ces armes et de porter assistance aux victimes. Après le succès des conférences tenues à Oslo, Lima, Vienne et Wellington, et des réunions régionales organisées dans de nombreuses parties du monde, nous pensons que cet objectif est désormais à notre portée.

Pour certains, le fait de se concentrer sur les armes à dispersion imprécises et non fiables peut sembler trop modeste. Pour d’autres, ces interdictions signifieront la décision douloureuse d’éliminer un type d’arme dans le urs stocks existants. Quant au CICR, l’imprécision et la non fiabilité, combinées avec un grand nombre de sous-munitions, sont bel et bien les caractéristiques des armes à dispersion qui causent le nombre le plus élevé de victimes civiles. Ce sont justement ces victimes qui font de l’interdiction de ces armes un impératif humanitaire. Cette proposition n’est, à nos yeux, absolument pas modeste. L’interdiction d’armes à sous-munitions imprécises, non fiables, qui sont dispersées massivement, stigmatiserait à jamais la grande majorité des armes à dispersion existantes. Elle permettrait d’éliminer les armes qui sont à l’origine de ce problème humanitaire récurrent. Pour les populations civiles, une telle réalisation serait fantastique et elle mérite, à ce titre, que nous y consacrions tous nos efforts. Cette interdiction prouverait aussi que la souffrance endurée par les victimes des armes à dispersion a ébranlé le monde.

En conclusion, je souhaiterais féliciter tous les États qui sont sur le point d’adopter un accord historique ici à Dublin. Dix jours, est un laps de temps très bref pour négocier un nouveau traité de ce genre. Il faudra s'atteler à la tâche humanitaire à accomplir, avec persévérance, flexibilité et en s’entendant sur des choix difficiles. Je vous demande instamment de prendre les décisions qui s’imposent pour garantir au mieux la protection des populations civiles. Dix jours, cela peut très bien ne pas sembler long pour nous, mais pour ceux qui attendent un traitement médical après un accident dû à des armes à dispersion, cela peut paraître une éternité. Et les victimes attendent souvent beaucoup plus que dix jours avant de recevoir un traitement. De fait, les victimes et le monde attendent depuis plus de quarante ans cette Convention.

En négociant et en adoptant cette nouvelle Convention, vous garderez la Déclaration de Saint-Pétersbourg adoptée il y a 140 ans vivante dans votre esprit. En renonçant à l’emploi de balles qui explosent dans le corps humain, cette Déclaration constituait la première interdiction d’une arme dans le droit international humanitaire. La Commission militaire internationale qui a adopté cette Déclaration, a, comme il y est dit, « fixé les limites techniques où les nécessités de la guerre doivent s'arrêter devant les exigences de l'humanité ». Le défi qu’il vous faut relever et la responsabilité qui vous incombe consistent à fixer ces limites pour les armes à dispersion en 2008. Le Comité international de la Croix-Rouge est convaincu que vous pouvez et vous devez relever ce défi, et que vous y parviendrez. Nous sommes honorés de nous associer à vous dans cette tâche.