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Cameroun : la disparition d’un enfant, entre résignation et espoir…

44 000. C’est le nombre de personnes disparues que nous avons recensées en Afrique à ce jour. Près de la moitié de ces personnes, 45 %, étaient mineures au moment de leur disparition. Derrière ces chiffres, il y a des noms, des histoires, mais aussi des familles qui, elles, n’oublient pas.

C'est le cas d'Ousmane et d'Aïsha. En 2014, alors que leur village au nord du Cameroun est touché par le conflit armé, ils perdent – en plus de leurs biens – leur fils aîné, Moussa, 22 ans.

Six ans après, leurs questions restent sans réponse et leurs cœurs partagés entre résignation et espoir.

Daniel Beloumou / CICR

Aisha et Ousmane traversent ce moment difficile main dans la main. Pour des raisons de sécurité, Ousmane ne désire pas apparaître à visage découvert.

Je m'appelle Ousmane*. J'ai 50 ans. Je me souviens de cette matinée comme si c'était hier. C'était le 27 décembre 2014.
Je prenais mon petit-déjeuner avec ma famille lorsque nous avons entendu les premiers tirs, dans notre village au nord du Cameroun. J'ai demandé à ma femme de s'enfuir avec les plus jeunes de nos enfants et je suis resté avec l'aîné, mon fils Moussa*.

Avec les autres villageois, nous avons été regroupés par des hommes armés dans la cour de l'école du village. Les hommes étaient d'un côté tandis que les femmes et les enfants de l'autre.
Nous étions plus de 400 hommes. Après avoir été obligés d'ôter nos vêtements, nous avons été embarqués – en short ou caleçon, pieds nus – dans les huit camions qui attendaient. J'avais peur pour moi, mais encore plus pour mon fils. J'avais peur de mourir.

Daniel Beloumou / CICR

"La dernière fois que je l'ai vu, on nous séparait."

«J'avais peur pour moi mais encore plus pour mon fils. J'avais peur de mourir. 

Après la première étape du voyage, le groupe a été divisé en deux. C'est à ce moment que nous avons été séparés mon fils et moi.
Les conditions dans lesquelles nous étions gardés étaient difficiles. Les espaces étaient si petits que, cette nuit-là, plusieurs hommes moururent dans les cellules de fortune.

Nous étions 400 hommes au départ et lorsque le groupe fut reformé, nous n'étions plus que 45 hommes de mon village. Mon fils n'en faisait pas partie.
J'ai appris que, la nuit même, des corps sans vie avaient été mis dans un camion et emmenés pour on ne sait quelle destination. Ceux qui avaient survécu à cette nuit tragique, des gens de mon village, m'ont dit que mon fils faisait partie des personnes décédées.

La suite de mon histoire fut un calvaire. Je me suis retrouvé séparé de ma famille pendant presque trois ans, inquiet de ce qu'ils pouvaient devenir. Avec l'aide des gens de mon village, j'ai pu retrouver la liberté. Mais aujourd'hui encore, je ne saurais vous dire comment j'en suis arrivé là.
Je suis rentré chez moi. Seul. J'y ai retrouvé mon épouse ainsi que mes autres enfants mais, je suis rentré seul. Sans Moussa.

Daniel Beloumou / CICR

Dans son champ, Ousmane travaille à présent sans l'aide de son fils.

La dernière fois que je l'ai vu, on nous séparait. J'espérais le retrouver, mais je ne l'ai plus jamais revu.

Ce jour-là, j'ai perdu des amis, des voisins et aussi mon fils. Il contribuait aussi financièrement pour la famille et avait des affaires plus florissantes que les miennes. Je garde une bonne image de lui et lorsque je vois des enfants jouer, je pense à lui.

Parfois, dans le village, on apprend qu'un enfant a été enlevé. À ces moments, mon cœur se serre et je repense à mon fils.

Daniel Beloumou / CICR

Pour Aisha, la vie continue difficilement sans son fils.

Je m'appelle Aïsha*. Je suis la femme d'Ousmane*. Ce jour-là en fuyant avec mes plus jeunes enfants, c'était la dernière fois que je voyais mon fils aîné Moussa*. En plus de m'arracher mon fils, on m'a aussi pris mon mari. Laissée sans ressource, reprendre la vie après tout ça fut difficile mais heureusement mon époux est finalement revenu parmi nous.

Quand je lui demande après Moussa, il me répond qu'il pense que notre fils ne vit plus mais mon cœur a du mal à l'accepter. Certains jours, j'y pense et je me dis qu'il doit être en vie, je me le répète à moi-même et ça me fait pleurer. Mais parfois aussi, il m'arrive de penser qu'il peut avoir été tué.

Mon fils n'a tué personne, ne s'est bagarré avec personne mais on me l'a enlevé ... pour rien. Depuis tout petit il ne cherche de problème à personne. Avec lui je vivais bien, c'était quelqu'un d'obéissant. Quand je tombais malade, il s'assurait que j'aie un traitement et restait à côté pour me tenir compagnie. Depuis tout petit c'est quelqu'un de bien. Peu de temps avant ces événements, mon fils m'avait dit qu'il se préparait à épouser une fille. Je n'ai jamais su de qui il s'agissait.

Daniel Beloumou / CICR

Avant, ceci était la case de Moussa, le fils disparu. Aujourd'hui, elle est en ruine.

Mon fils me manque. Va-t-il rentrer ou pas je ne sais pas. Je me le demande souvent et quand je prie, je demande que mon fils revienne s'il vit encore. J'ai espoir qu'il soit encore en vie.


Le CICR a enregistré plus de 1500 cas de disparitions au Cameroun, dont plus de 420 ont été signalés en 2020. Près d'un quart des personnes portées disparues sont des enfants. Les familles séparées par les conflits armés et les autres situations de violence peuvent connaître l'angoisse de ne pas savoir ce qui est arrivé à leurs proches et ne peuvent pas faire leur deuil. Le droit international humanitaire et les droits de l'homme exigent des parties à un conflit qu'elles prennent des mesures pour prévenir les disparitions, et si des personnes disparaissent, de prendre toutes les mesures possibles pour faire en sorte que la lumière soit faite sur leur sort et que leur famille en soit informée.

Au Cameroun, presque tous les cas de disparitions signalés au CICR sont liés à la violence et au conflit armé. La majorité des cas (74%) concernent des personnes disparues suite au conflit à l'Extrême-Nord du pays, 15% résultent de la situation de violence qui persiste dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays, et d'autres cas concernent des réfugiés en provenance de la République centrafricaine qui résident dans l'est du pays et dans la région de l'Adamaoua (11%).


 

* Noms d'emprunts.