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Mali : « J’ai encore du mal à croire que tout ceci m’appartient »

la journée de travail de Ramata commence par des nattes sur demande de sa cliente
Aminata Cissé

Initialement conçu pour garantir l’accès aux services de réadaptation physique de qualité aux personnes vivant avec un handicap en lien avec le conflit et d’autres situations de violence, le programme de réhabilitation physique (PRP) du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’est progressivement étendu aux personnes les plus vulnérables, notamment celles qui nécessitent une prise en charge en appareillage orthopédique et des soins de kinésithérapie.

En 2005, la vie de Ramata a complètement basculé. Victime d’un accident de circulation, la petite, alors âgée de sept ans, a vécu un grand traumatisme. 

« J’ai énormément pleuré le jour de mon amputation. Je pensais ne plus jamais remarcher ni jouer comme les autres enfants », confie-t-elle. 
« J’étais sortie ce jour-là pour faire une commission pour ma mère. En traversant la route, un bus de transport public m’a percutée à pleine allure ».

Transportée d’urgence à l’hôpital Gabriel Touré de Bamako, Ramata a failli perdre la vie ce jour-là. Après les analyses, le verdict est tombé : ses fémurs et ses tibias étaient gravement endommagés et elle avait perdu une quantité importante de sang. La jambe gauche pouvait guérir, mais il fallait amputer la droite.

Pour les parents de Ramata, c’était un cauchemar. Comment allait-elle vivre ? Pourrait-elle se marier un jour ? Avoir des enfants, travailler ? Qu’en serait-il du regard de la société ? Comment subvenir à ses besoins alors qu’ils peinaient à joindre les deux bouts ? Les questions et les appréhensions rendaient les nuits longues.

Après l’amputation et les soins cliniques, des personnes de bonne volonté ont soutenu la famille dans l’acquisition de sa première prothèse. Mais pour la petite fille, les regards indiscrets et les moqueries de ses camarades de classe étaient difficiles à supporter.

« J’étais devenue très bagarreuse. Je me souviens de mon retour à l’école, on me regardait bizarrement avec la prothèse qui attirait trop d’attention. Certains m’ont traitée d’estropiée pendant que d’autres rigolaient. Je pleurais beaucoup et m’isolais. Je restais dans la classe même durant les heures de pause », se souvient Ramata.

Il aura fallu cinq ans pour qu’elle se sente plus à l’aise avec sa nouvelle condition. Durant ce temps, sa famille la soutenait au mieux et essayait de la traiter comme les autres enfants afin qu’elle ne se sente pas différente. Malgré les encouragements à sortir de la maison et à jouer avec ses camarades du même âge, elle préférait souvent rester à l’intérieur.

À force de rester assise et de garder la prothèse en permanence, des plaies se sont développées au niveau du moignon et se sont infectées. Il aura fallu l’intervention des médecins en termes de soins, mais aussi d’un appui psychosocial continu de son entourage. 

« Pendant l’adolescence, je participais à toutes les tâches ménagères : vaisselle, balayage … J’ai recommencé à être plus sociable, à me faire des amis et à l’école, ma jambe n’attirait plus l’attention, les gens étaient habitués ».

La nouvelle jambe de Ramata lui permet de tenir debout pour faire les coiffures.

De la réadaptation physique à l’autonomisation

Initialement conçu pour garantir l’accès aux services de réadaptation physique de qualité aux personnes vivant avec un handicap en lien avec le conflit et d’autres situations de violence, le programme de réhabilitation physique (PRP) du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’est progressivement étendu aux personnes les plus vulnérables, notamment celles qui nécessitent une prise en charge en appareillage orthopédique et des soins de kinésithérapie.

 

« Nous ne nous contentons pas de fournir des appareillages orthopédiques ou de dispenser des soins de kinésithérapie. Nous œuvrons aussi pour l’intégration sociale des personnes vivant avec un handicap par le biais de formations professionnelles, d’activités sportives et du soutien aux initiatives génératrices de revenus », précise Martin Hakizimana, chef du programme PRP.

L’histoire de Ramata est l’illustration même de cette chaîne de services offerte par le PRP. Nous la retrouvons dans son tout nouveau salon de coiffure « Handi beauté ». Avec soin et délicatesse, elle démêle les cheveux de sa cliente avant de commencer à natter. Tout en veillant discrètement à la qualité du travail effectué par ses employées.

« Même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais pensé être propriétaire d’un salon de coiffure. J’ai encore du mal à croire que tout ceci m’appartient », se réjouit-elle, les yeux brillants de larmes.

C’est en 2020 que Ramata a rencontré les agents du CICR. Son profil correspondait aux critères du programme PRP et sa prise en charge en appareillage a commencé. 
« Nous effectuons des consultations régulières avec elle et sa prothèse est renouvelée chaque fois que nécessaire. Ramata est très dynamique, c’est une battante », affirme Sylvain, un orthoprothésiste du CICR.

Venant d’une famille de onze enfants, Ramata a dû abandonner l’école après l’obtention du diplôme d’études secondaires. Elle était pressée de travailler pour soutenir sa famille. Son père, ancien chauffeur, avait pris sa retraite et sa mère commercialisait des petits articles au marché local. 
« J’avais commencé des études d’aide-soignante, mais j’ai arrêté au bout de six mois, car je n’avais pas d’argent pour payer les frais », déclare Ramata.

À travers son volet d’inclusion sociale, le CICR l’a inscrite à une formation pratique en coiffure dans un centre de renommée nationale qu’il a financée intégralement. La formation s’est soldée par la présentation d’un projet de salon, retenu quelques mois plus tard pour bénéficier d’un financement. 

« Quand on m’a annoncé que je participerais à la formation, je n’y croyais pas. J’étais très sceptique et mes parents aussi. Après qu'on m’ait appris la sélection de mon projet, j’ai pleuré de reconnaissance ce jour-là. Déjà qu’on m’offre des prothèses régulièrement, que j’ai été formée sans rien dépenser, là j’allais travailler à mon propre compte. C’est plus que ce que je pouvais espérer », raconte-t-elle, émue.

une vue sur son salon
Aminata Cissé

La nouvelle jambe de Ramata lui permet de tenir debout pour faire les coiffures.

Situé en plein cœur de Bamako, le salon « Handi beauté » offre des services de coiffure, de maquillage, de henné et de pédicure – manucure. D’autres jeunes femmes en situation de handicap y travaillent en plus de Ramata. Le financement du CICR a consisté à équiper complètement le salon, mais aussi à y installer des panneaux solaires afin que le travail ne soit pas affecté par la crise énergétique dont souffre actuellement le pays. Pour assurer une gestion optimale du salon, Ramata a participé à une formation en gestion de projet.

« Je suis reconnaissante pour tout. Ce salon va me permettre d’être complètement autonome et de prendre soin de ma famille. Pour le moment, c'est tout nouveau et donc nous n’avons pas beaucoup de clients, mais avec les autres filles, nous avons pensé à créer un compte TikTok pour faire de la publicité. Nous allons tout faire pour que ce salon prospère. Je sais désormais que l’avenir me réserve encore de belles choses », conclut-elle en souriant.