Article

Ukraine : les frappes sur les villes bouleversent la vie des habitants

Smoke in Kyiv after a night of strikes.
Pat Griffiths/ICRC

Dans le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, les personnes éloignées des lignes de front vivent elles aussi sous la menace permanente d’être touchées par des frappes de missiles ou de drones. Personne n’est épargné, pas même ceux qui sont là pour secourir les victimes. 

Viktoriia and the damage to her apartment block after a strike in Odesa, Ukraine.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Viktoriia regarde son immeuble endommagé par une frappe à Odessa, en Ukraine.

Viktoriia

« Quand j’entends les sirènes de raid aérien, je me crispe, nous livre Viktoriia Karpenko. J’ai du mal à respirer. Dans ces moments-là, je ne parviens tout simplement pas à contrôler mon corps. »

Viktoriia nous parle depuis l’extérieur de son immeuble, à Odessa, en Ukraine. Une longue traînée noire est visible sur la façade de ce haut bâtiment blanc, vestige d’une attaque de drone perpétrée en début d’année, qui s’était accompagnée d’une explosion et d’un incendie.

Viktoriia est responsable de la gestion des catastrophes à la Croix-Rouge d’Ukraine. Elle travaille avec les équipes d’intervention d’urgence, qui sont souvent parmi les premières à arriver sur les lieux après une frappe.

Son rôle consiste à s’assurer que les ressources matérielles – eau, nourriture, articles d’hygiène et kits de réparation – stockées dans les entrepôts de la Croix-Rouge parviennent là où on en a besoin. Les frappes pouvant se produire à n’importe quel moment, les nuits blanches sont monnaie courante. 

Lorsque l’immeuble de Viktoriia a été touché, elle se trouvait déjà dans un abri, car elle avait entendu les sirènes.

Je pouvais entendre les drones voler puis, quand l'immeuble a été percuté, je l’ai senti bouger, raconte-t-elle. Un enfant criait “Maman, maman !”, mais je ne savais pas s’il était blessé ou s’il avait simplement peur. 

Viktoriia

Des alarmes de voitures hurlaient, des chiens aboyaient. Viktoriia s'inquiétait pour son compagnon, et aussi pour leur chat : aucun des deux ne se trouvait dans l’abri avec elle. Au bout d’une longue attente, il est arrivé – avec le chat dans ses bras.

Viktoriia with broken window frames from her apartment, damaged in the strike.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Viktoriia et ce qui reste des fenêtres de son appartement endommagé par une frappe.

Quand une sirène retentit, la chose la plus sûre à faire est toujours de se mettre à l’abri. Mais lorsque, plusieurs fois par jour et par nuit, il faut abandonner ce que l’on est en train de faire, quitter la maison ou le bureau pour se réfugier dans des caves, des stations de métro ou des salles sécurisées, parfois pendant plusieurs heures, cela laisse des traces.

Ces perturbations de la vie quotidienne peuvent être épuisantes.

Pendant les alertes, on épluche les réseaux sociaux pour s’informer sur les dernières menaces. Mais il y a tant d’incertitude ; on ne sait jamais où ni quand une frappe va se produire, ni quelles en seront les conséquences.

Même dans les villes éloignées des lignes de front, la menace incessante de subir des frappes est une source d’angoisse supplémentaire pour tous. Les gens ne s’inquiètent pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leur famille et leurs amis. Il y a un sentiment de peur généralisée.
 

Viktoriia est originaire de Mykolaïv, mais elle a été déplacée lorsque le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine a commencé à prendre de l’ampleur. Quand elle ne travaille pas pour la Croix-Rouge d’Ukraine, elle enseigne le coréen et le mandarin. Elle aime aussi dessiner et regarder des séries d’animation japonaises.

Elle se souvient que la Croix-Rouge l’a aidée à quitter la ville lors des évacuations. Observer les volontaires à l'œuvre l’a inspirée dans son parcours.

« Lorsque notre maison a été détruite et que nous avons dû partir, raconte-t-elle, notre priorité était de rester en vie et d’aider les autres, et c’est ce qu’il faut faire. »

Depuis la frappe sur leur appartement, Viktoriia et son compagnon se réfugient toujours ensemble dans l’abri lors des alertes. Sans oublier de prendre leur chat avec eux.

Serhii Bilous, at SESU headquarters in Kharkiv, Ukraine.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Serhii Bilous dans les locaux des services d’intervention d’urgence à Kharkov, en Ukraine.

Serhii Bilous a sauvé beaucoup de vies.

C’est son métier depuis 10 ans, et il travaille actuellement auprès des services d’intervention d’urgence ukrainiens, à Kharkov.

« Être sauveteur est une vocation », affirme-t-il, assis devant l’un des camions rouges utilisés par les services d’intervention pour aller secourir les victimes après une attaque.

Il se souvient d’une opération de sauvetage menée l’année dernière, après une frappe sur un immeuble résidentiel de 12 étages. Les niveaux supérieurs étaient ravagés et engloutis par les flammes. 

Depuis la rue, on apercevait la cage d’escalier détruite et une femme piégée dans l’incendie au 12e étage. L’équipe a dû utiliser du matériel d’escalade pour accéder au toit et y fixer des cordes. C’est Serhii qui est ensuite descendu chercher la femme. Il l’a attachée au moyen d’une sangle spéciale pour pouvoir l’emmener avec lui.

« Le feu faisait rage et des flammes très vives ont commencé à s’échapper du balcon. Nous sentions tous les deux notre peau brûler, se souvient-il, mais j’avais surtout peur que les cordes fondent. »

Serhii a alors crié à ses collègues qui se trouvaient en contrebas, sur des échelles ou dans les étages inférieurs, de les arroser au moyen des lances à incendie pendant leur descente pour refroidir les cordes. 

Une fois parvenu à un niveau où l’escalier était praticable, il a réussi à sortir avec la femme, qui a ensuite été prise en charge par les ambulanciers postés sur place et conduite à l’hôpital.

Serhii shows a video of the rescue at the 12-story apartment building in Kharkiv.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Serhii montre la vidéo d’une opération de sauvetage dans un immeuble résidentiel de 12 étages à Kharkov.

« Je viens de vous raconter une histoire qui finit bien, souligne Serhii, mais malheureusement, il y en a aussi d’autres plus tristes. »

Serhii a perdu des collègues. Il y a aussi des gens qu’il n’a pas pu sauver. Les opérations impliquant des enfants sont les plus difficiles. « Une fois, un enfant est mort dans mes bras, se remémore-t-il. Nos familles nous aident à surmonter tout cela. On peut leur parler, mais au travail, nous devons garder notre sang-froid. » 

Si la majorité des victimes (tuées ou blessées) du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine sont des soldats déployés de part et d’autre de la ligne de front, le travail de Serhii témoigne des lourdes conséquences qu’ont les hostilités également pour ceux qui sont restés chez eux.

Un travail bien fait, c’est un feu éteint et des personnes sauvées, conclut-il. C’est ce qui nous motive et nous donne du courage.

Serhii

Olha Kovalenko, senior surgeon at the Burn Treatment Centre in Kyiv.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Olha Kovalenko, chirurgienne principale au Centre de traitement des grands brûlés de Kiev.

Olha

Olha Kovalenko pense aux plages d’Odessa. 

Nous lui avions demandé comment elle faisait pour gérer le stress provoqué par les frappes sur les villes, mais ce n’est pas d’elle qu’elle nous a parlé.

Pendant les alertes aériennes, les plages d’Odessa ne désemplissent pas, explique-t-elle. Les gens n’ont simplement pas le choix. Ils veulent profiter du soleil, de la mer, et ne pas oublier comment c’était en temps de paix. Ils ont juste besoin d’un bol d’air frais.

Olha

Olha est chirurgienne en cheffe. Elle a plus de 40 ans d’expérience dans l’unité des soins intensifs du Centre de traitement des grands brûlés de Kiev. La charge de travail est immense, les ressources limitées et les journées trop courtes.

La majorité de ses patients sont des soldats ramenés des lignes de front, mais quand des frappes tombent sur Kiev, il lui arrive de devoir traiter des victimes civiles.

A residential block damaged by strikes in Kyiv.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Un immeuble résidentiel endommagé par des frappes à Kiev.

« Les attaques se produisent alors que les gens sont en train de dormir tranquillement chez eux, décrit-elle. Ils se réveillent en sursaut et se retrouvent dans un appartement détruit et en flammes. Certains parviennent quand même à fuir par leurs propres moyens. » 

Le bruit d’un drone qui s’approche la nuit, d’abord un vrombissement sourd, puis un fracas qui déchire le ciel, ou l’éclair et la déflagration d’un missile… tout cela fait désormais partie d’un quotidien bien réel. Des milliers de personnes en font régulièrement l’expérience.

C’est ce genre de menace omniprésente qui conduit certains parents à coucher leurs enfants tout habillés le soir, car on ne sait jamais s’il va falloir se lever pour aller se réfugier dans un abri pendant la nuit.

« L’un de nos patients est un étudiant en médecine dentaire, raconte-t-elle. Il s’est précipité dehors. Tout son corps était en feu. Ses voisins l’ont éteint, mais il a quand même été gravement brûlé. »

A building damaged by hostilities outside Izyum in Kharkiv Oblast, Ukraine.
Pat Griffiths/CICR
Pat Griffiths/CICR

Des immeubles endommagés par les hostilités dans la banlieue d’Izyum, dans l’oblast de Kharkov, Ukraine.

Elle ajoute que son service a récemment soigné un homme de 70 ans dont un quart du corps était couvert de brûlures. Elle parle aussi des soins prodigués à des secouristes blessés alors qu’ils essayaient de venir en aide à des personnes piégées dans des immeubles en feu.

« Nous sommes constamment sous stress, poursuit-elle. Je vis au 15e étage et hier, pendant une frappe, j’ai senti que les drones étaient très proches. On aurait dit de petits avions à réaction. » 

Ce qui aide Olha, comme beaucoup, c’est de penser à sa famille et à l’avenir. 

« C’est l’espoir qui me fait tenir », confie-t-elle. Elle n’est pas la seule.