Dhaka (CICR) – L'heure est au bilan alors que je quitte la région. Ma visite m'aura conduit des deux côtés de la frontière : dans le nord de l'État de Rakhine, où d'innombrables personnes ont fui les violences, et dans les camps de Cox's Bazar.
Après avoir rencontré des gens qui sont restés et d'autres qui sont partis, il m'apparaît clairement que ni les uns, ni les autres ne sont épargnés par la souffrance. Ils manquent de tout : abris sûrs, électricité, latrines, médicaments, soins de santé... Les possibilités de gagner sa vie sont si rares que beaucoup ne parviennent pas à se sortir de la précarité et restent dépendants de l'aide humanitaire.
Plus d'un million de personnes vivent dans la misère, prises au piège d'un cruel paradoxe.
Ceux qui ont trouvé refuge dans les camps de Cox's Bazar vivent dans des conditions choquantes qui portent atteinte à la dignité humaine. Et la mousson qui approche ne fera qu'empirer les choses. Ils ne peuvent ni rester, ni rentrer chez eux.
Quant à ceux qui sont restés dans le Rakhine, on ne peut pas dire que leur situation soit plus enviable. Dans cette région reculée et peu fréquentée, nous sommes passés devant ce qui était des villages il y a peu. Il n'en reste presque rien et la nature reprend rapidement ses droits. À d'autres endroits, les écoles et les centres de santé sont désertés.
Dans un des villages où je me suis rendu, il ne reste que 2 000 habitants sur les 9 000 qui y vivent habituellement – moins d'un quart de la population. Je me suis entretenu avec des représentants de toutes les communautés : musulmane, bouddhiste et hindoue. Ils m'ont décrit la destruction du tissu social et de l'économie locale, qui a laissé les gens entièrement tributaires de l'aide humanitaire.
Les conditions ne sont tout simplement pas réunies pour permettre le retour de grands groupes de personnes.
Alors que je regarde autour de moi aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de me demander : dans 20 ans, ces camps seront-ils toujours debout ? Tous ces gens seront-ils encore là à se battre chaque jour pour survivre ? Les enfants que j'ai rencontrés méritent un avenir meilleur. Ils ne doivent pas devenir une nouvelle génération qui n'aura connu que des conditions de crise.
Nous devons à ces enfants de tout faire pour éviter ce scénario et changer les choses – ne serait-ce que pour des raisons humanitaires. Nous devons unir nos efforts pour débloquer cette impasse et nous attaquer aux causes profondes de la crise. Le CICR est prêt à jouer le rôle qui lui revient.
Nos collègues des deux côtés de la frontière sont immédiatement passés à l'action lorsque la crise a éclaté en août 2017. Le CICR a été l'une des premières organisations à intervenir à Cox's Bazar et a ainsi pu répondre aux besoins les plus urgents des personnes vivant dans la zone frontalière, y compris les communautés d'accueil.
Au Myanmar, nous sommes en train de doubler nos distributions de vivres pour aider les populations à faire face à la mousson, qui rendra de nombreuses régions inaccessibles.
Nous parlons là de mesures vitales, mais pas de solutions à long terme. Les gens ont besoin de réponses durables et de retrouver foi en l'avenir.
Tous les acteurs sont mobilisés au maximum de leurs capacités et les ressources s'épuisent. Les communautés d'accueil à Cox's Bazar, qui ont ouvert les bras aux réfugiés malgré leur propre manque de moyens, sont elles aussi submergées. Les projets micro-économiques que nous avons lancés la semaine dernière les aideront à générer des revenus et, au bout du compte, à surmonter leurs difficultés économiques.
Mais l'aide humanitaire seule ne suffira pas à résoudre ce problème. Pour que les gens d'ici puissent entrevoir des lendemains meilleurs, il faudra des solutions politiques inclusives, des investissements économiques durables d'un point de vue environnemental et une véritable volonté de respecter le droit international humanitaire et les droits de l'homme.
Je ne suis pas ici pour désigner des coupables. Nombre d'initiatives ont été lancées en vue de régler cette crise ; les deux gouvernements font des efforts et je suis convaincu de leur bonne volonté. Pendant ma visite, j'ai pu m'entretenir avec Aung San Suu Kyi, conseillère spéciale de l'État du Myanmar, Win Myint, président du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, commandant en chef des Services de défense du Myanmar, ainsi que Sheikh Hasina, première ministre du Bangladesh. Avant mon retour en Suisse, je rencontrerai encore aujourd'hui Abul Hassan Mahmood Ali, ministre des Affaires étrangères du Bangladesh, et Asaduzzaman Khan, ministre de l'Intérieur du Bangladesh.
Je tiens à saluer par ailleurs les excellentes recommandations formulées par la commission consultative présidée par Kofi Annan, auxquelles le CICR souscrit. Les organisations humanitaires travaillent elles aussi d'arrache-pied pour alléger les souffrances des victimes.
Mais jusqu'à présent, et malgré tous les efforts diplomatiques et opérationnels fournis, les choses n'ont guère évolué pour les populations sur place.
Avant que les personnes déplacées puissent rentrer chez elles, il faudra non seulement mener des activités humanitaires pour atténuer les effets de la crise, mais aussi prendre des mesures politiques efficaces visant à garantir la liberté de mouvement ; assurer l'accès aux services essentiels ; protéger la liberté d'entreprendre une activité économique et d'accéder aux marchés dans le Rakhine ; et, surtout, donner confiance dans les dispositions mises en place pour garantir la sécurité des rapatriés.
Au Myanmar comme au Bangladesh, j'ai été touché par les histoires qu'on m'a racontées démontrant l'impact que l'action du CICR a depuis des décennies sur les individus et les communautés, des visites en détention aux soins de santé en passant par la négociation et la diplomatie humanitaires. Le CICR continuera de prendre part aux efforts déployés pour faire face à cette crise humanitaire dans les deux pays.