Vers une interdiction mondiale des mines terrestres

31-08-1995 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 814, de Anita Parlow

  Anita Parlow   est juriste et journaliste. Elle rédige actuellement un ouvrage intitulé War Dispatches: Humanitarian Intervention in Sudan, Rwanda and Mozambique.   EIle suit les questions des droits de l'homme et de l'action humanitaire pour le Washington Post et l'Atlanta Constitution, ainsi que pour Monitor Radio et la National Public Radio. Elle est également consultant auprès de Human Rights   Watch, du US Commitee for Refugees ainsi que pour le Refugee Policy Group,   dont le siège est aux Etats-Unis.  

     

  I. Introduction  

L'emploi des armes, projectiles ou matériel conçus pour provoquer des souffrances inutiles et, plus particulièrement, des armes toxiques (armes chimiques et biologiques) est prohibé à la fois par la IVe Convention de La Haye de 1907 et par le Protocole de Genève de 1925. Lors des débats qui ont débouché sur l'interdiction des armes chimiques, les diplomates représentant toutes les régions du monde ont parlé du caractère «barbare et déshonorant» de ces armes, faisant allusion à leurs effets sur les soldats et à la manière indiscriminée dont elles peuvent frapper les civils. Des progrès universels ont été accomplis, puisqu'il est désormais impossible de concevoir un monde qui se désintéresse du sort des civils pris au piège de la guerre. La protection des civils Iors des conflits armés internes fait l'objet, à l'échelle internationale, d'une attention toujours croissante qui va de pair avec une relance du débat sur la réglementation, par le droit humanitaire et le droit des droits de l'homme, de la conduite des belligérants.

A l'époque de la guerre froide, les grands stratèges politiques voyaient essentiellement sous l'angle géopolitique les pertes en vies humaines provoquées parmi les civils par les guerres de libération nationales. Sous le voile moral de l'anti-communisme, les questions d'ordre humanitaire se trouvaient souvent amalgamées ou subordonnées à des préoccupations idéologiques. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les civils représentent 80 pour cent des victimes des conflits armés selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Aujourd'hui, ce sont les catastrophes civiles ou d'origine ethnique qui façonnent le nouvel ordre mondial qui a succédé à la guerre froide. L'un des débats les plus passionnés comporte, notamment, une réflexion sur la nature changeante de la guerre ainsi que sur la manière dont elle est menée aujourd'hui. La gravité des violations du droit international humanitaire commises à l'encontre des civils au Rwanda, en Bosnie-Herzégovine et en Irak, de même que l'apparente incapacité (ou l'absence de volonté) de la communauté internationale d'y mettre fin soulignent à quel point il est urgent, mais difficile, de faire respecter des principes humanitaires universellement acceptés. Cette situation soulève des questions, juridiques et pragmatiques, quant à la détermination dont les Etats sont encore disposés à faire preuve pour se conformer aux principes du droit humanitaire. On peut également se demander si les exemples actuels de résistance aux principes humanitaires essentiels sont le signe d'une trahison imminente des idéaux de notre conscience commune de l'humanité.

Les p remières restrictions ont été imposées à la conduite de la guerre au lendemain de la bataille de Solférino de 1859.[1 ] Ce sont des situations entraînant un nombre disproportionné de pertes civiles qui ont été à l'origine des efforts plus récents déployés à l'échelon international.  Aujourd'hui, à nouveau, le pourcentage élevé de victimes civiles pousse la communauté internationale à ne plus faire porter le discours humanitaire sur les prérogatives des chefs aguerris d'Etats qui ont volé en éclats, mais à mettre davantage en évidence la responsabilité universelle de chacun. L'effort croissant en vue d'interdire les mines antipersonnel donne aux nations l'occasion de s'imposer des contraintes et de faire passer au second plan les questions touchant à la sécurité militaire. La campagne menée par les organisations non gouvernementales (ONG) pour obtenir l'interdiction de la production, de l'emploi et du transfert des mines terrestres antipersonnel suscite un débat à travers le monde pour déterminer dans quelles circonstances il serait possible que les préoccupations d'ordre humanitaire viennent prendre le pas sur les arguments militant en faveur de l'emploi de cette arme de guerre. A l'origine, le lobby international dépendait de la position globale des Etats-Unis pour faire avancer les différents points inscrits à son ordre du jour humanitaire. Les mines terrestres n'offrant que peu d'intérêt, sur le plan commercial et stratégique, pour les Etats-Unis, ce pays aurait pu apparaître particulièrement bien placé pour apporter son soutien (et, de fait, jouer ainsi un rôle mobilisateur) aux principes propres à accroître la protection des civils dans le monde entier. Les chefs de file, au Congrès, de l'action visant à obtenir l'interdiction des mines terrestres antipersonnel ont déclaré, avec toute l'emphase d'un début de campagne humanitaire, que la lutte venait tout juste de commencer. Toutefoi s, le désaccord opposant le Pentagone et le Département d'Etat quant aux «mérites «de l'emploi des mines en temps de guerre réduit les chances de voir l'administration Clinton attacher moins d'importance aux arguments en faveur de la nécessité militaire d'une très petite arme en particulier.[2 ] Il faut reconnaître que l'administration Clinton pose les bonnes questions. Toutefois, pour trouver des réponses valables, la communauté internationale devra élaborer un véritable plan directeur humanitaire prenant entièrement en compte le coût économique et le coût humain de l'emploi des mines.

  Il. Impact sans discrimination sur la vie civile  

     

Les mines terrestres non désamorcées causent de graves perturbations à la vie civile. Les preuves s'accumulant, un consensus quasi universel se dégage aujourd'hui: le problème doit être résolu à l'échelle planétaire.[3 ] Dans un rapport récent, le Département d'Etat américain estime qu'au total, quelque 65 à 110 millions de mines terrestres antipersonnel sont enfouies - telles des semences de mort - dans le sol de cinquante-six pays à travers le monde.[4 ] Malgré les accords de paix conclus au Cambodge, en El Salvador et au Mozambique, les explosions de mines terrestres continuent à tuer ou mutiler des civils, au rythme moyen de 500 par semaine.

Aucune statistique précise n'est tenue à l'échelon international quant au nombre de personnes blessées ou tuées par les mines terrestres, mais on sait que la majorité des victimes sont des gens aux maigres ressources - agriculteurs, femmes et enfants - qui, ramassant du bois, gardant leur bétail ou cherchant de la nourriture - pénètrent dans des zones où des combats ont eu lieu.[5 ] Arme particulièrement perfide, différente, par le but poursuivi, des autres munition s, la mine antipersonnel est conçue pour mutiler les soldats ennemis.  Landmines: A Deadly Legacy décrit les conséquences de l'explosion d'une mine sur le corps humain. Les mines terrestres:

«ont des effets terribles sur le corps humain; leur explosion fait pénétrer dans les tissus de la saleté, des bactéries, des fragments de vêtements, de métal et de plastique, ce qui provoque des infections secondaires. Les ondes de choc peuvent détruire les vaisseaux sanguins jusque tout en haut de la jambe, obligeant les chirurgiens à amputer bien au-dessus de la blessure proprement dite».[6 ] (Traduction CICR)

Afin de lutter contre les effets des blessures de guerre, du type de celles qu'infligent les mines terrestres, le CICR mène actuellement vingt-sept programmes orthopédiques et autant de services de chirurgie dans quatorze pays déchirés par la guerre.[7 ] Si l'on ajoute que près de 25 pour cent des blessés civils pris en charge par le CICR de janvier 1991 à juillet 1992 avaient été victimes de mines, chacun peut se faire une idée de l'ampleur du problème causé par les mines terrestres. Un habitant du Cambodge sur 236 a dû subir l'amputation d'au moins un membre à la suite d'une blessure provoquée par l'explosion d'une mine.[8 ] Cette proportion est élevée, si on la compare aux chiffres de l'Angola où une personne sur 470 a dû subir une amputation. Aux Etats-Unis, où les mines antipersonnel représentent un risque minimum, la proportion d'amputés est de un sur 22 000. Les efforts considérables déployés par le CICR pour que les mines cessent d'être employées montrent bien l'ampleur du problème. Cette organisation humanitaire rapporte que dans la plupart des pays infestés de mines, l'infrastructure locale n'est en général pas capable d'offrir le niveau de soins requis pour permettre aux infirmes qui ont survécu à leurs blessures de retrouver une vie normale (par la pose de prothèses, notamment).

A l'instar du CICR, l'organisation Handicap International, dont le siège est en France, relève qu'une part croissante de ses ressources est affectée aux interventions chirurgicales et à la fourniture de prothèses aux victimes des mines - en majorité des femmes et des enfants qui ont marché sur une mine antipersonnel alors qu'ils gardaient des moutons ou ramassaient du bois. Le directeur exécutif d'Handicap International, le Dr Philippe Chabasse, explique de la manière suivante pourquoi son organisation se bat pour obtenir l'interdiction des mines terrestres antipersonnel: les infirmes constituent un lourd fardeau sur le plan socioéconomique, dont le poids contribue à appauvrir la société et empêche Handicap International d'apporter tout son soutien à la reconstruction de la communauté. «Il nous faut travailler très dur, rien que pour revenir au point de départ».[9 ]

La présence de ces «sentinelles éternelles» n'est pas un problème du passé. Le Département d'Etat américain relève, dans son rapport intitulé Hidden Killers, que les mines sont de plus en plus l'arme de prédilection employée dans le nombre croissant de conflits ethniques et civils qui déferlent sur le monde.[10 ] Selon les estimations des Nations Unies, quatre millions de mines ont été semées sur le territoire de l'ex-URSS et de l'ex-Yougoslavie au cours de ces trois dernières années![11 ]

La présence des mines a des conséquences particulièrement désastreuses dans les pays en développement.  Oxfam International relève qu'en raison de ses effets cumulatifs, le problème des mines terrestres risque de déstabiliser l'ensemble de l'économie d'un pays, de larges portions du territoire ne pouvant être utilisées pour les cultures ou l'élevage.[12 ] En Somalie, selon le Département d'Etat américain, la présence d'un million de mines interdit à la population l'accès à des villes entières, des villages et des terres agricoles.[13 ] En Angola, les équipes britanniques de déminage estiment que 20 millions de mines ont été mises en place sur 33 pour cent du territoire national, provoquant la famine lorsque leur présence rend inutilisables les terres habituellement cultivées. Au Mozambique, selon Human Rights Watch, plus de deux millions de mines sont toujours en place, dont trente-deux types de mines antipersonnel et dix-neuf types de mines antichars, provenant de quinze pays producteurs. En Afghanistan, selon le Mines Advisory Group (un organisme dont le siège est au Royaume-Uni), il faudra de dix à quinze ans pour déminer les zones prioritaires, alors même que dix millions de mines infestent l'ensemble du territoire afghan. Les rapports de deux organismes basés à New York, Arms Project of Human Rights Watch et Physicians for Human Rights, concluent que les pays où la présence des mines est la plus massive sont appauvris: ils ne disposent donc pas des capacités suffisantes pour mobiliser toutes les ressources nécessaires afin de faire face aux conséquences - sur le plan médical, social et économique - des explosions de mines.

Les mines terrestres ont considérablement entravé les opérations de maintien de la paix de l'ONU et les efforts entrepris par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) afin d'encourager le retour de millions de réfugiés qui cherchent à regagner leur pays depuis la fin de la guerre froide. Selon le Haut Commissaire, les mines terrestres ont réellement un effet négatif, puisque «le HCR a restructuré ses opérations en Afghanistan, au Cambodge et au Mozambique, car le simple fait de poser le pied au mauvais endroit a provoqué de trop nombreuses explosi ons»[14 ] (Traduction CICR).

La communauté internationale a, certes, entrepris avec détermination différentes opérations de déminage, mais ses efforts ont été jusqu'ici insuffisants. Par exemple, dans le cadre d'un projet de déminage actuellement en cours en Somalie sous le contrôle des Nations Unies, quelque 200 Somalis ont été formés aux techniques de déminage. Utilisant la méthode précaire qui consiste à sonder le sol avec une tige métallique, ces démineurs ont déjà enlevé 21 000 engins. L'effectif de ces équipes de démineurs est en train d'être doublé, mais le directeur du Programme de Déminage des Nations-Unies, Patrick Blagden, déclare que, si l'on ne se résout pas à recourir à des technologies plus sophistiquées, et donc plus onéreuses, «la situation apparaît sans issue». M. Lane Evans, le membre du Congrès américain qui a coparrainé le moratoire des Etats-Unis sur les mines terrestres, a cité un devis de 3 500 000 dollars US, représentant le coût estimé du transfert en Somalie de gros véhicules de déminage. Le coût total des opérations de déminage (même limitées aux pays les plus touchés) dépasserait donc - et de loin - le prix que l'ONU ou ses Etats membres sont prêts à payer.

  III. Initiatives en vue de l'interdiction des mines terrestres  

La possibilité d'enrayer une épidémie qui laisse exsangues les pays les plus pauvres du monde a incité les organisations humanitaires et les Nations Unies à entreprendre une action concertée. En 1993, une «coalition» d'organismes humanitaires et de défense des droits de l'homme - parmi lesquels Human Rights Watch, Handicap International, Physicians for Human Rights, Medico International, le Mines Advisory Group et la Vietnam Veterans of America Foundation qui a pris la tête du mouvement - a lancé une campagne internationale pour obtenir l'interdiction de la production, de l'emploi et la vente des mines. Certes, les mines antipersonnel n'ont pas une image aussi dramatique que les armes biologiques ou chimiques, dont l'interdiction a fait l'unanimité chez les belligérants au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais la campagne est en train de prendre son essor. Les efforts entrepris par les ONG (dont les membres se sont employés, dans les capitales, à gagner à leur cause les missions diplomatiques des différents Etats) sont le signe du rôle accru que peut jouer la communauté internationale des ONG en faveur du respect du droit international humanitaire.[15 ] Lancée à l'échelle mondiale, la campagne donne à tous les gouvernements l'occasion d'engager des efforts multilatéraux pour imposer des contraintes d'ordre humanitaire à la conduite de la guerre. De manière générale, les armements se modernisent, devenant de plus en plus sophistiqués et spécifiquement adaptés à leur cible. Dans le même temps, la mine terrestre antipersonnel constitue l'arme la plus répandue, la moins visible et, selon le Département d'Etat américain, la plus meurtrière qui puisse être employée contre les civils, qui continuent à être menacés longtemps après la fin des hostilités. Les experts ont terminé, pour cette année, leurs réunions aux Nations Unies et il Paraît improbable que de nombreux pays se déclarent en faveur d'une interdiction totale de la production et de l'emploi des mines. Si réellement ils ne le font pas, les ONG et le CICR - qui se sont engagés résolument en faveur d'une interdiction - n'auront d'autre choix que d'accepter (en les considérant comme un moyen de se rapprocher de leur objectif à long terme) que soient imposées à l'emploi des mines des limites de caractère technique, telles que, par exemple, l'obligation de munir ces engins d'un mécanisme d'autodestruction. [16 ]

Constitué par le secrétaire général de l'ONU, un Groupe d'experts gouvernementaux a été chargé de préparer la Conférence d'examen de la Convention des Nations Unies de 1980, (Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination) du 10 octobre 1980, dite «Convention sur les armes classiques», qui se tiendra à Vienne du 25 septembre au 13 octobre 1995. Après avoir tenu trois sessions en 1994, le Groupe d'experts s'est réuni pour la dernière fois à Genève du 9 au 20 janvier 1995. Son rapport final indique que le Protocole Il annexé à la Convention de 1980 - le Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de mines, pièges et autres dispositifs, dénommé ci-après «Protocole sur les mines terrestres» - a pour but essentiel de protéger les populations civiles contre les souffrances infligées de manière indiscriminée, pendant et après un conflit. Le rapport final, il est important de le signaler, recommande d'imposer des limitations à l'emploi des mines terrestres dans les conflits internes. Les limitations - complexes et de portée limitée - que préconisent les experts, au lieu d'une interdiction totale de la production, de l'emploi et du transfert des mines antipersonnel, institueront un régime de contrôle compliqué, assorti de procédures d'application insuffisantes.  De nombreuses ONG affirment que la Conférence d'examen risque d'échouer dans sa mission essentielle: réduire le nombre de victimes civiles lors des conflits internes qui ne cessent de se multiplier.

La réunion d'experts n'a pas réussi à préciser la teneur en métal en dessous de laquelle les mines ne sont plus délectables; elle a présenté les «mécanismes d'autodestruction» comme constituant le meilleur moyen de prévenir toute explosion de mine, une fois le conflit terminé; elle n'a pas non plus pris de décision en ce qui concerne l'adjonction éventuelle d'une clause portant sur la vérification de l'application de la Convention. " Aux Etats-Unis, les premiers efforts entrepris par le Congrès sous l'impulsion des ONG ont été quasi remarquables. En 1993, le Congrès a prolongé de trois ans un moratoire déclaré en 1992 qui interdit aux Etats-Unis d'exporter, de vendre et de transférer à l'étranger des mines terrestres antipersonnel. Le Congrès a été sur le point d'adopter une loi interdisant la production des mines terrestres, mais les producteurs et les militaires ont menacé de s'opposer à toute mesure de ce type. " Selon le sénateur Patrick Leahy, qui fut l'un des chefs de file de la campagne en faveur de l'interdiction des mines terrestres antipersonnel, «Lorsque le Sénat a adopté à l'unanimité l'amendement que j'avais proposé, prévoyant que les Etats-Unis renoncent à toute exportation de mines terrestres, le but était de donner à notre pays la possibilité de tenter de faire accepter un accord plus large, d'envergure internationale, pour faire disparaître le fléau que constituent les mines terrestres».

L'action menée par le Congrès a pris de court à la fois le Pentagone et les producteurs mondiaux de mines terrestres. Elle a, de plus, suscité un intérêt considérable, sur le plan international, quant aux moyens d'imposer des mesures de contrôle sur ce type de munition. L'élan en faveur d'une interdiction totale des mines terrestres s'est toutefois ralenti depuis l'entré en lice d'un lobby qui s'efforce de défendre les intérêts des différents appareils (armée et sécurité) à travers le monde. Les Nations Unies ont donc choisi de faire porter leurs efforts sur l'élimination du danger que constituent les mines terrestres déjà en place. L'Assemblée générale, à sa quarante-huitième session (1993), a adopté une proposition présentée par la Belgique portant sur le financement des opérations de déminage. En effet, celles-ci sont souvent une condition préalable au lancement de programmes de réinstallation ou de rapatriement. Cette résolution demandait au secrétaire général des Nations Unies de présenter à l'Assemblée générale un rapport d'ensemble sur les problèmes posés par les mines terrestres antipersonnel et d'examiner l'opportunité de la création d'un fonds d'affectation spéciale volontaire destiné à financer le nombre croissant d'opérations de déminage, condition préalable à toute mesure en faveur de la paix. Le Fonds d'affectation spéciale volontaire a été créé en novembre 1994; il est administré par le Département des affaires humanitaires des Nations Unies, lui-même créé en 1991 pour intervenir dans les situations de catastrophe humanitaire.[19 ]

L'Assemblée générale des Nations Unies a également adopté une résolution parrainée par les Etats-Unis demandant à la communauté internationale de proclamer un moratoire sur l'exportation des types de mines antipersonnel qui constituent un danger démesuré pour les populations civiles. Paradoxalement, les Etats-Unis ont été l'un des trois seuls pays qui se soient abstenus lors du vote, le même jour, d'une résolution demandant la convocation d'une Conférence des Nations Unies chargée d'examiner la Convention de 1980 qui impose des restrictions à l'emploi des mines. Contrastant fortement avec le soutien quasi universel accordé à la résolution, la position des Etats-Unis reflète, en partie, la manière dont la politique du pays est marquée par le désaccord existant entre le Pentagone et le Congrès sur la question des restrictions importantes à imposer à ces «tueurs cachés (hidden killers)». Dans une lettre au New York Times, le sénateur Patrick Leahy évoquait, en termes vifs, le principal obstacle sur lequel bute l'initiative des Nations Unies: le refus, au nom de la stratégie militaire, de renoncer à l'emploi des mines.

A la suite des efforts des ONG et du Symposium sur les mines antipersonnel organisé à Montreux en 1993 par le CICR, dix-huit pays producteurs de mines terrestres ont déclaré un moratoire sur le transfert et l'emploi de ces engins. En outre, l'Assemblée générale des Nations Unies, à sa quarante-neuvième session, a adopté le 15 décembre 1994 deux nouvelles résolutions[20 ] appelant notamment l'ensemble des Etats à adhérer au Protocole Il de la Convention de 1980 et à déclarer des moratoires sur les exportations de mines terrestres antipersonnel. La résolution A 49/75 indique que (pour des raisons humanitaires) les Etats devraient se rapprocher «de l'objectif final, à savoir l'élimination complète des mines terrestres antipersonnel», mais en prenant soin d'ajouter «à mesure que l'on trouvera d'autres moyens, viables et humains».

S'exprimant par la voix de l'ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations Unies, Madeleine Albright, l'administration Clinton a promis de mettre au diapason certains choix politiques et les valeurs auxquelles elle affirme tenir. L'ambassadeur Albright a promis que les Etats-Unis allaient multiplier les initiatives diplomatiques visant à réduire les ventes de mines terrestres antipersonnel et qu'ils allaient engager «avec les pays qui sont les principaux producteurs et exportateurs de mines terrestres, une discussion sur le contenu et la portée d'un régime permanent de contrôle des exportations»[21 ] (Traduction CICR). Réagissant à la levée de boucliers observée du côté du Pentagone, les ONG ont qualifié la position de l'ambassadeur Albright de ferme sur le plan rhétorique, mais politiquement inadéquate. L'abstention des Etats-Unis lors du vote sur la Conférence d'examen de la Convention de 1980 et le débat qui agite actuellement le Département américain de la Défense laissent présumer qu'il existe, au sein de l'administration, un clivage qui pourrait se solder par la perte du rôle de leader que jouent aujourd'hui les Etats-Unis et signifier la fin de tous les espoirs quant à une éventuelle interdiction des mines terrestres antipersonnel.[22 ]

En mai 1994, le président Clinton a soumis au Congrès un message lui demandant de ratifier le Protocole Il de la Convention de 1980, ce qui a été fait en mars 1995, avec toutefois certaines réserves. La législation prévoit que les Etats-Unis participeront à la prochaine Conférence d'examen de la Convention de 1980. Il semble que ce pays ne se prononcera pas en faveur d'une interdiction des mines terrestres, malgré l'insistance de plusieurs Etats, parties à la Convention depuis bien plus longtemps.

La réunion des Nations Unies sur le déminage, qui s'est tenue à Genève en juillet 1995, a rassemblé des ministres et hauts fonctionnaires de 97 gouvernements qui, pour l'une des premières fois à ce niveau, se sont efforcés de trouver une solution à l'échelle mondiale au problème des mines terrestres.

Les documents d'information présentés lors de la réunion de juillet montrent bien le caractère et la nature des nombreux problèmes que la «guerre des mines» entraîne pour les populations civiles une fois les hostilités terminées; ils montrent aussi la manière dont l'administration des Nations Unies se prépare à empoigner un problème qui dépasse les solutions actuellement proposées. Le président de la Réunion internationale sur le déminage, M. Eryk Derycke, ministre belge des Affaires étrangères, a déclaré que malgré le peu d'empressement mis par certains Etats à soutenir une interdiction totale des mines terre stres, la réunion de juillet avait pour but de mobiliser la communauté internationale et permettre d'espérer, à terme, une interdiction.[23 ] Les séances de travail se sont articulées autour des thèmes suivants:

1) Levés de champs de mines;

2) Méthodes actuelles de déminage;

3) Formation de démineurs autochtones;

4) Gestion des opérations de déminage;

  5)  Innovations techniques dans les domaines de la détection des mines et des champs de mines, et du déminage;

6) Traitement et rééducation des personnes blessées par des mines terrestres;

7) Déminage d'urgence: problèmes et solutions;

8) Sensibilisation et formation;

9) Programme intégré de déminage.

L'Assemblée générale des Nations Unies n'a pas encore demandé que la question des restrictions à imposer à l'emploi des mines soit portée, pour examen, à l'ordre du jour des réunions des Nations Unies sur le désarmement. Les ONG américaines affirment cependant que les Etats membres de l'Organisation des Nations Unies devraient faire bien plus que constituer un Fonds spécial destiné à financer les travaux de déminage.

L'ambassadeur de Sri Lanka auprès des Nations Unies (alors que, dans le cadre de la tragique guerre civ ile qui déchire son pays, les mines mises en place par les forces d'opposition ne cessent d'infliger de lourdes pertes aux forces gouvernementales) critique l'introduction de limitations à l'emploi des mines. Selon l'Ambassadeur Stanley Kalpage, «Dans le monde de la realpolitik qu'affectionnent les Nations Unies, les Etats membres paraissent peu convaincus qu'une interdiction totale puisse être autre chose que l'expression d'un humanitarisme romantique, du fait des difficultés liées à la conclusion et au respect d'accords internationaux dont la mise en oeuvre peut faire l'objet de vérifications» (Traduction CICR).  Les ONG qui soutiennent l'interdiction totale des mines terrestres affirment que cette interdiction relève intrinsèquement des préceptes du droit humanitaire demandant aux armées de ne diriger leurs attaques que contre des objectifs militaires, et non civils. La plupart des participants à la série de réunions organisées sur ce thème entre le CICR et les ONG sont convenus que le problème des mines terrestres est qu'elles sont incapables de distinguer les pas d'un civil des pas d'un militaire et qu'elles continuent à tuer longtemps après la fin du conflit.[24 ] La stratégie adoptée par le CICR et les ONG pour obtenir l'interdiction des mines terrestres consiste à stigmatiser les mines antipersonnel de la même manière que la guerre bactériologique et la guerre chimique ont été stigmatisées dans le passé, tout en pressant les gouvernements pour qu'ils prennent position et en focalisant l'attention à long terme sur ce problème.[25 ]

Les ONG   estiment que le fait de pouvoir informer le public, à l'échelle internationale, sur l'ampleur du problème des mines terrestres constitue une première victoire. Une question cruciale se pose à présent: comment déployer efficacement des efforts pour obtenir que des contraintes réelles soient imposées à l'emploi des mines en utilisant les sessions de la prochaine Conférence d'examen de la Convention de 1980 comme l'un des volets d'une stratégie de portée bien plus grande. Bien que le CICR soutienne l'initiative demandant l'interdiction de la production, de l'emploi et du transfert des mines terrestres, la Conférence d'examen n'offre que la vague promesse d'élaborer des normes qui imposeront des limitations de caractère technique dans le but d'enrayer le développement de moyens et méthodes de combat qui ne sont pas encore exploités.[26 ] La dimension la plus importante est, peut-être, l'extension aux conflits internes de l'application du Protocole II.[27 ] Outre les questions cruciales que constituent l'applicabilité aux conflits internes et la possibilité de contrôler, vérifier ou faire respecter toute nouvelle limitation, le débat sur les mines terrestres risque de se polariser, comme cela s'est passé aux Etats-Unis, entre les champions d'une interdiction totale immédiate et les partisans de l'introduction de modifications techniques, assortie d'un régime de contrôle des exportations qui risque de demeurer peu étanche. Peut-être le travail essentiel à entreprendre, quant au Protocole II, consiste-t-il non pas à se livrer à des joutes juridiques, mais à concevoir des programmes de déminage réalisables et à instaurer parallèlement un régime efficace de contrôle des exportations.

  IV. Stratégie militaire ou nécessité humanitaire?  

     

Jan Eliasson, ancien sous-secrétaire d es Nations Unies pour les Affaires humanitaires, a déclaré que l'évolution intervenue récemment dans la manière d'employer les mines antipersonnel en temps de conflit justifiait, à elle seule, leur interdiction totale.[28 ]

Comme son successeur, Peter Hansen, qui coordonne aujourd'hui le Programme de Déminage des Nations Unies, Jan Eliasson est en faveur d'une interdiction totale - en vertu du droit existant - de la production et de la vente des mines antipersonnel. «Les mines étaient autrefois utilisées à des fins défensives, dans le périmètre clairement délimité des champs de bataille. De nos jours, les civils, ou les territoires civils, étant toujours davantage pris pour cible de guerre, la mine terrestre antipersonnel qui tue longtemps après la fin des hostilités est utilisée pour semer la terreur»[29 ] (Traduction CICR).

C'est en cela que réside le problème humanitaire. Les représentants officiels des Etats, civils et militaires, qui s'opposent aux restrictions sur l'emploi des mines dans la guerre, défendent ces engins en tant qu'armes bon marché, techniquement simples à employer, qui contribuent à établir une «parité» dans les situations de lutte contre les insurrections.[30 ] L'idée est que les villages, les champs et les pâturages constituent des cibles «justifiables» du fait que l'ennemi peut y trouver refuge ou soutien.

Cependant, les engins explosifs légers et faciles à manier qui sont mis en place pour interdire l'accès aux forces ennemies, empêchent le plus souvent des civils de jouir pleinement de leurs villages et de leurs terres cultivables. Lors de la réunion d'experts gouvernementaux qui s'est tenue en janvier 1994 à Genève, le CICR a demandé aux représentants des forces armées du monde entier de se prononcer sur l'utilité militaire des mines.  La conclusion d'ensemble des experts militaires réunis lors de cette session a été que les mines rempli ssent une fonction militaire importante, bien que limitée. Les stratèges militaires britanniques, favorables à l'interdiction, indiquent cependant que c'est plus sur la coutume que sur la nécessité militaire que reposent les arguments avancés pour défendre la poursuite de l'emploi des mines terrestres antipersonnel.

Le 14 juin 1995, au Mozambique, les organisations gouvernementales et non gouvernementales réunies dans le cadre du premier symposium national consacré aux mines terrestres ont relevé que si les pays du tiers monde subissent les conséquences de l'emploi des mines, ce sont essentiellement les pays développés qui produisent ces engins. Us délégués ont également relevé que, bien qu'elles soient moins importantes que prévu, l'ampleur et les implications des problèmes liés aux mines constituent un obstacle à la reconstruction des pays. En outre, les Mozambicains ne veulent pas que les pays minés se trouvent marginalisés par rapport au débat mondial.[31 ]

Bien que les forces armées nationales aient une position résolument favorable aux mines, ce n'est pas une raison pour demander à elles seules de régler le problème des mines non désamorcées. Les mines antipersonnel sont également largement utilisées par certaines armées de guérilla non reconnues par les gouvernements, les belligérants cherchant souvent à se soustraire aux contraintes imposées par le droit international humanitaire. Les preuves que les insurgés utilisent toujours davantage les mines terrestres antipersonnel s'accumulent; la mine en plastique, si bon marché, constitue de plus en plus une «arme du pauvre» efficace qui au prix de trois à vingt dollars pièce - permet de réduire la mobilité des armées régulières, même les mieux équipées.

     

Pour ceux qui tentent d'obtenir l'interdiction des mines, les intérêts commerciaux constituent un obstacle moindre que les intérêts stratégiques. Pris dans son ensemble, le commerce mondial des mines terrestres représente chaque année environ 200 millions de dollars US, soit une part relativement modeste du budget mondial consacré aux armes - 600 milliards de dollars US - mais la demande de mines terrestres ne cesse de croître.[32 ] Si la fin de la guerre froide a conduit à une réduction des forces nucléaires, les affaires sont florissantes dans le domaine des petites armes classiques: les industriels se précipitent pour assurer l'approvisionnement des forces qui s'affrontent dans le cadre des vingt-neuf conflits qui, selon les estimations, sont en cours dans le monde.

Selon l'organisation Arms Watch, dont le siège est à New York, 100 sociétés, dans quarante-huit pays, produisent plus de 340 différents types de mines antipersonnel. La plupart des centres de production de mines terrestres sont des entreprises d'Etats. Les principaux exportateurs sont installés en Italie, Russie, Ukraine, Bélarus et Chine, ce dernier pays constituant également un marché potentiel important pour les firmes occidentales qui exportent des technologies associées aux mines. Pour des entreprises privées comme Daimler Benz (Allemagne), Tecnovar (Italie), Daewoo Corporation (Corée du Sud) ou Alliant (Etats-Unis), les ventes de mines terrestres entrent généralement dans le cadre d'une ligne de production plus large - elles ne figurent donc pas en tant que rubrique séparée dans les rapports annuels de ces sociétés. Selon une étude réalisée récemment par la Defense Intelligence Agency des Etats-Unis, on assiste aujourd'hui à une vé ritable prolifération des producteurs. Des pays tels que l'Afrique du Sud, la Chine, l'Egypte et le Pakistan ont été qualifiés de nouveaux «négociants ambitieux de mines terrestres, profondément impliqués dans la prolifération des dernières technologies» (Traduction CICR).

Les chiffres officiels placent les Etats-Unis loin derrière les pays qui tiennent le marché. Dans Landmines: A Deadly Legacy, l'organisation Human Rights Watch relève que les Etats-Unis ont abandonné le rôle de grand exportateur de mines qui était le leur à l'époque de la guerre du Viet Nam, le volume des exportations ayant atteint un niveau minimum avant la proclamation du moratoire de trois ans. Selon le rapport de Human Rights Watch, la société américaine Alliant Techsystems (dont le siège se trouve dans le Minnesota et qui est une ancienne filiale de Honeywell Inc. Defense Systems) est le principal fournisseur de munitions de l'armée des Etats-Unis. C'est aussi l'une des sociétés les plus engagées, sur le plan économique, dans la production de mines dotées d'un dispositif d'autodestruction. Il n'est donc pas surprenant qu'Alliant ait défendu auprès du Congrès l'idée de l'utilité des mines terrestres dotées d'un dispositif d'autodestruction, affirmant que ce dispositif constituait l'un des moyens de parvenir à l'objectif fixé par le Protocole Il de la Convention de 1980.[33 ] Selon Alliant, «les mines qui s'autodétruisent remplissent une fonction militaire, consistant à protéger les soldats des Etats-Unis grâce à l'effet multiplicateur, à la sécurité des troupes et à l'élimination des travaux longs et dangereux de déminage, ce que l'armée américaine comprend bien»[34 ] (Traduction CICR).

  V. Le droit   applicable  

Le droit qui régit l'emploi des mines terrestres antipersonnel se trouve principalement énoncé dans le Protocole II annexé à la Convention des Nations Unies de 1980, communément appelé «Protocole sur les mines».  L'adjonction de ce Protocole s'explique en grande partie par le nombre élevé de civils tués ou blessés au Viet Nam par des mines ou des munitions non explosées. La Convention de 1980 est basée sur le «principe qui interdit d'employer dans les conflits armés des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus». [35 ]

Le projet de Protocole initialement présenté par la Grande-Bretagne visait à réduire les pertes et dommages subis par les civils lors des conflits armés, s'inspirant des dispositions du droit coutumier codifié par les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 ainsi que des principes fondamentaux des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels qui imposent aux belligérants l'obligation de ne pas prendre pour cible les populations civiles.

Il est indéniable que les normes internationales s'appliquent à la conduite militaire. Nous en voulons pour preuve, à la fois, la reconnaissance explicite de la codification de La Haye lors des Procès de Nuremberg et le fait que la quasi-totalité des Etats ont ratifié les Conventions de Genève. Jusqu'à présent, toutefois, ces normes ont surtout permis de faire mieux prendre conscience des impératifs humanitaires, tout en servant, parfois, de base de référence lors de procès pour crimes de guerre ou pour différentes interventions. Elles n'ont été que rarement utilisées pour imposer des limitation s à la conduite des protagonistes dans le cadre d'un conflit interne. Grâce à la campagne pour l'interdiction des mines terrestres, les gouvernements ont aujourd'hui l'occasion de rompre avec la tradition et de donner toute leur signification aux principes humanitaires, au lieu de se plaindre après-coup d'une conduite jugée répréhensible par la communauté internationale.

Le Protocole sur les mines proclame que son intention première est de protéger les populations civiles contre les effets indiscriminés de la guerre. Il exige en outre que les combattants prennent «toutes les précautions possibles» (c'est-à-dire «les précautions qui sont praticables ou qu'il est pratiquement possible de prendre eu égard à toutes les conditions du moment» pour protéger les civils contre les effets des mines et des pièges.  Les parties sont aussi appelées à conserver des relevés des champs de mines pour faciliter les travaux de déminage une fois les hostilités terminées. Le Protocole Il (article 3, paragraphe 2) interdit «en toutes circonstances de diriger les (mines, pièges et autres dispositifs) contre la population civile en général ou contre des civils individuellement, que ce soit à titre offensif, défensif ou de représailles».

L'expérience montre toutefois que le Protocole Il a complètement manqué son but - protéger les civils innocents. En fait, depuis l'adoption il y a quinze ans de ce Protocole, le nombre de civils tués ou blessés par des mines a augmenté de façon spectaculaire. Malgré l'existence de preuves d'ignorance du droit qui régit l'emploi des mines, l'argument le plus fort - à la fois juridique et diplomatique - contre l'introduction de limitations consiste, pour les Etats, à prétendre que le droit existant ne s'applique pas aux conflits internes. Selon une conception traditionnelle de l'application du droit humanitaire - de la Convention de 1980 sur les armes classiques, notamment - la manière de se comporter à l'intérieur d'un Etat ne relève pas de la juridiction politique de la communauté internationale.[36 ] Etant donné, cependant, le nombre croissant de conflits internes et la «visibilité» toujours plus grande des problèmes d'ordre humanitaire, la question de l'adoption volontaire de mesures limitatives dans la conduite des conflits internes a pris une place plus importante dans le discours humanitaire.

Selon la Division juridique du CICR et certains juristes des ONG, l'emploi sans discrimination des mines terrestres antipersonnel dans les conflits armés est déjà illicite, en vertu du droit coutumier qui interdit d'employer les armes de manière aveugle. Cette position souligne la nécessité de parvenir à une interdiction globale des mines terrestres antipersonnel. En dépit de ce type d'interprétation, certains représentants de gouvernements préféreraient que des modifications soient apportées à la conception même des mines terrestres antipersonnel pour les munir d'un dispositif d'autodestruction. Leur position peut s'expliquer par un manque d'empressement à soutenir une action impopulaire auprès des stratèges militaires.[37 ]

Dans le monde entier, les mines suscitent toujours davantage de répulsion. Les efforts entrepris pour que celle-ci se transforme en normes susceptibles d'étayer l'action qui vise à obtenir leur interdiction sur le plan international ont considérablement attiré l'attention des médias, tant sur le problème lui-même que sur la prochaine Conférence d'examen de la Convention de 1980. Au-delà de la question de l'applicabilité aux conflits internés du Protocle II, le droit actuel ne prévoit aucune obligation en matière de déminage; il ne renferme aucune mesure de vérification ni aucune procédure de mise en application; il ne dit rien de la production ou du transfert des mines et il comporte , dans ses clauses essentielles, suffisamment de flou quant à son applicabilité aux conflits internés pour que les juristes poursuivent leurs débats pendant des décennies.[38 ]

  VI. Le déminage: un procédé lent et dangereux  

     

Les intérêts militaires et commerciaux font donc pencher la balance en faveur de l'obligation de doter les mines terrestres antipersonnel d'un mécanisme d'autodestruction. Cette alternative high-tech à l'interdiction de la production, du stockage et du transfert de ces engins. Le principal problème pratique se situe cependant ailleurs, puisqu'il s'agit de la nécessité de lancer un programme permanent de déminage. La technologie des mines devient de plus en plus sophistiquée, mais la technologie du déminage a pris du retard sur elle. Comme le relève Jan Eliasson, «Poser les mines est une chose, les enlever en est une autre!» Pour J. Eliasson, tout se résume à une question de budget. Si le Protocole II ne rend pas obligatoire, pour ceux qui posent les mines, de faire disparaître ces engins de mort une fois les hostilités terminées, «c'est, très probablement, la communauté internationale qui restera l'entité la plus exposée à devoir assumer le coût élevé des travaux de déminage». [39 ]

Le déminage et l'élimination des mines constituent des procédés non seulement onéreux - dont le coût se situerait entre 400 et 700 dollars US par engin - mais aussi primitifs, lents et dangereux. Les appareils électroniques utilisés pour la détection et l'enlèvement des mines perdent généralement toute efficacité en dehors des routes principales car les mines en plastique, d'usage répandu, sont difficiles à localiser et ne sont pas repérées par les détecteurs de métaux. Selon Rae McGr ath, directeur du Mines Advisory Group britannique qui réalise des programmes de déminage dans le monde entier pour le compte des Nations Unies, «la charrue paraît être un moyen efficace d'ouvrir une brèche dans un champ de mines, mais si le sol est trop rocailleux ou si le système d'approvisionnement en eau, les champs et les pâturages de la communauté sont concernés, le déminage exige le recours à la technique bien plus répandue, mais aussi très dangereuse et lente, du sondage manuel».[40 ]

Les problèmes de déminage semblent se trouver aggravés, et non atténués, par certaines technologies «dernier cri». Par exemple, un dispositif mis au point récemment dégage un nuage de vapeur d'éthylène qui, lorsque l'on déclenche son explosion, permet d'ouvrir une brèche dans un champ de mines. Le mélange combustible-air ne couvrant pas la zone de manière uniforme, son explosion laisse intactes certaines parties du champ de mines qui se trouve au-dessous. De plus, cette méthode controversée de déminage présente un potentiel offensif inquiétant. Il est, par ailleurs, impossible de l'utiliser dans des zones aussi sensibles que, par exemple, les installations de filtrage de l'eau ou les villages.

D'autres problèmes sont liés à la nécessité, pour les équipes de démineurs, de savoir à quel type de mines elles ont affaire - c'est là un problème considérable, car peu de zones minées font l'objet d'un relevé.  Au Koweït, plus de quatre-vingts membres des équipes de déminage ont déjà été tués. Pourtant, ce pays dispose de ressources suffisantes pour financer les opérations de déminage les plus efficaces qui soient et le personnel a été formé aux techniques les plus récentes.

  VII. Conclusion  

Si l'arme nucléaire a été le symbole de la guerre froide, les mines terrestres antipersonnel sont en train de devenir le symbole de «l'après guerre froide». La Conférence d'examen de la Convention de 1980 inscrit le problème des mines antipersonnel dans le contexte des conflits armés actuels et offre l'occasion de transformer le Protocole sur les mines en un instrument permettant de contrôler efficacement la production et l'emploi de ces engins.

Quelle que soit l'issue de la Conférence qui va se tenir à Vienne, les ONG et le CICR ont fait la preuve qu'ils sont désormais capables de pousser les Etats à l'action. Pour ces organisations, la Conférence de Vienne constitue une étape dans le continuum qui, à terme, permettra d'obtenir l'interdiction de la production, de l'emploi et du transfert des mines, d'instaurer un système de vérification et de promouvoir, dans le domaine de la détection des mines et du déminage, des technologies que les communautés locales seront à même d'appliquer. Il y aurait peu à perdre - et beaucoup à gagner - si une décision humanitaire intervenait clairement, rendant l'espoir aux populations, parmi les plus pauvres du monde, qui rêvent d'un avenir d'où la guerre serait absente et où la reconstruction de leur pays pourrait commencer.[41 ]

  Notes  

1. Voir Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention no IV du 18 octobre 1907), II, ch. I, art. 23(a), 36 Stat. 2277 T.S. No 539, imprimée in Documents on the Laws of War, 43, 52 (Adam Roberts and Richard Guelff, eds., 1982); Protocole de Genève du 17 juin 1925 concernant la prohibition d'emploi, à la guerre, de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, Manuel de la Croix-Rouge internationale, CICR, Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, Genève, 1983, p. 350. Voir également la déclaration de La Haye de 1899 (2) relative aux gaz asphyxiants, reproduite dans Documents on the Laws of War.  

2. Entretien avec Peter Hansen, sous-secrétaire du Département des affaires humanitaires, Genève, 5 juillet 1995.

3. Selon le Dr Rémi Russbach, médecin-chef du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dont il a créé la Division médicale, pendant la période allant de janvier 1991 à juillet 1992, 23 pour cent des 14 221 patients accueillis dans les quatre hôpitaux du CICR avaient été victimes de mines. Rémi Russbach, «Casualties of Conflicts and Mine Warfare», in A Framework for Survival: Health, Human Rights And Humanitarian Assistance In Conflicts And Disasters, Kevin M. Cahill éd., 1993, pp. 121 à 126 (ci-après Framework for Survival).  

     

  4. Bureau de la Sécurité internationale et des Opérations de maintien de la paix, Département d'Etat américain, Hidden Killers: The Global Problem with Uncleared   Landmines, p. 33, 1993 (ci-après Hidden Killers).  Le directeur du Programme de Déminage des Nations Unies, Patrick Blagden, articule le chiffre de 200 millions de mines disséminées dans le monde. «Summary of United Nations Demining Report presented by Patrick Blagden, United Nations Demining Expert» in ICRC Symposium on Anti-Personnel   Mines, Montreux, 21-23 Avril 1993, p. 117 (1993 - rapport publié en anglais seulement, ci-après Montreux Symposium.  D'autres estimations varient de 100 à 200 millions de mines. Voir Jan Eliasson, Département des Affaires humanitaires, Informal Paper on the   Subject of Land Mines, p. 1 (7 avril 1993) (archives de l'auteur).

5. Voir Asia Watch & Physicians For Human Rights, Land Mines in Cambodia: The   Coward's War, p. 9, 1991 (ci-après Land Mines in Cambodia).  

6. The Arms Project of Human Rights Watch & Physicians for Human Rights, Landmines: A Deadly Legacy,  

p. 431 (1993). La question du traitement des blessures provoquées par les mines terrestres est également traitée dans Robin M. Coupland & Adriaan Korver, «Injuries from Antipersonnel Mines: Tle Experience of the International Committee of the Red Cross», 300 British Medical Journal, p.1509 (1991) et dans Robin M. Coupland, «Amputation for Antipersonnel Mine Injuries of the Leg: Preservation of the Tibial Stump Using Medial Gastrocnemius Myopiasty», 71 Annals of   the Royal College of Surgeons, England, p. 405, 1989.

7. Entretien avec le Dr Rémi Russbach, 13 septembre 1993. Voir aussi, d'Alain Garachon, ICRC Technical Orthopaedic Programmes for War Disabled 2, 1993. Selon Alain Garachon, responsable des programmes de rééducation du CICR pour les handicapés de guerre: «Un enfant blessé à l'âge de dix ans, et qui peut espérer vivre encore 40 ou 50 ans, aura besoin au total de 25 prothèses. Au prix de 125 dollars US pièce, cela représente 3 125 dollars US. Chacun comprendra que, dans les pays où le revenu mensuel moyen se situe autour de 10 à   15 dollars US, la plupart des amputés doivent se contenter de béquilles» (Traduction CICR).

  8. Landmines: A Deadly Legacy, supra note 6, pp. 126-127.

9. Entretien avec le Dr Philippe Chabasse, directeur exécutif d'Handicap International (Londres, 18 mai 1993). Le Dr Chabasse avait relevé, dans son intervention lors du Symposium du CICR sur les mines antipersonnel, que «les familles possèdent de moins en moins de ressources, sur le plan financier et en matière de production, pour subvenir aux besoins» d'un nombre toujours croissant de handicapés.  Symposium de Montreux, p. 9, supra note 4. Egalement: Rendre la Terre à la Vie, Handicap International, juillet 1995.

10. Voir Hidden Killers, p. 10, supra note 4, «Les mines terrestres constituent un problème particulier pour les pays les plus pauvres du monde. Par exemple, l'Afrique rurale - la région du monde qui compte le plus de mines, puisque de 18 à 30 millions d'engins ont été mis en place dans 18 pays - possède le moins de capacité en matière de déminage. Il faut un soutien extérieur pour qu'une campagne de déminage efficace puis se être lancée», id., p. 34. «Au cours de l'exercice fiscal 1993, le Département d'Etat américain, USAID y compris, a alloué 9 millions de dollars à des programmes de déminage en Afghanistan, au Mozambique, en Somalie, au Cambodge et en Amérique centrale» (Traduction CICR), id., p. ii.

Dans sa déposition devant la Sous-Commission des Affaires étrangères du Sénat américain chargée de la question des mines terrestres, l'expert en déminage des Nations Unies, Patrick Blagden, a indiqué que 3 400 démineurs travaillant dans quatre pays n'ont réussi à enlever qu'entre 65 000 et 80 000 mines, soit environ un millième du nombre total d'engins que recèle aujourd'hui le sol de la planète. «Deux millions et demi de mines ont été mises en place en ex-Yougoslavie et au Cambodge, ce qui veut dire que nous sommes en train de perdre la bataille - le score est de 30 contre un» (Traduction CICR). Entretien avec Patrick Blagden, 13 mai 1994.

11. Entretien téléphonique avec Jan Eliasson, ancien sous-secrétaire général chargé des affaires humanitaires, 6 février 1994.

12. Entretien avec Joel Chamey, directeur du Programme international, Oxfam international, Londres, 25 mai 1993.

13. Voir Hidden Killers, pp. 153 et 154, supra note 4.

14. Entretien avec Mme Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Washington, D.C., le 13 mai 1994. L'entretien a eu lieu au moment de la déposition du Haut Commissaire devant la Sous-Commission des Affaires étrangères du Sénat américain chargée de la question des mines terrestres.

15. Déjà avant l'adoption des Conventions de Genève de 1949, les ONG et le CICR étaient intervenus pour protéger les civils contre les abus commis par les Etats. La tradition voulait que ces efforts soient déployés dans deux sphères où la discrétion est de mise: le droit humanitaire s'attache essentiellement aux questions militaires, renvoyant au temps de paix l'examen des problèmes liés au respect des droits de l'homme. Récemment, les organismes de défense des droits de l'homme, tels que Human Rights Watch et Amnesty   International ont commencé à prendre en compte le respect des principes du droit humanitaire dans leurs rapports sur la situation des droits de l'homme. Le point de convergence de ces deux branches du droit - droits de l'homme et droit humanitaire - semble être l'obligation incombant à la communauté internationale de protéger les civils contre les abus commis par les Etats dans le cadre des conflits internes. Voir, à ce propos, Theodor Meron, «On the Inadequate Reach of Humanitarian and Human Rights Law and the Need for a New Instrument», 77/3 American Journal of International Law, p. 589, 1983.

Parfois, cependant, l'action sur le terrain s'impose pour rapprocher ces deux ensembles de principes. Selon l'organisatrice de la campagne des ONG, Jodie Williams, «Lorsque les explosions de mines ont entravé les opérations de maintien de la paix de l'ONU, les préoccupations de l'ONU ont rejoint celles des ONG et le problème a gagné en notoriété.» (Traduction, CICR). Entretien avec Jody Williams, directrice de la Campagne contre les mines terrestres de la Vietnam Veterans of America Foundation - Washington, D.C., 18 décembre 1993.

16. Entretien avec Edward Cummings, du Bureau juridique du Département d'Etat et membre de la délégation des Etats-Unis aux réunions du groupe d'experts chargé de prépar la Conférence d'examen de la Convention des Nations Unies de 1980 sur les et la Conférence armes classiques, Washington, D.C., 12 août 1994. Selon E. Cummings, les Etats-Unis ne vont pas jusqu'à préconiser l'interdiction des mines. Lors de la conférence de presse qui a suivi son intervention à la Réunion internationale sur le déminage (Genève, 5-7 juillet 1995), parrainée par le Département des affaires humanitaires, le chef de la délégation des Etats-Unis, Cyrus R. Vance, a déclaré que, bien qu'il n'y ait pas unanimité au sein du gouvernement américain sur la question de l'utilité militaire des mines terrestres antipersonnel, «les Etats-Unis sont favorables à l'imposition de restrictions et de contrôles sur le stockage et la production des mines terrestres «et, dans toute la mesure du possible, aux mesures visant à n'autoriser que les seuls gouvernements à les employer. «Nous considérons qu'une interdiction totale est impossible, une grande majorité de pays n'étant pas favorables à une interdiction», a déclaré l'ancien émissaire du secrétaire général de l'ONU en Yougoslavie. (Voir ci-après pp. 441-442).

Dans sa déposition devant la Sous-Commission des Affaires étrangères du Sénat américain chargée de la question des mines terrestres, Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l'ONU, s'est déclaré en faveur d'une interdiction totale des mines terrestres:

«Une Convention internationale sur les mines est requise d'urgence. Elle devrait viser à obtenir un consensus quant à l'interdiction totale de la production, du stockage, du commerce et de l'emploi des mines et de leurs composants. Ce n'est qu'ainsi que la communauté internationale pourra commencer à faire de réels progrès dans sa lutte contre ces armes terribles qui tuent et mutilent des individus et détruisent des sociétés» (Traduction CICR).

Le secrétaire général de l'ONU s'est à nouveau prononcé en faveur d'une interdiction totale lors de la Réunion internationale sur le déminage. Dans l'allocution prononcée en séance plénière, le 6 juillet 1995, il a déclaré que le 50e anniversaire des Nations Unies offrait l'occasion d'entreprendre une action humanitaire claire. (Voir Réunion internationale sur le déminage, SGIConf. 712, 9 juin 1995).

Selon Steve Goose, le directeur d'Arras Watch, les ONG souhaitent maintenir la pression et enrôler davantage d'ONG, en particulier dans les pays en développement, afin de «donner à cette campagne un caractère beaucoup plus populaire». Entretien avec Steve Goose, directeur de Human Rights WatchlArms Watch Project, Washington, D.C., 12 août 1994.

17. Voir Document ONU CCW/Conf.I/GE/23 du 20 janvier 1995 . Voir aussi Mines terrestres et armes aveuglantes des travaux du Groupe d'experts à la Conférence d'examen: Communiqué et position du CICR, CICR, février 1995.

18. Entretien téléphonique avec Rod Bilz, Relations publiques, Aliant Techsystems -16 décembre 1993. Voir également John Ryle, «The Invisible Enemy», New Yorker, 29 novembre 1993, p. 120.

19. Supra, note 1. Peter Hansen a déclaré qu'il espérait que les Etats membres verseraient au Fonds d'affectation spéciale volontaire pour l'assistance au déminage des contributions d'un montant de 75 millions de dollars US. Entretien du 5 juillet 1995 à Genève.

20. Documents Nations Unies A/RES/49/75D et A/RES/49/79.

21. Entretien avec l'équipe des relations publiques de la Mission des Etats-Unis auprès des Nations Unies, Washington, D.C., 15 décembre 1993. L'ambassadeur Albright déclare également que les efforts entrepris pour persuader les membres de l'Assemblée générale des Nations Unies de déclarer un moratoire sur l'exportation des mines terrestres constituent «la première mesure s'inscrivant dans l'effort global engagé par l'administration Clinton à l'encontre des conséquences tragiques de l'emploi indiscriminé de ces engins». Madeleine Albright, Représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations Unies, communiqué de presse, 15 décembre 1993.

22. Dans une lettre adressée au sénateur Patrick Leahy, le secrétaire d'Etat Warren Christopher et le secrétaire à la Défense William J. Perry ont indiqué que l'administration était en train de procéder à un «examen approfondi de sa politique» afin de fixer les paramètres de la position des Etats-Unis à propos des mines terrestres. Cependant, la lettre laisse entendre qu'il est peu probable que les Etats-Unis soutiennent les efforts en vue de l'interdiction de ces dispositifs:

«Nous craignons que la législation que vous envisagez - interdisant aux Etats-Unis de produire et de se procurer des mines terrestres.antipersonnel - ne se révèle contreproductive par rapport à l'objectif que nous poursuivons tous, à savoir l'instauration aussi rapide possible d'un régime efficace de contrôle des mines terrestres antipersonnel. Le fait d'encourager l'adoption d'une telle législation préjugerait de la position des Etats-Unis lors des négociations et restreindrait notre marge de manoeuvre dans nos efforts de concertation avec les pays hostiles à l'instauration d'un régime de contrôle» (Traduction CICR).

Lettre du secrétaire d'Etat Warren Christopher et du secrétaire à la Défense William J. Perry au sénateur Patrick

Leahy, 28 juin 1994 (archives du sénateur Leahy) (dénommée ci-après lettre Christopher).  

     

Le sénateur Leahy relève que si les administrations précédentes n'ont pas obtenu la ratification de la Convention de 1980 sur les armes classiques, c'est en raison de leur différend avec le Congrès à propos de la ratification de deux instruments internationaux antérieurs relevant du droit de la guerre: les Protocoles I et Il additionnels aux Conventions de Genève de 1949 que les Etats-Unis ont signés en 1977. L'administration Reagan a soumis pour ratification le Protocole additionnel Il, de portée plus modeste, refusant d'accorder son soutien au Protocole additionnel I, de portée plus large. La Commission des Affaires étrangères du Sénat a refusé d'intervenir, attendant pour se prononcer sur l'un ou l'autre des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève - pourtant acceptés de manière quasi universelle - que ces deux instruments lui soient soumis. Le Département de la Défense procède actuellement à l'examen des Protocoles additionnels.  Le différend apparu à leur propos entre l'exécutif et le Congrès est en partie responsable du refus des administrations Bush et Reagan de soumettre la Convention de 1980 à la ratification du Congrès. Entretien avec le sénateur américain Patrick Leahy, Washington, D.C., 13 mai 1994.

23. Entretien, Genève, 5 juillet 1995.

24. Conférence internationale pour la protection des victimes de la guerre, CICR (Genève, 30 août-1er septembre 1993). La Déclaration finale de la Conférence, que les 169 Etats participants ont adoptée par consensus le 1er septembre 1993 concluait: «Nous refusons d'accepter que les populations civiles deviennent de plus en plus souvent la principale victime des hostilités et des actes de violence perpétrés au cours des conflits armés.», RICR, No 803, septembre-octobre 1993, p. 401.

La guerre civile du Cambodge est le premier conflit dans lequel les mines ont fait plus de victimes que toutes les autres armes. Le Cambodge est, de tous les pays du monde, celui où le pourcentage d'invalides est le plus élevé. Sur ses 8,5 millions d'habitants, le pays compte plus de 30 000 amputés, tandis que quelque 5 000 amputés de plus vivent dans les camps de réfugiés situés le long de la frontière thaïlandaise. Pour la seule année 1990, le nombre total de Cambodgiens ayant dû subir l'amputation d'une jambe ou d'un pied par suite d'une blessure par mine a atteint 6 000 personnes. Voir Eric Stover & Dan Charles, «Cambodia's Killing Minefields», New Scientist, 19 octobre 1991, p. 29; Landmines in Cambodia, supra note 5, pp. 59 à 79; Conférence des ONG sur les mines   antipersonnel, Londres, 24-26 mai 1993.

25. Aryeh Neier, directeur de la Fondation Soros, dans l'allocution liminaire qu'il a prononcée lors de la Conférence des ONG (animée par la Vietnam Veterans of America   Foundation) sur les mines antipersonnel (Londres, 24 mai 1993). A. Neir a conseillé à la coalition des ONG de «stigmatiser» l'emploi des mines dans la guerre, comme la communauté internationale avait stigmatisé les armes biologiques et chimiques. Depuis le Symposium de Montreux, organisé par le CICR, et la Conférence des ONG qui s'est tenue à Londres, les Etats producteurs ont institué des moratoires sur les mines terrestres. De son côté, l'Organisation de l'Unité africaine s'est déclarée en faveur de l'imposition de limitations à l'emploi des mines terrestres, tandis qu'au Mozambique, les ONG organisaient en juin 1995 un symposium national sur l'ampleur du problème dans le pays.

26. Voir Louise Doswald-Beck, éd., Les armes qui aveuglent: Rapports des réunions   d'experts organisées par le Comité international de la Croix-Rouge sur les lasers de   combat, 1989-1991, CICR, Genève 1993.

27. L'un des Problèmes principaux que devra aborder la Conférence d'examen de la Convention de 1980 réside dans l'extension aux conflits armés internes du champ d'application de ce traité. Le présent article ne saurait retracer l'historique de l'évolution du droit visant à imposer des restrictions humanitaires dans les conflits internes, mais il est à noter que l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 impose des obligations juridiques aux parties engagées dans une guerre civile. En 1975, Antonio Cassese a avancé l'argument selon lequel il existe des règles coutumières propres à la guerre civile. Voir Antonio Cassese, «Me Spanish Civil War and the Development of Customary Law Conceming Intemal Armed Conflicts», in Current Problems of   International Law, p. 287 (Antonio Cassese éd., 1975). Le Protocole Il confirme la validité de l'argument selon lequel il existe des règles juridiques propres à la guerre civile et fournit quelques informations sur les droits de l'homme dont jouissent les civils en temps de conflit armé interne . David P. Forsythe, «Human Rights and Internal Conflicts: Trends and Recent Developments», 12 California Western International Law Journal, pp. 287, 294; Robert K. Goldman, «International Humanitarian Law and the Armed Conflicts in El Salvador and Nicaragua», 2 American University Journal of International Law and   Policy, pp. 539, 543 (1987). Selon le CICR, la Convention s'applique à la fois aux mouvements de libération et aux Etats parties: Yves Sandoz, «Nouveau développement du droit international: interdiction ou restriction d'utiliser certaines armes classiques», RICR, NI 727, janvier-février 1981, p. 3.

28. Entretien avec Jan Eliasson, supra note 11 - L'intérêt accru porté au droit humanitaire applicable dans les conflits armés est dû, en partie, à l'importance stratégique des conflits internes dans le cadre desquels les populations civiles constituent la principale cible des hostilités.

29. Entretien avec Jan Eliasson, supra note 1 1. Voir également «Cambodia's Killing Minefieids», supra note 24; Americas ivatch, Landmines in El Salavador and Nicaragua:   The Civilian Victims (1986).  

     

  30. Réunion de la Société américaine de Droit international, Washington, D.C., 6-9 avril 1994.

31. Entretien avec Joao Paulo Cuelho, président du symposium sur les mines terrestres organisé sous l'égide de l'Uni versité Eduardo Mondlane et Human Rights Watch, 14 juin 1995.

32. Landmines: A Deadly Legacy, supra note 6, pp. 35 et 37. Cela est particulièrement vrai en ce qui   concerne les ventes des mines dispersables en plastique. Toutefois, la difficulté de connaître le volume de production et de vente des mines terrestres est encore accrue par le fait qu'aucune société ne déclare publiquement le montant de ses ventes de mines terrestres. Pour se rendre compte de la variété de mines disponibles sur le marché, se reporter au catalogue Jane's Military Vehicles and Logistics 1992-1993, 1993.

33. Entretien avec Tim Rieser, collaborateur du sénateur Patrick Leahy, Washington, D.C., 12 juillet 1994. T. Rieser a relevé que plusieurs conversations ont été engagées par des représentants d'Alliant dans le but d'obtenir officieusement un soutien en faveur de la solution consistant à doter toutes les mines d'un dispositif d'autodestruction.

34. Alliant Techsystems, Communiqué de presse, 16 décembre 1993 (portant essentiellement sur la façon dont la société juge les efforts visant à réduire l'impact des mines sur la population civile).

35. Préambule de la Convention de 1980 sur les armes classiques.

36. Le problème de l'applicabilité du Protocole Il aux conflits internes est apparu comme un problème de fond lors des sessions du groupe d'expert chargé de préparer la Conférence d'examen de la Convention de 1980. Les débats ont mis en lumière les «tensions» entre, d'une part, le droit de tout Etat de défendre sa souveraineté nationale et son indépendance politique et, d'autre part, s on devoir de respecter les droits de la population civile. Voir Document ONU CCW/CONF.I/GE/8 (27 mai 1994) - Rapport   intérimaire du groupe d'experts gouvernementaux appelé à préparer la Conférence des   parties chargée de l'examen de la Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi   de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets   traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination.  Document ONU GAOR, 49e session, point 10 de l'ordre du jour, p.8 - Document ONU CCW/CONF. I/GE 8 (1994). Le rapport de synthèse précise que la question d'étendre la portée du Protocole Il et/ou de la Convention dans son ensemble a été discutée pour étendre au moins la portée de manière à couvrir les conflits non internationaux qui, selon la présidence, posent le problème le plus important.  Id. La «Variante A» et la «Variante B» proposées pour l'article 1 reflètent la nécessité de protéger les populations civiles «en toutes circonstances «et laissent supposer l'applicabilité aux conflits internes du Protocole révisé. Voir Document ONU CCW/CONF. I/GE/23 -Rapport final du groupe d'experts gouvernementaux, établi à l'issue de la quatrième session, 20 janvier 1995.

  Human Rights Watch défend l'idée selon laquelle le Protocole Il s'applique aux conflits internes puisque la nécessité de protéger les populations civiles contre les combattants reste la même, qu'il s'agisse d'une guerre internationale ou non internationale.  Entretien avec Steve Goose, directeur adjoint d'Ams Watch.  En outre, le CICR attache une grande importance aux procédures de vérification confiées à un organe de contrôle permanent et indépendant.

37. Louise Doswald-Beck, Division juridique du CICR. Les règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés reflètent une tension entre les «normes de la civilisation et les nécessités de la guerre». Entretien, Genève, avril 1994.

38. Quelques Etats membres voient dans les sessions préparatoires de la Conférence des Nations Unies l'occasion de soulever dans son intégralité la question de l'évolution, sous l'angle humanitaire, des armes nouvelles. Le CICR a, par exemple, manifesté clairement son souci d'examiner des armes nouvelles telles que les armes à laser antipersonnel, afin de se placer en amont de l'évolution des technologies au lieu de tenter de «réparer les dégâts» après coup. Voir Anita Parlow et Bob Deans, «Long After Wars End, Land Mines Remain, Bringing Death Underfoot», Atlanta Journal & Constitution, 16 janvier 1994 (AI). Voir également Anita Parlow, «Banning Land Mines», 16 Human Rights Quarterley, No 4, novembre 1994, p.715.

39. Le président du CICR, Cornelio Sommaruga, promet que l'institution poursuivra la campagne contre les mines terrestres dans le cadre de ses efforts pour créer un monde dans lequel un «espace humanitaire» est préservé. Entretien, Genève, 8 mai 1995.

40. Rae McGrath, Report on the Afghanistan Mines Survey 58, London, England, 1991.

41. I'auteur remercie la William Penn Foundation, ainsi que Mme Kenneth Montgomery, le Uniterra Found,  

  Reebok International et la Public Welfare Foundation, dont le soutien a permis la rédaction du présent document qui fait partie d'une série d'articles sur les droits de l'homme et l'action humanitaire.