Déclaration du CICR à la Troisième Conférence d'examen de la Convention sur certaines armes classiques

07-11-2006 Déclaration

Déclaration de M. Philip Spoerri, directeur du droit international et de la coopération au sein du Mouvement (Comité international de la Croix-Rouge), à la Troisième Conférence d'examen des États parties à la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, tenue à Genève du 7 au 17 novembre 2006

La Convention de 1980 sur certaines armes classiques (CCAC) est une pierre angulaire de l'action internationale visant à protéger les civils des armes classiques qui peuvent frapper sans discrimination et à éviter que les combattants ne subissent des effets traumatiques excessifs ne servant aucun objectif militaire justifiable. Les réalisations des États parties au cours des onze dernières années reflètent le potentiel de la Convention. Durant cette période, le champ d'application du traité a été étendu pour couvrir les conflits armés non internationaux, les armes à laser aveuglantes ont été interdites, et les mines terrestres, les pièges et autres dispositifs ont fait l'objet de nouvelles limitations. Le Protocole relatif aux restes explosifs de guerre a établi de nouvelles règles visant à réduire au minimum le nombre de décès et à atténuer le plus possible les blessures et les souffrances causées par les munitions non explosées et abandonnées.

Au cours des deux prochaines semaines, les États parties vont avoir l'occasion de consolider et de mettre à profit les résultats obtenus. La Troisième Conférence d'examen leur permettra en effet d'examiner le statut et la mise en œuvre de la Convention et de ses Protocoles, d'évaluer l'évolution de la technologie des armes et de la nature des conflits armés, et de développer davantage le droit international humanitaire dans un certain nombre de domaines importants. Après cinq années de discussion, il est également temps pour les États parties de prendre des décisions sur des questions humanitaires importantes. Le CICR demande instamment aux États parties d'adopter un nouveau protocole visant à réduire le coût humain des mines anti-véhicule et d'enta mer l'élaboration d'un nouvel instrument qui permette d'éviter les conséquences graves et à long terme de l'utilisation des armes à dispersion.

Les mines autres que les mines antipersonnel (MAMAP) font l'objet d'un vaste débat au sein du groupe d’experts gouvernementaux établi au titre de la CCAC. Le CICR a rassemblé des informations sur les conséquences graves de ces mines pour les populations civiles et les opérations d'assistance humanitaire. Nos délégués ont été témoins des effets tragiques de l'utilisation de ces engins lorsque des véhicules civils y sont exposés. Ils en ont également été victimes, comme en septembre dernier, quand un délégué du CICR au Sénégal a été tué sur une route alors qu'il évaluait les besoins des personnes déplacées. Dans de nombreux contextes, les efforts que nous déployons pour fournir une assistance humanitaire sont entravés par la présence de mines autres que les mines antipersonnel, ce qui empêche les populations civiles de bénéficier de l'aide qu'elles sont en droit d'attendre en vertu des Conventions de Genève.

Un nouveau protocole sur les MAMAP pourrait renforcer les règles actuelles en exigeant que ces armes soient localisables et d'une courte durée de vie. Mais pour qu'il soit efficace, l'instrument doit être juridiquement contraignant et représenter un progrès important par rapport aux règles établies en la matière dans le Protocole II modifié annexé à la CCAC. En outre, il faut qu'il soit suffisamment clair pour pouvoir être facilement mis en œuvre et contribuer réellement à résoudre le problème sur le terrain.

Cette conférence d'examen décidera également si les États parties à la CCAC traiteront la question urgente des armes à dispersion. Depuis près de 40 ans, ces armes sont connues pour avoir fait un grand nombre de morts et de blessés parmi les civils, que ce soit pendant ou après les conflits armés. Or, les sou ffrances endurées par la population civile ne cessent d'augmenter, et le fardeau que représente l'enlèvement de ces armes se fait de plus en plus lourd. En effet, la liste des États affectés par ces armes s'allonge chaque année ou presque : après l'Érythrée et l'Éthiopie en 1998, cela a été la Serbie-et-Monténégro en 1999, l'Afghanistan en 2001, l'Irak en 2003 et, aujourd'hui, le Liban.

Le CICR estime que l'heure est venue d'engager une action internationale vigoureuse pour mettre fin au scénario prévisible de la tragédie humaine lié aux armes à dispersion. À notre avis, les caractéristiques spécifiques de ces armes, l'histoire malheureuse de leur utilisation et leurs conséquences graves et à long terme pour la population civile justifient pleinement des mesures énergiques. Le CICR appelle aujourd'hui tous les États à prendre au niveau national les mesures indiquées ci-après :

  • mettre immédiatement fin à l'utilisation des armes à dispersion imprécises et non fiables ;

  • interdire l'utilisation des armes à dispersion contre tout objectif militaire situé dans une zone habitée ;

  • éliminer les stocks d'armes à dispersion imprécises et non fiables et, en attendant qu'elles soient détruites, ne pas transférer ces armes dans d'autres pays ;

Le CICR est en outre convaincu qu'il est nécessaire d'élaborer un nouvel instrument international pour résoudre de manière globale et efficace le problème des armes à dispersion. Il est d'ailleurs prêt à accueillir une réunion internationale d'experts début 2007 pour commencer à définir les éléments d'un tel accord. J'aimerais souligner que sa décision de demander la réglementation d'une arme spécifique n'est pas une décision prise à la légère. Selon nous, le coût humain él evé et disproportionné des armes à dispersion requiert une telle action. J'ajouterai que le réseau mondial des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et leur Fédération internationale soutiennent cet appel en faveur d'une réglementation spécifique des armes à dispersion.

Les conférences d'examen jouent un rôle crucial dans la promotion de l'universalisation et de la pleine mise en œuvre de la CCAC et dans l'évaluation de l'efficacité de la Convention et de ses Protocoles. Cependant, les Première et Deuxième Conférences d'examen avaient eu peu de recul pour examiner le statut et la mise en œuvre du traité. Vingt-cinq années s'étant maintenant écoulées depuis l'adoption de la Convention, il conviendrait que les États parties procèdent à un examen de fond et se penchent sur certaines questions laissées en suspens lors des précédentes conférences d'examen. Le CICR a mis en évidence un certain nombre de questions spécifiques qui méritent d'être examinées de la sorte. Il s'agit notamment de la mise en œuvre à l'échelle nationale des obligations découlant de la CCAC, de l'appel lancé lors de la dernière Conférence d'examen en faveur de l'établissement de mécanismes nationaux visant à examiner la légalité des nouvelles armes, et de précisions à apporter sur certaines questions liées au Protocole IV sur les armes à laser aveuglantes. Le CICR formulera des observations sur divers aspects de ces questions au cours des séances appropriées des principales commissions.

En 2001, le CICR avait soumis à la Deuxième Conférence d'examen un rapport dans lequel il exprimait ses craintes de voir l'interdiction de l'utilisation de projectiles qui explosent à l'intérieur du corps humain, émanant de la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, mise à mal par la production et la prolifération de certains projectiles universels de 12,7 mm. La Conférence d'examen avait invité les États à e xaminer le rapport du CICR et d'autres données pertinentes, et à prendre les mesures qui s'imposaient. De multiples essais balistiques ont confirmé que ces projectiles universels explosaient à l'intérieur du corps humain dans différentes situations, y compris lors de tirs à courte portée et après avoir traversé un gilet pare-balles. Nous sommes conscients que certains États ne partagent pas les préoccupations actuelles du CICR et que certains ont organisé des essais balistiques dont ils ont tiré des conclusions différentes. Nous ne proposons pas que la Troisième Conférence d'examen prenne des mesures sur cette question. Néanmoins, le CICR invite les États, quelles que soient leurs vues sur les performances des projectiles universels en question, à confirmer qu'ils considèrent, comme lui, que l'utilisation antipersonnel de projectiles explosant à l'intérieur du corps humain est prohibée. Enfin, nous demandons instamment aux États d'incorporer cette règle dans leurs manuels militaires et autre matériel de formation.

Monsieur le Président,

Dans le préambule de la Convention, les États parties ont affirmé la nécessité de protéger les personnes civiles contre les effets des hostilités ainsi que leur attachement au « développement progressif » des règles de droit international humanitaire applicables dans les conflits armés. Cette Conférence d'examen a la possibilité et la responsabilité de contribuer à la réalisation de ces nobles objectifs. Le CICR se réjouit à la perspective d'œuvrer à cette fin avec l'ensemble des délégations.