Mali: Oumou, une enfance volée

Depuis sept ans, Oumou* vit avec sa famille sur un site de déplacés internes dans la commune de Djenné, au centre du Mali. Secouée par une multitude de chocs émotionnels après avoir fui son village à la suite des violences armées, elle a bénéficié d’un soutien psychosocial dans un centre de santé soutenu par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Auparavant, l’adolescente, alors âgée de 13 ans, vivait une vie paisible entourée de ses parents, de ses deux frères et de sa jeune sœur. Elle a grandi dans un environnement rural structuré autour des activités agropastorales et d’un tissu social solidaire profondément enraciné dans les traditions. Malheureusement, tout a basculé quand les violences armées atteignirent son village. Son esprit d’enfant a grandi trop vite, trop tôt, laissant place à une vie de jeune fille déplacée, marquée par les séquelles d’un traumatisme invisible.
« Lorsque mon village a été attaqué en 2018, ma vie a subitement changé. Nous vivions tranquillement et nous n’imaginions pas que les violences armées pourraient à ce point bouleverser nos vies. Du jour au lendemain, nous ne pouvions plus aller aux champs ni aux pâturages. Pour subvenir à nos besoins quotidiens, nous utilisions les rendements de nos récoltes précédentes et de l’élevage. Une précarité sans précédent s’est alors installée dans le village, et les violences armées continuaient à nous accabler. La même année, ma famille a décidé de fuir, puis d’autres nous ont rejoints dans ce périple. Ensemble, avec le peu de biens que nous avions pu emporter, nous avons pris la route vers Djenné, à des centaines de kilomètres du village » raconte -t’elle.
Diaba, un refuge fragile
Diaba est un village de la commune de Djenné. Ici, les sites de déplacés se sont multipliés. Les familles, à l’instar de celle d’Oumou, continuent de s’y installer bien que les sites soient fortement peuplés.
« Nous avons été logés dans un abri de fortune en banco, nous n’avions ni toiture adéquate ni plancher stable » explique Oumou.
Déjà tourmentés et affaiblis par les violences armées et les défis liés à leur nouvelle condition de déplacés, Oumou et sa famille n’ont pas été épargnés par les intempéries climatiques de 2024.
« Pendant la saison des pluies, notre abri a été totalement inondé. L’eau a emporté une grande partie des rares biens qui nous restaient. Il nous était encore plus difficile de subvenir à nos besoins alimentaires. Si on tombait malade, l’accès aux soins était une lutte » continue-t-elle.
En dépit de ces épreuves, il n’était pas envisageable pour eux de retourner dans leur village en raison de la violence persistante.

Un revers de plus : un incendie
En février 2025, les braises encore ardentes d’un foyer traditionnel ont déclenché un incendie. Ravivé par un vent violent, le feu s’est rapidement propagé, détruisant les habitations voisines construites en banco et en chaumes. L’abri de fortune de la famille d’Oumou n’a pas été épargné. Ils ont pu sauver leurs vies, mais pas leurs biens : « les maigres ressources que nous préservions sont parties en fumée. Cette fois, nous n’avions plus rien ».
Pour Oumou, c’en était trop. Les chocs liés à l’enchaînement de ces événements ont laissé de profondes séquelles. « Même lorsqu'elle réussissait à s’endormir, elle se réveillait toujours en sursaut et en criant « Ils arrivent, ils arrivent ! » explique Madina*, sa mère.
Ne sachant plus à quel saint se vouer, ses parents ont décidé de contacter un leader communautaire du site avec l’espoir que ce dernier puisse trouver l’aide nécessaire.
Des services de santé mentale presque inexistants
Le CICR travaille étroitement avec les leaders communautaires dans les zones où il intervient. Ibrahim* chef d’un site des déplacés de Diaba, a décidé de contacter l’organisation, car il a connaissance qu‘elle apporte une aide vitale aux victimes de conflits.
« Dans la plupart des régions, il n’existe pas de services de santé mentale et de soutien psychosocial. C’est pourquoi nous mettons l’accent sur ce volet à travers notre soutien aux structures sanitaires que nous appuyons, notamment le centre de santé communautaire (CSCOM) de Sofara, dans le cercle de Djenné » explique Gnon Cessi Ahmdatou Moussa Baa, responsable du programme de santé mentale du CICR.
Ainsi, à travers ce partenariat, Oumou a été référée au CSCOM de Sofara et prise en charge avec le soutien technique du psychologue du CICR.

« Elle manifestait des signes de détresse psychologique évidents : repli sur soi, insomnies récurrentes, sursauts nocturnes accompagnés de cris d’alarme… Autant de manifestations d’une angoisse profonde, réminiscence des violences subies, des déplacements forcés et d’une peur désormais ancrée en elle » explique Siméon Sagara, psychologue au CICR.
Après une prise en charge psychosociale qui aura duré quelques semaines, Oumou se porte beaucoup mieux à présent. Pour sa famille, c’est une renaissance : « Nous pensions qu’elle avait complètement perdu la tête, qu’elle ne guérirait plus jamais. Nous étions loin d’imaginer qu’une personne pouvait être soignée sans médicaments. Maintenant elle reprend peu à peu ses activités quotidiennes, comme faire le marché et cuisiner », se réjouit Oumar*, son père.
À l’instar de nombreuses personnes déplacées pendant leur enfance, Oumou continue de porter les stigmates invisibles des violences armées qui ont brisé la sienne, fragilisé son équilibre psychologique et assombri ses perspectives.
Pour alléger les souffrances humaines, le CICR apporte protection et assistance aux populations les plus affectées par le conflit, en particulier celles se trouvant dans des zones reculées peu accessibles aux autres acteurs humanitaires.
Point des actions du CICR dans le domaine de la santé mentale
Depuis 2015, le CICR met en œuvre un programme de Santé Mentale et de Soutien Psychosocial. Il travaille en partenariat avec la Croix Rouge Malienne (CRM) et la Croix Rouge Danoise (CRD) à travers un Accord Tripartite couvrant la période 2023 - 2025.
Cet accord s’intéresse particulièrement aux personnes affectées par la violence dans la communauté. Pour faciliter leur prise en charge, des salles d’écoute opérationnelles ont été mises en place au sein des branches locales de la CRM à Ménaka, Tombouctou, Léré, Mopti et Gao.
Pour la prise en charge des personnes affectées par la violence, y compris sexuelle, les blessés par arme à feu et les patients en réhabilitation physique, le programme est mis en œuvre dans 28 structures soutenues par le CICR au nord, au centre et au sud du pays notamment :
- Les hôpitaux régionaux de Tombouctou, Mopti et Gao
- Les centres de santé de référence de Kidal et de Nianfunké
- Quatorze centres de santé communautaires
- Le Centre National d’Appareillage Orthopédique du Mali à Bamako
- Les Centres Régionaux d’Appareillage Orthopédique de Tombouctou, Mopti, Gao.
Les communautés sont également sensibilisées aux impacts des violences, y compris sexuelles, avec 35 agents communautaires (relais communautaires et volontaires de la CRM).
Depuis le début de l’année 2025, le CICR développe aussi des activités ludiques dans les camps de déplacés des aires de santé de quatre régions : Gao, Mopti, Bandiagara et Tombouctou. Outre leur contribution à la cohésion sociale et au bien-être des enfants affectés, ces activités permettent aux agents psychosociaux d’observer et d’identifier les enfants ayant besoin d’une prise en charge soutenue.
Oumou, Madina, Oumar et Ibrahima sont des prénoms d’emprunt.
