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Mali : Anderamboukane, jadis une ville prospère, aujourd’hui dépouillée à cause des violences armées

L'une des dernière image faite à Ander avant la suspension des actions dans cette zone
CICR

Anderamboukane (communément appelée Ander) est située à la frontière avec le Niger, à 94 km à l’ouest de la ville de Ménaka. Nichée au creux de la vallée d’Assakaraye, la ville d’Ander était connue pour sa beauté singulière, sa majestueuse mare qui contraste avec les dunes et le festival culturel Tamadacht qui s’y tenait régulièrement.  Aujourd’hui, c’est une ville fantôme coupée de tout. La violence armée y sévit et les habitants luttent pour survivre. 

Ahmad*, témoigne des défis rencontrés par les populations de cette zone, où aucune organisation humanitaire n'a accès depuis 2022. 

Rester, malgré tout …

Agriculteur à Ander, Ahmad a 58 ans, est père de 12 enfants. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’a rencontré dans la ville de Ménaka où il séjournait, le temps d’une visite à sa famille. 

« À Ander, il ne reste presque plus rien. Médicaments, eau, nourriture … tout manque », commence-t-il.

Quand les violences ont pris de l’ampleur en 2023, nous avons tous fui. Comme beaucoup, j’ai emmené ma famille à Ménaka ville, certains se sont rendus à Kidal et d’autres ont traversé la frontière vers le Niger. Le trajet jusqu’à la ville a duré des jours car nous n’avions que des ânes comme moyen de transport. Une fois arrivés, nous avons dû affronter un nouveau problème : trouver un abri alors que les sites pour déplacés étaient déjà saturés. Heureusement, un ami a bien voulu héberger ma famille dans sa maison.  

Après leur installation, je suis retourné à Ander avec d’autres chefs de famille. Nous n’avions pas le choix, nos maisons, nos champs, tout est là-bas. Au moins, nous avions l’esprit plus ou moins serein car nous savions que nos familles étaient en sécurité en ville, à Ménaka.

Dans cette localité fermée, la radio reste notre seul lien avec le monde extérieur. Les lignes téléphoniques étant inutilisables, le maintien de la communication avec nos familles repose principalement sur la bonne volonté des personnes qui se rendent en ville : elles transmettent nos messages et, à leur retour, nous transmettent les leurs.

Ahmad arpente la ville de Ménaka, où s’est déplacée sa famille, pour régler quelques affaires
Almaimoune Ag Mahamadou

L’agriculture et l’élevage : des pratiques qui disparaissent

« L’agriculture était une activité exercée tout au long de l’année. Les céréales telles que le mil, le maïs, le sorgho, ainsi que les légumineuses comme le haricot, sans oublier les fruits tels que la pastèque, étaient cultivés en abondance. Une partie de cette production était réservée à la consommation locale, tandis que l’autre était commercialisée dans différentes localités, notamment dans les villages situés à proximité de la frontière avec le Niger.

En 2023, le conflit a pris de l’ampleur et tout a changé. À mesure que les affrontements s'intensifiaient, notre capacité de production s’amenuisait, car nous ne pouvions plus exploiter pleinement l'ensemble de nos terres. Contraints de nous cacher pour cultiver, nous avons perdu l'accès à une main-d'œuvre suffisante ainsi qu’à des semences de qualité. 

Tout ce que nous parvenons à produire est désormais directement consommé, et lorsque le besoin d'argent se fait sentir, nous vendons une partie de nos récoltes à des prix dérisoires juste pour subvenir à nos besoins de base. Par exemple, l'année dernière, ma femme est tombée malade. Pour la soigner, j'ai dû vendre un sac de 100 kg de mil.

De toute façon, même si on parvenait à produire en quantité, que pourrait-on bien faire de cette production quand il n’y a plus de foires et qu’on n’a pas d’accès aux axes de commerce ?

L’élevage quant à lui est devenu un souvenir lointain. Il n’y a plus d’animaux. Lorsque les gens ont pris la fuite dans le chaos des affrontements, de nombreuses familles ont perdu leurs troupeaux pour diverses raisons : vols, pénurie d’eau et de pâturages, maladies, entre autres. Quant à mes bêtes, elles se sont dispersées et je ne les ai jamais retrouvées. Seules quelques familles possèdent encore une petite quantité de moutons et de chèvres. Ce sont ces familles qui nous fournissent du lait et quand une tête est abattue, elles partagent aussi la viande. En retour, nous partageons aussi les céréales. »

Les aléas climatiques : Les champs sont inondés, la mare tarie, le sable avance

« L’année passée, une quantité abondante de pluie est tombée, dépassant ce que la terre pouvait absorber. Résultat : nos champs ont été inondés. Cette année en revanche, les précipitations n'ont pas provoqué d'inondations. La mare est remplie mais débordera-t-elle ou finira-t-elle par s’assécher ? Nul ne peut le savoir. Auparavant cette mare ne tarissait pas et regorgeait de poissons tout au long de l’année, ce qui nous permettait de les commercialiser dans les localités voisines. Mais, depuis quelque temps, en saison sèche, elle n’est plus qu’un lit de sable presque dépourvu de poissons. Pour satisfaire nos besoins en eau, nous devons creuser des puisards directement au seuil de la mare asséchée. Quant aux anciens forages qui étaient autrefois fonctionnels, ils sont aujourd’hui inutilisables. Même l’eau potable est devenue une denrée rare par ici. »

CSCOM Ander
Sidi B Diarra

Plus de centre de santé à Ander

« Par le passé, Ander avait un centre de santé communautaire (CSCOM) où la population se rendait pour les moindres soucis de santé. Depuis 2023, il a été relocalisé à Ménaka ville en raison de l’intensification du conflit. Lorsque nous tombons malades, nous avons recours à des traitements traditionnels, faute de moyens modernes sur place. Quand l’état d’un patient s’aggrave, il est transporté d’urgence à dos de mulet, à l'aide d'une charrette ou à moto pour les plus nantis, jusqu’à la ville, où se trouve le centre de santé le plus proche. Mais ce déplacement comporte des risques. La longue distance et les chemins difficiles rendent ces évacuations particulièrement dangereuses. »

Le CICR a longtemps été l’une des seules organisations à œuvrer à Ander 

Jusqu’en 2022, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) était l’une des rares organisations à pouvoir mener des actions humanitaires d’urgence à Ander. Il y menait des actions de protection et d’assistance comme le rétablissement des liens familiaux, le soutien régulier au CSCOM à travers des médicaments et consommables, la vaccination du bétail, des distributions de vivres …  

Malheureusement, l'intensification du conflit a rendu l’accès impossible et contraint le CICR et d’autres organisations à suspendre leurs activités dans la zone. La situation humanitaire, autrefois précaire, est de plus en plus préoccupante.

« La ville accueille aujourd’hui une importante concentration de PDI venant de tous les cercles de la région de Ménaka avec des besoins humanitaires considérables, divers et variés qui touchent particulièrement à la sécurité alimentaire », explique Ghislain Fernand NGONO OYONO, chef de bureau du CICR à Ménaka. « Faire face à tous ces besoins est un défi quotidien à relever avec des ressources limitées dans un contexte très difficile où l’accès humanitaire demeure considérablement limité ». 

Face à ces contraintes et fidèle à son mandat, le CICR développe néanmoins des approches alternatives afin de protéger et d’assister autant que possible les populations vivant dans la ville de Ménaka et celles en dehors. Ainsi, en juillet 2025, nous avons soutenu 120 familles d’agriculteurs déplacés, comme celle d’Ahmad, originaires de Ménaka, d’Anderamboukane et d’autres localités de la région. Elles ont reçu des semences de mil et de haricot, ainsi que des rations alimentaires (riz, haricot, huile et sel) leur permettant de préserver leurs récoltes pour les saisons à venir. »

Distribution des semences et des rations alimentaires aux agriculteurs de Ménaka et d’Ander
Almaimoune Ag Mahamadou

Il demeure toutefois essentiel que toutes les parties au conflit garantissent un accès sûr et sans entrave au CICR et aux autres acteurs humanitaires, afin de permettre la protection et l’assistance des populations les plus vulnérables touchées par le conflit armé dans toute la région de Ménaka.

Ghislain Fernand NGONO OYONO Chef de bureau du CICR à Ménaka

Présent à Ménaka depuis 2014, les actions du CICR dans cette région visent à:

  • Répondre aux besoins vitaux des populations affectées par les conflits et les déplacements.
  • Renforcer l'accès aux soins de santé à travers des appuis ponctuels en médicaments et consommables.
  • Assurer l’accès à l’eau potable via la réalisation ou la réhabilitation de forages.
  • Promouvoir la résilience des communautés à travers les activités génératrices de revenus et celles de préservation de leurs ressources, comme la vaccination du bétail,
  • Préserver la dignité humaine dans un contexte de forte précarité.
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Sensibilisation sur les règles du DIH
Après une longue attente, Adiza reçoit les nouvelles de sa tante
Distribution de vivres et articles essentiels de ménage à Menaka